Numéro 3 - Mars 2024

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2024

PARTAGE

1re Civ., 27 mars 2024, n° 22-13.041, (B), FS

Rejet

Partage judiciaire – Complexité des opérations – Ouverture des opérations – Contestations des parties – Renvoi devant le notaire – Office du juge – Portée

La procédure de partage judiciaire dit complexe prévue aux articles 1364 à 1376 du code de procédure civile comprend une phase au cours de laquelle le notaire désigné par le tribunal pour procéder aux opérations de partage sous la surveillance d'un juge commis convoque les parties et demande la production de tout document utile pour procéder aux comptes entre elles et à la liquidation de leurs droits, avant de dresser un projet d'état liquidatif, conformément aux articles 1365 et 1368 du même code. Selon les articles 1373, alinéas 1 et 2, et 1375, alinéa 1, du même code, en cas de désaccord des copartageants sur le projet d'état liquidatif, le notaire est tenu d'en référer au juge commis, et c'est au tribunal qu'il revient de trancher les points de désaccord subsistants dont le juge commis lui a fait rapport.

Dès lors, s'il résulte de l'article 4 du code civil que le juge, auquel il incombe de trancher lui-même les contestations soulevées par les parties, ne peut se dessaisir et déléguer ses pouvoirs à un notaire liquidateur, ne méconnaît pas ce texte le juge qui, saisi de contestations au stade de l'ouverture des opérations de partage judiciaire, renvoie les parties devant le notaire afin d'en permettre l'instruction, dans l'intérêt du bon déroulement des opérations de partage.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 19 janvier 2022), un jugement du 9 septembre 2016 a prononcé le divorce de M. [D] et de Mme [Y], mariés sans contrat préalable.

2. Des difficultés étant survenues lors des opérations de comptes, liquidation et partage de leurs intérêts patrimoniaux, un jugement du 19 novembre 2020 a désigné un notaire pour procéder à ces opérations, commis un juge pour les surveiller et statué sur certaines des contestations soulevées par les parties.

3. M. [D] a formé appel de ce jugement.

Examen des moyens

Sur les premier et troisième moyens et sur le deuxième, pris en sa première branche

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

5. M. [D] fait grief à l'arrêt de dire que Mme [Y] dispose d'une créance de 2 239 euros à l'encontre de l'indivision pour les taxes d'habitation 2014 et foncières des années 2017 et 2018, que, pour les taxes foncières 2014, 2015 et 2016, il lui appartiendra d'apporter les preuves du paiement devant notaire, à défaut de quoi, aucune créance ne sera fixée à son bénéfice à ce titre, de dire que Mme [Y] dispose d'une créance de 1 636 euros à l'encontre de l'indivision au titre des taxes foncières 2019 et 2020 et de dire que Mme [Y] dispose d'une créance de 6 683,66 euros à l'encontre de l'indivision au titre du changement de la chaudière dans le bien indivis de [Localité 3], alors « que le juge doit trancher lui-même les contestations dont il est saisi, sans pouvoir déléguer ses pouvoirs au notaire liquidateur, dont la mission ne peut être que de donner un avis sur des points de fait relatifs à l'évaluation des créances des époux ; qu'en se bornant à inviter Mme [Y] à produire entre les mains du notaire liquidateur la justification des sommes payées au titre de la taxe foncière du bien indivis, sans fixer elle-même la créance à ce titre, la cour d'appel, qui a commis un déni de justice, a violé l'article 4 du code civil. »

Réponse de la Cour

6. Il résulte de l'article 4 du code civil que le juge, auquel il incombe de trancher lui-même les contestations soulevées par les parties, ne peut se dessaisir et déléguer ses pouvoirs à un notaire liquidateur.

7. La première chambre civile de la Cour de cassation jugeait, depuis de nombreuses années, que constitue une violation de l'article 4 du code civil le fait, pour le juge saisi d'une demande d'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage, de s'abstenir de trancher les contestations soulevées par les parties et de renvoyer celles-ci devant le notaire liquidateur pour apporter les justificatifs de leurs demandes (1re Civ., 2 avril 1996, n° 94-14.310, Bull. 1996, I, n° 162 ; 1re Civ., 21 juin 2023, n° 21-20.323).

8. Cependant, cette jurisprudence, dans sa rigueur, ne tient pas compte de la spécificité de la procédure de partage judiciaire dit complexe prévue aux articles 1364 à 1376 du code de procédure civile, qui comprend une phase au cours de laquelle le notaire désigné par le tribunal pour procéder aux opérations de partage sous la surveillance d'un juge commis convoque les parties et demande la production de tout document utile pour procéder aux comptes entre elles et à la liquidation de leurs droits, avant de dresser un projet d'état liquidatif, conformément aux articles 1365 et 1368 du même code.

9. D'abord, dans une telle procédure, c'est en principe par cette phase notariée que commencent les opérations de partage. Il est rappelé à l'article 1372 du code de procédure civile qu'en application de l'article 842 du code civil, les copartageants peuvent à tout moment abandonner les voies judiciaires et poursuivre le partage à l'amiable, si les conditions en sont réunies. Il est dès lors conforme à l'esprit de ce dispositif de permettre l'instruction par le notaire des désaccords relatifs aux comptes, à la liquidation et au partage, afin d'en favoriser le règlement amiable.

10. Ensuite, si le traitement anticipé par le juge des différends opposant les copartageants peut parfois favoriser le bon déroulement des opérations de partage en permettant, notamment, l'établissement de la qualité d'héritier ou de légataire ou la détermination en amont de la loi applicable au litige ou des éléments actifs et passifs de la masse à partager, il peut également présenter des inconvénients. Ainsi, en présence de demandes portant sur l'évaluation de biens objets du partage ou de créances calculées au profit subsistant, une décision immédiate sera dépourvue de l'autorité de la chose jugée si elle ne fixe pas la date de jouissance divise (1re Civ., 3 mars 2010, pourvoi n° 09-11.005, Bull. 2010, I, n° 50 ; 1re Civ., 21 juin 2023, pourvoi n° 21-24.851, publié), laquelle doit être la plus proche possible du partage et ne saurait, en principe, être fixée dès l'ouverture des opérations. Aussi, l'opportunité d'un traitement préalable d'une difficulté dépendant des circonstances propres à chaque procédure de partage, il apparaît nécessaire de permettre au juge de l'apprécier.

11. Enfin, selon les articles 1373, alinéas 1 et 2, et 1375, alinéa 1er, du code de procédure civile, en cas de désaccord des copartageants sur le projet d'état liquidatif, le notaire est tenu d'en référer au juge commis, et c'est au tribunal qu'il revient de trancher les points de désaccord subsistants dont le juge commis lui a fait rapport. Il s'ensuit que ne délègue pas ses pouvoirs le juge qui, saisi de contestations au stade de l'ouverture des opérations de partage judiciaire, renvoie les parties devant le notaire afin d'en permettre l'instruction, dans l'intérêt du bon déroulement des opérations de partage.

12. Ces considérations conduisent la Cour à juger désormais que ne méconnaît pas son office le juge qui, saisi de demandes au stade de l'ouverture des opérations de partage, estime qu'il y a lieu de renvoyer les parties devant le notaire afin d'en permettre l'instruction.

13. Après avoir relevé que les avis versés aux débats, relatifs aux taxes foncières des années 2014, 2015 et 2016, étaient au nom des deux parties, et retenu qu'ils ne permettaient pas de savoir laquelle avait réglé ces taxes, c'est sans méconnaître son office que la cour d'appel a décidé qu'il appartiendrait à Mme [Y] de justifier du paiement de ces taxes devant le notaire pour fonder son droit à créance, à défaut de quoi aucune créance ne serait fixée à son bénéfice à ce titre.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Champalaune - Rapporteur : Mme Lion - Avocat général : Mme Caron-Déglise - Avocat(s) : SCP Fabiani - Pinatel ; Me Galy -

Textes visés :

Article 4 du code civil ; articles 1364 à 1376 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 2 avril 1996, pourvoi n° 94-14.310, Bull. 1996, I, n° 162 (cassation partielle) ; 1re Civ., 16 avril 2008, pourvoi n° 07-12.224, Bull. 2008, I, n° 122 (cassation partielle) ; 1re Civ., 26 octobre 2011, pourvoi n° 10-24.214, Bull. 2011, I, n° 188 (cassation partielle).

1re Civ., 6 mars 2024, n° 22-15.311, (B), FRH

Rejet

Partage judiciaire – Points de désaccord subsistants – Rapport du juge commis – Demande distincte – Irrecevabilité – Portée

Il résulte des articles 1373 et 1374 du code de procédure civile qu'en matière de partage judiciaire, seules les demandes distinctes de celles portant sur les points de désaccord subsistant entre les copartageants sur le projet d'état liquidatif dressé par le notaire, dont le juge commis a fait rapport au tribunal, et dont le fondement n'est pas né ou révélé postérieurement à ce rapport, sont irrecevables.

Ayant relevé que le notaire désigné pour procéder aux opérations de comptes, liquidation et partage avait transmis un procès-verbal de difficultés au juge commis, qui avait convoqué les parties à une audience de conciliation puis dressé un procès-verbal de non-conciliation, une cour d'appel écarte à bon droit le moyen tiré de l'irrecevabilité d'une demande sur le fondement des textes susvisés, faute de projet d'état liquidatif dressé par le notaire.

Partage judiciaire – Points de désaccord subsistants – Projet d'état liquidatif dressé par le notaire – Défaut – Effets – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 19 janvier 2022), [E] et [K] [X] sont décédés respectivement les 14 juillet 1984 et 18 novembre 1987, en laissant pour leur succéder leurs deux enfants, Mme [H] et M. [X].

2. Mme [H] a assigné M. [X] en partage de l'indivision successorale. Un arrêt du 3 mars 2011, rectifié le 30 juin 2011, a ordonné l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession et l'attribution préférentielle à M. [X] d'un bien immobilier indivis, situé à [Localité 3].

Le 27 juin 2013, le notaire désigné a dressé un procès-verbal de difficultés et, le 9 mai 2015, le juge commis pour surveiller les opérations a dressé un procès-verbal de non-conciliation, renvoyant les parties devant le tribunal.

3. Le 9 mai 2016, Mme [H] a également assigné son frère en paiement d'une indemnité d'occupation de l'immeuble indivis.

Les deux procédures ont été jointes.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. M. [X] fait grief à l'arrêt de dire que l'expert devra déterminer la valeur de l'indemnité d'occupation à compter du 9 mai 2011 pour l'ensemble du bien immobilier comprenant parcelle et bâtiment, que l'expert prendra en compte le cas échéant la perte des fruits et revenus subie par Mme [H] du fait de l'occupation du bien, que l'évaluation de l'indemnité d'occupation devra se faire en prenant notamment en considération la réglementation applicable aux loyers de biens ruraux applicable en la cause et de rejeter sa demande tendant à voir déclarer Mme [H] irrecevable en sa demande aux fins de condamnation au paiement d'une indemnité d'occupation et dire n'y avoir lieu pour l'expert de déterminer la valeur de l'indemnité d'occupation à compter du 9 mai 2011, alors « qu'en matière de partage judiciaire, toute demande distincte de celles portant sur les points de désaccord subsistants, dont le juge commis a fait rapport au tribunal est irrecevable, à moins que le fondement des prétentions ne soit né ou révélé que postérieurement à ce rapport ; que la cour d'appel constate que, par arrêts contradictoires des 8 mars et 30 juin 2011, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a ordonné l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de l'indivision successorale ; qu'elle constate encore qu'un procès-verbal de difficulté a été dressé par Maître [J] le 27 juin 2013, des contestations subsistant de chaque côté de la fratrie et que le juge commissaire a convoqué les parties à une audience de conciliation du 29 mai 2015, qu'un procès-verbal de non-conciliation a été dressé et que l'affaire a été renvoyée à la mise en état ; qu'en déclarant néanmoins recevable la demande d'indemnité d'occupation du bien indivis faite par assignation du 9 mai 2016, quand cette demande était distincte des points de désaccord dont le juge commis avait fait rapport au tribunal, pour la raison inopérante que « la présente procédure n'est pas, eu égard aux faits, soumise aux articles 1373 et 1374 du code de procédure civile, et ce faute de projet liquidatif », la cour d'appel a violé les dits articles. »

Réponse de la Cour

6. Il résulte des articles 1373 et 1374 du code de procédure civile qu'en matière de partage judiciaire, seules les demandes distinctes de celles portant sur les points de désaccord subsistant entre les copartageants sur le projet d'état liquidatif dressé par le notaire, dont le juge commis a fait rapport au tribunal, et dont le fondement n'est pas né ou révélé postérieurement à ce rapport, sont irrecevables.

7. Après avoir relevé que le notaire désigné pour procéder aux opérations de comptes, liquidation et partage avait transmis un procès-verbal de difficultés portant sur les points de contestation existant entre les parties au juge commis, qui avait convoqué les parties à une audience de conciliation puis dressé un procès-verbal de non-conciliation, l'arrêt retient à bon droit que, faute de projet d'état liquidatif dressé par le notaire, le moyen tiré de l'irrecevabilité, sur le fondement des articles 1373 et 1374 du code de procédure civile, de la demande de Mme [H] tendant à voir déclarer M. [X] redevable d'une indemnité d'occupation ne pouvait prospérer.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Champalaune - Rapporteur : Mme Lion - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : SCP Boutet et Hourdeaux ; SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh -

Textes visés :

Articles 1373 et 1374 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 3 avril 2019, pourvoi n° 18-14.179, Bull., (Cassation partielle).

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