Rémy Heitz - Prestation de serment des auditeurs de justice promotion 2024

12/02/2024

Intervention de Rémy Heitz procureur général à la Cour de cassation devant les élèves magistrats à l’ENM, le 12 février 2024

Monsieur le Premier président de la Cour de cassation,

Madame la directrice de l’Ecole nationale de la magistrature,

Mesdames et messieurs les cadres de cette école,

Mesdames et Messieurs les auditrices et auditeurs de justice,

Mesdames, Messieurs,

 

J’ai l’immense plaisir de m’exprimer devant vous ce matin, en ce jour si particulier où vous prêtez votre serment d’auditeur de justice.

C’est tout d’abord une joie très personnelle de revenir à Bordeaux, 36 années après ma propre prestation de serment, à proximité de cette belle école qui est, vous le constaterez rapidement, la maison commune de tous les magistrats.

Un lieu à la fois distant, car nous n’avons pas tous les jours l’occasion d’y revenir, mais également très proche tant nous gardons des souvenirs vivaces de notre passage ici.

C’est également un plaisir de voir des visages souriants, heureux d’entamer une nouvelle aventure professionnelle et de découvrir les perspectives qu’elle dessine.

Aujourd’hui, vous commencez à écrire votre histoire de magistrat, et mes premiers mots seront pour vous adresser de très sincères félicitations.

Vous venez d’horizons différents.

Certains sortent à peine de leur cursus universitaire, tandis que d’autres poursuivent une reconversion professionnelle. Mais vous avez tous en commun d’avoir vécu une préparation intensive, une  année, parfois davantage, de travail, de remise en question, de doute.

Je mesure donc toute la fierté qui doit être la vôtre, mais aussi celle de votre famille, d’avoir réussi un processus de recrutement si difficile et exigeant.

J’interviens devant vous ce matin en qualité de procureur général près la Cour de cassation et les 36 années d’exercice de ce beau métier nourriront mon propos qui sera centré sur :

  • le métier que vous avez choisi ;
  • la formation que vous débutez ;
  • la vie professionnelle qui s’ouvre devant vous ;
  • le contexte dans lequel vous devenez magistrat ;
  • ainsi que l’importance de la déontologie.

 

Cet après-midi, vous prêterez donc votre serment d’auditeur de justice.

Sans prendre le risque de me tromper, je peux affirmer que vous allez vivre un moment fondateur, dont vous garderez le souvenir toute votre vie.

Une journée pleine de bonheur, mais aussi riche de sens, car le serment d’auditeur de justice va marquer votre entrée dans la famille judiciaire, et consacrer votre engagement à respecter les vertus cardinales d’un magistrat en devenir : dignité, loyauté et respect du secret professionnel.

Un engagement fort, pour un métier à nul autre pareil.

Un métier où se conjuguent l’attrait pour la règle de droit et sa rigueur abstraite, ainsi que l’intérêt pour les situations humaines les plus intimes et complexes.

Un métier où vous serez à l’écoute de la société, dans ce qu’elle a de plus dur, mais aussi parfois de plus beau.

Un métier de décision, enfin, où vous serez en prise directe avec toutes les difficultés que rencontrent nos concitoyens, mais qui vous procurera un inestimable sentiment d’utilité, et ce quelles que soient les fonctions que vous exercerez.

A l’heure de son départ à la retraite, mon prédécesseur François MOLINS s’exprimait ainsi : « J’ai sans doute fait des erreurs mais ce métier n’en était pas une ».

Ces mots, je pourrais les faire miens, tout comme une très grande majorité de magistrats.

Mais, disons les choses honnêtement, en devenant magistrat, vous n’avez pas fait le choix de la facilité.

Vous embrassez un métier qui vous permettra de faire des choses passionnantes mais difficiles.

Un métier où vous disposerez de pouvoirs importants mais également, parfois, de responsabilités écrasantes.

« Vous allez exercer un métier dangereux, dangereux pour les autres, n’oubliez jamais ça ! », disait Pierre TRUCHE, ancien  procureur général et Premier président de la Cour de cassation, aux auditeurs de justice lorsqu’il exerçait les fonctions de directeur des études de l’école. Car rendre la justice est une violence « mais une violence légale en réponse à la violence illégitime de ceux qui enfreignent la règle » expliquait-il.

L’expression était forte, mais elle avait le mérite de refléter la gravité des décisions que vous serez amenés à prendre, qui est sans équivalent au sein des métiers de la fonction publique.

Vous aurez ainsi rapidement conscience des tourments que peuvent susciter une décision de retirer un enfant à ses parents, un jugement accordant une libération conditionnelle à une personne lourdement condamnée, ou la prise de réquisitions aux fins de placement en détention provisoire.

***

Je sais que vous avez déjà une conscience aiguë des responsabilités qui seront bientôt les vôtres et je vais vous rassurer immédiatement : personne ne naît juge ou procureur, sans vouloir paraphraser Simone de Beauvoir.

On le devient, à l’issue d’une formation exigeante.

Qui t’a fait juge ? Cette question doit vous habiter au quotidien, et vous trouverez sa réponse dans la formation que vous allez acquérir et qui vous confèrera la légitimité indispensable à l’exercice de vos éminentes responsabilités.

Cette formation, vous avez la chance de l’entamer, au sein de l’ENM, une des plus belles écoles de la République qui fut créée il y a 66 ans désormais, et qui reste une référence nationale et internationale grâce à sa capacité d’adaptation et à la qualité de ses personnels.

Je souhaiterais ici bien évidemment rendre hommage au travail effectué par la direction de l’école, sous la houlette de sa directrice, mais également à toute l’équipe pédagogique, dont je connais la valeur.

Une équipe pédagogique qui produit ou met à jour depuis tant d’années des manuels d’une grande richesse dont vous profiterez pleinement durant votre formation.

Cette période au sein de l’ENM sera pour vous une phase d’apprentissage et d’ouverture.

D’apprentissage tout d’abord, puisque vous aurez la chance d’acquérir les connaissances techniques essentielles à l’exercice de vos futures fonctions, mais également d’appréhender les qualités humaines indispensables du magistrat : dignité, humilité, écoute, intégrité notamment.

Profitez de la pédagogie si particulière de l’ENM, fondée sur le travail en petits groupes, les simulations et l’échange avec des professionnels expérimentés.

D’ouverture également, puisque vous découvrirez des spécialités a priori éloignées de votre cœur de métier, mais qui entreront chaque jour en résonance avec votre activité de magistrat : la médecine légale, la psychologie, la psychiatrie, la police technique et scientifique, et tant d’autres.

Parmi ces métiers, un en particulier, devra retenir toute votre attention.

Je pense évidemment à celui d’avocat.

Un métier difficile, dont vous percevrez les multiples contraintes au cours du stage en cabinet que vous effectuerez.

Mais un métier indispensable à l’œuvre de justice tant les avocats nous obligent, par leur travail et leur capacité de persuasion, à prendre en compte le point de vue des femmes et des hommes qu’ils défendent et à penser, parfois, contre nous-mêmes.

Si l’âpreté du débat judiciaire peut parfois susciter, au quotidien, des crispations et des querelles entre nos deux professions, ne perdez jamais de vue que nous œuvrons tous, chacun à notre place, au bénéfice d’un seul et même objectif, celui de rendre une justice juste et humaine.

Si je peux vous donner un conseil, profitez pleinement de cette scolarité, ne la subissez pas, mais soyez-en des acteurs dynamiques, engagés.

Vous réaliserez plus tard à quel point cette période au cours de laquelle vous êtes rémunérés pour apprendre votre métier, où vous participez à des choses passionnantes sans en endosser les responsabilités, constitue une extraordinaire parenthèse.

Faites-en tout d’abord un espace de réflexion.

Profitez de ces quelques mois pour débattre de la place du juge dans nos sociétés, pour réfléchir aux moyens de rapprocher l’institution de nos concitoyens et de mieux répondre à leurs attentes, toujours plus fortes, de justice.

Soyez ensuite curieux de tout ce que vous verrez à l’école puis en stage.

Ne refusez jamais de prendre une audience compliquée ou d’assister à une réunion avec des victimes, des élus ou des partenaires de l’institution judiciaire.

Durant votre stage juridictionnel, identifiez les pratiques qui vous paraissent les plus vertueuses ou les plus innovantes afin de les retenir et de les emporter avec vous dans votre future affectation.

De la même manière, intéressez-vous à l’administration de la Justice, au fonctionnement des greffes, aux nouvelles modalités de travail en équipe.

Il y a parmi vous les juges et les substituts de demain, mais également les chefs de juridiction, présidents de tribunaux et procureurs de la République d’après-demain.

Or, un chef de juridiction doit être à la fois un bon technicien, capable de comprendre les contentieux traités par sa juridiction, mais également un bon manager.

Un bon gestionnaire, capable d’entraîner avec lui une équipe dans un projet de juridiction, de proposer des modalités innovantes d’organisation et de gérer efficacement un tribunal.

Ces perspectives-là vous paraissent sans doute lointaines pour le moment mais elles sont en réalité proches, et vous devrez dès l’école commencer à vous y préparer.

Car l’école doit constituer le tremplin qui vous permettra de vous projeter dans votre future carrière.

***

De fait, votre vie professionnelle ne s’arrêtera pas à la sortie de l’ENM, et je souhaiterais vous dire quelques mots des perspectives que vous offre la carrière de magistrat

Je voudrais tout d’abord insister sur la diversité et la richesse du métier que vous avez choisi.

Car il y a presque une incohérence à parler du métier de magistrat, comme s’il était unique, tant nos fonctions sont diverses : juge des enfants, juge de l’application des peines, juge civiliste ou pénaliste, juge des contentieux de la protection, juge d’instruction, procureur de la République.

Et je n’évoque ici que votre cœur de métier et pas les possibilités de détachement qui vous seront offertes au sein de l’administration du ministère de la Justice ou dans d’autres institutions : autorités administratives indépendantes, juridictions administratives, corps préfectoral. 

Vous l’aurez compris, ce n’est pas un métier qui s’offre à vous mais une multitude, au cœur desquels se trouve le même fil rouge : celui du service public de la justice et des justiciables.

Toutes ces fonctions, qui font appel à des qualités différentes et vous permettront de rencontrer des personnes issues d’horizons divers, constituent une source inépuisable d’enrichissement.

Un enrichissement dont je peux personnellement témoigner puisque j’ai exercé des fonctions au siège, au parquet et dans l’administration, et qui me permet aujourd’hui de conserver, intacte, une authentique passion pour les fonctions de magistrat.

Cette richesse, je vous invite à en profiter pleinement 

Ne concevez pas votre carrière comme une suite linéaire et verticale consistant à monter petit à petit, dans une même spécialité, les échelons et les grades.

Changer de fonction, c’est la garantie de continuer sans cesse à apprendre et à progresser.

N’hésitez pas à passer du siège au parquet, à faire vivre concrètement l’unité du corps auquel vous appartenez.

De la même manière, n’hésitez pas à sortir temporairement du corps. Vous y reviendrez avec un regard neuf, une autre expérience que vous mettrez au profit de nos juridictions.

Changer de fonction, c’est aussi la garantie d’éviter la lassitude ou, pire, l’habitude.

Charles PEGUY disait « qu’un juge habitué est un juge mort pour la justice ».

J’évoquais tout à l’heure les décisions les plus graves que vous serez amenés à prendre, notamment de privation de liberté.

Mais vous constaterez qu’en pratique, aucune décision n’est insignifiante, aucun contentieux n’est dérisoire pour la personne concernée.

Ce n’est jamais ordinaire pour un justiciable d’avoir rendez-vous dans le bureau d’un juge afin de lui soumettre une histoire personnelle, douloureuse et intime.

Tout citoyen est donc en droit d’attendre du juge qu’il s’intéresse à sa situation avec le sérieux qu’elle requiert, sans la traiter de manière routinière et détachée.

Vous entrez dans un métier où l’expérience est importante mais où l’habitude et la routine n’ont pas leur place.

Je suis intimement convaincu qu’un parcours varié, diversifié, est la meilleure façon de se prémunir contre le risque, très humain, de l’habitude.

Permettez-moi, à ce stade, après avoir évoqué la richesse de notre métier, d’avoir un mot particulier pour les fonctions de magistrat du parquet, que j’ai longuement exercées.

Aux futurs magistrats du parquet, je souhaiterais dire la beauté de ces fonctions qui sont essentielles au bon fonctionnement de nos institutions et se situent au cœur des attentes de nos concitoyens.

Je souhaiterais également dire que les membres du ministère public sont des magistrats à part entière, même s’ils sont soumis à des règles particulières au regard des missions qu’ils exercent.

Parfois critiquée pour la prétendue proximité qu’elle induirait entre les magistrats du siège et ceux de l’accusation, je crois au contraire que l’unité du corps est une chance et une nécessité, pas seulement pour les magistrats, mais aussi et surtout pour les justiciables.

Une chance car elle garantit à nos concitoyens que les membres du ministère public partagent avec les magistrats du siège une éthique et une déontologie communes.

Une nécessité également, car le statut de magistrat confère aux membres du parquet les garanties d’indépendance indispensables à l’exercice de leurs missions.

Je pense d’ailleurs qu’il est temps de renforcer les garanties statutaires accordées aux magistrats du parquet, afin qu’ils ne puissent plus être nommés sans un avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature.

Dans la période actuelle, marquée par une contestation de l’Etat de droit que j’évoquerai dans quelques instants, il me paraît davantage nécessaire de rapprocher les statuts des magistrats du siège et du parquet, que d’envisager une séparation du corps.

***

Mesdames et Messieurs les auditeurs de justice

A beaucoup d’égards, vous entrez à l’ENM dans une période particulière, à la fois porteuse d’espoir comme peu de vos prédécesseurs en ont connu, mais également de lourdes incertitudes.

L’espoir tout d’abord, auquel est adossée une obligation.

L’espoir, c’est évidemment l’effort budgétaire sans précédent consenti en faveur du ministère de la Justice.

Cet espoir prend forme ici même, et de quelle manière, dans ce palais des congrès qui a dû être mis à contribution pour permettre à la plus grande promotion de l’histoire de l’école de prêter serment.

Pour vous, cet investissement important constitue la promesse d’exercer vos missions dans de meilleures conditions, en retrouvant la qualité et le sens qui doivent être attachés à l’œuvre de justice.

Mais cet espoir est également un devoir, celui d’améliorer le service public de la justice en rendant des décisions de meilleure qualité dans des délais plus courts.

Pour une institution habituée depuis des décennies à gérer la pénurie, il s’agit d’un changement de paradigme important qui permettra aux magistrats, aux greffiers et à tous les personnels de s’atteler à la modélisation de nouvelles organisations, plus innovantes et efficaces.

Cette mission passionnante, dans les années à venir, sera la vôtre.

Vous pourrez à cet égard vous souvenir que nombre de pratiques aujourd’hui habituelles, comme le traitement en temps réel ou les alternatives aux poursuites, sont nées d’initiatives locales, portées par des procureurs soucieux d’améliorer leur réponse pénale dans un contexte d’augmentation de la délinquance.

C’est cet esprit de pionnier qu’il faudra retrouver, alors que nous entrons dans une période de bouleversement technologique majeur avec l’émergence inévitable de l’intelligence artificielle.

Soyez en tout état de cause convaincus que la justice de demain ne sera pas celle qui vous sera imposée, mais celle que vous bâtirez.

A côté de l’espoir, j’ai évoqué de lourdes incertitudes.

Je pense ici à la progression du discours sur le prétendu gouvernement des juges, qui fragilise notre modèle démocratique fondé sur l’Etat de droit.

Cette critique qui nous est faite est un cliché qui omet sciemment de préciser que les contrôles de constitutionnalité et de conventionnalité que nous mettons en œuvre ne sont pas nés de l’hubris des juges, mais de procédures créées par le constituant.

Elle constitue néanmoins un poison lent, qui sape la confiance que les citoyens peuvent avoir dans la justice et affaiblit une institution indispensable à la préservation de libertés qui ont été si chèrement acquises.

Or, la confiance des citoyens dans leur justice, comme dans toutes leurs institutions d’ailleurs, est une nécessité absolue dans une démocratie.

Il faut donc veiller, en permanence, à la renforcer. Non pas en renonçant à nos responsabilités, mais en les exerçant dans le respect d’une stricte déontologie, et c’est le dernier sujet que je souhaiterais aborder avec vous aujourd’hui.

***

La déontologie, c’est-à-dire l’ensemble des droits et devoirs régissant notre profession, n’est pas une contrainte mais tout à la fois un fil directeur, et une protection.

Un fil directeur destiné à nous guider, à nous orienter, dans chacune des situations que nous devons aborder.

Une protection également, contre les critiques et les mises en cause car, à l’heure de l’open data et des réseaux sociaux, les magistrats sont de plus en plus scrutés, surveillés, analysés, dans tous leurs comportements.

On attendra de vous, et c’est bien normal, d’être irréprochables, non seulement dans votre activité professionnelle, mais également dans votre vie personnelle.

C’est la contrepartie des prérogatives importantes que la loi nous confie.

Dans un monde en perpétuel mouvement, notre corpus déontologique n’est pas figé.

Au contraire, il se renouvelle et s’enrichit sans cesse, sous l’influence notamment de la jurisprudence du Conseil supérieur de la magistrature.

C’est la raison pour laquelle le serment de magistrat vient d’être modifié par la loi du 20 novembre 2023 afin d’intégrer des notions qui en étaient jusque-là absentes : l’indépendance, l’impartialité, l’humanité et l’intégrité.

Si l’indépendance et l’impartialité sont consubstantielles à l’action du magistrat, la notion d’humanité renvoie davantage à des valeurs, à un comportement général qu’il convient d’adopter à l’égard du justiciable.

Cet enrichissement est le reflet d’attentes croissantes vis-à-vis de la magistrature, mais également d’une société dans laquelle de nouvelles situations « à risque déontologique » sont apparues ces dernières années.

La prise de parole publique, sur les réseaux sociaux notamment, qu’elle soit anonyme ou nominative, doit ainsi être maîtrisée afin de s’inscrire dans le respect de l’obligation de réserve à laquelle nous sommes tous tenus.

De la même manière, les règles relatives à la prévention des conflits d’intérêts ont été considérablement renforcées depuis une dizaine d’années, pour tous les décideurs publics et pour les magistrats.

Le respect de la déontologie devra donc constituer pour vous, comme pour chaque magistrat, un impératif de tous les instants.

Compte tenu de la place prise par les questions déontologiques depuis une quinzaine d’années, nous essayons, petit à petit, de développer une véritable « culture de la déontologie » chez chacun d’entre nous.

Beaucoup d’initiatives ont ainsi été prises pour accompagner les magistrats et ne pas les laisser seuls face à des situations complexes, qui relèvent souvent d’une zone grise au sein de laquelle il est difficile de se positionner.

Le Conseil supérieur de la magistrature a ainsi édité en 2010 un recueil des obligations déontologiques des magistrats, mis à jour en 2019 et qui sera prochainement remplacé par une charte de déontologie des magistrats.

Je vous invite à prendre connaissance de ce recueil qui présente et détaille les valeurs que vous devrez respecter : l’indépendance, l’impartialité, l’intégrité et la probité, la loyauté, la conscience professionnelle, la dignité, le respect et l’attention portée à autrui, la réserve et la discrétion.

Parallèlement, un collège de déontologie des magistrats de l’ordre judiciaire a été créé en 2017.

Il s’agit d’un organe original, chargé de conseiller, de manière anonyme et individuelle, des magistrats confrontés à des situations présentant un risque déontologique.

Voilà une démarche pragmatique et efficace d’accompagnement des magistrats, mise en œuvre il y a quelques années et dont il me paraissait important de vous parler aujourd’hui.

***

Mesdames et Messieurs les auditeurs de justice,

Vient pour moi le temps de conclure mon propos.

Au moment où vous entrez dans ces fonctions magnifiques, je souhaiterais vous lire quelques mots écrits par un haut magistrat qui, à l’heure de quitter sa robe et de partir à la retraite, avait souhaité adresser une lettre à tous les magistrats de France.

Il s’agit de Pierre DRAI, ancien Premier président de la Cour de cassation, dont les mots, écrits il y a bientôt 28 ans, gardent à mon avis toute leur pertinence.

Au crépuscule d’une carrière exceptionnelle, il faisait le bilan de ce que ce métier lui avait appris et écrivait ceci :

Lettre à mes collègues :

« Ce 1er juillet 1996 voit s’achever une carrière de juge.

Juge, je l’ai été sans discontinuer, pendant plus de quatre décennies et, en gravissant les degrés successifs de la pyramide des juridictions, j’ai appris à toujours mieux connaître et mieux aimer ce « métier » (peut-on parler d’un métier ?) qui exige de celui qui l’embrasse, passion, modestie, patience et fierté, tout à la fois.

J’ai appris que juger, c’est aimer écouter, essayer de comprendre et vouloir décider.

J’ai appris que juger c’est ne pas juger « comme d’habitude », dans le train-train monotone et mécanique d’une noria de dossiers qui se gèrent et qui, un jour, s’évacuent.

J’ai appris que, dans l’action de juger, il fallait toujours laisser place au doute et que, jamais, la moindre place ne devait être laissée à la « rumeur », au « préjugé », au « soupçon »…

J’ai appris qu’il ne fallait jamais mépriser le droit, la règle de droit pré-existante et objective.

J’ai appris qu’il fallait toujours avoir égard à la personne qui souffre, dans sa liberté, dans sa réputation, dans sa vie familiale et affective.

J’ai appris qu’en se présentant devant un juge indépendant et libre, un homme ou une femme ne devait se sentir humilié, avant que justice soit passée.

J’ai appris qu’un juge ne devait se préoccuper que de la confiance qui doit lui être portée et du respect qui lui est dû.

Cette confiance et ce respect sont notre seul titre de légitimité. 

Je souhaite, pour la justice de notre pays, qu’elle ait toujours les juges « dignes » et « loyaux » qu’elle mérite. »

Je vous remercie pour votre attention

Rémy Heitz

Procureur général à la Cour de cassation

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Par Rémy Heitz, procureur général à la Cour de cassation

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