"La singularité de l’ordre constitutionnel dans le mouvement d’européanisation des droits nationaux"

14/05/2018

Intervention de Monsieur Bruno PIREYRE, président de chambre, directeur du service de documentation, des études et du rapport, du service des relations internationales et du service de communication, prononcée, à Rome, le 14 mai 2018, à la Corte Suprema di Cassazione, à la suite du premier président Giovanni MAMMONE, en allocation introductive à un colloque européen (projet Jean Monnet), organisé conjointement par la haute juridiction et l’université du Piémont oriental, sur le thème « la fraude à la TVA en Europe et les intérêts financiers de l’Union européenne ».

Monsieur le premier président,

Madame la professeure,

Chers collègues,

Mesdames et Messieurs les avocats,

Mesdames et Messieurs les universitaires,

Mesdames et Messieurs,

 

Mes très vifs remerciements, reconnaissants, vont au premier président Giovanni MAMMONE ainsi qu’au docteur Barbara PIATTOLI-GIRARD pour avoir bien voulu me convier à cette belle rencontre dans le cadre prestigieux de la Corte suprema di Cassazione italienne dont la vaste silhouette est bien connu de l’amoureux impénitent de la ville de Rome que je suis depuis de trop longues années, déjà.

Avant de débuter mon propos, exprimé en français – sans le secours d’une traduction simultanée, j’en suis au regret et vous prie de m’en bien vouloir excuser – j’ai à cœur de vous transmettre les chaleureuses pensées de Monsieur Bertrand LOUVEL, premier président de notre Cour de cassation française, dont, avec son aimable et généreux assentiment, j’occupe bien modestement la place, ce matin.

Mais venons-en au délicat mais combien stimulant sujet qu’il m’échoit de développer à votre intention, ce jour.

 

INTRODUCTION

En France, comme en Italie, il existe deux ordres de juridictions : l’ordre judiciaire et l’ordre administratif à la tête desquels sont placées respectivement la Cour de cassation et le Conseil d’État. Distinctement, mais non sans articulation avec les deux hautes juridictions, un Conseil constitutionnel, aux missions propres, exclusives, a vu son rôle prendre une singulière ampleur depuis l’apparition d’un contrôle a posteriori de la constitutionnalité des lois (question prioritaire de constitutionnalité).

Pour autant, l’intégration dans l’Union européenne, d’une part, la ratification tardive par la France de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales[#_ftnref1" title="">[1], d’autre part, ont fortement remodelé les contours de cette organisation interne.

Désormais, les juridictions nationales, considérées ensemble, forment avec les deux Cours européennes un système juridictionnel assez homogène à plusieurs niveaux.

L’harmonisation du droit national avec les exigences, les standards, européens, fruit, principalement, du « dialogue » entre juges nationaux et européens – tel est le terme consacré, qui, bien-entendu, doit s’entendre dans un sens plus institutionnel que conversationnel – comptent sans doute parmi les phénomènes les plus marquants de ces dernières décennies.

Dans ce mouvement d’ensemble, toutefois, la prise en compte de ce que les juristes français dénomment l’identité constitutionnelle nationale introduit une réserve conséquente.

Ce double constat fait l’objet des quelques développements qui suivent.

I/ L’EUROPÉANISATION DU DROIT NATIONAL Contrairement à l’Italie, qui a choisi de ne pas réviser sa Constitution pour intégrer les évolutions induites par le droit communautaire, puis unioniste, la France a estimé devoir procéder à plusieurs révisions de sa norme suprême.

Dans le même temps, l’européanisation du droit national s’est inscrite dans la jurisprudence des Cours suprêmes. On l’illustrera par quelques décisions topiques extraites de la jurisprudence de la Cour de cassation.

I.1. L’européanisation de la Constitution française La France a entrepris cinq révisions, abouties, à l’effet d’adapter le droit constitutionnel français au droit de l’Union Européenne. Dans certains cas, la procédure suivie était consécutive à l’intervention du Conseil constitutionnel dans l’exercice des compétences particulières que lui confie la Constitution en matière de vérification de la constitutionnalité d’engagements internationaux souscrits par la France[#_ftnref2" title="">[2].

C’est ainsi qu’en 1992, la Constitution française a été révisée pour la rendre compatible avec le traité de Maastricht sur l’Union européenne, en 1993 pour permettre la mise en œuvre complète des accords de Schengen, en 1999 pour permettre la ratification du Traité d’Amsterdam. La décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen est au cœur de la révision de 2003.

La ratification du Traité de Lisbonne du 13 décembre 2007 a été rendue possible, quant à elle, par les révisions opérées en 2008[#_ftnref3" title="">[3].

I.2. L’européanisation de la jurisprudence de la Cour de cassation La France dispose, comme l’Italie, d’un dispositif de justice constitutionnelle dit concentrée. Le Conseil constitutionnel s’est, en effet, vu reconnaître un monopole aux fins de déclarer inconstitutionnelle une disposition législative qui lui est soumise ou déférée[#_ftnref4" title="">[4].

En revanche, par une décision du 15 janvier 1975 (n° 74-54 DC, Loi relative à l’interruption volontaire de grossesse, dite Loi IVG), le Conseil constitutionnel s’est refusé à exercer un contrôle de conventionalité de la loi dans le cadre du contrôle de constitutionnalité de celle-ci en raison de la différence de nature des deux contrôles[5]. Il s’en tient, depuis lors, à cette position.

A l’opposé, la Cour de cassation a, par un arrêt de chambre mixte prononcé quelques mois plus tard (24 mai 1975), fait endosser au juge judiciaire la mission de juger de la conventionalité des lois et règlements et reconnu, au visa de l’article 55 de la Constitution, la prééminence des règles du droit de l’Union Européenne sur les normes législatives et infra-législatives nationales[6].

Depuis lors, la Cour de cassation a régulièrement décliné ces principes dans l’application tant du droit de l’Union européenne que du Droit issu de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

I.2.1. La Cour de cassation et la Cour de justice de l’Union européenne

La Cour de cassation fait régulièrement application des principes de primauté, d’effectivité et d’immédiateté du droit de l’Union Européenne réaffirmés par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne.

Deux exemples récents, parmi tant d’autres, peuvent retenir notre attention.

Dans un arrêt de chambre mixte du 7 juillet 2017[7], la Cour de cassation, relevant d’office le moyen tiré de la violation « des principes de primauté et d’effectivité du droit de l’Union Européenne », affirme que « si le juge n’a pas, sauf règles particulières, l’obligation de changer le fondement juridique des demandes, il est tenu, lorsque les faits dont il est saisi le justifient, de faire application des règles d’ordre public issues du droit de l’Union européenne, telle la responsabilité du fait des produits défectueux, même si le demandeur ne les a pas invoquées  ». En l’espèce, la haute juridiction casse l’arrêt d’une cour d’appel qui ne s’était pas fondée sur la directive du 25 juillet 1985, pourtant transposée dans le code civil (français).

Par un arrêt d’Assemblée plénière du 18 novembre 2016[8], la Cour, articulant l’obligation, en droit français, faite à l’État de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice[9] et le principe, fixé par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, de responsabilité des États membres du fait de la violation du droit de l’Union européenne[10], a précisé que « la responsabilité de l’État pour des dommages causés aux particuliers du fait d’une violation du droit de l’Union européenne, par une décision d’une juridiction nationale de l’ordre judiciaire statuant en dernier ressort, n’est susceptible d’être engagée que si, par cette décision, ladite juridiction a méconnu de manière manifeste le droit applicable, ou si cette violation intervient malgré l’existence d’une jurisprudence bien établie de la Cour de justice de l’Union européenne ».

I.2.2. La Cour de cassation et la Cour européenne des droits de l’homme

Par un arrêt d’Assemblée plénière du 15 avril 2011, la Cour de cassation a affirmé le principe de l’autorité immédiate des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme[11], et, partant, de leur effet erga omnes dans les termes suivants  : «  les États adhérents à cette Convention sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation », avant de soumettre les règles prescrites par le code de procédure pénale, alors en vigueur, au principe développé par la jurisprudence de la Cour de Strasbourg depuis 2008 selon lequel « pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales soit effectif et concret, il faut, en règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires  ». 

Depuis lors, la Cour de cassation a régulièrement mis en œuvre la jurisprudence de la Cour européenne.

Elle l’a fait, le plus souvent, après qu’une condamnation a été prononcée contre la France et, en plusieurs cas, avant même que le législateur national ne soit intervenu[12].

L’influence du droit de la Convention européenne s’est également manifesté au niveau de la méthodologie du contrôle de la conventionalité de la norme nationale opéré par la Cour de cassation, dans la motivation de ses arrêts et, dans un cas particulier et dans une mesure bien circonscrite, dans la procédure suivie devant elle.

Enfin, l’entrée en vigueur du protocole additionnel n° 16 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales est de nature à intensifier le dialogue des juges entre la Cour de Strasbourg et les cours suprêmes nationales.

1.2.2.1. La mise en conformité de la jurisprudence de la Cour de cassation avec celle de la Cour européenne des droits de l’homme : l’exemple de la gestation pour autrui

Le traitement des difficiles questions posées par la gestation pour autrui fournit une illustration remarquable de la prise en considération de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme par la Cour de cassation au terme d’un dialogue institutionnel.

La situation en cause se présente, en substance, comme suit. Une gestation pour autrui est réalisée à l’étranger dans un pays où sa légalité est reconnue. Elle est suivie de l’adoption de l’enfant par la mère d’intention prononcée par décision d’une juridiction du pays concerné après qu’ait été constaté par cette même décision son abandon par sa mère biologique. La transcription de l’acte de naissance et de l’adoption de l’enfant ainsi conçu est demandée à l’officier d’état civil français. Le refus opposé par ce dernier donne lieu à recours juridictionnel.

La jurisprudence initiale de la Cour de cassation

Par trois arrêts du 6 avril 2011, la Cour de cassation avait jugé qu’il était « contraire au principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, principe essentiel du droit français, de faire produire effet, au regard de la filiation, à une convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui, qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public aux termes des articles 16-7 et 16-9 du code civil »[13].

Par deux arrêts du 13 septembre 2013[14], elle confirmé cette position en recourant plus largement à la notion de fraude à la loi française : « est justifié le refus de transcription d’un acte de naissance fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays lorsque la naissance est l’aboutissement, en fraude à la loi française, d’un processus d’ensemble comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui, convention qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public selon les termes des deux premiers textes susvisés ».

La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme

Par arrêts du 26 juin 2014[15], la Cour européenne des droits de l’homme, saisie par des requérants, parties à deux des arrêts du 6 avril 2011 évoqués supra, condamne la France au titre de la jurisprudence qui vient d’être présentée.

Ce faisant, elle ne remet en cause ni l’interdiction par le droit français du principe de la gestation pour autrui ni ses effets préjudiciables pour les parents d’intention. En revanche, elle prend en considération les effets préjudiciables aux enfants ainsi conçus de « la non-reconnaissance en droit français de leur lien de filiation à l’égard de leurs parents d’intention ».

Soulignant que « le respect de l’intérêt supérieur des enfants doit guider toute décision les concernant », la Cour européenne conclut à la violation de l’article 8 de la Convention européenne s’agissant du « droit de ces enfants au respect de leur vie privée, lequel implique que chacun puisse établir la substance de son identité, y compris sa filiation  ».

L’évolution ultérieure de la jurisprudence de la Cour de cassation

Par un arrêt d’Assemblée plénière du 3 juillet 2015[16], la Cour de cassation a tiré les conséquences de cette condamnation. Elle a reconnu et reconnaît depuis lors qu’une convention de gestation pour autrui ne fait pas obstacle (en elle-même) à la transcription (en France) de l’acte de naissance (étranger) de l’enfant ainsi conçu pour autant que cet acte n’est ni irrégulier ni falsifié et que les faits qui y sont déclarés correspondent à la réalité.

Si, sur le principe, elle persiste à considérer que le « refus de transcription de la filiation maternelle d’intention, lorsque l’enfant est né à l’étranger à l’issue d’une convention de gestation pour autrui, poursuit un but légitime et ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale, dès lors que son accueil au sein du foyer constitué par son père et son épouse n’est pas remis en cause par les autorités françaises  »[17], elle n’en admet pas moins que « le recours à la gestation pour autrui à l’étranger ne fait pas, en lui-même, obstacle au prononcé de l’adoption, par l’époux du père, de l’enfant né de cette procréation, si les conditions légales de l’adoption sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant » [18].

L’influence du droit de la Convention européenne se mesure également au fait que c’est bien dans le dessein de donner toute leur portée aux prescriptions de l’article  46, § 1, de la Convention aux termes duquel « les hautes parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties » que le droit français s’est, par une loi du 18 novembre 2016[19], doté, en matière d’état des personnes, d’une procédure de réexamen en matière civile.

Désormais (article L. 452-1 du code de l’organisation judiciaire), « le réexamen d’une décision civile définitive rendue en matière d’état des personnes peut être demandé au bénéfice de toute personne ayant été partie à l’instance et disposant d’un intérêt à le solliciter, lorsqu’il résulte d’un arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme que cette décision a été prononcée en violation de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou de ses protocoles additionnels, dès lors que, par sa nature et sa gravité, la violation constatée entraîne, pour cette personne, des conséquences dommageables auxquelles la satisfaction équitable accordée en application de l’article 41 de la même convention ne pourrait mettre un terme. Le réexamen peut être demandé dans un délai d’un an à compter de la décision de la Cour européenne des droits de l’homme. Le réexamen d’un pourvoi en cassation peut être demandé dans les mêmes conditions ».

Il est d’ailleurs significatif que la gestation pour autrui ait d’ores et déjà constitué le premier terrain d’application de cette nouvelle procédure.

1.2.2.2. L’introduction du contrôle de proportionnalité, l’évolution de la motivation des arrêts et avis de la Cour de cassation, les modifications de ses procédures

L’influence de la Cour européenne des droits de l’homme se manifeste aussi par le développement du contrôle dit de proportionnalité pratiqué par les juridictions françaises dans leur rôle de juge de droit commun de la conventionalité d’une norme de droit interne. Ce contrôle constitue la dernière des cinq étapes du contrôle de conventionalité mis en œuvre et plus ou moins explicitement formalisé par la Cour européenne des droits de l’homme[20].

Il consiste à « vérifier que l’application d’une règle de droit interne ne conduit pas à porter une atteinte disproportionné à un droit fondamental garanti par la Convention EDH au regard du but légitime poursuivi par cette règle  »[21].

Il a vocation à s’appliquer aux droits relatifs[22] garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Selon le cas, il s’opère in abstracto (contrôle de conventionalité de la norme interne en soi) ou in concreto (contrôle de la conventionalité de l’application de la norme à la situation particulière en litige) ou encore celui, dit mixte, qui fait se succéder les deux types de contrôle.

Toutes les chambres de la Cour de cassation, à des niveaux et à une fréquence variable, mettent en œuvre les deux types de contrôle[23]. Les différences peuvent s’expliquer par des choix de politique jurisprudentielle. Il en va de même, dans une mesure sans doute moindre, des juges du fond, en particulier des cours d’appel. Les décisions des unes et des autres donnent lieu à un recensement, à une analyse et à un suivi réalisés par le service de documentation, des études et du rapport de la Cour.

En mars 2017, j’ai été chargé par le premier président de la Cour de cassation de piloter et d’animer une commission dédiée notamment au contrôle de proportionnalité. Ses travaux, qui s’achèveront à l’automne 2018, consistent à formaliser les étapes du contrôle de conventionalité, à dresser les lignes directrices de ce que peut et doit être l’office du juge de cassation appelé à examiner l’exercice d’un contrôle de conventionalité par le juge du fond, enfin, à réaliser un vade-mecum (avec des trames-type) du contrôle de proportionnalité adapté aux besoins des principales catégories de destinataires concernés (magistrats de la Cour de cassation, juges du fond, avocats).

Par ailleurs, le contrôle qu’exerce la Cour de Strasbourg sur les conditions dans lesquelles les juridictions nationales ont-elles même opéré un contrôle de conventionalité dans les situations qui le rendaient nécessaire (ingérences mettant en cause des droits relatifs protégés par la Convention) est le plus souvent[24] un contrôle de méthode bien davantage que de résultat.

Il s’impose ainsi aux juridictions suprêmes nationales de motiver leurs arrêts d’une façon suffisamment explicite pour notamment rendre clairement compte de la conformité du contrôle de proportionnalité qu’elles ont été amenées à opérer. Pour la Cour de cassation, qui a une forte tradition de brièveté de la motivation de ses décisions, une évolution raisonnable s’imposait.

Bien amorcée ces dernières années, ce recours par la Cour de cassation à une motivation enrichie – qui dépasse, bien-entendu, l’horizon du seul contrôle de proportionnalité – doit encore être approfondi, étendu aux catégories de situations qui le justifient (revirements de jurisprudence, divergences de jurisprudence, arrêts de principe…), harmonisé d’une chambre à l’autre. Tel est le second objet de la commission présentée supra.

Cette influence s’est même étendue aux procédures suivies devant la Cour de cassation.

On évoquera ici pour mémoire qu’à la suite des arrêts de la Cour de Strasbourg, Grand Chambre, 31 mars 1998, Reinhardt et Slimane Kaïd c/ France[25], 25 janvier 2000, Slimane Kaïd c/ France[26], enfin 27 novembre 2003, Slimane Kaïd c/ France[27], condamnant la France pour violation du principe du contradictoire (« introduction d’un déséquilibre qui ne s’accorde pas avec les exigences du procès équitable ») en raison, en substance, du rôle de l’avocat général devant la chambre criminelle de la Cour de cassation (communication à ce dernier du rapport du conseiller-rapporteur contenant notamment un projet d’arrêt ; conclusions de l’avocat général non transmises aux parties avant l’audience ; assistance de l’avocat général au délibéré), il a été aussitôt mis fin à ces pratiques que n’encadrait d’ailleurs aucun texte. Depuis lors, la partie du rapport du conseiller-rapporteur contenant le projet d’arrêt n’est plus communiquée qu’aux seuls juges, l’avocat général n’est plus admis à assister au délibéré et il ne participe plus à la conférence (institution prétorienne réunissant le président de la chambre et le doyen, appelée à débattre après le dépôt du rapport mais l’avant l’audience des difficultés présentées par l’affaire et de l’orientation à donner à celle-ci).

1.2.2.3. Les larges perspectives ouvertes par l’entrée en vigueur du protocole additionnel n° 16 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales

Le dialogue des juges entre les cours suprêmes et le juge européen de Strasbourg va se trouver très substantiellement vivifié par l’entrée en vigueur du protocole additionnel n° 16 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales au 1er août 2018 (la France – dixième pays à le faire – l’a ratifié le 12 avril 2018).

Celui-ci prévoit en substance, comme on le sait (article 1er), que les plus hautes juridictions d’une Haute Partie contractante peuvent, dans le cadre d’affaires pendantes devant elles, adresser à la Cour des demandes d’avis consultatifs sur des questions de principe relatives à l’interprétation ou à l’application des droits et libertés définis par la Convention ou ses protocoles. A cet effet, elles motivent leurs demandes d’avis et produisent les éléments pertinents du contexte juridique et factuel de l’affaire concernée.

On citera à cet égard le propos de Monsieur Guido Raimondi, président de la Cour européenne des droits de l’homme  : « L’entrée en vigueur du Protocole n° 16 va renforcer le dialogue entre la Convention européenne des droits de l’homme et les juridictions supérieures nationales. C’est une étape fondamentale dans l’histoire de la Convention européenne des droits de l’homme et un développement majeur de la protection des droits de l’homme en Europe. C’est aussi un nouveau défi pour notre Cour  ».

 

II/ L’AFFIRMATION DE LA SINGULARITÉ DE L’ORDRE CONSTITUTIONNEL DANS LA MISE EN ŒUVRE DU DROIT EUROPÉEN Le processus d’européanisation du droit national, notamment de l’ordre constitutionnel français, qui vient d’être évoqué, rencontre des limites, fortes et bien réelles, dans l’affirmation de la singularité de ce dernier. C’est ainsi que les deux Cours européennes reconnaissent en quelque sorte comme un impératif la nécessité de respecter les identités constitutionnelles nationales. C’est ce qu’exprime la référence aux « traditions constitutionnelles communes »[28] à laquelle recourent tant la Cour de justice de l’Union européenne[29] que la Cour européenne des droits de l’homme[30].

II.1. L’identité constitutionnelle de la France En France, la notion d’identité constitutionnelle a d’abord été formulée par le Conseil constitutionnel, sans que celui en donne une véritable définition. Si son contenu demeure imprécis, il est néanmoins possible de supposer que la forme républicaine du Gouvernement, qui n’est pas susceptible de révision, même au nom du processus européen, pourrait en constituer le socle minimal.

II.1.1. Une identité constitutionnelle identifiée par le Conseil constitutionnel

Le 27 juillet 2006[31], le Conseil constitutionnel a rendu une décision relative à la constitutionnalité d’une loi de transposition des directives. C’est à cette occasion que le Conseil constitutionnel a employé les termes d’identité constitutionnelle. Sa démarche n’est pas sans rappeler, semble-t-il, la position de la Cour constitutionnelle italienne[32] qui, dès un arrêt du 27 décembre 1973 Frontini et Pozzani[33], a formulé une théorie dite des contres-limites en se référant aux « principes suprêmes de l’ordre constitutionnel » et aux «  limites nécessaires à garantir l’identité » de l’ordre juridique national, ces dernières «  découlant de la Constitution »[34].

 

Le raisonnement développé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 27 juillet 2006 comporte quatre étapes et peut être résumé comme suit[35] :

  •  La transposition des directives est une obligation constitutionnelle en vertu de l’article 88-1 de la Constitution qui dispose que «  la République participe à l’Union européenne constituée d’États qui ont choisi librement d’exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l’Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, tels qu’ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 ».
  •  Le Conseil se reconnaît en conséquence la possibilité de contrôler l’erreur manifeste de transposition qu’aurait commise le législateur dans la transposition des directives.
  •  Dans les cas où la directive apparaît avoir été correctement transposée par le législateur, le Conseil constitutionnel accepte d’en examiner la compatibilité avec le droit constitutionnel national.

 

Cet examen se limite à s’assurer que n’est pas franchie la limite tirée de ce que « la transposition d’une directive ne saurait aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti ». Le juge constitutionnel se réserve ainsi expressément la possibilité de censurer une loi de transposition qui aurait opéré correctement son office mais qui, ce faisant, porterait atteinte à un principe constitutionnel si essentiel qu’il participerait de l’identité constitutionnelle nationale.

 

  • Dans le cas où une directive transgresserait le droit de l’Union européenne, il reviendrait « en tout état de cause, […] aux autorités juridictionnelles nationales, le cas échéant, de saisir la Cour de justice des Communautés européennes à titre préjudiciel  », le Conseil constitutionnel ne pouvant y procéder par lui-même car devant statuer avant la promulgation de la loi dans le délai contraint d’un mois (article 61 de la Constitution).

 

Par la suite, le Conseil constitutionnel a encore affiné sa jurisprudence relative à l’étendue et aux modalités de son contrôle d’une loi de transposition.

Par sa décision du 12 mai 2010[36], il avait déjà précisé que l’exigence constitutionnelle de transposition des directives ne figurait pas au nombre des « droits et libertés que la Constitution garantit » et ne pouvait donc être invoquée dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (contrôle incident et a posteriori de constitutionnalité opéré à l’occasion d’un litige pendant devant une juridiction de l’ordre judiciaire ou administratif).

Par sa décision du 17 décembre 2010, il a posé pour règle « qu’en l’absence de mise en cause d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, le Conseil constitutionnel n’est pas compétent pour contrôler la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de dispositions législatives qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises d’une directive de l’Union européenne ;

Qu’en ce cas, il n’appartient qu’au juge de l’Union européenne, saisi le cas échéant à titre préjudiciel, de contrôler le respect par cette directive des droits fondamentaux garantis par l’article 6 du Traité sur l’Union européenne »[37].

Enfin, par sa décision du 4 avril 2013, le Conseil constitutionnel a, pour la première fois, renvoyé à la Cour de justice de l’Union européenne une question préjudicielle[38]. Le délai qui lui est imparti pour statuer sur une question prioritaire de constitutionnalité (trois mois) rend désormais possible, au plan pratique, dans ce cadre particulier, un renvoi préjudiciel qui ne l’est pas lorsque le Conseil constitutionnel est appelé à statuer avant la promulgation de la loi (un mois).

Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à une disposition transposant en droit national la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen, le Conseil a considéré que pour « déterminer si la disposition de ce texte […] découle nécessairement de l’obligation faite à l’autorité judiciaire de l’État membre par [...] la décision-cadre [...] », il « devait être préalablement statué sur l’interprétation de l’acte en cause ». « Conformément à l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la Cour de justice de l’Union européenne est seule compétente pour se prononcer à titre préjudiciel sur une telle question ; que, par suite, il y a lieu de la lui renvoyer et de surseoir à statuer sur la question prioritaire de constitutionnalité ».

II.1.2. Une identité constitutionnelle qui n’a reçu aucune définition dont le socle a minima paraît constitué par la forme républicaine du Gouvernement

Le Conseil constitutionnel n’a donné de définition précise de la notion d’« identité constitutionnelle  » qu’il a lui-même forgée ni aux termes de cette décision fondatrice ni dans les trois décisions ultérieures (30 novembre 2006[39] ; 19 juin 2008[40] ; 12 mai 2010[41]) dans lesquelles il s’y est référé.

L’énoncé est suffisamment général pour « ne commander aucune image précise de cette identité constitutionnelle et laisser chacun imaginer les « règles et principes » qui peuvent être « inhérents » à cette identité  »[42].

Toutefois, il est possible de considérer que la forme républicaine du gouvernement compose a minima le noyau dur de l’identité constitutionnelle française. L’article 89 alinéa 5 de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose que « La forme républicaine du gouvernement ne peut faire l’objet d’une révision »

Sauf à nier la portée constitutionnelle de l’interdiction ainsi expressément formulée, les dispositions concernées n’apparaissent pas susceptibles de révision[43].

Le processus européen ne semble pas susceptible de justifier un contournement de cette interdiction. C’est du moins ce que suggère la formulation de la décision Traité sur l’Union Européenne, rendue par le Conseil constitutionnel le 2 septembre 1992 qui énonce que «  sous réserve […] du respect des prescriptions du cinquième alinéa de l’article 89 [...], le pouvoir constituant est souverain ; qu’il lui est loisible d’abroger, de modifier ou de compléter des dispositions de valeur constitutionnelle dans la forme qu’il estime appropriée ; qu’ainsi rien ne s’oppose à ce qu’il introduise dans le texte de la Constitution des dispositions nouvelles qui, dans le cas qu’elles visent, dérogent à une règle ou à un principe de valeur constitutionnelle ; que cette dérogation peut être aussi bien expresse qu’implicite »[44].

La forme républicaine du gouvernement se présente bien comme une véritable « limite constitutionnelle » en tant qu’elle est une norme qu’« aucun processus normatif valide ne permet de […] réviser ou surtout de […] supprimer »[45].

Il n’en demeure pas moins que le contenu de la « forme républicaine de gouvernement  » recèle lui-même une forte dose d’incertitudes. S’agira-t-il « de tous les droits fondamentaux ou seulement ceux contenus dans la déclaration de 1789 ? Des droits fondamentaux ou seulement le principe de séparation des pouvoirs ? De ce dernier principe seul ou augmenté de celui de la souveraineté du peuple ?  » [46].

Il est possible de suggérer une définition a minima par référence aux énonciations de la Constitution française du 4 octobre 1958 qui en son article 1er proclame que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée » et en son article 2, alinéa 1er, précise que « la langue de la République est le français »[47].

II.2.3. La conciliation entre normes constitutionnelles nationales et droit européen opérée par le juge français

Il apparaît essentiel de relever qu’en l’état, les juridictions nationales, chargées d’appliquer les normes européennes sont parvenues à éviter la confrontation de plein fouet, pourrait-on dire, entre normes constitutionnelles nationales et droit européen. Elles y parviennent en transposant, en translatant, dans leur champ de compétence les règles de conciliation, d’articulation, définies par le Conseil constitutionnel dans les conditions et dans les termes qui viennent d’être présentées.

Le Conseil d’État, tout d’abord

Suivant la jurisprudence traditionnelle du Conseil d’Etat (Assemblée du contentieux, 30 octobre 1998, Sarran et Levacher [48] ; pour le droit de l’Union : 3 décembre 2001, Syndicat national de l’industrie pharmaceutique, n°226514), les traités internationaux, et notamment les traités communautaires, ont une autorité supérieure à celle des lois (article 55 de la Constitution déjà cité), mais inférieure à celle de la Constitution, dans l’ordre juridique interne. En d’autres termes, la suprématie conférée aux engagements internationaux ne s’applique pas, dans l’ordre interne, aux dispositions de nature constitutionnelle.

Pour autant, cette suprématie doit être conciliée avec les exigences liées à la participation de la France à l’Union européenne et aux communautés européennes, inscrites dans la Constitution à l’article 88-1 et, notamment, à la jurisprudence du Conseil constitutionnel fixant les règles d’application du principe de l’obligation constitutionnelle de transposition des directives (décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006[49]) présentée supra (cf. § II.1.1.).

Ces deux principes (suprématie de la Constitution sur les traités et conventions internationales et exigence de transposition des directives) sont susceptibles d’entrer en conflit lorsque la transposition d’une directive – obligatoire en vertu d’une exigence de nature constitutionnelle – conduit à l’adoption d’une mesure législative ou réglementaire contraire à une autre règle ou à un autre principe de valeur constitutionnelle.

Par son arrêt d’Assemblée du contentieux du 8 février 2007, Arcelor[50], le Conseil d’État, saisi d’un moyen tiré de la méconnaissance par un décret transposant les dispositions précises et inconditionnelles d’une directive (2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003) établissant, dans le cadre du protocole de Kyoto et pour favoriser la réduction des émissions de gaz à effet de serre, des quotas d’émission pour un certain nombre d’activité qu’elle énumère, de différents principes et dispositions à valeur constitutionnelle, notamment le principe d’égalité, reconnaît le caractère opérant de ce moyen et définit les modalités de la conciliation de ces deux exigences.

Il le fait, précisément, en s’inspirant de la jurisprudence du Conseil constitutionnel issue de la décision du 27 juillet 2006 en matière de contrôle des lois de transposition des directives (on a pu parler de « translation » de principes d’un ordre juridique à l’autre).

 

Le juge (administratif) doit procéder en deux temps  :

  •  Il doit d’abord rechercher si les principes constitutionnels dont la méconnaissance est invoquée ont un équivalent dans l’ordre juridique communautaire, c’est-à-dire si le droit ou la liberté en cause sont effectivement et efficacement protégés par les règles (traités) et principes généraux du droit communautaire, tels qu’interprétés par la jurisprudence du juge communautaire.
  •  Dans l’affirmative, il doit, afin de s’assurer de la constitutionnalité du décret mis en cause, rechercher si la directive que ce décret transpose est conforme à cette règle ou à ce principe général du droit communautaire. Il lui revient, en l’absence de difficulté sérieuse, d’écarter le moyen invoqué ou, dans le cas contraire, de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle. On voit bien que le contrôle de constitutionnalité de l’acte réglementaire se convertit en un contrôle de conventionalité.
  •  En revanche, s’il n’existe pas de règle ou de principe général du droit communautaire garantissant l’effectivité du respect de la disposition ou du principe constitutionnel invoqué, il lui revient d’examiner directement la constitutionnalité des dispositions réglementaires contestées. Ainsi, ce n’est qu’en l’absence d’équivalence entre la norme constitutionnelle invoquée et le droit de l’Union Européenne, que la directive transposée sera examinée sous le prisme du droit constitutionnel national. C’est donc bien dans cette hypothèse et à ce stade que la notion d’identité constitutionnelle, telle qu’identifiée par le Conseil constitutionnel dans son arrêt du 27 juillet 2006, reprend place.

 

La Cour de cassation, ensuite

La Cour de cassation ne s’est pas, quant à elle, livrée explicitement à une semblable translation de principes.

Pour autant, dans un arrêt de sa chambre sociale du 14 décembre 2016[51], elle n’en recourt pas moins à la notion d’identité constitutionnelle. Saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur des dispositions de droit du travail relatives à la mise en place des conventions à forfait (contrepartie sous forme de repos d’heures supplémentaires), la haute juridiction relève, en effet, que « la portée donnée par la jurisprudence constante de la Cour de cassation aux dispositions législatives critiquées ne porte pas atteinte à une situation légalement acquise et ne méconnaît aucun des principes constitutionnels applicables invoqués ; que ces dispositions législatives, ainsi interprétées, ne mettant en cause aucune règle ni aucun principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, il n’y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel  ».

Elle en avait usé de même dans des arrêts des 15 juin 2011[52] et du 7 juillet 2015[53]. Parfois, appelée à examiner la conformité de dispositions législatives tirant les conséquences nécessaires de dispositions précises et inconditionnelles d’une norme de droit de l’Union européenne, elle s’en tient à la formule plus traditionnelle et plus neutre, et vérifie que ces dispositions « ne méconnaissent aucun des principes constitutionnels invoqués » (Soc. 11 octobre 2012[54]).

 

EN GUISE DE CONCLUSION

En conclusion, il est possible de considérer que la France, comme l’Italie, s’oriente vers un dépassement de l’approche moniste ou dualiste de l’intégration européenne. Comme le souligne Madame le Professeur Cartabia, membre de la Cour constitutionnelle italienne, « l’harmonisation ne néglige pas la diversité, la standardisation ne méprise pas les disparités et, en général, elle n’ignore pas les particularismes »[55].

 


 

[1] Alors que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales a été signée, à Rome, le 14 novembre 1950, la France ne l’a ratifiée que le 3 mai 1974 et à l’exclusion, encore, du droit de recours individuel, lequel n’a fait l’objet d’une déclaration de reconnaissance que le 2 octobre 1981.

[2] Article 54 : « Si le Conseil constitutionnel, saisi par le Président de la République, par le Premier ministre, par le président de l’une ou l’autre assemblée ou par soixante députés ou soixante sénateurs, a déclaré qu’un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l’autorisation de ratifier ou d’approuver l’engagement international en cause ne peut intervenir qu’après révision de la Constitution ».

[3] Lois constitutionnelles respectivement des 25 juin 1992, 25 novembre 1993, 25 janvier 1999, 25 mars 2003 et 4 février 2008.

[4] Si le Conseil constitutionnel, saisi, d’office (en raison de la nature de la loi) ou à l’initiative du Président de la République, du Premier ministre, du président de l’Assemblée nationale, du président du Sénat, de 60 députés ou 60 sénateurs, de l’examen de la conformité d’une loi à la Constitution, la déclare inconstitutionnelle, cette loi ne peut être promulguée ni mise en application.

Si le Conseil constitutionnel, saisi, sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation, d’une disposition législative en vigueur dont il est soutenu, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, qu’elle porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, déclare cette loi inconstitutionnelle, celle-ci est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision.

(Articles 61, 61-1 et 62 de la Constitution).

[5] « Considérant qu’aux termes de l’article 55 de la Constitution, « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés [telle est le cas tant de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales que des traités ayant institué successivement la Communauté économique européenne, puis l’Union européenne] ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie » ; que si ces dispositions confèrent aux traités, dans les conditions qu’elles définissent, une autorité supérieure à celle des lois, elles ne prescrivent ni n’impliquent que le respect de ce principe doive être assuré dans le cadre du contrôle de conformité des lois à la Constitution prévu à l’article 61 de celle-ci ; que les décisions prises [dans le cadre d’un contrôle de constitutionnalité] revêtent un caractère absolu et définitif… ; qu’au contraire, la supériorité des traités sur les lois… présente un caractère à la fois relatif et contingent [en ce qu’elle est] limitée au champ d’application du traité et… subordonnée à une condition de réciprocité] ; que la loi contraire à un traité ne serait pas pour autant contraire à la Constitution ; qu’ainsi le contrôle du respect du principe [de supériorité des traités aux lois] ne saurait s’exercer dans le cadre de l’examen [de la constitutionnalité de la loi], en raison de la différence de nature de ces deux contrôles ».

[6] Chambre mixte, 24 mai 1975,  : « Attendu que le traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté économique européenne, qui, en vertu de l’article 55 de la constitution, a une autorité supérieure à celle des lois, institue un ordre juridique propre intégré à celui des Etats membres ; qu’en raison de cette spécificité, l’ordre juridique qu’il a créé est directement applicable aux ressortissants de ces Etats et s’impose à leurs juridictions ; que, des lors, c’est à bon droit, et sans excéder ses pouvoirs, que la cour d’appel a décidé que l’article 95 du traite devait être appliqué en l’espèce, à l’exclusion de l’article 265 du code des douanes [français], bien que ce dernier texte fut postérieur ».

[7] Cour de cassation, chambre mixte, 7 juillet 2017,  :

[8] Cour de cassation, Assemblée plénière, arrêt n° 630 du 18 novembre 2016 ().

[9] Article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire.

[10] Arrêts CJCE, 30 septembre 2003, G. Köbler, C-224/01 et CJUE, 28 juillet 2016, Tomášová, C-168/15.

[11]  Ass. plén., 15 avril 2011, .

[12] Par exemple, la Cour de cassation est intervenue avant la réforme législative (), suite à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 14 décembre 1999, Khalfaoui c. France, requête n° 34791/97, qui a condamné la France pour entrave excessive au droit d’accès à un tribunal et donc au droit à un procès équitable en raison des dispositions de l’article 583 du code de procédure pénale, alors en vigueur, qui prévoyaient la déchéance du pourvoi en cassation d’une personne condamnée à une peine emportant privation de liberté pour une durée de plus d’un an qui, sauf à bénéficier d’une dispense, ne se constitue pas prisonnière préalablement à l’examen de son pourvoi.

[13] 1ère  Civ., 6 avril 2011, pourvois n° , n° , n° .

[14] 1ère Civ., 13 septembre 2013, n° et https://www.legifrance.gouv.fr/affi... (arrêts n° 01091 et 01092).

[15] CEDH, 26 juin 2014, Mennesson, n° 65192/11 et n° 65941/11.

[16] Ass. plén., 3 juillet 2015, pourvois n°  et n° .

[17] 1ère Civ., 5 juill. 2017, et n°  ; 1ère Civ., 29 nov. 2017,

[18] 1ère Civ., 5 juill. 2017, .

[19] Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.

[20] A savoir : l’applicabilité du droit invoqué à l’espèce (1), l’ingérence constituée par la mesure contestée (2), la base claire et accessible en droit interne sur laquelle se fonde cette ingérence (3), la légitimité du but poursuivi (4) et le contrôle de proportionnalité stricto sensu de cette ingérence au regard du but poursuivi, autrement dénommé appréciation de la « nécessité de l’ingérence en cause dans une société démocratique »,. in SDER, « Compte-rendu de la réunion du 27 novembre 2015 avec A. Potocki, juge à la Cour EDH », novembre 2015, site internet de la Cour

[21]Pascal Chauvin, président de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation, intervention sur le contrôle de proportionnalité, l’Exemple français, Séminaire juridique franco-israélien des 7, 8 et 9 novembre 2016.

[22] André Potocki, juge français à la Cour européenne des droits de l’homme définit les droits relatifs comme « ceux dont la structure est constituée par l’affirmation du droit puis par une réserve explicite (articles 8, 9, 10, et 11 de la Convention) ou implicite (par exemple, l’article 6 de la Convention pose en limite l’atteinte à la substance même du droit qu’il érige) », in SDER, « Compte-rendu de la réunion du 27 novembre 2015 avec A. Potocki, juge à la Cour EDH », novembre 2015,

[23] La première chambre civile, la chambre commerciale et la chambre criminelle en particulier.

[24] Sauf principalement en matière de restrictions à la liberté d’expression protégée par l’article 10.

[25] CEDH, grande chambre, 31 mars 1998, Reinhardt et Slimane Kaïd c/ France,.

[26] CEDH, 25 janvier 2000, Slimane Kaïd c/ France, .

[27] CEDH, arrêt du 27 novembre 2003, Slimane-Kaïd c. France (n°2), .

[28] Article 6 § 3 du Traité sur l’Union européenne : « Les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux ».

[29] (première occurrence, à propos de la protection des droits fondamentaux) ;  ;  ; CJUE, arrêt du 17 avril 2018, Egenberger, aff. C-414/16 ().

[#_ftn30" title="">[30] Cf. par exemple, en ce qui concerne les arrêts de Grande Chambre de la Cour EDH : 8 juillet 2004, VO c/ France, requête n°53924/00  ; 30 juin 2005, Bosphorus Hava Yollari Turizm ce Ticaret Anonim Sirekti c/ Irlande, requête n° 45036/98 ; 19 avril 2017, Vilho Eskelinen et autres c/ Finlande, requête n° 63235/00 ; 17 septembre 2009, Scoppola c/ Italie (n°2),  ; 22 décembre 2009, Sejdic et Finci c/ Bosnie-Herzégovine, requêtes n°27996/06 34836/06 ; 21 janvier 2011, M.S.S. c/ Belgique et Grèce, requête n°30696/09 ;18 juilet 2013, Maktouf et Damjanovic c/ Bosnie-Herzégovine,  ; 23 mai 2016, Avotins c/ Lettonie,  ; 15 octobre 2015, Perincek c/ Suisse,  ; 21 juin 2016, Al-Dulimi et Montana Management Inc c/ Suisse,   ; 15 novembre 2016, A et B c/ Norvège, requêtes n°24130/11 29758/11 ; 27 juin 2017, Satakunnan Markkinapörssi Oy et Satamedia Oy c/ Finlande, requête 931/13.

[31] Cons. const., déc. n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006.

[#_ftn32" title="">[32] Voir Jean-Philippe Derosier, Les limites constitutionnelles à l’intégration européenne, LGDJ, 2015, p. 349.

[33] Sent. n° 183/73 du 27 décembre 1973.

[34] Sent. n° 73/2001 du 22 mars 2001.

[35] Le considérant de principe est ainsi formulé : « la transposition en droit interne d’une directive communautaire résulte d’une exigence constitutionnelle ; […] il appartient par suite au Conseil constitutionnel, saisi dans les conditions prévues par l’article 61 de la Constitution d’une loi ayant pour objet de transposer en droit interne une directive communautaire, de veiller au respect de cette exigence ; que, toutefois, le contrôle qu’il exerce à cet effet est soumis à une double limite ; en premier lieu, [...] la transposition d’une directive ne saurait aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti  ; [...] en second lieu, [...] devant statuer avant la promulgation de la loi dans le délai prévu par l’article 61 de la Constitution, le Conseil constitutionnel ne peut saisir la Cour de justice des Communautés européennes de la question préjudicielle prévue par l’article 234 du traité instituant la Communauté européenne ; […] il ne saurait en conséquence déclarer non conforme à l’article 88-1 de la Constitution qu’une disposition législative manifestement incompatible avec la directive qu’elle a pour objet de transposer ; qu’en tout état de cause, il revient aux autorités juridictionnelles nationales, le cas échéant, de saisir la Cour de justice des Communautés européennes à titre préjudiciel ».

[36] Cons. const., déc.

[37] Cons. const., déc. n° 2010-79 QPC du 17 décembre 2010.

[#_ftn38" title="">[38]

[39] Cons. const., déc. .

[40] Cons. const., déc. .

[41] Cons. const., déc.

[#_ftn42" title="">[42] Dominique Rousseau, « L’identité constitutionnelle, bouclier de l’identité nationale ou branche de l’étoile européenne ? », in L’identité constitutionnelle saisie par les juges en Europe, Pedone, Paris, 2011, p. 93.

[43] C’est notamment la position du Professeur Jouanjan qui affirme que « soit l’interdiction de porter atteinte à la forme républicaine du gouvernement est dépourvue de toute valeur juridique, et l’on ne comprend pas à quoi sert la procédure de la double révision car nul n’a à contourner un obstacle inexistant ; soit cette disposition possède une portée juridique, et les révisions successives ne s’analysent pas autrement qu’en un détournement de procédure » (Jouanjan, O., « la forme républicaine du gouvernement, norme supraconstitutionnelle ? » in Mathieu B., Verpeaux M., La République en droit français, Economica, Paris, 1996, p.275.

[44] Cons. const., déc. .

[#_ftn45" title="">[45] Jean-Philippe Derosier, Les limites constitutionnelles à l’intégration européenne. Étude comparée : Allemagne, France, Italie, LGDJ, 2015, p. 22.

[46] Dominique Rousseau., ibid., p 96.

[47] Le Conseil constitutionnel estime qu’il « résulte de ces dispositions combinées que la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, en ce qu’elle confère des droits spécifiques à des "groupes" de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l’intérieur de "territoires" dans lesquels ces langues sont pratiquées, porte atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français  ». (http://www.conseil-constitutionnel....).

[48] CE, Ass., 30 oct. 1998, Sarran, Levacher et autres, .

[49] Cons. const., déc. n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006.

[50] CE Ass., 8 février 2007, Société Arcelor Atlantique et Lorraine, n°.

[51] Soc., 14 décembre 2016, QPC n° .

[52]Soc., 15 juin 2011, n°  : «  la question posée ne présente pas un caractère sérieux en ce que les dispositions de l’article[…] L. 1224-1 du code du travail, se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises de la Directive 2001/23/CE du 12 mars 2001[…] et ne mettent en cause aucune règle ni aucun principe inhérent à l’identité constitutionnelle de France  »

[53] Soc., 7 juillet 2015, n°  : « les dispositions de l’article L. 212-15-3, devenu L. 3121-38, du code du travail, telles qu’interprétées par la Cour de cassation à la lumière de l’article 17, §§ 1 et 4, de la directive 93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993, des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui ne permettent de déroger aux règles relatives à la durée du travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur, mettent en œuvre l’exigence constitutionnelle de santé et de sécurité au travail qui découle du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ; qu’elles ne portent pas atteinte à une situation légalement acquise et ne méconnaissent aucun des principes constitutionnels applicables invoqués ; que cette disposition législative, ainsi interprétée, ne mettant en cause aucune règle ni aucun principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, il n’y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel ».

[54]Soc. 11 octobre 2012, n°  : « les dispositions de l’article L. 1153-1 du code du travail, telles qu’interprétées à la lumière de l’article 2 § 1 d) de la Directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière d’emploi et de travail, et appliquées par les juridictions judiciaires en matière civile, répondent aux objectifs de clarté et d’intelligibilité de la loi et ne méconnaissent aucun des principes constitutionnels invoqués  ».

[55]Cartabia, « Constitutional pluralism approach in Europe as a Space of Constitutional Interdependence : new Questions about the Preliminary Ruling », German Law Journal, vol.16, n°6, 2015, p. 1791-1796. (traduit et cité par .)

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Par Bruno Pireyre

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