Numéro 11 - Novembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2020

PROPRIETE

3e Civ., 12 novembre 2020, n° 19-23.160, (P)

Rejet

Action en revendication – Immeuble – Imprescriptibilité – Applications diverses – Stipulation pour autrui – Bénéficiaire – Association syndicale libre – Action en régularisation forcée d'une cession de parcelles

L'action en régularisation forcée d'un engagement de cession de parcelles à une association syndicale libre, qui tend à faire reconnaître le droit de propriété cédé à elle par l'effet d'une stipulation pour autrui, est une action en revendication imprescriptible.

Par la stipulation pour autrui consentie à son bénéfice, l'association syndicale libre s'est vu, une fois constituée, immédiatement conférer la propriété des parcelles objet de la stipulation, avant même la régularisation de la cession par acte authentique.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 20 juin 2019), la société [...], propriétaires de parcelles contiguës, ont entrepris la réalisation d'un lotissement composé de douze lots, suivant autorisation donnée par arrêté préfectoral du 26 février 1981.

Par acte notarié dressé le 25 septembre 1981 et publié le 23 décembre suivant, ils ont procédé à un échange de parcelles afin de constituer des lots réguliers et établi un état descriptif mentionnant les terrains qu'ils s'engageaient à céder à titre gratuit à la future association syndicale libre (l'ASL), constituée en 1985, pour accueillir une nouvelle voie de desserte sur les parcelles [...] et [...], ainsi qu'une aire de jeux sur la parcelle [...], moyennant le versement d'une indemnité de 200 000 francs par la société Le Village à V... W..., propriétaire de la majeure partie des terrains concernés.

2. Le 27 novembre 2015, l'ASL a assigné Mme W... en régularisation forcée de la cession, à son profit, des parcelles cadastrées [...] et [...], à laquelle V... W..., décédé depuis, s'était engagé.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. Mme W... fait grief à l'arrêt de déclarer l'action de L'ASL recevable, alors :

« 1°/ que l'action engagée par celui qui se prévaut d'une stipulation pour autrui est une action personnelle soumise, depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, à la prescription de droit commun de cinq ans ; qu'en l'espèce, il est constant que l'ASL a assigné Mme N... W..., le 27 novembre 2015, aux fins qu'il soit dit que l'acte notarié d'échange du 25 septembre 1981, comportait une stipulation pour autrui en sa faveur, cet acte prévoyant que les parcelles litigieuses seraient cédées gratuitement par M. W... à l'association syndicale ; qu'il s'ensuit qu'en considérant que l'action introduite par l'ASL tendait à faire constater son droit de propriété sur les parcelles litigieuses et présentait donc un caractère imprescriptible, tout en retenant que l'acte notarié du 25 septembre 1981 comportait une stipulation pour autrui au bénéfice de l'association syndicale lui ayant conféré « un droit direct envers Mme W...

de nature à lui permettre de revendiquer la propriété des parcelles litigieuses », la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations d'où il résulte que l'action était de nature personnelle et non réelle et a, par conséquent, violé l'article 1121 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble les article 2224 et 2227 du code civil ;

2°/ que la revendication est l'action par laquelle le demandeur, invoquant sa qualité de propriétaire, réclame à celui qui le détient, la restitution d'un bien ; qu'en considérant que l'action engagée par l'ASL, qui comportait une stipulation pour autrui au bénéfice de l'association syndicale lui ayant conféré « un droit direct envers Mme W... » était une action en revendication immobilière imprescriptible, quand l'ASL ne réclamait pas la restitution d'un bien, la cour d'appel a violé l'article 2227 du code civil. »

Réponse de la Cour

4. La cour d'appel a retenu, à bon droit, que l'action en régularisation forcée de la cession engagée par l'ASL tendait à faire reconnaître le droit de propriété qui avait été cédé à celle-ci par l'effet de la stipulation pour autrui consentie dans l'acte d'échange.

5. Elle en a exactement déduit que cette action en revendication, imprescriptible, était recevable.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

7. Mme W... fait grief à l'arrêt d'ordonner la réalisation forcée de la cession, alors :

« 1°/ que l'acte notarié du 25 septembre 1981, qui porte sur un échange de terrains entre les deux co-lotisseurs, la SCI Le Village et M. W..., comporte une clause intitulée « indemnité au profit de M. W... pour la partie de terrain qui sera cédée par lui gratuitement à l'association syndicale ci-après dénommée », selon laquelle « la majeure partie du sol de la Voie nouvelle (soit 1036m² sur 1090 m²) et la totalité de l'aire de jeux (606,40 m²) se trouvent en totalité sur le terrain appartenant à M. W... il est versé par la SCI Le Village audit M. W... à titre d'indemnité la somme de 200 000 francs », et une clause relative à l'état descriptif de division, qui indique aussi « que les lots 7 à 12 appartiennent à Mr W... et que la Voie Nouvelle et l'aire de jeu qui appartiennent à Mr W... seront cédées par lui gratuitement à l'Association syndicale » ; que cet acte qui se borne à faire état d'une cession future ne transfère pas la propriété des parcelles litigieuses à l'association syndicale, un tel transfert étant au demeurant impossible, l'association syndicale n'étant pas constituée à la date du 25 septembre 1981 ; qu'en considérant pourtant, pour retenir qu'il y avait lieu de faire injonction à Mme N... W... de se présenter devant le notaire désigné par le Président de la chambre départementale des notaires des Yvelines aux fins de régulariser l'acte de cession des parcelles litigieuses et qu'à défaut d'exécution son arrêt vaudrait vente, que l'acte notarié du 25 septembre 1981 comportait une stipulation pour autrui au bénéfice de l'ASL, lui ayant conféré un droit direct envers Mme N... W... venant aux droits de M. W..., « de nature à lui permettre de revendiquer la propriété des parcelles litigieuses », la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ainsi que l'article 1589 du code civil ;

2°/ que le juge à l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en l'espèce, l'acte notarié du 25 septembre 1981, qui porte sur un échange de terrains entre les deux colotisseurs, la SCI Le Village et M. W..., se bornait à prévoir que la SCI Le Village versera une « indemnité au profit de M. W... pour la partie de terrain qui sera cédée par lui gratuitement à l'association syndicale » ; qu'en considérant pourtant, qu'il y avait lieu de faire injonction à Mme N... W... de se présenter devant le notaire désigné par le Président de la chambre départementale des notaires des Yvelines aux fins de régulariser l'acte de cession des parcelles litigieuses et qu'à défaut d'exécution son arrêt vaudrait vente, quand l'acte notarié ne faisait nulle mention d'une vente, mais d'une cession gratuite à intervenir des parcelles litigieuses au profit de l'association syndicale, la cour d'appel, qui a dénaturé les termes de l'acte notarié du 25 septembre 1981, a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et le principe susvisé. »

Réponse de la Cour

8. La cour d'appel a souverainement retenu, sans dénaturation malgré l'usage impropre du terme de " vente ", que l'engagement de céder à titre gratuit les parcelles litigieuses à la future ASL, prévu dans l'acte d'échange du 25 septembre 1981 pour permettre la réalisation du lotissement, constituait une stipulation pour autrui dont cette dernière était le bénéficiaire identifiable.

9. Elle a pu en déduire qu'une fois constituée, l'ASL s'était vu immédiatement conférer la propriété de ces parcelles, avant même la régularisation de la cession par acte authentique.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Jessel - Avocat(s) : SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Article 1121 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ; articles 2224 et 2227 du code civil.

3e Civ., 19 novembre 2020, n° 19-18.845, (P)

Rejet

Immeuble – Preuve – Mode de preuve – Force probante – Copie sincère et fidèle – Cas – Transcription hypothécaire du titre original – Appréciation souveraine

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Papeete, 8 novembre 2018), Mmes Y... et U... H... ont formé tierce opposition à un jugement du tribunal civil de première instance de Papeete du 12 avril 2006, ayant déclaré M. C... I... propriétaire de la terre P... à Vairao.

2. Mme Y... H... a contesté la transcription, le 27 juillet 1927, sur le registre de la conservation des hypothèques de Papeete, d'un échange transactionnel dont M. I... s'est prévalu et qui avait été conclu entre leurs ascendants respectifs par acte sous seing privé du 30 juin 1927.

Recevabilité du pourvoi de Mme U... H..., contestée par la défense

3. Le moyen unique du pourvoi ne porte pas sur le chef du dispositif de l'arrêt ayant déclaré Mme U... H... irrecevable en son action.

4. Le pourvoi formé par celle-ci est dès lors irrecevable.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Mme Y... H... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande, alors :

« 1°/ que la copie d'un acte sous seing privé, même résultant de sa transcription sur un registre public, n'a par elle-même aucune valeur juridique et ne peut suppléer à l'absence de production de l'original dont l'existence est déniée ; qu'en se fondant, pour débouter Mme H... de sa demande tendant à se voir reconnaître propriétaire indivise de la terre P..., sur la seule transcription hypothécaire d'un acte dont l'existence était déniée par Mme H... et qui aurait transféré les droits de propriété de son auteur à celui de M. I..., la cour d'appel a violé l'article 1334 du code civil, ensemble l'article 1336 de ce code, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et applicable en Polynésie française ;

2°/ qu'une copie ne peut suppléer l'absence de l'original que si elle en est la reproduction fidèle et durable ; qu'en se fondant, pour débouter Mme H... de sa demande tendant à se voir reconnaître propriétaire indivise de la terre P..., sur la seule transcription hypothécaire de l'acte sous seing privé du 30 juin 1927, sans caractériser en quoi cette transcription dont elle a constaté qu'elle était celle de la traduction de l'acte original, au surplus non écrite ni signée par les parties à ce prétendu acte original, en serait la reproduction fidèle et durable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1348 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et applicable en Polynésie française ;

3°/ qu'il incombe à la partie qui, ne pouvant produire l'original, se prévaut d'une copie d'un acte d'établir qu'elle en est la reproduction fidèle et durable ; qu'en faisant peser sur la partie qui dénie l'existence de l'original la charge d'établir l'absence de force probante de la copie, en démontrant la falsification de la traduction ou de la transcription, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du code civil, ensemble les articles 1336 et 1348 du même code, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et applicable en Polynésie française ;

4°/ que la preuve testimoniale ne peut être admise que si la partie qui se prévaut d'un acte démontre qu'elle a perdu le titre qui lui servait de preuve littérale par suite d'un cas fortuit ou d'une force majeure ; qu'en jugeant probante du transfert des droits de propriété de l'auteur de Mme H... à celui de M. I... la transcription hypothécaire litigieuse, par des motifs d'ordre général tirés des conditions climatiques, de la présence d'insectes en Polynésie française et de la tradition orale, sans constater si M. I... rapportait la preuve, qui lui incombait, de la perte du titre original par cas fortuit ou force majeure, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1348 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et applicable en Polynésie française ;

5°/ que la transcription d'un acte sur les registres publics ne peut servir de commencement de preuve par écrit que, cumulativement, s'il est constant que toutes les minutes du notaire, de l'année dans laquelle l'acte paraît avoir été fait, soient perdues ou que l'on prouve que la perte de la minute de cet acte a été faite par un accident particulier, et qu'il existe un répertoire en règle du notaire qui constate que l'acte a été fait à la même date ; qu'en qualifiant de commencement de preuve par écrit la transcription d'un acte sous seing privé, après avoir elle-même constaté que les conditions de l'article 1336 du code civil n'étaient pas réunies, la cour d'appel a violé ce texte, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et applicable en Polynésie française ;

6°/ qu'un écrit ne peut valoir commencement de preuve que s'il émane de la personne à laquelle il est opposé ; qu'en qualifiant la transcription de l'acte sous seing privé du 30 juin 1927 de commencement de preuve, sans relever aucun élément établissant que cette transcription émanait de Q... E... à l'héritière de laquelle on l'opposait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1347 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et applicable en Polynésie française ;

7°/ qu'un commencement de preuve par écrit ne peut être complété que par des éléments extérieurs à l'acte lui-même ; qu'en se fondant sur la circonstance que la traduction de l'acte original a été effectuée par un interprète assermenté, laquelle résulte de la transcription elle-même, la cour d'appel a violé l'article 1347 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et applicable en Polynésie française ;

8°/ que le juge ne peut dénaturer les documents de la cause ; que dans la transcription hypothécaire litigieuse, il est indiqué que le litige à l'origine de la transaction constatée dans l'acte du 30 juin 1927 ainsi transcrit est né au sujet d'une action en recherche de maternité de dame N... a B... par rapport à la dame L... a B..., qu' « il fut formé opposition contre un jugement par défaut rendu par le tribunal civil de Papeete le dix octobre mil neuf cent vingt-deux » et que « par le présent acte, il est mis fin à l'instance d'opposition formée par Mme J... a K... suivant requête du trois décembre mil neuf cent vingt-trois contre jugement par défaut du dix octobre mil neuf cent vingt-deux » ; qu'il résulte des termes clairs et précis de cet acte que le jugement de reconnaissance, contre lequel il a été formé une tierce opposition ayant abouti à la transaction transcrite dans l'acte querellé, date du 10 octobre 1922 et qu'il concerne la reconnaissance de Tetaroa a B... par L... a B... ; qu'en énonçant, pour retenir que l'échange contesté est corroboré et rejeter les demandes de l'exposante, qu'il est fait mention « en marge de l'acte de naissance de Q... B... d'une reconnaissance par N... B... aselon jugement du 27 septembre 1921, jugement à l'encontre duquel a été formée la tierce opposition ayant abouti à la transaction transcrite dans l'acte querellé », la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de cet acte et méconnu l'interdiction faite au juge de dénaturer les documents de la cause ;

9°/ qu'en retenant, pour débouter Mme H... de sa demande, que le commencement de preuve que constitue la transcription de l'acte sous seing privé du 30 juin 1927 est corroboré par l'exécution qu'en a faite Q... B..., puisqu'elle a disposé du bien donné en échange des droits indivis auxquels elle prétendait du fait de sa filiation en le vendant à la Paroisse protestante de Vairao par acte transcrit le 14 décembre 1925, soit plus d'un an avant l'échange allégué par M. I... dont cette cession ne pouvait ainsi pas constituer l'exécution, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, a violé l'article 1347 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et applicable en Polynésie française. »

Réponse de la Cour

6. Ayant retenu que la tradition orale avait pu conduire les parties à l'échange contesté à ne pas conserver l'acte sous signature privée original et que la transcription hypothécaire de celui-ci, qui avait été conservée dans des conditions adéquates, en reproduisait littéralement la traduction, effectuée par un interprète assermenté, la cour d'appel, qui a pu en déduire que cette transcription du titre original en constituait une copie, dont elle a souverainement apprécié le caractère fidèle et durable, au sens de l'article 1348, alinéa 2, du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et applicable en Polynésie française, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DECLARE IRRECEVABLE le pourvoi de Mme U... H... ;

REJETTE le pourvoi de Mme Y... H...

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Béghin - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Claire Leduc et Solange Vigand -

Textes visés :

Article 1348, alinéa 2, du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et applicable en Polynésie française.

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