Numéro 12 - Décembre 2018

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2018

CONFLIT DE JURIDICTIONS

Soc., 5 décembre 2018, n° 17-19.820, (P)

Cassation

Compétence internationale – Privilège de juridiction – Privilège instauré par l'article 14 du code civil – Effets – Etendue – Détermination

Selon l'article 14 du code civil, l'étranger, même non résidant en France, peut être traduit devant les tribunaux de France, pour les obligations par lui contractées en pays étranger envers des Français.

Selon l'article 101 du code de procédure civile, s'il existe entre des affaires portées devant deux juridictions distinctes un lien tel qu'il soit de l'intérêt d'une bonne justice de les faire instruire et juger ensemble, il peut être demandé à l'une de ces juridictions de se dessaisir et de renvoyer en l'état la connaissance de l'affaire à l'autre juridiction.

Viole ces textes, la cour d'appel qui, pour écarter une exception de connexité, énonce que la compétence des juridictions françaises ne peut être écartée, en l'absence de renonciation de la partie qui en bénéficie, que par l'application d'une convention internationale ou d'un règlement de l'Union européenne, alors que l'article 14 du code civil n'ouvre au demandeur français qu'une simple faculté et n'édicte pas à son profit une compétence impérative, exclusive de la compétence d'un tribunal étranger déjà saisi et dont le choix n'est pas frauduleux.

Compétence internationale – Privilège de juridiction – Privilège instauré par l'article 14 du code civil – Bénéfice – Caractère facultatif – Portée

Compétence internationale – Connexité – Conditions

Sur le premier moyen :

Vu l'article 14 du code civil et l'article 101 du code de procédure civile ;

Attendu, selon le premier de ces textes, que l'étranger, même non résidant en France, peut être traduit devant les tribunaux de France, pour les obligations par lui contractées en pays étranger envers des Français ;

Attendu, selon le second de ces textes, que s'il existe entre des affaires portées devant deux juridictions distinctes un lien tel qu'il soit de l'intérêt d'une bonne justice de les faire instruire et juger ensemble, il peut être demandé à l'une de ces juridictions de se dessaisir et de renvoyer en l'état la connaissance de l'affaire à l'autre juridiction ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Y..., résident monégasque de nationalité française, a été engagé par la société Entreprise monégasque de travaux, de droit monégasque, en qualité de pompiste chauffeur poids lourd, à compter du 1er octobre 1990 ; qu'il a été licencié le 2 décembre 2011 ; qu'il a saisi, le 12 octobre 2012, antérieurement au 10 janvier 2015, date d'entrée en application du règlement (UE) n° 1215/2012, du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, le conseil de prud'hommes de Nice de diverses demandes ; qu'il a, parallèlement, saisi de certaines de ces demandes le tribunal du travail de Monaco ;

Attendu que, pour écarter l'exception de connexité relevée par la société, l'arrêt retient que la compétence des juridictions françaises ne peut être écartée, en l'absence de renonciation de la partie qui en est bénéficiaire, que par l'application d'une convention internationale ou d'un règlement de l'Union européenne ; que M. Y..., qui n'a pas renoncé au bénéfice d'être jugé par la juridiction de son pays, a pu valablement saisir de sa contestation le conseil de prud'hommes de Nice dont la compétence territoriale n'est pas remise en cause ; que ce motif fait échec à la demande de la société de confirmer le dessaisissement de cette juridiction au profit du tribunal du travail de Monaco ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'article 14 du code civil n'ouvre au demandeur français qu'une simple faculté et n'édicte pas à son profit une compétence impérative, exclusive de la compétence d'un tribunal étranger déjà saisi et dont le choix n'est pas frauduleux, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et attendu que la cassation à intervenir sur le premier moyen rend sans objet les deuxième à sixième moyens du pourvoi ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 septembre 2016, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Le Masne de Chermont - Avocat(s) : SCP Gatineau et Fattaccini -

Textes visés :

Article 14 du code civil ; article 101 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 22 mai 2007, pourvoi n° 04-14.716, Bull. 2007, I, n° 195 (rejet).

Soc., 5 décembre 2018, n° 17-19.935, (P)

Rejet

Compétence internationale – Règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 – Article 21, § 2 – Compétence en matière de contrats individuels de travail – Règles applicables – Détermination – Critère – Lieu habituel d'exécution du travail

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 18 mai 2017), que M. Y... a été engagé par la société de droit monégasque AS Monaco football club SA entre le 15 janvier 2007 et le 30 juin 2014 ; qu'il a saisi le conseil de prud'hommes de Nice, le 7 janvier 2016, de diverses demandes ;

Attendu que la société fait grief à l'arrêt de constater la compétence du conseil de prud'hommes de Nice pour connaître de l'ensemble de ces demandes, alors, selon le moyen :

1°/ que la clause attributive de juridiction prévoyant la compétence d'une juridiction étrangère, incluse dans un contrat de travail conclu entre un salarié français et une société étrangère pour être exécuté au moins pour partie dans un établissement situé en dehors de l'Union européenne est valide ; qu'en effet, ce n'est que si le contrat s'exécute totalement dans un établissement situé en France ou en dehors de tout établissement que les dispositions d'ordre public de l'article R. 1412-1 du code du travail font échec à l'application d'une telle clause ; qu'en l'espèce, dès lors qu'elle constatait que M. Y... exerçait au moins pour partie ses fonctions sur le territoire monégasque au cours des matchs disputés par l'équipe de football monégasque dans son stade, la cour d'appel ne pouvait refuser de donner force obligatoire à l'engagement contractuel des parties désignant la juridiction étrangère comme compétente ; que ce faisant, elle a violé par fausse application les dispositions de l'article R. 1412-1 du code du travail ;

2°/ qu'une clause attributive de juridiction incluse dans un contrat de travail conclu entre un salarié français et une société étrangère pour être exécuté dans un établissement situé en dehors de l'Union européenne et désignant expressément la juridiction étrangère est valide ; qu'en effet, ce n'est que si le contrat est exécuté dans un établissement situé en France ou en dehors de tout établissement que les dispositions d'ordre public de l'article R. 1412-1 font échec à l'application d'une telle clause ; qu'en cas de contestation, il appartient au juge de vérifier si la prestation de travail accomplie en France avait lieu dans un établissement au sens de ce texte, notamment en termes d'autonomie, de présence sur place d'un représentant de l'employeur et d'un personnel fixe ; qu'en refusant d'appliquer la clause contractuelle, au motif que le travail s'effectuait essentiellement dans un centre de formation situé en France, sans vérifier, comme elle y était pourtant invitée, si celui-ci pouvait être qualifié d'établissement au sens de l'article R. 1412-1 du code du travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de ce texte ;

3°/ que l'article R. 1412-1 du code du travail qui ne prévoit que des règles de compétence territoriale internes, n'a nullement pour objet d'instaurer la suprématie des juridictions françaises sur les juridictions étrangères et ne s'oppose nullement à la présence dans un contrat de travail international conclu entre un salarié français et une société étrangère d'une clause attributive de juridiction prévoyant la compétence d'une juridiction étrangère ayant un lien sérieux avec le litige ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a, par fausse application, violé les dispositions des articles R. 1412-1 du code du travail et 14 et 15 du code civil ;

Mais attendu que, selon l'article 21, § 2, du règlement (UE) n° 1215/2012, du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, applicable à partir du 10 janvier 2015, un employeur qui n'est pas domicilié sur le territoire d'un Etat membre peut être attrait, dans un Etat membre, devant la juridiction du lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail ;

Attendu que l'arrêt relève que M. Y... a saisi le conseil de prud'hommes de Nice de diverses demandes ayant trait à sa relation de travail avec la société le 7 janvier 2016, qu'il exerçait ses fonctions de masseur-kinésithérapeute, essentiellement lors d'entraînements, au centre de formation du club, auquel il était contractuellement rattaché, qui se trouvait sur le territoire français, dans la commune de la Turbie, laquelle est située dans le ressort de cette dernière juridiction, qu'un nombre important de rencontres sportives auxquelles M. Y... a pu participer se déroulaient sur le territoire français, que la circonstance que des matchs requérant la présence de M. Y... se sont déroulés au stade Louis II, à Monaco, n'infirme pas la constatation selon laquelle l'essentiel de la prestation de travail a été réalisée sur le territoire français ;

Qu'il en résulte que le conseil de prud'hommes de Nice était compétent pour connaître des demandes du salarié à l'égard de la société ;

Que, par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, les parties en ayant été avisées en application de l'article 1015 du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Le Masne de Chermont - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Spinosi et Sureau -

Textes visés :

Article 21, § 2, du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012.

Rapprochement(s) :

Sur le principe selon lequel le lieu d'exécution du contrat de travail est celui où, ou à partir duquel, le travailleur accomplit habituellement son travail, à rapprocher : CJCE, arrêt du 13 juillet 1993, Mulox IBC, C-125/92, point 20 ; CJUE, arrêt du 14 septembre 2017, Nogueira e.a., C-168/16, point 59 ; Soc., 27 novembre 2013, pourvoi n° 12-24.880, Bull. 2013, V, n° 294 (rejet), et les arrêts cités.

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