23 mars 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-83.064

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:CR00352

Titres et sommaires

DROITS DE LA DEFENSE - Droits de la personne condamnée - Traduction des pièces essentielles - Cas - Jugement de révocation d'un sursis probatoire et notification - Omission - Effets - Absence de départ du délai légal d'appel - Portée - Recevabilité de l'appel formé au delà du délai légal

Le jugement par lequel le juge de l'application des peines révoque un sursis probatoire, ainsi que sa notification, qui informe des modalités d'exercice d'une voie de recours, constituent des pièces essentielles à l'exercice de la défense et à la garantie d'un procès équitable au sens de l'article préliminaire du code pénal, et doivent à ce titre être traduites lorsque l'intéressé ne comprend pas la langue française. Est ainsi recevable un appel formé au-delà du délai légal, dès lors que l'appelant ne comprend pas la langue française, et que le défaut de traduction du jugement révoquant le sursis probatoire dont il avait fait l'objet, et de sa notification, n'avait pas fait courir ce délai

Texte de la décision

N° W 21-83.064 F-B

N° 00352


SL2
23 MARS 2022


CASSATION


M. DE LAROSIÈRE DE CHAMPFEU conseiller le plus ancien faisant fonction de président,





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 23 MARS 2022



M. [C] [S] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Rennes, en date du 6 avril 2021, qui a déclaré irrecevable son appel contre le jugement du juge de l'application des peines ayant ordonné la révocation d'un sursis probatoire.

Un mémoire ampliatif et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de M. Mallard, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [C] [S], et les conclusions de M. Bougy, avocat général, après débats en l'audience publique du 16 février 2022 où étaient présents M. de Larosière de Champfeu, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Mallard, conseiller rapporteur, Mme Slove, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. [C] [S] a été condamné, par jugement du 7 juin 2019, à la peine de huit mois d'emprisonnement assorti d'un sursis probatoire pendant deux ans.

3. Par jugement du 30 octobre 2020, le juge de l'application des peines a ordonné la révocation totale du sursis probatoire.

4. Ce jugement a été notifié à M. [S] par lettre recommandée avec accusé de réception du 30 octobre 2020, signé le 31 octobre 2020.

5. Le 18 novembre 2020, M. [S] a interjeté appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevable comme tardif l'appel du jugement de révocation totale d'une mesure de sursis avec mise à l'épreuve en date du 30 octobre 2020, notifié par lettre recommandée avec accusé de réception le même jour, interjetée par M. [S] le 18 novembre 2020, alors :

« 1°/ que le délai d'appel d'une décision qui est de dix jours en la matière est prorogé, dès lors qu'il est établi que la personne concernée a été empêchée d'exercer ce droit par une circonstance indépendante de sa volonté, un cas de force majeure ou un obstacle invincible ; qu'en considérant que tel n'était pas le cas en l'espèce sans rechercher si M. [S], qui ne comprend pas le français, a pu avoir connaissance du contenu de la notification qui lui a été faite et si cette notification comportait en chiffres et en lettres l'indication du délai d'appel, afin d'attirer son attention sur ce point, ce qui était de nature à constituer pour lui un obstacle invincible, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des dispositions des articles 712-1, 712-6, 712-8, 712-11 et suivants du code de procédure pénale ;

2°/ que le droit à un interprète au sens des articles 6, § 3, e, de la Convention européenne des droits de l'homme, 803-5 du code de procédure pénale et préliminaire audit code doit s'étendre à la traduction de tous les actes de la procédure et à toutes les démarches nécessaires à la défense d'un prévenu ou d'un accusé pour assurer le respect des droits de tout justiciable ne comprenant pas le français ; qu'ainsi, l'article 803-5 du code de procédure pénale susvisé prévoit-il que lorsque la personne intéressée ne comprend pas le français, il peut être effectué une traduction orale des pièces essentielles qui doivent lui être remises ou notifiées ; que cette formalité est en effet essentielle pour assurer la garantie effective des dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme, le respect des droits de la défense, de l'égalité de tous devant la loi et l'accès concret au juge ; qu'à défaut d'accomplir les diligences nécessaires dans la langue comprise par M. [S] qui avait toujours été assisté d'un interprète auparavant, et qui l'était devant la cour d'appel, pour lui notifier la décision rendue à son encontre et lui signifier le délai de recours contre cette décision, l'intéressé s'est trouvé dans l'impossibilité matérielle absolue de comprendre le sens de la notification qui lui a été faite et d'interjeter appel dans le délai de dix jours de cette notification, ce qui constitue pour lui un obstacle invincible et indépendant de sa volonté ; qu'en considérant que M. [S] n'a justifié d'aucun obstacle et ne démontre pas que son défaut de lecture de la langue française ne lui a pas permis de se conformer au délai légal d'appel, sans rechercher si cet étranger a été informé dans une langue qu'il comprend du délai d'appel, circonstance qui est en elle-même de nature à constituer un obstacle invincible indépendant de la volonté du prévenu, la cour d'appel n'a pu justifier légalement sa décision au regard des textes et principes susvisés. »

Réponse de la Cour

Vu les articles préliminaire, 712-6, 712-11 et 742 du code de procédure pénale :

7. Selon le premier de ces textes, la personne poursuivie a le droit d'obtenir la traduction des pièces essentielles à l'exercice de sa défense et à la garantie du caractère équitable du procès qui doivent, à ce titre, lui être remises ou notifiées en application du présent code.

8. Il résulte des autres articles susvisés que le jugement par lequel le juge de l'application des peines révoque un sursis probatoire doit être notifié et est susceptible d'appel.

9. Pour déclarer irrecevable l'appel formé par M. [S], la chambre de l'application des peines relève qu'il disposait, pour exercer son recours, d'un délai de dix jours à compter de la notification du 31 octobre 2020, de sorte que la déclaration du 18 novembre 2020 est tardive, et que son recours est irrecevable.

10. Les juges ajoutent que M. [S] ne démontre pas que son défaut de lecture de la langue française ne lui ait pas permis de se conformer au délai légal de l'appel, dans la mesure où il a été en capacité de faire appel plus tard de la décision, et où il savait qu'il était suivi par le juge de l'application des peines et le service pénitentiaire d'insertion et de probation, à la convocation duquel il avait su se rendre le 10 octobre 2019.

11. Ils en concluent que, faute, pour lui, de rapporter la preuve de l'existence d'un obstacle invincible assimilable à la force majeure, l'ayant placé dans l'impossibilité absolue de se conformer au délai, l'appel formé par M. [S] doit être déclaré irrecevable.

12. En prononçant ainsi, alors que le jugement, qui devait être notifié au demandeur en application d'une disposition du code de procédure pénale, devait donc être traduit, tout comme sa notification, laquelle, informant l'intéressé des modalités d'exercice d'une voie de recours, était une pièce essentielle à l'exercice de sa défense et à la garantie d'un procès équitable, et que ce défaut de traduction n'avait pas fait courir le délai d'appel, la chambre de l'application des peines a méconnu les textes susvisés.

13. La cassation est par conséquent encourue.

Portée et conséquences de la cassation

14. Par l'effet de la cassation de l'arrêt ayant déclaré irrecevable l'appel de M. [S], la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Rennes se trouve saisie de l'appel formé le 18 novembre 2020 par M. [S].

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Rennes, en date du 6 avril 2021 ;

DIT que la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Rennes se trouve saisie de l'appel formé le 18 novembre 2020 par M. [S] contre le jugement du juge de l'application des peines de Nantes du 30 octobre 2020 ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Rennes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-trois mars deux mille vingt-deux.

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