N°11 - Mars 2024 (Appel)

Lettre de la deuxième chambre civile

Une sélection commentée des décisions rendues par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (Appel / Procédures civiles d'exécution / Astreinte / Assurances / Focus sur la sanction du doublement du taux de l'intérêt légal / Accident de la circulation / Indemnisation / Protection sociale / QPC / À venir / Focus de jurisprudence).

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Lettre de la deuxième chambre civile

N°11 - Mars 2024 (Appel)

REVIREMENT - Rôles respectifs des parties et du conseiller de la mise en état en matière de péremption dans les procédures avec représentation obligatoire.

Civ., 2ème 7 mars 2024 pourvoi n°21-19.475 publié

Civ., 2ème 7 mars 2024 pourvoi n° 21-19.761 publié

Civ., 2ème 7 mars 2024 pourvoi n° 21-23.230 publié 

Civ., 2ème 7 mars 2024 pourvoi n° 21-20.719 publié

Par quatre arrêts rendus le 7 mars 2024, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a opéré un important revirement de jurisprudence en matière de péremption d’instance dans la procédure d’appel avec représentation obligatoire.

Jusqu’à présent, il était jugé que pour interrompre le délai de péremption, il incombait aux parties de faire des diligences ou de solliciter du conseiller de la mise en état la fixation de l’affaire, et ce même si les parties avaient rempli leurs obligations procédurales en application des articles 908 et 909 du code de procédure civile (2e Civ., 16 décembre 2016, pourvoi n° 15-27.917, Bull. 2016, II, n° 281). Une demande de fixation interrompait la péremption mais ne la suspendait pas (2e Civ., 1er février 2018, pourvoi n° 16-17.618, Bull. 2018, II, n° 20).

Ces affaires concernaient la procédure d’appel avec représentation obligatoire dans une configuration dans laquelle les textes applicables étaient ceux antérieurs à la réforme du décret n°2017-891 du 6 mai 2017.

Se fondant sur les évolutions de la procédure d’appel résultant de ce texte réglementaire, la Cour de cassation juge, dans l’arrêt commenté, qu’une fois que les parties ont accompli toutes les charges procédurales leur incombant, la péremption ne court plus à leur encontre, sauf si le conseiller de la mise en état fixe un calendrier ou leur enjoint d’accomplir une diligence particulière.

Ce revirement de jurisprudence est fondé sur une circonstance nouvelle, l’entrée en vigueur de la réforme issue du décret n°2017-891 du 6 mai 2017, qui a notamment instauré un principe de concentration temporelle des prétentions, ces dernières devant être présentées dans les premières conclusions à peine d’irrecevabilité, et a également renforcé les charges procédurales créées par les décrets n° 2009-1524 du 9 décembre 2009 et n° 2010-1647 du 28 décembre 2010 en interdisant de former un nouvel appel à la suite du prononcé de la caducité ou de l’irrecevabilité de l’appel.

La Cour de cassation a aussi pris en considération les pratiques des cours d’appel et des avocats en procédant contradictoirement à des auditions réalisées selon la procédure de l’amicus curiae mise en oeuvre à l’occasion de ces quatre pourvois. Des observations écrites ont été déposées par la présidente de la conférence des premiers présidents de cours d’appel, la bâtonnière de l’ordre des avocats de Paris et le président du Conseil national des barreaux. Tous ont souligné que la demande de fixation de l’affaire à une audience se révèle, dans de nombreux cas, vaine lorsque la cour d’appel saisie se trouve dans l’impossibilité, en raison de l’encombrement de ses rôles d’audience, de fixer l’affaire dans un délai inférieur à deux ans.

QUESTION NOUVELLE - L’incidence du défaut de renvoi exprès à l’annexe dans la déclaration d’appel

Civ., 2ème 7 mars 2024 pourvoi n° 22-23.522 publié

Civ., 2ème 7 mars 2024 pourvoi n°22-20.035 publié

Par les deux arrêts commentés, la deuxième chambre civile répond à la question inédite des conséquences de l’absence de renvoi exprès, dans une déclaration d’appel, à l’annexe, qui y est jointe, énonçant les chefs critiqués du jugement attaqué. Les cours d’appel en avaient déduit que la déclaration d’appel était privée de tout effet dévolutif.

Le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 a modifié l’article 562 du code de procédure civile en supprimant la faculté d’appel général qui existait jusqu’alors.

Dans sa rédaction issue de ce décret, il énonce, depuis lors,  que : « L'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent. La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible ».

En cohérence avec cette réforme, le même décret a complété l’article 901 du code de procédure civile par une mention (4°) ainsi intégrée  : « La déclaration d'appel est faite par acte contenant, outre les mentions prescrites par l'article 58, et à peine de nullité : 4° Les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si  l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible ».

Ce même article a de nouveau été modifié par le décret du 25 février 2022 et prévoit désormais que la déclaration d’appel peut comporter, le cas échéant, une annexe.

En application de ces textes, la Cour de cassation a d’une part, sanctionné la méconnaissance de l’article 901,4°, par une nullité de forme (2e Civ., 30 janvier 2020, pourvoi n° 18-22.528, publié) et, d’autre part, considéré qu’elle prive l’appel de son effet dévolutif ( 2e Civ., 30  janvier 2020, pourvoi n° 19-16.954, publié). Elle a également jugé que le recours à une annexe dans une déclaration d’appel était possible même en l’absence d’empêchement technique (Avis de la Cour de cassation, 8 juillet 2022, n° 22-70.005 ;  2e Civ., 26 octobre 2023, pourvoi n° 22-16.185, publié), ce qu’elle a l’occasion de rappeler dans l’un des arrêts du 7 mars 2024.                                                                                                                                              

La dématérialisation de la procédure d’appel, réglementée notamment par les  articles 748-1, 748-6 et 930-1 du code de procédure civile, a, par ailleurs, rendu obligatoire, pour les avocats, sauf empêchement technique, d’adresser au greffe, via le réseau privé virtuel des avocats (RPVA), leur déclaration d’appel aux fins de traitement automatisé par l’application informatique du greffe (WinCi CA) , les modalités de tels échanges par voie électronique étant fixées par un arrêté du garde des sceaux.

A cet égard, un arrêté du 25 février 2022 a modifié l’arrêté du 20 mai 2020 encadrant les modalités de communication électronique entre les avocats et la cour d’appel, et a notamment précisé, en son article 4, que lorsqu’une annexe était jointe à la déclaration d’appel, l’appelant devait procéder, dans cet acte, à un renvoi exprès à cette annexe.

Aux termes des arrêts du 7 mars 2024, la deuxième chambre civile retient qu’une telle prescription relève des dispositions relatives aux procédés techniques utilisés en matière de communication électronique sans que son inobservation ne puisse avoir d’incidence sur la validité de la déclaration d’appel ni la priver de son effet dévolutif.

En effet, cet arrêté, pris en application des articles 748-6 et 930-1 du code de procédure civile, qui a pour objet de définir les modalités techniques des échanges électroniques entre les avocats et la cour d’appel ne saurait interférer dans l’application de textes réglementaires relatifs à la déclaration d’appel et emporter, de ce fait, des restrictions disproportionnées à l’exercice du droit d’appel.

La cour d'appel, ne peut pas connaître de prétentions non soumises au conseiller de la mise en état.

La cour d'appel, statuant sur déféré, ne peut pas connaître de prétentions qui n'ont pas été soumises au conseiller de la mise en état. Seule la cour d'appel, saisie au fond, est compétente pour connaître des fins de non-recevoir tirée de l'absence des indications mentionnées à l'article 960 du code de procédure civile.

 

Civ., 2ème 7 mars 2024 pourvoi n° 22-10.337 publié

Par cet arrêt, la deuxième chambre civile vient préciser deux points importants sur les pouvoirs du conseiller de la mise en état et de la cour d’appel statuant sur déféré.

La première question était de savoir s’il est possible d’invoquer devant la cour d'appel statuant sur déféré de nouvelles prétentions non préalablement soumises au conseiller de la mise en état. Même si le rôle du conseiller de la mise en état est de purger l’ensemble des incidents procéduraux qui peuvent affecter le litige afin que la formation collégiale n’ait plus ensuite qu’à se prononcer sur le fond, il paraît important de préserver la possibilité d’un double examen qu’offre le déféré et d’éviter la possibilité de contourner le conseiller de la mise en état en soumettant directement à la cour d’appel de nouvelles prétentions. Il est donc retenu que  le déféré a pour objet de soumettre à la cour d'appel ce qui a été préalablement jugé par le conseiller de la mise en état.

En l'espèce, les intimés sollicitaient devant le conseiller de la mise en état  le prononcé de la nullité de la déclaration d’appel au motif que les conclusions des appelants ne faisaient pas mention des organes représentant les sociétés appelantes. Le conseiller de la mise en état, considérant qu'il n'y avait pas de grief, avait rejeté leur demande de nullité, et devant la cour d’appel statuant sur déféré de cette décision, les appelants ont présenté  pour la première fois une demande de caducité de la déclaration d’appel.

Il ressort donc de cet arrêt que les parties peuvent soumettre à la cour d’appel saisie sur déféré de nouveaux moyens de défense mais  ne peuvent pas soumettre des prétentions qui n'auraient  pas déjà été soumises au conseiller de la mise en état.

La seconde question était de savoir si le conseiller de la mise en état ou la cour d’appel, statuant sur déféré, sont compétents pour se prononcer sur l’irrecevabilité des conclusions prévue à l’article 961 du code de procédure civile, selon lequel les conclusions ne sont pas recevables tant que n’ont pas été fournies les indications relatives, si la partie est une personne physique, à ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ou s’il s'agit d'une personne morale, à sa forme, sa dénomination, son siège social et l'organe qui la représente légalement.

L'article 789 du code de procédure civile, modifié par le décret du 11 décembre 2019, et applicable par renvoi au conseiller de la mise en état, prévoit désormais que le juge de la mise en état, et donc également le conseiller de la mise en état,  est seul compétent jusqu'à son dessaisissement pour statuer sur les fins de non recevoir. Il devrait donc être compétent pour statuer sur la fin de non recevoir tirée du non respect des dispositions de l'article 960 du code de procédure civile. Toutefois, l'article 961 énonce que la fin de non recevoir tirée de l’absence des indications  mentionnées à l'alinéa 2 de l'article 960 peut être régularisée jusqu'à l'ordonnance de clôture. Le conseiller de la mise en état ne peut donc pas examiner cette fin de non recevoir alors qu’elle peut être régularisée jusqu'à la clôture le dessaisissant. L’arrêt commenté affirme, par conséquent, que seule la cour d'appel, saisie au fond, est compétente pour connaître des fins de non-recevoir des articles 960 et 961 du code de procédure civile.

L'appelant qui demande l'annulation du jugement, pour un autre motif que celui tiré de l'irrégularité de l'acte introductif d'instance, doit conclure subsidiairement au fond

Civ., 2ème 7 mars 2024 pourvoi n° 22-11.804 publié

Par cet arrêt, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation vient préciser le contenu des conclusions de l’appelant qui sollicite l’annulation du jugement pour un motif autre que l’irrégularité de l'acte introductif d'instance.

Lorsque la demande d’annulation est fondée sur un vice affectant l’acte introductif d’instance, l’effet dévolutif n’opère pas, puisque dans un tel cas le tribunal n’a pas été régulièrement saisi, et l'appel  ne peut donc avoir un effet dévolutif.

Mais, lorsque la nullité est fondée sur un motif autre que l’irrégularité de l’acte introductif d’instance, l’effet dévolutif opère, en revanche, pour le tout et la cour d’appel est alors tenue de statuer sur le fond de l’affaire. Or si elle est effectivement saisie de la critique de l'ensemble des chefs du jugement par l'effet dévolutif de la déclaration d’appel, elle ne pourra néanmoins se prononcer qu'en fonction des prétentions et moyens développés dans les conclusions de l'appelant. 

Dans ce cas de figure, l’appelant doit, dans ses premières conclusions, conclure subsidiairement au fond pour permettre à la cour d'appel de se prononcer sur l'entier litige. A défaut, la cour d’appel ne pourra que confirmer le jugement.

L’obligation pour le défenseur syndical de justifier d’un mandat de représentation en justice devant la cour d’appel.

Civ. 2ème 8 février 2024, pourvoi n°21.23.752 publié

Cet arrêt se prononce sur la question de savoir si le défenseur syndical , à l’instar de ce qui lui est imposé devant le conseil de prud’hommes, doit justifier d'un mandat de représentation devant la cour d’appel , saisie de l’appel d’une décision de cette juridiction.

Il est répondu à cette question par l’affirmative.

En effet, selon l’article R 1451-1 du code du travail, sous réserve des dispositions de ce code, la procédure devant les juridictions prud’homales est régie par les dispositions du livre du premier du code de procédure civile et il résulte de l’article 416 du code de procédure civile que seul l’avocat, et dans certains cas, le commissaire de justice, sont dispensés de justifier d’un mandat de représentation en justice .

Dès lors, le défenseur syndical, habilité, aux termes des articles R.1453-2 et R.1461, alinéa 1, du code du travail à assister ou représenter les parties devant les différentes formations du conseil de prud'hommes et la cour d’appel, est tenu de justifier d'un mandat.

Le sort des pièces produites par une partie devant une cour d’appel, saisie sur renvoi après cassation, en l’absence d’avocat postulant

Civ., 2ème 7 mars 2024 pourvoi n°22-10.889 publié

Saisie sur renvoi après cassation, une cour d’appel avait statué sur la base de pièces déposées devant elle par une  partie qui n’était pas représentée par un avocat d’un barreau de son ressort.

Or, aux termes de l’article 5, alinéa 2, de la loi du 31 décembre 1971 dans sa version issue de  l'ordonnance n° 2019-964 du 18 septembre 2019, les avocats postulent devant la cour d’appel dans le ressort de laquelle ils ont établi leur résidence professionnelle.

Dans la configuration de l’affaire soumise à la Cour de cassation, la représentation par avocat n’était, par conséquent, pas  régulière.

Par ailleurs, l’article 634 du code de procédure civile retient que si une partie ne comparait pas ou ne conclut pas devant la cour de renvoi, celle-ci s’en tient aux moyens et prétentions formulées devant la juridiction dont la décision a été cassée.

Est, par conséquent, censuré l’arrêt de la cour d’appel, fondé sur des pièces qui n’avaient pas été communiquées devant la première cour d’appel et qui étaient produites devant elle par une partie intimée qui n’avait pas d’avocat postulant.

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