7 November 2019
Cour d'appel d'Aix-en-Provence
RG n° 19/02799

Chambre 4-4

Texte de la décision

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-4



ARRÊT

DU 07 NOVEMBRE 2019



N° 2019/

GB/











Rôle N° RG 19/02799 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BDZZT







Société VINTAGE CRUISES LDA





C/



[T] [G] [C]

























Copie exécutoire délivrée

le :

07 NOVEMBRE 2019

à :

Me Agnès ERMENEUX, avocat au barreau d'AIX-EN-

PROVENCE





Me Lionel BUDIEU, avocat au barreau de NICE





















Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NICE en date du 22 Janvier 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° F17/000976.





APPELANTE



Société VINTAGE CRUISES prise en la personne de son représentant légal, demeurant [Adresse 2] (PORTUGAL)

représentée par Me Agnès ERMENEUX, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE





INTIME



Monsieur [T] [G] [C], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Lionel BUDIEU, avocat au barreau de NICE, Me Romain CHERFILS, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE













*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR





En application des dispositions des articles 785 et 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Septembre 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Gilles BOURGEOIS, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :



Madame Marie-Noëlle ABBA, Président de chambre

Monsieur Gilles BOURGEOIS, Conseiller

Monsieur Nicolas TRUC, Conseiller









Greffier lors des débats : Madame Françoise PARADIS-DEISS.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 07 Novembre 2019.







ARRÊT



contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 07 Novembre 2019



Signé par Madame Marie-Noëlle ABBA, Président de chambre et Madame Françoise PARADIS-DEISS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.




***



















































PROCÉDURE





En vertu d'une ordonnance du 19 février 2019, la société de droit portugais Vintage Cruises a régulièrement cité devant la cour pour l'audience du 4 septembre 2019 M. [T] [G] [C] aux fins de contester le jugement rendu le 22 janvier 2019 par le conseil de prud'hommes de Nice se déclarant territorialement compétent pour juger leur différend.



Les parties exposent que du 2 juin 2017 au 17 septembre 2017, M. [G] [C] a été au service de la société Vintage Cruises, en qualité de 4ème officier mécanicien, posté sur le navire de passagers 'SS Delphine' immatriculé à Madère (Portugal) et propriété de cette société de droit portugais.



Ce marin conteste au principal la décision de son employeur de rompre avant l'échéance de son terme (le 30 mars 2022) son contrat de travail à durée déterminée.



Pour revendiquer la compétence territoriale du conseil de prud'hommes de Nice, saisi le 9 novembre 2017 de sa contestation, M. [G] [C] invoque au principal l'article 7 de la convention de Bruxelles du 10 mai 1952, régissant la saisie conservatoire des navires qui donne compétence à la juridiction de l'état sur le territoire duquel la saisie a été pratiquée pour connaître du fond du litige.



Par ailleurs, il conclut à l'inopposabilité de la clause attributive de compétence insérée dans son contrat de travail au bénéfice de la cour de Funchal (Madère) en vertu de l'article 23 du règlement UE n° 1215/2012 du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, en ce que cet article dispose qu'il ne peut être dérogé au principe d'interdiction des clauses attributives de compétence insérées dans les contrats de travail que postérieurement 'à la naissance du différent' ou lorsque ces stipulations interdisent de permettre au travailleur 'de saisir d'autres juridictions que celles indiquées'.



Enfin, il expose qu'il est de nationalité française, qu'il est domicilié en France, que son contrat de travail a été signé en France, qu'il a accompli l'essentiel de son travail en France (au port de [Localité 3]), que son salaire était viré sur un compte courant ouvert dans un établissement bancaire français et qu'il a été débarqué dans un port français, ce faisceau de circonstances caractérisant le rattachement de la relation de travail à son territoire national.



De son côté, l'employeur se prévaut d'une clause attributive de compétence insérée dans le contrat de travail stipulant que 'Nonobstant le fait que l'employeur est une société de Madère, tout conflit ayant son origine dans ce contrat qui ne pourra pas être résolu à l'amiable devra être soumis aux tribunaux de Funchal, Madère, Portugal'.



Par ailleurs, son conseil sollicite l'application de l'article 21 du règlement UE n° 1215/2012 du parlement européen et du conseil du 12 décembre 2012 qui dispose à la section 5 intitulée 'Compétence en matière de contrats individuels de travail' qu'un 'employeur domicilié sur le territoire d'un Etat membre peut être attrait :



a) devant les juridictions de l'Etat membre où il a son domicile ou

b) devant un autre Etat membre :

1) devant la juridiction du lieu où à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant la juridiction du dernier lieu où se trouve ou se trouvait l'établissement qui a embauché le travailleur

2) lorsque le travailleur n'accomplit pas ou n'a pas accompli habituellement son travail dans un même pays, devant la juridiction du lieu où se trouve ou se trouvait habituellement l'établissement qui a embauché le travailleur', soutenant que le

salarié n'accomplissait pas son travail dans un même pays.




Par ses dernières conclusions, notifiées et remises au greffe de la cour le 18 février 2019, cette société revendique la compétence de la cour de Funchal (Portugal), sans préjudice de l'allocation d'une indemnité de 15 000 euros pour ses frais irrépétibles.



Par ses dernières conclusions, notifiées et remises au greffe de la cour le 28 août 2019, M. [G] [C] conclut à la confirmation du jugement déféré à la censure de la cour, sans préjudice de l'allocation d'une indemnité de 15.000 euros pour ses frais non répétibles.



La cour renvoie pour plus ample exposé au jugement déféré et aux écritures des parties.






MOTIFS DE LA DÉCISION





Sur la compétence du 'forum arresti'



Le salarié a été autorisé par une ordonnance du juge de l'exécution prés le tribunal de grande instance de Marseille signée le 25 octobre 2017 à saisir à titre conservatoire le navire 'SS Delphine' en garantie d'une créance évaluée à 310 000 euros.



L'article 7-1 de la convention internationale de Bruxelles du 10 mai 1952 pour l'unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer dispose que :



'Les Tribunaux de l'Etat dans lequel la saisie a été opérée seront compétents pour statuer sur le fond du procès :



- soit si ces Tribunaux sont compétents en vertu de la loi interne de l'Etat dans lequel la saisie a été pratiquée,



- soit dans les cas suivants, nommément définis :



a) Si le demandeur a sa résidence habituelle ou son principal établissement dans l'Etat où la saisie a été pratiquée ...'.



Mais s'il est exact que M. [G] [C] a sa résidence habituelle au [Localité 4] (Seine-Maritime) et qu'en droit interne français, l'article R. 1412-1 du code du travail permet au salarié de saisir le conseil de prud'hommes 'du lieu ou l'engagement a été contracté', en l'espèce le port français de [Localité 3], la saisie conservatoire pratiquée à sa demande a été levée contre séquestre par une convention régularisée à une date qui n'est pas précisée, de sorte que la compétence spécifique de la juridiction ayant ordonné cette mesure aux fins de fixer la créance maritime et éventuellement de rendre un titre exécutoire permettant la vente forcée du bien a cessé par l'effet de cette mainlevée qui interdit désormais l'appréhension matérielle de ce navire.



Par ailleurs, et surtout, il convient, en matière de droit international privé, de séparer l'action conservatoire et l'action au fond qui, elle, résulte des normes nationales, internationales ou conventionnelles.



En ce sens, si les juridictions françaises sont seules compétentes pour statuer sur la validité d'une saisie pratiquée en France et apprécier, à cette occasion, le principe de la créance, les tribunaux français ne peuvent se prononcer sur le fond du droit que si leur compétence est fondée sur une autre règle (nationale, internationale ou conventionnelle).



La compétence du 'forum arresti' trouve là sa limite.



Le moyen principal soutenu par le conseil du salarié n'est donc pas en soi opérant.



Sur la clause attributive de compétence



Selon l'article 23 du règlement UE n° 1215/2012 du parlement européen et du conseil du 12 décembre 2012 pour être opposable au salarié, la clause attributive de compétence doit avoir été passée postérieurement 'à la naissance du différend' ou permettre 'au travailleur de saisir d'autres juridictions que celles indiquées à la présente section' (différentes d'un Etat membre).



Le présent litige ayant pris naissance après la signature par M. [G] [C] de la clause attributive de compétence insérée dans son contrat de travail et cette clause lui imposant de saisir du différend une juridiction dépendant d'un état membre, ce travailleur est fondé à plaider son inopposabilité.



Sur le droit européen applicable



Il résulte de ses propres constatations que le travailleur accomplissait la majeure partie de son travail en dehors des eaux territoriales françaises puisque le relevé des trajets effectués par le navire qu'il produit aux débats (sa pièce 2) établit que durant les trois mois et demi de son service M. [G] [C] a été en mer, en dehors des eaux territoriales, du 12 juillet au 8 septembre 2017, ce qui, rapporté à la durée de l'effectivité de son engagement, autorise son employeur à conclure que son salarié n'accomplissait pas habituellement son travail en France.



Par ailleurs, le navire affrété par la société Vintage Cruises n'est pas un 'établissement' au sens de l'article 21 précité, dès lors que cet instrument de travail ne dispose aucunement d'une autonomie juridique propre à retenir cette qualification, de sorte que ce marin doit être réputé n'ayant pas accompli son travail dans un même pays et que le juge territorialement compétent pour connaître de son litige envers son employeur s'entend dans cette hypothèse de la juridiction du lieu 'où se trouvait l'établissement qui a embauché le travailleur', soit, au cas d'espèce, le siège situé à Madère de la société de droit portugais Vintage Cruises.



En conséquence de quoi la cour, infirmant le jugement déféré,



Sur les dépens



L'intimé supportera les entiers dépens.





PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par l'article 450 du code de procédure civile.





Infirme le jugement.



Renvoie les parties à mieux se pourvoir.



Condamne l'intimé aux entiers dépens.



Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. [G] [C] à verser une indemnité de 2 000 euros à la société Vintage Cruises.



LE GREFFIERLE PRÉSIDENT

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