"L’impérativité en droit international des affaires : Questions d’actualité"

01/02/2018

Allocution de M. Jean-Claude Marin, procureur général près la Cour de cassation, en ouverture du colloque "L’impérativité en droit international des affaires : Questions d’actualité", qui s’est tenu le jeudi 1er février 2018.

 

Qu’il me soit permis, à l’orée de ces quelques propos introductifs, de remercier l’ensemble des intervenants à ce colloque, consacré à un thème éminemment actuel et qui suscite d’intenses réflexions, celui de l’impérativité en droit international des affaires. J’adresse tout particulièrement mes plus vifs remerciements à la présidente de l’université Paris-Dauphine, Madame Isabelle HUAULT, qui nous fait l’honneur de sa présence aujourd’hui. Ce colloque est le premier associant Dauphine et la Cour de cassation dans le cadre de notre nouvelle convention de partenariat. Il témoigne en effet des actions conjointes que nous entendons développer ensemble, actions consacrées par le texte solennel que votre prédécesseur, Madame, le président Laurent BATSCH, le premier président de la Cour de cassation et moi-même avons signé le 17 juin 2016. Symbole des liens permanents que nous entendons tisser entre notre Cour et l’institut Droit Dauphine, ce colloque est aussi, Madame la présidente, la promesse de nouvelles initiatives et de nouveaux échanges, que, dans le champ du droit des affaires, doivent nouer la Justice et l’Université, reflétant le pont si nécessaire entre doctrine et jurisprudence.

 

Loin d’être nouvelle, l’internationalisation de la vie des affaires n’a fait que se renforcer projetant les Etats, les Institutions et les acteurs économiques dans une mondialisation où le droit peine à trouver sa place. Parallèlement à ce mouvement, l’impérativité internationale s’intensifie, à travers l’édiction de lois de police, instruments issus du droit international privé, droit de coordination entre ordres juridiques différents. Ce concept de loi de police, qui prête à de nombreuses interrogations, ne se laisse pas facilement appréhender. C’est d’ailleurs tout l’enjeu de ce colloque. Plusieurs définitions ont cependant été avancées. En raison de son adoption par une source du droit positif, retenons celle du premier alinéa de l’article 9, du Règlement du 17 juin 2008, dit « Rome I » sur la loi applicable aux obligations contractuelle. Reprenant la définition de l’internationaliste grec Phocion Francescakis [1], consacrée, en 1999, par la Cour de justice des communautés européennes dans son fameux arrêt Arblade [2], ce texte définit en effet les lois de police comme étant des dispositions impératives dont, je cite, « le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique » [3]. Aussi, le règlement CE 593/2008 déjà cité mentionne comme élément constitutif des lois de police la sauvegarde d’intérêts supérieurs mais ces dernières doivent s’appliquer dans le champ qu’elles s’assignent, sans que ce champ leur soit disputé, ni par les règles de conflit, ni par les lois que ces règles désignent. Ainsi, on sait qu’en matière contractuelle, certaines questions sont soustraites à la lex contractus et sont régies par une loi de police du for, ou même, dans certains cas, par une loi de police étrangère, ce que confirme l’important arrêt Nikiforidis [4] rendu en 2016 par la Cour de Justice de l’Union et dont l’interprétation de l’article 9 du Règlement a été, nous le savons, abondamment commenté. En délimitant leur domaine d’application dans l’espace, les lois de police sont une manifestation, certes parmi d’autres, de l’unilatéralisme et de la place que conserve l’Etat dans l’ordre juridique international. Sans se confondre avec l’ordre public interne, ni avec l’ordre public d’éviction du droit international privé, elles forment en réalité une catégorie intermédiaire d’ordre public, d’application immédiate dans le cadre international, en excluant la règle traditionnelle de conflit. Ces lois sont, aujourd’hui, de plus en plus nombreuses.  Cette affirmation se vérifie, tout particulièrement dans le champ du droit international des affaires. La multiplication des textes qui s’y réfèrent illustre bien cette tendance forte. Aussi remarque-t-on un recours de plus en plus fréquent à la technique des lois de police par la jurisprudence, même si de nombreux auteurs considèrent que son rôle ne devrait être qu’exceptionnel. A cet égard, rappelons que la Cour de cassation, après avoir jugé que la loi du 31 décembre 1975 sur la sous-traitance n’était pas une loi de police, a procédé à un revirement de jurisprudence dans un arrêt de chambre mixte du 30 novembre 2007, au visa des articles 3 du code civil, et des dispositions de la convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles [5]. La Cour de cassation a ainsi consacré l’existence d’un ordre public, qualifié classiquement « de protection », dans le domaine international. Cette inflation des règles de police, qu’elles soient prévues par les textes ou créées par le juge, interroge. Il convient donc de se demander si leur utilisation, finalement très fréquente, ne perturbe pas la sécurité juridique ? Certains considèrent que les lois de police ne laissent pas une place suffisante aux règles de conflit, en étendant par ailleurs la compétence de la lex fori. En outre, c’est l’effectivité même de l’impérativité internationale qu’il faut aussi analyser. En effet, les clauses de règlement des litiges, clauses attributives de juridiction et clauses d’arbitrage, qui permettent aux parties de choisir leur juge ou d’éviter que ne soient appliquées des règles protectrices de la partie la plus faible, ne sont-elles pas la manifestation d’un phénomène de dilution de cette impérativité, en la contournant ? De même, l’application du droit de l’Union, qui veille à ce que la mise en œuvre des lois de police ne constitue pas une entrave aux échanges, ne vient-elle pas altérer l’impérativité internationale ? N’est-on pas dès lors, pour reprendre les termes d’un auteur, en présence de lois de police “semi-nécessaires” dans un contexte où l’impérativité se trouve quelque peu édulcorée par la jurisprudence européenne et les stratégies de contournement ?

C’est à ces nombreux questionnements, et à bien d’autres encore, que sera consacrée cette journée.

  La confrontation des approches judiciaire et universitaire, française et étrangère, permettra, je n’en doute pas, d’y apporter des réponses, et de mieux cerner les contours de la notion de loi de police, les limites et les imperfections de cette technique, mais aussi ses effets, dans des domaines aussi variés que le droit de la concurrence, le droit bancaire, le droit social, ou encore, le droit de la propriété intellectuelle. Je forme enfin le vœu que ce colloque, organisé, comme je l’ai indiqué au début de mon propos, dans le cadre de notre convention de partenariat, soit le premier d’une longue série et le symbole stimulant d’une belle complémentarité scientifique entre nos deux institutions. 

Je vous remercie.

 


 

[1] Phocion Francescakis (1910-1992), professeur de droit.

[2] CJCE, 23 novembre 1999, aff. n° C-369/96.

[3] Règlement CE n° 593/2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I), JOUE L. 177 du 4 juillet 2008, p.6.

[4] CJUE, 18 octobre 2016, aff. C-135/15.

[5] Cass., ch. mixte, 30 novembre 2007 et, dans le même sens, Civ. 3, 25 février 2009, n° 07-20.096.

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Par Jean-Claude Marin

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