Discours lors de l’audience solennelle de début d’année judiciaire, le mercredi 7 janvier 2009 par M. Jean-Louis Nadal, Procureur général près la Cour de cassation (2004-2011)

07/01/2009

Allocution prononcée par M. Jean-Louis Nadal, procureur général près la Cour de cassation, lors de l'audience solennelle de début d'année judiciaire. 

Monsieur le Président de la République,

Malgré un emploi du temps particulièrement chargé en raison d’une tragique actualité internationale, vous nous faites le grand honneur d’assister à cette audience solennelle de rentrée et nous vous en sommes très reconnaissants.

Votre présence a un sens tout particulier, car vous avez déjà marqué de votre empreinte le fonctionnement de notre institution. Je pense bien sûr, et en tout premier lieu, à la réforme en profondeur que vous avez initiée, concernant le Conseil supérieur de la magistrature, réforme guidée par une volonté de clarification au nom de laquelle l’exécutif ne participe plus aux délibérations de cet organe constitutionnel. On ne pouvait porter plus de considération, marquer plus de confiance, à la justice, à ceux qui la font vivre, considération que vous avez bien voulu renouveler aujourd’hui en répondant à notre invitation et en prenant la parole à l’issue de cette audience, Je suis donc heureux de vous souhaiter, avec Monsieur le Premier président, la bienvenue à la Cour de cassation.

Madame le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice,

Monsieur le Ministre de la Justice du Royaume d’Espagne,

Mesdames et Messieurs les Hautes personnalités, nationales, européennes et internationales, nous sommes également honorés et heureux de vous accueillir dans cette Maison.

***

Mesdames et Messieurs,

Je n’abuserai pas de votre patience en vous imposant le rapport détaillé des événements importants qui ont marqué la vie de notre Cour et de son parquet général.

Je souhaiterais seulement indiquer que l’année 2009 sera marquée, notamment, par l’aboutissement d’un projet, dont l’objet est de fédérer une réflexion commune au niveau des ministères publics des Cours suprêmes de l’Union européenne.

Avec le soutien de la Commission européenne, de M. Jacques Barrot et de vous-même, Monsieur le Premier président, sera signée le 6 février prochain, ici, dans cette Grand’Chambre, la convention fondatrice du Réseau des procureurs généraux des Cours suprêmes de l’Union européenne.

Ainsi pourrons-nous, par une meilleure connaissance mutuelle, confronter les analyses, provoquer des rapprochements et partager nos réflexions dans les domaines professionnels, éthiques et déontologiques.

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Au cours de l’année 2008, une réforme de très grande ampleur est venue profondément modifier l’architecture de notre organisation judiciaire et, par conséquent, la perception que les citoyens auront du fonctionnement de la justice. En son cinquantième anniversaire, notre Constitution a connu une véritable refonte, sur deux éléments concernant la Cour de cassation.

Le premier est la possibilité maintenant offerte aux parties de soulever devant le juge une exception d’inconstitutionnalité. Le second intéresse le Conseil supérieur de la magistrature. Mon propos portera sur ce dernier point.

En effet, la réforme du Conseil supérieur de la magistrature comprend une série de modifications majeures, à même de réduire les reproches trop souvent adressés aux magistrats non seulement de corporatisme mais aussi de politisation. C’est ainsi que la majorité, au sein du Conseil, reviendra aux représentants de la société civile, parmi lesquels il faut saluer l’arrivée d’un membre du Barreau, dont la vision de la justice à partir de l’exercice de sa propre profession sera à l’évidence une source d’enrichissement.

Ce nouveau dispositif ne pouvait arriver à un meilleur moment, tandis que le statut du ministère public semble remis en cause par une décision de la Cour européenne des droits de l’Homme qui, contre toute la jurisprudence du Conseil constitutionnel, veut dénier au procureur de la République la qualité d’autorité judiciaire au sens de l’article 5 de la Convention. La réforme du Conseil supérieur de la magistrature, non seulement répond aux critiques que j’évoquais à l’instant de corporatisme et de politisation, mais encore constitue un atout majeur pour faire face au regard que la Cour européenne des Droits de l’Homme porte sur notre Ministère public.

Oui, cette réforme renforce la figure d’un ministère public impartial en l’inscrivant dans le professionnalisme, puisque par exemple les nominations des procureurs généraux devront intervenir, après avis, même s’il est simple, du Conseil supérieur de la magistrature.

Par ailleurs, le principe de l’unité du corps, proclamé par la réforme qui vous place à la tête, Monsieur le Premier président, du Conseil supérieur de la magistrature dans sa formation plénière, forge les principes d’une éthique et d’une déontologie partagées entre le juge et le procureur.

C’est en effet l’honneur du ministère public en France que d’être composé de magistrats et d’assurer sa mission de poursuivant tout en ayant comme exigence première la garantie des droits fondamentaux. C’est au demeurant au vu de cette spécificité que le législateur lui a confié ces dernières années des missions nouvelles, parfois quasi-juridictionnelles.

Sans doute, d’autres aménagements seront-ils encore nécessaires, mais il est rassurant de constater que la réforme du Conseil supérieur de la magistrature met en mesure le ministère public de mieux jouer son rôle dans le fonctionnement de notre justice pénale, tel qu’assigné par la Constitution, dans une architecture générale qui pourrait demain permettre aux droits de la défense de trouver une plus grande expression, si une nouvelle répartition des compétences entre les différents acteurs de la procédure pénale était mise en oeuvre.

Ce sera, Monsieur le Premier président, à l’organe placé sous notre autorité qu’il appartiendra de s’assurer que les nominations à intervenir dans les différentes fonctions de notre corps prennent en compte les aptitudes, reconnaissent les mérites, répondent aux besoins des juridictions, et par delà les cours et tribunaux, à l’intérêt du service de la justice.

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Mesdames et Messieurs,

“(...) Dans une démocratie l’autorité, le prestige de l’institution judiciaire sont une nécessité sociale, étant entendu que les animateurs de cette institution judiciaire, bien formés et compétents, sont conscients de leur responsabilité à l’égard de la société et de la Nation”. Ainsi s’exprimait Michel Debré, évoquant la responsabilité des magistrats.

A compter de l’entrée en vigueur de la loi organique qui doit intervenir pour l’application du nouvel article 65 de la Constitution, le Conseil supérieur de la magistrature pourra être directement saisi, en matière disciplinaire, par les justiciables.

Je sais les inquiétudes que peut susciter une telle mesure que, pourtant, le Comité présidé par le doyen Vedel proposait déjà en 1993. Elle ne doit évidemment pas conduire à une déstabilisation du cours de la justice par le biais de la mise en cause systématique des magistrats et ne pourra en aucun cas se substituer de manière détournée aux voies de recours prévues par la loi.

Mais une fois écarté ce qui relève de polémiques finalement stériles, il serait vain de nier que peut aussi survenir de la part d’un magistrat, un comportement suscitant des interrogations légitimes. Ce n’est pas le fond de la décision qui est ici en cause, mais le comportement.

D’Aguesseau ne professait pas autre chose lorsqu’il proclamait que la justice, “humaine parmi les hommes, porte malgré elle l’impression de leur inconstance et la marque de leur instabilité”.

Il arrive malheureusement que, pour des raisons diverses, un comportement choquant ne provoque aucune réaction de la hiérarchie, soit qu’elle reste dans l’ignorance de difficultés naissantes, soit qu’elle ne prenne pas la mesure de situations dégradées. La possibilité ouverte aux justiciables de saisir, avec les filtres qui s’imposent, le Conseil supérieur de la magistrature constitue donc à mes yeux, un progrès, un moyen de rapprocher la justice des citoyens.

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J’aurai en conséquence à coeur, tout comme vous, Monsieur le Premier président, que le Conseil supérieur de la magistrature rénové, élargi, enrichi, soit de manière égale attentif à l’intérêt des magistrats, des juridictions et des justiciables sans qui nos actions n’auraient pas de signification C’est que la déontologie est aussi un rempart de l’indépendance. Une indépendance certes d’une nature particulière pour les magistrats du ministère public, mais bien réelle quand, selon l’expression de Treilhard, le procureur devient, pendant le procès, “l’homme de la justice”.

L’un des aspects les plus emblématiques de cette indépendance est la liberté de parole à l’audience : « La plume est serve mais la parole est libre ». Si cet adage tire ses lettres de noblesse de l’ancien droit, il n’en est pas moins une prescription légale actuelle, inscrite tant dans l’ordonnance statutaire que dans le Code de procédure pénale et qui s’impose non seulement au représentant du ministère public mais aussi à sa hiérarchie qui doit savoir où s’arrête son droit de demander des comptes.

Pour autant, cette liberté n’autorise pas à toutes les licences. Beaucoup de magistrats, je pense, sont mal à l’aise quand ils entendent que tel ou tel de leur collègue, prenant des réquisitions contre l’auteur de faits d’une extrême gravité, ayant causé un scandale immense, un malheur indescriptible, ont cru rendre des devoirs à l’opinion publique et faire honneur aux victimes, en se livrant à l’invective, voire à la vulgarité contre l’accusé.

De ces magistrats qui confondent rigueur et emportement, je dis simplement qu’ils font fausse route. Le droit de tout dire, le respect dû aux victimes, la nécessaire sévérité à laquelle nous appellent certains faits ne doit pas nous faire oublier notre devoir de se conduire en dignes magistrats.

Cette dignité, Sénèque la revendiquait déjà, qui écrivait : “pour réprimer les erreurs et les crimes, point n’est besoin d’un juge irrité, puisque la colère est un délit moral, il ne faut pas que celui qui redresse les fautes soit lui-même fautif”.

Et ce qui est vrai pour les paroles l’est plus encore pour les actes. La loi confie au juge des pouvoirs exorbitants, portant atteinte à la liberté individuelle, susceptibles de frapper les personnes dans leur honneur ou dans leurs biens. Encore le juge doit-il exercer ces pouvoirs avec discernement, avec le souci de respecter le principe de proportionnalité auquel nous invitent tant la Convention européenne des droits de l’Homme que l’article préliminaire du Code de procédure pénale. Ainsi, la déontologie est-elle ce cadre dont il nous appartient, comme à d’autres, de fixer les contours en fonction de nos devoirs.

Nous savons que pour André Malraux « juger c’est ne pas comprendre » : et bien audacieux celui qui ne trouverait pas une part de vérité dans cet aphorisme provocateur. Mais ne faut-il pas d’abord proclamer que juger c’est respecter ?

***

Me voici, Mesdames et Messieurs, au terme de mon propos.

Je ne voudrais pas le terminer sans vous renouveler mes remerciements pour votre présence et votre attention et, puisque la période y invite, sans vous souhaiter, à vous-mêmes et ceux qui vous sont chers, une très heureuse année.

Discours

Par Jean-Louis Nadal

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