4 February 2016
Cour d'appel de Douai
RG n° 15/00026

CHAMBRE 1 SECTION 1

Texte de la décision

République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 1 SECTION 1



ARRÊT DU 04/02/2016



***



N° de MINUTE : 77/2016

N° RG : 15/00026



Jugement (N° 11/10019)

rendu le 25 Septembre 2014

par le Tribunal de Grande Instance de LILLE



REF : HM/AMD





APPELANTE



Madame [Y] [C] épouse [B]

née le [Date naissance 2] 1958 à [Localité 5]

demeurant [Adresse 3]

[Localité 1]



Représentée par Maître Sylvie REGNIER, avocat au barreau de DOUAI

Assistée de Maître Stefan SQUILLACI, avocat au barreau de LILLE, substitué à l'audience par Maître Anne SQUILLACI-BAZELA, avocat au barreau de LILLE







INTIMÉS



Monsieur [R] [M] [L] [C]

né le [Date naissance 3] 1952 à [Localité 5]

demeurant [Adresse 1]

[Localité 2]



Madame [W] [V] [I] [C] épouse [G]

née le [Date naissance 1] 1949 à [Localité 5]

demeurant [Adresse 2]

[Localité 3]



Représentés par Maître Bernard FRANCHI, membre de la SCP DELEFORGE FRANCHI, avocat au barreau de DOUAI

Assistés de Maître Pierre DELANNOY, avocat au barreau de LILLE











DÉBATS à l'audience publique du 23 Novembre 2015 tenue par Hélène MORNET magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré (article 786 du Code de Procédure Civile). Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe



GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine VERHAEGHE



COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ



Maurice ZAVARO, Président de chambre

Bruno POUPET, Conseiller

Hélène MORNET, Conseiller



ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 04 Février 2016 après prorogation du délibéré en date du 21 Janvier 2016 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Maurice ZAVARO, Président et Delphine VERHAEGHE, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.



ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 23 novembre 2015



***



Du mariage, célébré en 1949, entre [R] ([O], [N]) [C] et [D] [E], sont nés trois enfants: [W], [R] ([M], [L]) et [Y] [C].



[R] [C] s'est associé à MM. [Z] [Q] et [F] [X] dans une SARL SERTECO, [R] [C] et [Z] [Q] disposant chacun de 498 parts sociales, [F] [X] de 4 parts. Par acte du 30 avril 1987, les 498 parts de [Z] [Q] sont cédées à [R] [C] moyennant une somme de 120 000 francs.



[R] [C] père décède le [Date décès 2] 2005, laissant pour lui succéder son épouse et ses trois enfants.



([D] [E] renonce au bénéfice de la donation entre époux et opte pour la totalité en usufruit des biens dépendant de la succession).



Par testament authentique du 3 décembre 2008, elle lègue la quotité disponible sur tous les biens de sa succession à son fils [R]. Elle décède le [Date décès 1] 2009.



Le 21 octobre 2011, [Y] [C] fait assigner ses frère et soeur devant le tribunal de grande instance de Lille en ouverture des opérations de compte, liquidation et partage des successions de leurs père et mère.



Elle s'inscrit en faux contre le testament dont elle demande l'annulation.



Elle demande par ailleurs qu'il soit jugé que les 498 parts sociales dont [R] [C], fils, se prétend propriétaire constituent une donation déguisée à laquelle il convient d'appliquer la règle du recel successoral.



Par jugement en date du 25 septembre 2014, le tribunal de grande instance de Lille a :



- annulé le testament authentique,



- rejeté la demande de requalification de la cession des parts sociales en donation déguisée rapportable aux successions et de qualification en recel successoral,



- ordonné l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage des successions de [R] [C] et de [D] [E], et désigné Monsieur le président de la chambre départementale des notaires du Nord avec faculté de déléguer tout membre de sa compagnie sans exclusion,



- rejeté la demande de [W] et [R] [C] à être autorisés à vendre l'immeuble dépendant de la succession, sis à [Localité 4].



[Y] [C] a interjeté appel le 31 décembre 2014.



Elle conclut à l'infirmation du jugement sur la question de la cession des 498 parts sociales et demande leur rapport à la succession ainsi que l'application des règles du recel successoral.



Elle sollicite la confirmation des autres dispositions du jugement, sauf à :



- exclure la désignation de Maître [K], notaire à [Localité 5], ou de son successeur,

- condamner [R] [C] à une indemnité de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Elle conclut enfin au débouté des intimés en leurs demandes.



[W] et [R] [C] concluent à la confirmation du jugement sur la question des parts sociales et quant à l'ouverture des opérations successorales, sans exclusion du notaire délégué par le président de la chambre des notaires.



Ils demandent son infirmation sur le testament authentique qu'ils entendent dire valable, l'autorisation de vendre pour le prix minimal de 420 000 euros l'immeuble d'indivision et la condamnation de l'appelante à leur payer à chacun la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, ainsi que la somme de 4 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.





SUR CE,



Sur le pouvoir de dévolution de président de la Chambre des notaires :



[Y] [C] demande l'exclusion de Maître [K], notaire à [Localité 5] ainsi que de ses successeurs, aux motifs, s'agissant de Maître [K], que le testament contre lequel elle s'est inscrite en faux a été établi par son ministère le 3 décembre 2008; qu'il existe dès lors un climat de suspicion à son égard qui justifie l'exclusion de l'étude.









Elle dénonce par ailleurs :



- le comportement très empressé et quasi menaçant de Maître [K] à son égard à la suite du décès de sa mère et sa prise de position en faveur de [R] [C] fils,

- les difficultés persistantes avec ses successeurs, Maîtres [A] et [P].



Si effectivement la procédure d'inscription de faux engagée par l'appelante contre le testament authentique rédigé par le ministère de Maître [K] peut justifier l'exclusion de celui-ci des opérations de règlement des successions tant qu'une décision définitive n'est pas intervenue sur la validité du testament contesté, l'argument n'est pas applicable à ses successeurs contre lesquels l'appelante ne démontre aucun élément de suspicion légitime et avéré justifiant l'exclusion de leur désignation éventuelle.



Il convient dès lors de confirmer le jugement à ce titre.





Sur la cession des 498 parts de la SARL SERTECO par acte du 30 avril 1987 :



Pour demander que les 498 parts sociales de la société SERTECO dont [R] [C] fils se dit propriétaire soient rapportées à la succession de leur père, l'appelante prétend à une donation déguisée en faveur de son frère, lequel ne serait pas le cessionnaire des parts cédées par M. [Z] [Q] le 30 avril 1987.



Elle prétend que l'acte en cause aurait été falsifié, ne porterait pas la signature de son frère et produit une analyse graphologique; par ailleurs, elle invoque l'absence de modification et de dépôt au greffe du tribunal de commerce des statuts faisant apparaître [R] [C] fils jusqu'en 2001.



Or, l'acte de cession en date du 30 avril 1987 fait apparaître explicitement, en qualité de cessionnaire, [R] [C], né le [Date naissance 3] 1952 à [Localité 5], marié avec [H] [U]. Il est également mentionné à l'article 8 de l'acte que 'la présente cession étant réalisée au profit du descendant d'un associé, n'a pas besoin d'être soumise à l'examen des autres associés'. L'analyse dite graphologique produite n'apparaît pas suffisamment probante pour démontrer le falsification prétendue; qu'elle est contredite par une analyse de même intention sollicitée par les intimés et qui en contredit les conclusions, estimant qu'il n'y a pas eu imitation de signature et d'écriture entre le père et le fils [C]..



La cession des parts au profit du fils [C] résulte par ailleurs de l'attestation de [R] [C] père lui-même, non discutée par l'appelante, ainsi que de celle établie le 30 octobre 2012 par le cédant, M. [Z] [Q], sans que celle-ci soit en contradiction avec la sommation interpellative réalisée auprès de ce dernier le 13 juin 2012 dans laquelle il indique la présence de [R] [C] père à l'acte de cession, présence confirmée par sa signature à l'acte.



La présence de [R] [C] fils en qualité d'associé ressort également des procès-verbaux d'assemblée générale de la société postérieurs à la date de cession.



Enfin et surtout, il est parfaitement établi par les documents bancaires produits aux débats que le prix de cession, 120 000 francs, a été versé par chèque de banque tiré sur le compte joint de M et Mme [R] [C] le 22 avril 1992, soit dans le délai de 5 ans prévu à l'acte, après rachat des SICAV/FCP détenues par les époux [C] fils dans le même établissement.



Il n'existe en conséquence aucun élément permettant d'attester de la falsification prétendue et de la donation déguisée qui en résulterait au profit de [R] [C] fils.



Il n'y a pas lieu, en conséquence, à rapport de la somme correspondante à la succession.



La question du recel successoral devient dès lors sans objet.



Le jugement sera également confirmé de ce chef.



Sur la validité du testament du 3 décembre 2008 :



Il résulte des dispositions des article 971 et 972 du code civil que le testament par acte public peut être reçu par un notaire assisté de deux témoins; dans ce cas, il doit être dicté par le testateur; le notaire l'écrit lui-même ou le fait écrire à la main ou mécaniquement; il doit en être donné lecture au testateur.



Le tribunal a estimé que les conditions posées par ces dispositions n'ont pas été respectées en l'espèce, dès lors que la formule testamentaire a été pré-imprimée hors la présence des témoins lesquels n'ont pas assisté à la dictée par le testateur.



En cause d'appel, les intimés concluent à la validité du testament attaqué, en qualité de testament international dès lors que son formalisme est conforme aux exigences de la convention de Washington du 26 octobre 1973.



[Y] [C], sans contester le respect formel des conditions posées par la convention de Washington, en conteste la validité au regard :



- de l'état de santé défaillant de la testatrice au jour de sa signature et notamment de la dégénérescence maculaire dont elle souffrait,

- des termes même utilisés dans les dispositions testamentaires, tels que 'quotité disponible' alors qu'elle n'avait aucune connaissance juridique,


- du fait que le testament n'a pas date certaine.



S'agissant de son état de santé, l'appelante fait état des problèmes graves de santé qui ont conduit à son décès le [Date décès 1] 2009.Il ne résulte toutefois nullement des éléments médicaux produits que cet état de santé ait pu altérer son discernement, étant précisé que le certificat établi par le docteur [S] le 8 septembre 2009 ainsi que le service de réanimation qui fait état des causes du décès mentionnent explicitement, pour le second dans son compte rendu du 29 septembre 2009 qu'il s'agit d'une patiente retraitée, avec une autonomie conservée, sans notion de trouble cognitif.



Les témoignages recueillis ne font pas davantage état de quelconques troubles cognitifs jusqu'à son décès; en conséquence, les dispositions testamentaires prises en décembre 2008 ne peuvent être remises en cause pour manque de conscience de la testatrice, près de10 mois avant son décès.



S'il n'est pas contesté, par contre, que Mme [E] souffrait de problèmes de vue du fait d'une dégénérescence maculaire, celle-ci ne l'empêchait pas d'être autonome dans les actes de la vie courante ni de jouer et d'enseigner le bridge jusqu'à l'été qui a précédé son décès.









Il ne peut dès lors être prétendu qu'elle se trouvait, à la date du testament, dans l'incapacité de comprendre son contenu, lu devant témoins par le notaire, et d'apposer en toute connaissance de cause sa signature sur le testament. L'utilisation de termes juridiques dans le corps du testament, dès lors qu'ils ont du être expliqués par le notaire, sont habituels et ne révèlent pas davantage, à eux seuls, qu'ils n'expriment pas la volonté du testateur.



S'agissant de la date de l'acte, celle-ci apparaît certaine, dès lors que le testament a été enregistré le lendemain de sa signature, soit le 4 décembre 2008, auprès du fichier des dernières volontés.



S'agissant du formalisme du testament contesté, il est constant que l'annulation d'un testament authentique pour non respect des dispositions des articles 971 et suivants du code civil ne fait pas obstacle à la validité de l'acte en tant que testament international dès lors que les formalités prescrites par la convention de Washington ont été accomplies.



En application de cette norme internationale, ratifiée par la France par la loi du 25 avril 1994 et publiée par décret du 8 novembre 1994, le testament, pour être valable, doit être écrit, mais pas nécessairement par le testateur ( article 3 ), lequel déclare ( article 4 ) en présence de deux témoins et d'une personne habilitée à instrumenter à cet effet - en France, le notaire - que le document est son testament et qu'il en connaît le contenu; le testateur n'est pas tenu de donner connaissance du contenu du testament aux témoins et signe en présence des témoins et du notaire.



En l'espèce, si les dispositions testamentaires ont été prérédigées et à ce titre n'étaient pas conformes aux exigences du droit interne, leur lecture devant témoins, attestée par ceux-ci, par le notaire, et la signature de l'acte authentique par la testatrice et les témoins, le rendent conforme aux conditions susvisées posées par la Convention de Washington.



Compte tenu des éléments de fond précédemment rappelés ne permettant pas de douter que la volonté libre et certaine de la testatrice dans l'expression de ses dernières volontés et du respect du formalisme international, il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a annulé le testament.



Sur l'autorisation de vendre l'appartement indivis :



Il résulte des dispositions de l'article 815-5 du code civil que, pour autoriser un indivisaire à passer seul un acte pour lequel le consentement d'un coindivisaire serait nécessaire, il convient de caractériser en quoi le refus de celui-ci met en péril l'intérêt commun.



En l'espèce, s'il est établi que l'appartement de la succession, inoccupé depuis le décès de Mme [E] se dégrade et qu'il engendre nécessairement des charges de copropriété et des charges fiscales, le compte successoral du notaire ne caractérise toutefois pas la mise en péril de l'intérêt de l'indivision.



Il n'y a pas lieu, dans ces conditions, d'autoriser les intimés à mettre en vente l'appartement, avant qu'il ait été évalué par le notaire chargé de la liquidation de la succession.



Pour ce seul motif, le jugement sera confirmé sur ce point.





Sur les autres demandes :



Le seul fait qu'il ne soit pas fait droit aux prétentions d'appel présentées par [Y] [C] ne suffit pas à caractériser l'abus de droit et ne justifie pas l'octroi de dommages et intérêts en faveur des intimés.



L'équité commande toutefois de mettre à sa charge, outre le règlement des dépens de l'appel, partie des frais de procédure engagés par les intimés et de condamner [Y] [C] à leur verser à ce titre, à chacun, d'eux, la somme de 1 000 euros.



PAR CES MOTIFS,



La Cour,



- CONFIRME le jugement, sauf en ce qu'il a annulé le testament du 3 décembre 2008,



- DÉCLARE ledit testament valable en tant que testament international,



- DÉBOUTE les intimés de leur demande de dommages et intérêts,



- CONDAMNE [Y] [C], épouse [B], à payer 1 000 euros à [R] [C] et 1000 euros à [W] [C], au titre de l'article 700 du code de procédure civile,



- la CONDAMNE aux entiers dépens de l'appel dont distraction au profit de Maître Franchi, avocat aux offres de droit.







Le Greffier,Le Président,







Delphine VERHAEGHE.Maurice ZAVARO.

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