26 octobre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-12.066

Chambre sociale - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:SO01142

Titres et sommaires

CONVENTIONS INTERNATIONALES - accords et conventions divers - convention de bruxelles du 10 mai 1952 - saisie conservatoire des navires de mer - compétence internationale - article 7, § 1 - compétence du tribunal du lieu de la saisie - prorogation de compétence de la juridiction initialement saisie - cas - litige sur le fond - détermination - portée

Il résulte des articles 5 et 7, § 1, de la Convention internationale de Bruxelles du 10 mai 1952 pour l'unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer, que la mainlevée de la saisie d'un navire moyennant la constitution d'une garantie n'a pas pour effet de remettre en cause la compétence des tribunaux de l'État dans lequel la saisie du navire a été opérée pour statuer sur le fond du procès

Texte de la décision

SOC.

OR



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 26 octobre 2022




Cassation sans renvoi


M. SOMMER, président



Arrêt n° 1142 FS-P

Pourvoi n° D 20-12.066




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 26 OCTOBRE 2022

M. [G] [C], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° D 20-12.066 contre l'arrêt rendu le 7 novembre 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-4), dans le litige l'opposant à la société Vintage Cruises, dont le siège est [Adresse 5] (Portugal), défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Sornay, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de M. [C], de la SARL Le Prado-Gilbert, avocat de la société Vintage Cruises, et l'avis de Mme Wurtz, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 septembre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, M. Sornay, conseiller rapporteur, M. Schamber conseiller doyen, Mmes Cavrois, Monge, MM. Rouchayrole, Flores, conseillers, Mmes Ala, Thomas-Davost, Techer, conseillers référendaires, Mme Wurtz, avocat général, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 7 novembre 2019), M. [C] a été engagé par la société Vintage Cruises pour la période du 2 juin 2017 au 30 mars 2022 en qualité d'officier mécanicien posté sur le navire de passagers « SS Delphine », immatriculé à Madère (Portugal) et propriété de cette société de droit portugais.

2. L'employeur a rompu unilatéralement ce contrat de travail avant son terme, le 17 septembre 2017.

3. Contestant cette décision, le salarié a fait procéder à [Localité 4] le 25 octobre 2017 à une saisie conservatoire de ce navire, en garantie d'une créance de salaires et indemnités liée à l'exécution et à la rupture de son contrat de travail évaluée à 310  000 euros.

4. Il a par ailleurs saisi au fond le 9 novembre 2017 le conseil de prud'hommes de Nice afin d'obtenir le paiement par l'employeur de ces salaires et indemnités.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. Le salarié fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement en ce qu'il s'est déclaré compétent pour juger le différend l'opposant à son employeur et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir, alors « que les tribunaux de l'État dans lequel la saisie d'un navire a été opérée sont compétents pour statuer sur le fond du procès, lorsque le demandeur a sa résidence habituelle dans cet État ; que, pour dire le conseil de prud'hommes de Nice incompétent pour statuer sur la créance salariale de M. [C], marin sur le navire SS Delphine, la cour d'appel a retenu que s'il avait été judiciairement autorisé à saisir en France, la saisie opérée a cessé de produire ses effets attributifs de compétence à la suite de sa mainlevée contre séquestre et que les tribunaux français ne peuvent se prononcer sur le fond du droit que si leur compétence est fondée sur une autre règle que celle régissant l'action conservatoire ; qu'en statuant ainsi, quand la seule résidence habituelle en France du créancier saisissant, constatée par l'arrêt, fondait la compétence internationale de la juridiction française pour statuer au fond, la cour d'appel, qui a ajouté, à l'article 7, 1 a de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 pour l'unification de certaines règles concernant la saisie conservatoire des navires de mer, une condition qu'il ne comporte pas, a violé ce texte ».

Réponse de la Cour

Vu les articles 5 et 7, § 1, de la convention internationale de Bruxelles du 10 mai 1952 pour l'unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer :

6. Selon le premier de ces textes, le tribunal ou toute autre autorité judiciaire compétente dans le ressort duquel le navire a été saisi, accordera la mainlevée de la saisie lorsqu'une caution ou une garantie suffisantes auront été fournies, sauf dans le cas où la saisie est pratiquée en raison des créances maritimes énumérées à l'article premier ci-dessus, sous les lettres o et p ; en ce cas, le juge peut permettre l'exploitation du navire par le possesseur, lorsque celui-ci aura fourni des garanties suffisantes, ou régler la gestion du navire pendant la durée de la saisie. Faute d'accord entre les parties sur l'importance de la caution ou de la garantie, le tribunal ou l'autorité judiciaire compétente en fixera la nature et le montant. La demande de mainlevée de la saisie moyennant une telle garantie, ne pourra être interprétée ni comme une reconnaissance de responsabilité, ni comme une renonciation au bénéfice de la limitation légale de la responsabilité du propriétaire du navire.

7. Selon le second, les tribunaux de l'État dans lequel la saisie d'un navire a été opérée sont compétents pour statuer sur le fond du procès, soit si ces tribunaux sont compétents en vertu de la loi interne de l'État dans lequel la saisie est pratiquée, soit dans certains autres cas, nommément définis.

8. Pour infirmer le jugement et renvoyer les parties à mieux se pourvoir, l'arrêt retient que s'il est exact que le salarié a sa résidence habituelle au [Localité 3] et qu'en droit interne français, l'article R. 1412-1 du code du travail permet au salarié de saisir le conseil de prud'hommes « du lieu où l'engagement a été contracté », en l'espèce le port français de [Localité 2], la saisie conservatoire pratiquée à sa demande a été levée contre séquestre, par une convention régularisée « à une date qui n'est pas précisée », de sorte que la compétence spécifique de la juridiction ayant ordonné cette mesure aux fins de fixer la créance maritime et éventuellement de rendre un titre exécutoire permettant la vente forcée du bien a cessé par l'effet de cette mainlevée, qui interdit désormais l'appréhension matérielle de ce navire.

9. En statuant ainsi, alors qu'il résulte des articles 5 et 7, § 1, de cette convention que la mainlevée de la saisie d'un navire moyennant la constitution d'une garantie n'a pas pour effet de remettre en cause la compétence des tribunaux de l'État dans lequel la saisie du navire a été opérée pour statuer sur le fond du procès, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquence de la cassation

10. Il est fait application, ainsi qu'il est suggéré en demande, des articles L. 411-3 alinéa 1er du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

11. La cassation prononcée n'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond, il n'y a, en effet, pas lieu à renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DIT que l'affaire se poursuit au fond devant le conseil de prud'hommes de Nice ;

Condamne la société Vintage Cruises aux dépens, en ce compris ceux exposés devant la cour d'appel ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Vintage Cruises et la condamne à payer à M. [C] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat aux Conseils, pour M. [C]

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR infirmé le jugement du 22 janvier 2019 par lequel le conseil de prud'hommes de Nice s'était déclaré compétent pour juger le différend opposant M. [C] à la société Vintage Cruises et d'AVOIR renvoyé les parties à mieux se pourvoir ;

AUX MOTIFS QUE « sur la compétence du "forum arresti", le salarié a été autorisé par une ordonnance du juge de l'exécution près le tribunal de grande instance de Marseille signée le 25 octobre 2017 à saisir à titre conservatoire le navire "SS Delphine" en garantie d'une créance évaluée à 310 000 euros ; l'article 7-1 de la convention internationale de Bruxelles du 10 mai 1952 pour l'unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer dispose que : "Les tribunaux de l'État dans lequel la saisie a été opérée seront compétents pour statuer sur le fond du procès : - soit si ces tribunaux sont compétents en vertu de la loi interne de l'État dans lequel la saisie a été pratiquée, - soit dans les cas suivants, nommément définis : a) si le demandeur a sa résidence habituelle ou son principal établissement dans l'État ou la saisie a été pratiquée …" ; mais s'il est exact que M. [C] a sa résidence habituelle au [Localité 3] (Seine-Maritime) et qu'en droit interne français, l'article R. 1412-1 du code du travail permet au salarié de saisir le conseil de prud'hommes "du lieu où l'engagement a été contracté", en l'espèce le port français de [Localité 2], la saisie conservatoire pratiquée à sa demande a été levée contre séquestre par une convention régularisée à une date qui n'est pas précisée, de sorte que la compétence spécifique de la juridiction ayant ordonné cette mesure aux fins de fixer la créance maritime et éventuellement de rendre un titre exécutoire permettant la vente forcée du bien a cessé par l'effet de cette mainlevée qui interdit désormais l'appréhension matérielle de ce navire ; par ailleurs, et surtout, il convient, en matière de droit international privé, de séparer l'action conservatoire de l'action au fond qui, elle, résulte des normes nationales, internationales ou conventionnelles ; en ce sens, si les juridictions françaises sont seules compétentes pout statuer sur la validité d'une saisie pratiquée en France et apprécier, à cette occasion, le principe de la créance, les tribunaux ne peuvent se prononcer sur le fond du droit que si leur compétence est fondée sur une autre règle (nationale, internationale ou conventionnelle) ; la compétence du "forum arresti" trouve là sa limite ; le moyen principal soutenu par le conseil du salarié n'est donc pas en soi opérant » ;

ET QUE « sur le droit européen applicable, il résulte de ses propres constatations que le travailleur accomplissait la majeure partie de son travail en dehors des eaux territoriales françaises puisque le relevé des trajets effectués par le navire qu'il produit aux débats (sa pièce 2) établit que durant les trois mois et demi de son service M. [C] a été en mer, en dehors des eaux territoriales, du 12 juillet au 8 septembre 2017, ce qui, rapporté à la durée de l'effectivité de son engagement, autorise son employeur à conclure que son salarié n'accomplissait pas habituellement son travail en France ; par ailleurs, le navire affrété par la société Vintage Cruises n'est pas un "établissement" au sens de l'article 21 précité, dès lors que cet instrument de travail ne dispose aucunement d'une autonomie juridique propre à retenir cette qualification, de sorte que ce marin doit être réputé n'ayant jamais accompli son travail dans un même pays et que le juge territorialement compétent pour connaître de son litige envers son employeur s'entend dans cette hypothèse de la juridiction du lieu "où se trouvait l'établissement qui a embauché le travailleur", soit, au cas d'espèce, le siège situé à Madère de la société de droit portugais Vintage Cruises » ;

ALORS, D'UNE PART, QUE les tribunaux de l'État dans lequel la saisie d'un navire a été opérée sont compétents pour statuer sur le fond du procès, lorsque le demandeur a sa résidence habituelle dans cet État ; que, pour dire le conseil de prud'hommes de Nice incompétent pour statuer sur la créance salariale de M. [C], marin sur le navire SS Delphine, la cour d'appel a retenu que s'il avait été judiciairement autorisé à saisir en France, la saisie opérée a cessé de produire ses effets attributifs de compétence à la suite de sa mainlevée contre séquestre et que les tribunaux français ne peuvent se prononcer sur le fond du droit que si leur compétence est fondée sur une autre règle que celle régissant l'action conservatoire ; qu'en statuant ainsi, quand la seule résidence habituelle en France du créancier saisissant, constatée par l'arrêt, fondait la compétence internationale de la juridiction française pour statuer au fond, la cour d'appel, qui a ajouté, à l'article 7, 1 a de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 pour l'unification de certaines règles concernant la saisie conservatoire des navires de mer, une condition qu'il ne comporte pas, a violé ce texte ;

ALORS, AUSSI ET EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE la cour d'appel, qui a elle-même constaté que M. [C] a sa résidence habituelle au [Localité 3] et que l'engagement avait été contracté dans le port français de [Localité 2], ce qui, conformément à l'article R 1412-1 du code du travail permettait au salarié de saisir le juge prud'homal français, ne pouvait renvoyer les parties à mieux se pourvoir au prétexte « qu'à une date qui n'est pas précisée », la saisie conservatoire du navire « SS Delphine » avait été levée contre séquestre ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé derechef l'article 7, 1 a de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 et l'article R 1412-1 précité ;

ALORS, ENCORE ET EN TOUTE HYPOTHÈSE, QUE le lieu à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail s'entend, dans le secteur des transports, tel le secteur maritime, du lieu à partir duquel le travailleur effectue ses missions de transport, celui où il rentre après ses missions, reçoit les instructions sur ses missions et organise son travail, ainsi que du lieu où se trouvent ses outils de travail ; qu'en retenant l'incompétence de la juridiction française pour statuer sur les demandes formées à l'encontre de son employeur par le salarié au prétexte que celui-ci n'accomplissait pas habituellement son travail dans les eaux territoriales françaises, de sorte qu'était compétente la juridiction portugaise du lieu où se trouvait l'établissement qui avait embauché le travailleur, sans rechercher, ainsi qu'elle y était expressément invitée par le salarié (conclusions, p. 17, § 2 à 8), s'il ne résultait pas d'un faisceau d'indices constitués par les lieux d'embarquement du salarié et d'amarrage du navire que le port de [Localité 2] constituait le port d'attache et donc le lieu à partir duquel le marin accomplissait habituellement son travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 21 1 b du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ;

ALORS, ENFIN ET EN TOUTE HYPOTHÈSE, QUE la compétence de la juridiction du lieu où se trouve, ou se trouvait, l'établissement qui a embauché le travailleur est subsidiaire par rapport à celle du lieu où, ou à partir duquel, le travailleur accomplit habituellement son travail ou à celle du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail ; qu'en retenant l'incompétence de la juridiction française pour statuer sur les demandes formées à l'encontre de son employeur par le salarié au prétexte que celui-ci n'accomplissait pas habituellement son travail en France, de sorte qu'était compétente la juridiction portugaise du lieu où se trouvait l'établissement qui avait embauché le travailleur, sans rechercher, ainsi qu'elle y était expressément invitée par le salarié (conclusions, p. 16 in fine et p. 17, in fine), s'il ne résultait pas d'un faisceau d'indices constitué par la signature du contrat, par l'embarquement du marin et par l'amarrage du navire dans le port français de [Localité 2] que, nonobstant la navigation ultérieure du navire en dehors des eaux territoriales françaises, la France était le dernier lieu où M. [C] avait accompli habituellement son travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 21 1 b du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale

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