N°13 - Mars 2024 (Servitude)

Lettre de la troisième chambre civile

Une sélection des arrêts rendus par la troisième chambre civile de la Cour de cassation (Construction / Copropriété / Expropriation / Séparation des pouvoirs / Servitudes)

  • Contrat
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  • construction immobilière
  • copropriété
  • expropriation
  • séparation des pouvoirs
  • servitude

La prise en compte du risque incendie dans le cadre de relations de voisinage

3e Civ., 25 janvier 2024, pourvoi n° 22-14.081, publié

3e Civ., 25 janvier 2024, pourvoi n° 22-16.920, publié

Par ces deux arrêts du même jour, la Cour de cassation vient apporter des précisions sur la prise en compte du risque d'incendie dans le cadre de relations de voisinage.

Dans la première affaire (pourvoi n° 22-14.081), se posait la question de savoir à quelle condition peut être recherchée la responsabilité du propriétaire d'un terrain non bâti à partir duquel s'est propagé un feu de broussailles ayant entraîné la destruction d'une maison d'habitation construite sur le fonds voisin. Comme on le sait, par dérogation au droit commun en matière de responsabilité du fait des choses, la victime de dommages causés par un incendie doit, en vertu de l'article 1384 alinéa 2 du code civil, dont les dispositions sont désormais reprises à l'article 1242 alinéa 2, prouver la faute du détenteur du bien dans lequel l'incendie a pris naissance. En l'espèce, la cour d'appel avait fait droit à la demande indemnitaire de l'assureur, subrogé dans les droits des personnes sinistrées, dirigée contre l'assureur du propriétaire du fonds voisin, en retenant que ce dernier avait manqué à son obligation de débroussaillement prévue par l'article L. 134-6 du code forestier. 

Ainsi que le précise l'article L. 131-10 de ce code, l'on entend par débroussaillement, « les opérations de réduction des combustibles végétaux de toute nature dans le but de diminuer l'intensité et de limiter la propagation des incendies (…)». Ces opérations relèvent des mesures communes aux bois et forêts classés à risque d'incendie, dont le champ d'application territorial est défini à l'article L. 133-1. Si l'obligation légale de débroussaillement est souvent présentée comme une servitude légale d'utilité publique, les dispositions des articles L. 134-6 et L. 134-8 du code forestier distinguent, notamment, selon que sont en cause des « constructions », « chantiers » ou « installations », ou que le terrain est situé en zone urbaine au sens de la réglementation d'urbanisme. En effet, dans le premier cas de figure, l'obligation pèse sur le propriétaire de l'édifice concerné et implique qu'il procède au débroussaillement, le cas échéant en pénétrant sur le fonds voisin, selon une profondeur définie par le code et que le maire peut porter à 100 mètres. Dans le second cas de figure, l'obligation pèse sur « le propriétaire du terrain » lui-même, la loi ne distinguant pas selon que ce terrain est ou non construit.

Au présent cas, l'arrêt est cassé, la cour d'appel ayant retenu la responsabilité du propriétaire du fonds d'où était parti le feu de broussailles au motif qu'il n'avait pas procédé au débroussaillement de son terrain sans vérifier, au préalable, si celui-ci, non bâti, était ou non situé en zone urbaine. Ce faisant, elle n'a pas mis la Cour de cassation en mesure de vérifier, dans le cadre du contrôle lui incombant du respect par les juridictions du champ d'application de la loi, si l'obligation de débroussaillement pesait sur l'intéressé ou bien sur le propriétaire de la construction au bénéfice de qui l'obligation de débroussaillement est instituée.

La seconde affaire (pourvoi n° 22-16.920), portant sur la modification de l'assiette d'une servitude de passage, posait la question, également inédite devant la Cour de cassation, de la portée à donner à un plan de prévention des risques naturels « incendies de forêt ».

Prévu à l'article L. 562-1 du code de l'environnement, ce plan a notamment pour objet de prescrire, dans les zones à risques, les conditions dans lesquelles des constructions ou ouvrages doivent être réalisés ou utilisés. Son approbation par l'autorité administrative a pour effet de le rendre opposable et d'exposer la personne qui le méconnaît à des sanctions pénales (L. 562-5 du même code).

Si les dispositions du troisième alinéa de l'article 701 du code civil n'exigent pas un accord des propriétaires concernés (3e Civ., 18 mars 1987, pourvoi n° 85-16.692, Bull. N° 57), il est acquis qu'en l'absence d'accord, et pour autant que les conditions prévues par le texte soient remplies, la modification de l'assiette est subordonnée à une autorisation judiciaire. Ainsi, refusant la logique du fait accompli, la Cour de cassation juge que le propriétaire d'un fonds servant qui, sans l'accord du propriétaire du fonds dominant, modifie à son avantage l'état des lieux et rend ainsi impossible l'exercice d'une servitude conventionnelle, ne peut invoquer les dispositions précitées (3e Civ., 8 juillet 2009, pourvoi n° 08-15.763, Bull. N°17). Il revient donc au propriétaire du fonds assujetti de rétablir au préalable l'assiette d'origine du passage (3e Civ., 18 janvier 2023, pourvoi n° 22-10.700, publié).

Au présent cas, si le caractère unilatéral de la modification de l'assiette de la servitude par le propriétaire du fonds servant n'était pas contesté, les propriétaires des fonds dominants, au soutien de leur demande de rétablissement de l'assiette originelle, faisaient notamment valoir que la nouvelle assiette, comportant une pente de plus de 20%, méconnaissait le plan de prévention des risques naturels « incendies de forêt » applicable localement, visant notamment à garantir l'accès des véhicules de secours et de lutte contre l'incendie. La cour d'appel avait rejeté leur demande au motif que si la nouvelle assiette n'était pas conforme à ce plan, l'assiette originelle le méconnaissait également à certains égards.

Son arrêt est cassé au motif que « si le propriétaire entend transporter l'exercice de la servitude dans un endroit différent de celui où elle a été primitivement assignée, il ne peut proposer comme nouvelle assiette qu'un endroit aussi commode et ne peut donc méconnaître les prescriptions d'un plan de prévention des risques naturels ». Ainsi, les prescriptions d'un plan opposable doivent être intégrées au contrôle  portant sur l'appréciation de la condition prévue par l'article 701 du code civil selon laquelle le nouveau passage doit être au moins aussi commode que l'ancien pour l'exercice de ses droits par le propriétaire du fonds dominant.

Ces deux décisions illustrent la volonté de la Cour de cassation de veiller à ce que le juge civil, dans les litiges qu'il lui revient de trancher, assure la pleine effectivité de dispositions environnementales dont l'objet est, en l'occurrence, d'assurer la sécurité des personnes et des biens.

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