Numéro 3 - Mars 2024

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2024

CASSATION

2e Civ., 28 mars 2024, n° 22-15.547, (B), FRH

Annulation

Contrariété de décisions – Conditions – Décisions inconciliables

La contrariété de décisions n'est caractérisée au sens de l'article 618 du code de procédure civile, que lorsqu'elles sont inconciliables dans leur exécution.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt et le jugement attaqués (Paris, 11 février 2011 et Lyon, 29 juin 2017), se prévalant de droits d'auteur sur une marmotte en peluche, la société Alligator a assigné en contrefaçon et concurrence déloyale, en premier lieu, les sociétés Impexit et DNG Cash devant une cour d'appel qui a statué par un arrêt du 11 février 2011, en second lieu, les sociétés Gautheron, Startoy et DNG Cash devant un tribunal judiciaire qui s'est prononcé par jugement du 29 juin 2017.

2. La société a formé un pourvoi contre ces deux décisions sur le fondement de l'article 618 du code de procédure civile.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La société Alligator fait grief à l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 11 février 2011 et au jugement du tribunal de grande instance de Lyon du 29 juin 2017 de respectivement décider que la société Impexit était titulaire des droits d'auteur sur un modèle de marmotte en peluche et que la société Alligator était titulaire de ces mêmes droits sur ce même modèle alors « que lorsque deux décisions, dont aucune n'est susceptible d'un recours ordinaire, sont inconciliables ou aboutissent à un déni de justice, elles peuvent être frappées d'un pourvoi unique, la Cour de cassation annulant en ce cas l'une des décisions ou, s'il y a lieu, les deux ; que la première décision frappée de pourvoi (arrêt de la cour d'appel de Paris du 11 février 2011) désigne dans son dispositif la société Impexit en qualité de titulaire des droits d'auteur sur un modèle de peluche et que la seconde décision frappée de pourvoi (jugement du tribunal de grande instance de Lyon du 29 juin 2017) désigne dans son dispositif la société Alligator comme étant titulaire de ces mêmes droits d'auteur ; que ces deux décisions, dont aucune n'est susceptible d'un recours ordinaire, sont contradictoires et aboutissent à un déni de justice sur la titularité des droits d'auteur sur le modèle litigieux, ce qui justifie leur annulation en application des dispositions de l'article 618 du code de procédure civile ».

Réponse de la Cour

Vu l'article 618 du code de procédure civile :

4. Il résulte de ce texte que lorsque deux décisions non susceptibles d'un recours ordinaire sont inconciliables, elles peuvent être frappées d'un pourvoi unique.

La contrariété entre des décisions toutes rendues par des juridictions civiles, qui doit s'apprécier en fonction de leurs dispositifs respectifs et non de leurs motifs, se trouve caractérisée lorsque ces décisions sont inconciliables dans leur exécution. Si la contrariété est constatée, la Cour de cassation annule l'une des décisions ou, s'il y a lieu, les deux.

5. Par l'arrêt du 11 février 2011, la cour d'appel a dit que la société Impexit était titulaire de droits d'auteur sur le modèle de marmotte en peluche et fait interdiction sous astreinte à la société Alligator de fabriquer, importer, exposer et vendre la marmotte en peluche.

6. Par le jugement du 29 juin 2017, le tribunal judiciaire a dit que la marmotte en peluche était une oeuvre originale de la société Alligator et qu'elle était titulaire du droit d'auteur sur cette oeuvre.

7. Du rapprochement de ces deux décisions, il résulte tout à la fois que la société Alligator est titulaire des droits d'auteur sur le modèle de marmotte et qu'elle ne l'est pas.

8. Ces deux décisions sont inconciliables et aboutissent à un déni de justice.

9. Il y a lieu en conséquence d'annuler l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 11 février 2011 et le jugement devenu définitif rendu par le tribunal de grande instance de Lyon le 29 juin 2017.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 février 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Paris,

ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 29 juin 2017, entre les parties, par le tribunal de grande instance de Lyon ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et ce jugement et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Martinel - Rapporteur : Mme Bonnet - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : Me Bertrand ; SCP Bénabent -

Textes visés :

Article 618 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 13 novembre 2015, pourvoi n° 14-24.711 (rejet) ; 2e Civ., 20 avril 2017, pourvoi n° 15-21.758, Bull. 2017, II, n° 74 (rejet) ; 2e Civ., 11 mai 2017, pourvoi n° 16-50.023 (rejet) ; 2e Civ., 19 mars 2015, pourvoi n° 14-16.275, Bull. 2015, II, n° 65 (rejet).

2e Civ., 7 mars 2024, n° 22-10.889, (B), FRH

Cassation

Juridiction de renvoi – Pouvoirs – Absence d'avocat postulant – Pièces devant la première cour d'appel – Versement aux débats – Défaut – Portée

Aux termes de l'article 5, alinéa 2, de la loi du 31 décembre 1971 dans sa version issue de l'ordonnance n° 2019-964 du 18 septembre 2019, les avocats peuvent postuler devant la cour d'appel dans le ressort de laquelle ils ont établi leur résidence professionnelle.

En vertu de l'article 634 du code de procédure civile, les parties qui ne formulent pas de moyens nouveaux ou de nouvelles prétentions sont réputées s'en tenir aux moyens et prétentions qu'elles avaient soumis à la juridiction dont la décision a été cassée. Il en est de même de celles qui ne comparaissent pas.

Encourt, dès lors, la cassation l'arrêt de la cour d'appel qui ordonne la mainlevée d'un commandement valant saisie-vente en se fondant sur des pièces qui n'avaient pas été communiquées devant la première cour d'appel et qui étaient produites devant elle par une partie intimée qui n'avait pas d'avocat postulant.

Juridiction de renvoi – Pouvoirs – Connaissance de l'affaire dans l'état où elle se trouvait à la date de la décision cassée – Conclusions prises devant la juridiction dont émanait la décision cassée – Réponse nécessaire

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 24 novembre 2021), rendu sur renvoi après cassation (Soc., 13 février 2019, pourvoi n° 17-11.487), M. [N] a sollicité la réformation d'un jugement du juge de l'exécution d'un tribunal de grande instance ayant donné mainlevée d'un commandement aux fins de saisie vente délivré par la société Pharmacie Feuillard-Nourrit (la société).

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

2. M. [N] fait grief à l'arrêt d'ordonner la mainlevée du commandement de saisie-vente du 28 avril 2015 alors « que les avocats peuvent postuler devant l'ensemble des tribunaux judiciaires du ressort de cour d'appel dans lequel ils ont établi leur résidence professionnelle et devant ladite cour d'appel ; que les parties sont tenues de constituer avocat devant la cour d'appel ; que la cour d'appel n'a cité, comme avocat de la société Feuillard Nourrit, que Me Pignol, avocat au barreau de Bourges ; qu'en se fondant sur des pièces déposées devant elle par la société Feuillard Nourrit, qui n'était pas représentée par un avocat d'un barreau de son ressort, elle a violé l'article 5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

3. La société conteste la recevabilité du moyen soutenant qu'il est nouveau et mélangé de fait et de droit.

4. Cependant, M. [N] soutenait dans ses conclusions d'appel que faute d'avocat postulant, la communication de nouvelles pièces par la société était irrecevable.

5. Le moyen, qui n'est pas nouveau, est recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 5, alinéa 2, de la loi du 31 décembre 1971, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2019-964 du 18 septembre 2019, et l'article 634 du code de procédure civile :

6. Aux termes du premier de ces textes, les avocats peuvent postuler devant la cour d'appel dans le ressort de laquelle ils ont établi leur résidence professionnelle.

7. Selon le second, les parties qui ne formulent pas de moyens nouveaux ou de nouvelles prétentions sont réputées s'en tenir aux moyens et prétentions qu'elles avaient soumis à la juridiction dont la décision a été cassée. Il en est de même de celles qui ne comparaissent pas.

8. Pour ordonner la mainlevée du commandement aux fins de saisie vente du 28 avril 2015, l'arrêt énonce que les pièces déposées devant elle par la société sont de nature à démontrer que l'ensemble des sommes qui étaient dues ont été payées.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui ne pouvait prendre en considération de nouvelles pièces déposées devant elle par l'intimée qui n'avait pas d'avocat postulant, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Martinel - Rapporteur : Mme Vendryes - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : Me Occhipinti ; SCP Yves et Blaise Capron -

Textes visés :

Article 5, alinéa 2, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2019-964 du 18 septembre 2019 ; article 634 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 9 décembre 1997, pourvoi n° 96-12.296, Bull. 1997, II, n° 308 (cassation).

2e Civ., 28 mars 2024, n° 22-13.419, (B), FRH

Cassation

Juridiction de renvoi – Pouvoirs – Moyens et prétentions soumis à la juridiction dont émanait la décision cassée – Prétentions nouvelles – Liens – Recherche – Office du juge – Etendue

Il résulte de la combinaison des articles 565, 566, 625, alinéa 1, et 633 du code de procédure civile que devant la cour d'appel de renvoi après cassation, les prétentions nouvelles sont recevables si elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent, ou si elles en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

Il appartient, dès lors, à la cour d'appel de renvoi après cassation de rechercher, même d'office, si les demandes qui lui sont soumises ne tendent pas aux mêmes fins que la demande initiale sur laquelle il avait été statué par le chef de l'arrêt atteint par la cassation ou n'en constituent pas l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

Moyen nouveau – Recevabilité – Conditions – Détermination – Décision sur renvoi après cassation – Cas

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 27 janvier 2022), rendu sur renvoi après cassation (2e Civ., 8 juillet 2021, pourvoi n° 19-24.199), le 1er décembre 1974, M. [F] a souscrit, auprès de la société suisse d'assurances générales sur la vie humaine devenue la société Swisslife assurance et patrimoine (l'assureur), un contrat d'assurance combinée valorisable sur une tête avec options garanties à participation aux bénéfices intégrée, qui prévoyait notamment qu'en cas de vie de la personne au 1er décembre 2015, l'assuré pourrait solliciter le paiement d'un capital d'un montant de 153 408,09 euros augmenté des valorisations ou le cas échéant du bonus.

2. Tandis que l'assureur lui avait indiqué que le capital exigible au 1er décembre 2015 s'élevait désormais à la somme de 149 974 euros, M. [F], contestant ce montant, l'a assigné en paiement de certaines sommes en exécution du contrat souscrit et de dommages-intérêts pour résistance abusive.

3. Par un jugement du 5 septembre 2017, confirmé par un arrêt d'une cour d'appel du 12 septembre 2019, un tribunal de grande instance a rejeté les demandes de M. [F].

4. La Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt du 12 septembre 2019 mais seulement en ce qu'il a rejeté les demandes de M. [F] tendant à la condamnation de l'assureur à lui verser une somme de 372 818 euros au titre du contrat d'assurance-vie et une somme de 100 000 euros au titre de la résistance abusive.

5. M. [F] a saisi une cour d'appel de renvoi.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. M. [F] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses demandes et de le débouter de sa demande de versement d'une somme au titre de la résistance abusive, alors « qu'une cour d'appel de renvoi, saisie d'une fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de prétentions nouvelles ou qui la soulève d'office, est tenue de l'examiner au regard des exceptions prévues aux articles 564 à 567 du code de procédure civile ; que dès lors, en se bornant à énoncer, pour déclarer irrecevables les demandes de M. [F] tendant au paiement d'une pension annuelle de 43 511 euros à partir du 1er décembre 2016, avec recouvrement des intérêts par huissier chargé d'exécuter le jugement, et au versement sur le compte assurance vie n° 74076476 au taux technique de 3,50 %, d'une somme de 466 294 euros, réservée aux ayants droit de l'appelant, qu'il ne s'agissait pas de l'une des demandes visées par le moyen de cassation et soumise à la Cour de cassation, sans rechercher si elles ne tendaient pas aux mêmes fins ou si elles n'étaient pas l'accessoire ou le complément de la demande de condamnation de la société Swisslife à lui payer un capital au titre de la distribution des intérêts techniques et financiers formulée en première instance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 565 et 566 du code de procédure civile, ensemble l'article 633 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 625, alinéa 1er, 633, 565 et 566 du code de procédure civile :

7. Aux termes du premier de ces textes, sur les points qu'elle atteint, la cassation replace les parties dans l'état où elles se trouvaient avant l'arrêt cassé.

8. Aux termes du deuxième, la recevabilité des prétentions nouvelles est soumise aux règles qui s'appliquent devant la juridiction dont la décision a été cassée.

9. Aux termes du troisième, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent et, aux termes du quatrième, les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

10. Il résulte de la combinaison de ces textes que devant la cour d'appel de renvoi après cassation, les prétentions nouvelles sont recevables si elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent, ou si elles en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

11. Pour déclarer irrecevables les demandes de M. [F] tendant au paiement d'une pension annuelle de 43 511 euros à partir du 1er décembre 2016, outre intérêts, et au versement sur le compte assurance-vie d'une somme de 466 294 euros réservée à ses ayants-droits, l'arrêt relève que la décision du 12 septembre 2019 a confirmé le jugement du 5 septembre 2017 rejetant ses demandes et que la cassation n'est intervenue que du seul chef du rejet de la demande tendant à la condamnation de l'assureur en paiement d'une somme de 372 818 euros au titre du contrat d'assurance-vie et d'une somme de 100 000 euros au titre de la résistance abusive puis retient que les demandes en paiement d'une pension annuelle, des intérêts, et d'une somme à verser aux ayants-droit ne sont pas celles visées par le moyen de cassation et soumises à la Cour de cassation.

12. En se déterminant ainsi, sans rechercher, même d'office, si les demandes qui lui étaient soumises ne tendaient pas aux mêmes fins que la demande initiale sur laquelle il avait été statué par le chef de l'arrêt atteint par la cassation ou n'en constituaient pas l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Portée et conséquences de la cassation

13. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt qui déclare irrecevables les demandes de M. [F] tendant au paiement d'une pension annuelle de 43 511 euros à partir du 1er décembre 2016 et au versement sur le compte assurance-vie n° 74076476 au taux technique de 3,50 %, d'une somme de 466 294 euros entraîne la cassation des autres chefs de dispositif de l'arrêt, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Martinel - Rapporteur : M. Waguette - Avocat général : M. Adida-Canac - Avocat(s) : SAS Buk Lament-Robillot ; SARL Ortscheidt -

Textes visés :

Articles 565, 566, 625, alinéa 1, et 633 du code de procédure civile.

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