9 mai 2019
Cour de cassation
Pourvoi n° 18-10.909

Deuxième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2019:C200610

Titres et sommaires

SECURITE SOCIALE, ACCIDENT DU TRAVAIL - Procédure - Procédure préliminaire - Appréciation du caractère professionnel de l'accident ou de la maladie - Décision de la caisse - Décision de prise en charge - Inopposabilité soulevée par l'employeur - Recours n'ayant pas le caractère d'une action au sens de l'article 2224 du code civil - Portée

Le recours de l'employeur aux fins d'inopposabilité de la décision par laquelle la caisse primaire d'assurance maladie prend en charge, au titre de la législation professionnelle, l'accident ou la maladie du salarié ne revêt pas le caractère d'une action au sens de l'article 2224 du code civil. En conséquence, la prescription instituée par ce texte ne lui est pas applicable

PRESCRIPTION CIVILE - Prescription quinquennale - Article 2224 du code civil - Domaine d'application - Recours de l'employeur aux fins d'inopposabilité de la décision de prise en charge de la caisse au titre de la législation professionnelle (non)

Texte de la décision

CIV. 2

LM

COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 9 mai 2019


Cassation


Mme FLISE, président


Arrêt n° 610 FS-P+B+I

Pourvoi n° E 18-10.909



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par la société MBDA France, société par actions simplifiée, dont le siège est [...], ayant un établissement secondaire rond-point [...], [...], contre l'arrêt rendu le 23 novembre 2017 par la cour d'appel de Bourges (chambre sociale), dans le litige l'opposant :

1°/ à la caisse primaire d'assurance maladie du Cher, dont le siège est [...],

2°/ au ministre chargé de la sécurité sociale, domicilié [...], 75350 Paris 07 SP, défendeurs à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 27 mars 2019, où étaient présents : Mme Flise, président, M. Cadiot, conseiller rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, M. Decomble, Mmes Vieillard, Taillandier-Thomas, Coutou, conseillers, Mmes Brinet, Palle, Le Fischer, Vigneras, Dudit, conseillers référendaires, M. de Monteynard, avocat général, Mme Szirek, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. Cadiot, conseiller, les observations de la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat de la société MBDA France, de la SCP Foussard et Froger, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie du Cher, l'avis de M. de Monteynard, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Donne acte à la société MDBA France du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre le ministre chargé de la sécurité sociale ;

Sur le moyen unique :

Vu les articles 2224 du code civil, R. 142-18 et R. 441-14 du code de la sécurité sociale ;

Attendu que si la décision de la caisse primaire qui reconnaît le caractère professionnel de l'accident, de la maladie ou de la rechute fait grief à l'employeur qui est recevable à en contester l'opposabilité ou le bien-fondé dans les conditions fixées par les deux derniers de ces textes, le recours de l'employeur ne revêt pas le caractère d'une action au sens du premier ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la caisse primaire d'assurance maladie du Cher (la caisse) ayant pris en charge le 23 mai 2005, au titre de la législation professionnelle, la maladie d'un des salariés de la société MDBA France (l'employeur), celle-ci, après avoir infructueusement saisi le 5 mai 2015 la commission de recours amiable de la caisse en demandant que cette décision lui soit inopposable, a porté son recours devant une juridiction de sécurité sociale ;

Attendu que pour déclarer l'action prescrite, l'arrêt énonce qu'en l'absence de délai de prescription spécifique à l'action visant à voir reconnaître le caractère inopposable à l'employeur de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle du salarié, la caisse primaire est fondée à se prévaloir de la prescription quinquennale de droit commun de l'article 2224 du code civil ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 novembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans ;

Condamne la caisse primaire d'assurance maladie du Cher aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf mai deux mille dix-neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat aux Conseils, pour la société MBDA France

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré irrecevable pour cause de prescription le recours de la société MBDA à l'encontre de la décision de la CPAM du Cher prenant en charge la maladie déclarée par M. D... au titre de la législation sur les risques professionnels et d'avoir débouté la société MBDA de toutes ses demandes ;

AUX MOTIFS QUE « L'ancien article 2262 du code civil disposait que toutes les actions, tant réelles que personnelles, étaient prescrites par 30 ans. Depuis l'entrée en vigueur, le 19 juin 2008, de la loi nº 2008-561 du 17 juin 2008, l'article 2224 du code civil prévoit que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu au aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. Ces nouvelles dispositions réduisant la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions en cours à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure (article 26 de la loi du 17 juin 2008). En l'absence de texte spécifique applicable, la prescription trentenaire, aujourd'hui réduite à cinq ans, a vocation à régir toutes les actions personnelles ou mobilières et, en particulier, celle visant à voir reconnaître le caractère inopposable à l'employeur de la prise en charge de la maladie professionnelle du salarié. En effet, en l'état de la réglementation en vigueur avant la promulgation du décret du 29 juillet 2009, la décision de prise en charge de la maladie professionnelle du salarié, prise par une caisse primaire, n'était pas notifiée à l'employeur mais simplement envoyée à ce dernier pour information, en sorte qu'elle n'acquérait à son égard aucun caractère définitif et n'était pas soumise au délai de forclusion de deux mois de l'article R. 142-1 du code de la sécurité sociale, courant à compter d'une notification portant mention du délai de la voie de recours. Et, contrairement à ce que soutient la société MBDA, il ne saurait être distingué entre un droit de créance qui, ne résultant pas de l'inopposabilité de la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie, serait seul l'objet de l'action personnelle visée par ce texte, et un droit d'action qui, découlant au contraire d'une telle inopposabilité, serait soumis au régime de la forclusion. Et ce n'est d'ailleurs pas sans contradiction que l'appelant s'empresse d'ajouter aussitôt que cette forclusion étant inapplicable en la cause pour la raison mentionnée ci-dessus, la décision de prise en charge peut finalement être contestée par l'employeur à tout moment, donc sans limite temporelle. En effet, la forclusion n'est jamais qu'un mode d'extinction d'un droit résultant de l'inaction de son titulaire pendant un laps de temps plus court que celui de la prescription, selon des modalités également plus strictes, en sorte que si aucune forclusion n'est encourue, c'est nécessairement le régime de la prescription qui a vocation à s'appliquer. C'est tout aussi vainement que la société MBDA soutient qu'il conviendrait, à supposer que sa demande relève bien d'une action personnelle, d'appliquer la prescription triennale de l'article L. 243-6 du code de la sécurité sociale, laquelle ne commencerait alors à courir qu'à compter de la décision qui sera rendue sur sa contestation et lui permettra de réclamer le remboursement des cotisations indûment versées. En effet, selon la jurisprudence, le délai de prescription prévu par ce texte ne s'applique qu'aux seules demandes de remboursement de cotisations de sécurité sociale ou d'allocations familiales indûment versées. Il en résulte que si le délai de prescription de cette demande de remboursement ne court qu'à compter de la décision qui aura constaté le caractère indu des cotisations, encore convient-il que l'action tendant à cette dernière fin soit elle-même exercée dans le délai de prescription qui lui est spécifique. En l'absence précisément de délai de prescription spécifique à l'action visant à voir reconnaître le caractère inopposable à l'employeur de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle du salarié, la caisse primaire est fondée à se prévaloir de la prescription quinquennale de droit commun de l'article 2224 du code civil, à charge pour elle de démontrer que l'employeur a connu ou aurait dû connaître la décision plus de cinq ans avant la date à laquelle il a exercé son action. La caisse primaire déduit cette connaissance de la décision par l'employeur tout d'abord de la notification, le 23 mai 2005, de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle déclarée par le salarié. La société MBDA, qui produit elle-même cette notification adressée par courrier simple, ne conteste même pas formellement l'avoir reçue, se bornant à relever l'erreur commise par le premier juge qui, confondant avec l'avis de fin d'instruction reçu le 10 mai 2005, a fait malencontreusement état d'une notification du 10 mai 2005. En second lieu, le relevé de compte employeur pour l'exercice 2005, établi à la date du 30 août 2006, sur la base duquel la société MBDA a ensuite payé ses cotisations relatives aux risques professionnels, porte expressément mention d'une somme de 22 166,10 euros représentant les indemnités journalières versées au salarié I... D..., ce qui suffit à établir que la société MBDA, qui produit elle-même cette pièce, a eu connaissance de la prise en charge lors de la réception de ce document, soit depuis bien plus que le délai de prescription requis au jour de la saisine de la commission de recours amiable. En troisième lieu, la Caisse verse aux débats une lettre datée du 6 novembre 2007 par laquelle le médecin-conseil de l'employeur demande, dans le cadre d'un examen de la tarification "accident de travail", la communication des divers éléments lui ayant permis de prendre en charge la maladie professionnelle déclarée par I... D.... La société MBDA, qui ne conteste pas que ce médecin a bien agi dans le cadre d'une mission qu'elle lui avait confiée, a donc nécessairement eu connaissance de cette décision de prise en charge à cette date du 6 novembre 2007. Enfin, la Caisse justifie avoir adressé à la société MBDA, par lettre recommandée avec avis de réception signé le 18 février 2008, un avis de fin d'instruction de la procédure d'imputabilité du décès du salarié à la maladie professionnelle et une invitation à consulter, le cas échéant, les pièces constitutives du dossier, ce dont il résulte également que l'employeur a eu connaissance de la décision de prise en charge initiale au plus tard à la date de réception de ce courrier. Ainsi, il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société MBDA a eu connaissance, au plus tard à la date du 18 février 2008, de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle de son salarié et qu'elle devait donc agir en inopposabilité au plus tard à la date du 19 juin 2013, soit cinq ans après la date d'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 réduisant la prescription des actions personnelles ou mobilières à cinq ans. C'est en vain que la société MBDA soutient que l'ensemble des événements ci-dessus mentionnés ne font pas état de la voie de recours et de son délai, alors que ces exigences ne sont posées que dans le cadre d'une forclusion, de manière à attirer l'attention de l'employeur sur le caractère définitif de la décision une fois expiré le bref délai imparti, et sont sans application dans le cadre d'une prescription dont le délai est beaucoup plus long. L'action de la société MBDA, qui n'a saisi la commission de recours amiable, à supposer que cette saisine soit interruptive de la prescription, qu'à la date du 5 mai 2015, doit donc être déclaré prescrite et partant irrecevable » ;

AUX MOTIFS ADOPTES QUE « la société MBDA FRANCE fait valoir que l'article 2224 du Code civil s'applique en l'absence de règles spéciales qui dérogent à la prescription quinquennale ; que l'article L. 243-6 du Code de la sécurité sociale édicte un délai spécifique ; qu'il s'applique aux actions en remboursement rie cotisations dont le délai de prescription ne peut commencer à courir avant la naissance de l'obligation rie remboursement ; qu'or, l'article L. 243-6 du Code de la sécurité sociale ne concerne que l'action en répétition de l'indu des cotisations versées à l'encontre de l'URSSAF, et n'est donc pas applicable à l'action en inopposabilité de la prise en charge d'une maladie au titre de la législation professionnelle formée par l'employeur à l'encontre de la CPAM ; qu'en l'absence de dispositions spéciales, le délai de droit commun prévu à l'article 2224 du Code civil s'applique ; qu'en vertu de cet article en vigueur au 19 juin 2008, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; que par ailleurs, il est constant qu'avant la modification de la procédure de reconnaissance de l'accident du travail par le décret du 29 juillet 2009, l'information donnée à l'employeur par une caisse de sécurité sociale sur sa décision de prise en charge d'un accident du travail au titre de la législation professionnelle ne constituait pas une notification faisant courir contre l'employeur le délai de recours de deux mois pour saisir la commission de recours amiable, faute pour la caisse de prouver la date à. laquelle l'employeur a eu connaissance de sa décision et de mentionner les voies et délais de recours sur le courrier ; qu'en l'espèce, la CPAM soutient que l'action de la société MBDA est prescrite dès lors que la maladie déclarée par Monsieur D... a été reconnue d'origine professionnelle par décision en date du 23 mai 2005 ; que l'employeur a été informé de cette décision et que l'imputation de cette maladie est apparue au compte employeur sur l'exercice 2005 ; qu'il ressort des éléments du dossier que la société MBDA FRANCE a reçu le 12 mai 2005 la décision de la prise en charge au titre de la législation professionnelle de la maladie déclarée par Monsieur D... ; que sur le compte employeur au titre de l'exercice 2005 figure l'imputation de la maladie ; qu'il s'ensuit que l'employeur avait bien connaissance de la maladie de son salarié et qu'il disposait d'un délai de cinq ans pour contester la décision de la caisse ; que la saisine de la CRA est intervenue par courrier en date du 5 mai 2015 ; qu'à cette date la prescription était acquise ; qu'en conséquence, l'action de la société MBDA FRANCE sera déclarée irrecevable » ;

ALORS QUE le recours contre la décision d'un organisme de sécurité sociale relative à la prise en charge d'un sinistre au titre de la législation sur les risques professionnels est exclusivement soumis aux règles de forclusion spécifiques d'ordre public du code de la sécurité sociale relatives au délai de recours ; que l'article 2224 du code civil n'est pas applicable à une telle contestation qui n'est pas relative à un droit personnel ou mobilier ; qu'en se fondant néanmoins sur l'article 2224 du code civil pour déclarer prescrite la demande d'inopposabilité de la décision de prise en charge de maladie professionnelle introduite par la société MBDA France, la cour d'appel a violé ce texte, par fausse application, ensemble les articles L. 142-1, L. 142-9, 243-6, R. 142-1 et R. 441-14, dans sa rédaction applicable au litige, du code de la sécurité sociale.

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