Numéro 3 - Mars 2024

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2024

BANQUE

Com., 6 mars 2024, n° 22-23.647, (B), FRH

Cassation partielle

Responsabilité – Entreprise en difficulté – Violation de l'accord de conciliation – Portée – Application de l'article L. 650-1 du code de commerce (non)

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 13 septembre 2022), les sociétés Joyaux perles gemmes, [O] [I] et MH Distribution, détenues intégralement par la société Fleur de sel participations ayant pour représentant légal et associé majoritaire M. [N], ont obtenu l'ouverture d'une procédure de conciliation qui a abouti à la signature, le 10 septembre 2015, d'un protocole d'accord avec leurs différents partenaires bancaires, dont la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Atlantique Vendée (la banque).

2. Ce protocole d'accord, homologué par un jugement du 7 octobre 2015, prévoyait l'octroi d'un prêt de consolidation par chaque établissement ainsi que le maintien ou la réitération des garanties préexistantes des concours consolidés.

3. Le 1er mars 2016, la banque a consenti à la société Joyaux perles gemmes un prêt de consolidation de 303 000 euros garanti par le cautionnement solidaire de M. [N] et par une hypothèque sur deux biens lui appartenant.

4. Les 13 juillet et 7 septembre 2016, la société Joyaux perles gemmes a été mise en redressement puis en liquidation judiciaires.

5. Le 2 juin 2020, reprochant à la banque de ne pas avoir respecté les termes du protocole de conciliation relatifs au délai dans lequel le prêt devait être consenti et au différé de remboursement d'un an qu'il devait prévoir, M. [N] l'a assignée en réparation de son préjudice.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. M. [N] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « que les dispositions de l'article L. 650-1 du code de commerce ne concernant que la responsabilité du créancier lorsqu'elle est recherchée du fait des concours qu'il a consentis, seul l'octroi estimé fautif de ceux-ci, et non leur retrait, peut donner lieu à l'application de ce texte ; qu'en retenant que M. [N] ne reprochait pas à la banque d'avoir commis une fraude, une immixtion caractérisée dans la gestion de la société Joyaux perles gemmes ni d'avoir pris des garanties disproportionnées en contrepartie de ces concours bancaires mais d'avoir accordé le prêt de consolidation dans des conditions méconnaissant ses engagements contractuels dans le protocole de conciliation, de sorte que la banque pouvait valablement opposer le bénéfice des dispositions précitées à M. [N], quand celles-ci étaient inapplicables à l'action en responsabilité de M. [N] fondée sur une réduction abusive du concours de la banque caractérisant la violation, par celle-ci, de ses obligations contractuelles, la cour d'appel a violé l'article L. 650-1 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 650-1 du code de commerce :

7. Les dispositions de l'article L. 650-1 du code de commerce ne concernant que la responsabilité du créancier lorsqu'elle est recherchée du fait des concours qu'il a consentis, seul l'octroi estimé fautif de ceux-ci, et non leur retrait ou leur diminution, peut donner lieu à l'application de ce texte.

8. Pour rejeter les demandes de M. [N], l'arrêt retient que ce dernier ne reprochait pas à la banque d'avoir commis une fraude, une immixtion caractérisée dans la gestion de la société Joyaux perles gemmes ni d'avoir pris des garanties disproportionnées en contrepartie de ces concours bancaires mais d'avoir accordé le prêt de consolidation avec plus de trois mois de retard, avec une durée d'amortissement de 37 mois et sans période de différé d'amortissement de douze mois en méconnaissance des engagements contractuels du protocole de conciliation, de sorte que la banque pouvait valablement opposer le bénéfice des dispositions précitées à M. [N].

9. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que M. [N] ne reprochait pas à la banque de lui avoir consenti un concours mais d'avoir tardé à le lui octroyer et de ne pas avoir consenti le différé d'amortissement d'un an auquel elle s'était engagée en signant le protocole de conciliation, ce dont il résultait que la responsabilité de la banque était recherchée pour avoir retardé et diminué son concours, la cour d'appel a violé, par fausse application, le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que confirmant le jugement déféré, il rejette la demande de dommages et intérêts de M. [N] et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 13 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Angers.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Schmidt - Avocat(s) : SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon ; SCP Capron -

Textes visés :

Article L. 650-1 du code de commerce.

Com., 27 mars 2024, n° 22-21.200, (B), FS

Cassation

Responsabilité – Virement – Prélèvements non autorisés – Responsabilité du prestataire de services de paiement – Action engagée par l'utilisateur – Régime de responsabilité autre que celui prévu par la directive 2007/64/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007 – Application (non)

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Metz, 7 juillet 2022), entre novembre et décembre 2016, le compte ouvert dans les livres de la société Banque populaire Alsace Lorraine Champagne (la banque) au nom de la société Systran Software Inc. (la société) a été débité de diverses sommes en exécution de quatre ordres de virements transmis par courrier électronique, au profit de comptes situés à l'étranger.

2. Le 4 août 2017, soutenant qu'elle n'avait pas consenti à ces virements et que les ordres de virement ainsi que l'ordre de clôture d'un compte à terme, dont le versement du solde sur le compte courant de la société avait permis l'exécution d'un des ordres de virement, avaient été adressés par un tiers ayant piraté la messagerie électronique de M. [R], son dirigeant, la société a assigné la banque pour obtenir sa condamnation à lui restituer les sommes versées en exécution de ces ordres et à lui payer des dommages et intérêts.

Examen des moyens

Sur le cinquième moyen

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur les premier et troisième moyens, réunis

Enoncé des moyens

4. Par son premier moyen, la banque fait grief à l'arrêt de la condamner à verser à la société la somme de 199 834,54 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice causé par les quatre virements, alors « que la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que le régime de responsabilité des prestataires de service de paiement prévu par la directive 2007/64/CE était d'application exclusive dans les rapports entre le prestataire et l'utilisateur ; qu'il s'en évince que la responsabilité du prestataire de services de paiement à raison du manquement à l'une de ses obligations ne peut être recherchée que sur le fondement des articles L. 133-1 et suivants du code monétaire et financier, qui ont transposé cette directive en droit français ; que, pour condamner la banque à verser à la société la somme de 199 834,54 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice causé par les quatre virements litigieux, la cour d'appel a jugé que sa responsabilité était engagée sur le fondement du droit commun pour manquement à son devoir de vigilance ; qu'en statuant ainsi, elle a violé l'article 1147, devenue 1231-1 du code civil, par fausse application. »

5. Par son troisième moyen, la banque fait grief à l'arrêt de la condamner à verser à la société la somme de 20 000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice lié à la clôture du compte à terme, alors « que la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que le régime de responsabilité des prestataires de service de paiement prévu par la directive 2007/64/CE était d'application exclusive dans les rapports entre le prestataire et l'utilisateur ; qu'il s'en évince que la responsabilité du prestataire de services de paiement à raison du manquement à l'une de ses obligations ne peut être recherchée que sur le fondement des articles L. 133-1 et suivants du code monétaire et financier, qui ont transposé cette directive en droit français ; que, pour condamner la banque à verser à la société la somme de 20 000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice lié à la clôture du compte à terme, avec intérêts au taux légal à compter du 15 décembre 2016, la cour d'appel a jugé que sa responsabilité était engagée sur le fondement du droit commun pour manquement à son devoir de vigilance ; qu'en statuant ainsi, elle a violé l'article 1147, devenue 1231-1, du code civil par fausse application. »

Réponse de la Cour

Recevabilité des moyens

6. La société soulève l'irrecevabilité des moyens en ce qu'ils seraient nouveaux et contraires à ce que la banque a soutenu devant la cour d'appel.

7. Cependant, d'une part, les moyens, qui ne se réfèrent à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond, sont de pur droit. D'autre part, la banque s'étant bornée en appel à contester avoir commis quelque faute que ce soit, les moyens ne sont pas contraires à la position qu'elle avait prise devant les juges du fond.

8. Les moyens sont donc recevables.

Bien-fondé des moyens

Vu les articles 1231-1 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2017-1252 du 9 août 2017, L. 133-18 à L. 133-24 du code monétaire et financier :

9. La responsabilité contractuelle de droit commun prévue résultant du premier de ces textes n'est pas applicable en présence d'un régime de responsabilité exclusif.

10. Dans son arrêt du 16 mars 2023, Beobank (C-351/21), la Cour de justice a interprété en ces termes les article 58, 59 et 60 de la directive 2007/64/CE :

« 37 [...] le régime de responsabilité des prestataires de services de paiement prévu à l'article 60, paragraphe 1, de la directive 2007/64 ainsi qu'aux articles 58 et 59 de cette directive a fait l'objet d'une harmonisation totale. Cela a pour conséquence que sont incompatibles avec ladite directive tant un régime de responsabilité parallèle au titre d'un même fait générateur qu'un régime de responsabilité concurrent qui permettrait à l'utilisateur de services de paiement d'engager cette responsabilité sur le fondement d'autres faits générateurs (voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, C-337/20, CRCAM, [...] points 42 et 46).

38 En effet, le régime harmonisé de responsabilité pour les opérations non autorisées ou mal exécutées établi dans la directive 2007/64 ne saurait être concurrencé par un régime alternatif de responsabilité prévu dans le droit national reposant sur les mêmes faits et le même fondement qu'à condition de ne pas porter préjudice au régime ainsi harmonisé et de ne pas porter atteinte aux objectifs et à l'effet utile de cette directive (arrêt du 2 septembre 2021, C-337/20, CRCAM, [...] point 45). »

11. Il s'ensuit que, dès lors que la responsabilité d'un prestataire de services de paiement est recherchée en raison d'une opération de paiement non autorisée ou mal exécutée, seul est applicable le régime de responsabilité défini aux articles L. 133-18 à L. 133-24 précités, qui transposent les articles 58, 59 et 60, paragraphe 1, de la directive 2007/64/CE, à l'exclusion de tout régime alternatif de responsabilité résultant du droit national.

12. Pour condamner, sur le fondement de l'article 1231-1 du code civil, la banque à verser à la société certaines sommes en réparation des préjudices résultant de l'exécution des ordres de virement et de transfert litigieux, l'arrêt retient qu'il ressort des éléments de preuve sérieux et concordants que M. [R] n'était pas à l'origine des ordres qui ont été exécutés et qu'en les exécutant, tandis qu'ils présentaient des anomalies apparentes, la banque a manqué à son devoir contractuel de vigilance.

13. En statuant ainsi, alors que le titulaire des comptes contestait être l'auteur des ordres de transfert des fonds litigieux, ce dont il se déduisait que la responsabilité de la banque ne pouvait être recherchée que sur le fondement de l'article L. 133-18 du code monétaire et financier, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 juillet 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : M. Calloch - Avocat général : Mme Henry - Avocat(s) : SCP Boucard-Maman ; SARL Le Prado-Gilbert -

Textes visés :

Articles L. 133-18 à L. 133-24 du code monétaire et financier.

Rapprochement(s) :

Sur le caractère exclusif du régime de responsabilité prévu par la directive 2007/64/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007, à rapprocher : Com., 9 février 2022, pourvoi n° 17-19.441, Bull., (Cassation).

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