Numéro 6 - Juin 2023

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Numéro 6 - Juin 2023

PRESCRIPTION

Crim., 21 juin 2023, n° 23-80.106, (B), FRH

Rejet

Action publique – Suspension – Crime ou délit – Mineur victime – article 7 du code de procédure pénale dans sa version en vigueur du 14 juillet 1989 au 18 juin 1998 – Personne ayant autorité – Domaine d'application – Chirurgien

Justifie sa décision retenant que la personne mise en examen avait autorité sur les victimes, au sens de l'article 7 du code de procédure pénale dans sa version en vigueur du 14 juillet 1989 au 18 juin 1998, la chambre de l'instruction qui énonce que les patients mineurs ont été confiés à l'intéressée, en sa qualité de chirurgien, et se sont trouvés dans un rapport de dépendance lors de l'exécution de soins et d'actes chirurgicaux, en particulier pendant leur sommeil anesthésique.

Il en résulte que le délai de prescription de l'action publique n'a commencé à courir qu'à la majorité des victimes.

Action publique – Suspension – Obstacle insurmontable à l'exercice des poursuites – Cas – Abolition du discernement en raison de l'anesthésie

Fait l'exacte application de l'article 9-3 du code de procédure pénale la chambre de l'instruction qui, ayant constaté, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, qu'il existait une impossibilité d'agir pour les victimes, dont la conscience était abolie lors de la commission des faits en raison de l'anesthésie subie, ainsi que pour les autorités compétentes, qui ne pouvaient être mises en mesure de connaître l'existence même des faits en raison du mode opératoire et des stratagèmes utilisés lors de leur commission, retient que ces circonstances, irrésistibles et extérieures, constituent un obstacle insurmontable qui a rendu impossible l'exercice des poursuites, et suspendu le délai de prescription.

M. [TN] [ZB] et Mme [B] [F], partie civile, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, en date du 9 décembre 2022, qui, dans l'information suivie contre le premier, des chefs de viols et agressions sexuelles, aggravés, a prononcé sur une demande de constat d'acquisition de la prescription de l'action publique.

Par ordonnance en date du 20 février 2023, le président de la chambre criminelle a joint les pourvois et prescrit leur examen immédiat.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. L'exploitation de documents saisis les 2 mai et 11 juillet 2017 a permis de soupçonner l'existence de centaines d'infractions sexuelles commises par M. [TN] [ZB], à l'occasion de son activité de chirurgien, sur des victimes, pour la plupart mineures.

3. Une information a été ouverte et M. [ZB] a été mis en examen le 15 octobre 2020 des chefs de viols et agressions sexuelles, aggravés, ces qualifications visant trois-cent-douze victimes.

4. Par requête du 12 avril 2021, M. [ZB] a soulevé la prescription de l'action publique concernant quatre-vingt-cinq faits.

5. Par ordonnance du 12 mai 2021, le juge d'instruction a rejeté cette requête.

6. M. [ZB] a relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen proposé pour M. [ZB]

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a partiellement confirmé l'ordonnance du juge d'instruction du tribunal judiciaire de Lorient ayant rejeté sa demande de constat de la prescription de l'action publique, alors « que le procureur général doit déposer ses réquisitions au plus tard la veille de l'audience de la chambre de l'instruction devant laquelle la procédure est écrite ; que le ministère public étant une partie nécessaire au procès pénal, le respect de cette exigence s'impose à peine de nullité, et sa méconnaissance peut être invoquée pour la première fois devant la Cour de cassation ; qu'en l'état des mentions de l'arrêt, qui se limitent à faire état des réquisitions écrites du procureur général en date du 1er juin 2022 sans préciser que ces réquisitions ont été déposées au dossier de la procédure au plus tard la veille de l'audience, la chambre de l'instruction a violé les articles 194 et 197 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

8. L'arrêt attaqué vise les réquisitions du procureur général du 1er juin 2022, puis le dépôt du dossier au greffe de la chambre de l'instruction.

9. Le mémoire déposé pour l'appelant, reçu au greffe de ladite chambre le 16 septembre 2022, fait état du réquisitoire produit en vue de l'audience du 20 septembre 2022, ce qui implique qu'il a été régulièrement déposé dans les délais prévus par les articles 194 et 197 du code de procédure pénale.

10. Dès lors, le moyen doit être écarté.

Sur le deuxième moyen proposé pour M. [ZB]

Enoncé du moyen

11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a partiellement confirmé l'ordonnance du juge d'instruction du tribunal judiciaire de Lorient ayant rejeté sa demande de constat de la prescription de l'action publique s'agissant des faits concernant MM. [EF] [ZD], [PW] [EM], [PS] [KC] et [TS] [JU] et Mmes [ZJ] [JS], [J] [M] et [KE] [PP], alors « qu'une personne ayant autorité, au sens des articles 7 et 8 du code de procédure pénale, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 98-468 du 17 juin 1998, s'entend d'une personne ayant reçu délégation de tout ou partie des attributs de l'autorité parentale ; que, pour dire que la prescription n'apparaissait pas acquise s'agissant des faits prétendument commis sur MM. [EF] [ZD], [PW] [EM], [PS] [KC] et [TS] [JU] et Mmes [ZJ] [JS], [J] [M] et [KE] [PP], la chambre de l'instruction a retenu à l'encontre du mis en examen la qualité de personne ayant autorité au regard de la circonstance que les patients mineurs lui avaient été confiés, en sa qualité de chirurgien, et se trouvaient dans un rapport de dépendance lors de l'exécution de soins et d'actes chirurgicaux, même temporairement et ponctuellement ; qu'en statuant par un tel motif lorsque l'abus par un médecin de l'autorité qui lui confère ses fonctions ne saurait se confondre avec l'autorité qu'une personne peut avoir sur un mineur du fait du transfert partiel ou total de l'autorité parentale sur celle-ci, la chambre de l'instruction a violé les articles 7 et 8 du code de procédure pénale dans leur rédaction antérieure à la loi n° 98-468 du 17 juin 1998. »

Réponse de la Cour

12. Pour dire que M. [ZB] avait autorité sur les mineurs victimes d'agressions sexuelles aggravées, ce qui justifiait de reporter à leur majorité le point de départ de la prescription, l'arrêt attaqué énonce que les patients mineurs lui ont été confiés, en sa qualité de chirurgien, et se sont trouvés dans un rapport de dépendance lors de l'exécution de soins et d'actes chirurgicaux, même temporairement et ponctuellement.

13. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a, sans insuffisance, exposé les circonstances qui établissent que la personne mise en examen avait autorité sur les victimes, au sens de l'article 7 du code de procédure pénale, dans sa version alors en vigueur, dont il résulte que le délai de prescription n'a commencé à courir qu'à leur majorité.

14. Dès lors, le moyen doit être écarté.

Sur le troisième moyen proposé pour M. [ZB]

Enoncé du moyen

15. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a partiellement confirmé l'ordonnance du juge d'instruction du tribunal judiciaire de Lorient ayant rejeté sa demande de constat de la prescription de l'action publique s'agissant des faits concernant Mmes [R] [H], [NA] [BO], [S] [C], M. [EA] [E], Mmes [KE] [HC], [TF] [MP], MM. [EL] [EK], [V] [PU], [G] [TJ], [L] [BF], [X] [W], [U] [TH], [WL] [WH], [L] [PN], Mme [WJ] [Z], MM. [PS] [T], [HE] [MY], [GW] [TL], [PW] [KA], Mme [ZH] [ZF], MM. [GW] [GY], [WD] [EB], [EL] [PL], [MW] [K], [HG] [HA], [JY] [A], [MU] [WF], Mme [WB] [EE], MM. [BJ] [TP], [I] [P], [EJ] [O], [PW] [YX] et [HI] [BN], alors :

« 1°/ que l'absence de souvenirs, trouverait-elle son origine dans le fait que l'infraction aurait été commise sur une victime endormie ou anesthésiée, ne constitue pas un obstacle insurmontable de fait assimilable à la force majeure ayant pu suspendre le délai de prescription ; qu'en retenant, pour caractériser un obstacle insurmontable, que les patients auraient été, pour certains, endormis et, pour d'autres, sous anesthésie au moment des faits, la chambre de l'instruction a violé l'article 9-3 du code de procédure pénale ;

2°/ que la chambre de l'instruction relève que des plaignants et parties civiles se sont interrogés après leur sortie de l'hôpital sur des sensations, modifications ou douleurs de la zone génito-anale ; qu'en considérant néanmoins que la circonstance que les faits auraient eu lieu sur des personnes endormies ou sous anesthésie constituait un obstacle insurmontable de fait assimilable à la force majeure, la chambre de l'instruction a violé les articles 9-3 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que la chambre de l'instruction retient, s'agissant des plaignants et parties civiles qui se sont interrogés après leur sortie de l'hôpital sur des sensations, modifications ou douleurs de la zone génito-anale, que leur agression par leur médecin ne pouvait être raisonnablement prévue en amont ni même suspectée a posteriori, tant en raison des circonstances et de la cause médicale de leur venue dans l'établissement de soins que du fait du grand nombre de personnel soignant susceptible de les entourer ; qu'en statuant par un tel motif inopérant, la chambre de l'instruction a violé les articles 9-3 et 593 du code de procédure pénale ;

4°/ que le mode opératoire ayant consisté, pour un médecin, à commettre des agressions sexuelles sur des patients, la plupart du temps de manière fugace, après la vérification de l'absence de tierce personne au moment de l'acte ou détournement de l'attention du personnel soignant et avec transformation du geste à connotation sexuelle en geste à connotation médicale lorsqu'il craignait d'être surpris, ne constitue pas un obstacle insurmontable de fait assimilable à la force majeure ayant pu suspendre le délai de prescription ; qu'en retenant le contraire, la chambre de l'instruction a violé l'article 9-3 du code de procédure pénale ;

5°/ qu'en retenant l'existence d'un obstacle insurmontable lorsqu'elle constatait que dès 2006, et alors que le mis en examen avait déjà été condamné par le tribunal correctionnel de Vannes le 17 novembre 2005 pour des faits de détention et d'importation de l'image d'un mineur présentant un caractère pornographique, des propos à connotation sexuelle du mis en examen envers un de ses patients avait attiré l'attention du personnel soignant qui en avait informé la direction par courrier du 14 juin 2006 et l'ordre des médecins dès le 19 juillet 2006, la chambre de l'instruction n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 9-3 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

16. Pour rejeter partiellement la demande tendant à constater que l'action publique était prescrite, s'agissant des faits commis sur trente-trois victimes, l'arrêt attaqué énonce que M. [ZB] a admis, lors des interrogatoires devant le magistrat instructeur, qu'il savait que les victimes ayant subi des actes de nature sexuelle au bloc opératoire, ou dans les moments proches de l'entrée ou de la sortie du bloc opératoire, alors qu'elles étaient « prémédiquées », anesthésiées ou en phase de surveillance avant leur réveil, ne pouvaient en garder aucun souvenir, soit en raison de leur sommeil anesthésique, soit en raison de l'amnésie provoquée par cette médication.

17. Les juges ajoutent que l'intéressé agissait, dans ces hypothèses, selon un mode opératoire parfaitement rodé, mis en évidence comme ayant existé depuis de très nombreuses années, sans jamais être découvert, soit après avoir vérifié l'absence de tierce personne au moment de l'acte ou détourné l'attention du personnel soignant, soit lorsque, craignant d'être surpris, il transformait l'attouchement en un geste en apparence médical.

18. Ils relèvent, s'agissant des victimes qui se sont interrogées, après leur hospitalisation, sur des sensations de gêne ou de douleur dans la zone génito-anale, qu'elles ne pouvaient en rattacher l'origine à une agression sexuelle commise par ce chirurgien, lequel agissait dans un contexte et selon un mode opératoire qui lui permettait de parvenir à une complète dissimulation des faits.

19. Ils en concluent, d'une part, qu'il existait une impossibilité d'agir pour les victimes potentielles à la conscience abolie, en sommeil anesthésique, « prémédiquées » ou en phase de réveil, liée à des circonstances irrésistibles qui leur sont parfaitement extérieures, d'autre part, qu'en raison du mode opératoire et des stratagèmes utilisés par M. [ZB] entourant la commission des actes et de l'absence de souvenirs des patients en résultant, les autorités compétentes, qui ne pouvaient être mises en mesure de connaître l'existence même des faits, ont été empêchées d'agir pour interrompre la prescription de l'action publique.

20. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des textes visés au moyen.

21. En effet, elle a souverainement constaté, par des motifs dénués de toute insuffisance comme de contradiction, qu'il existait un obstacle insurmontable à l'exercice des poursuites, ce dont il résulte que le délai de prescription avait été suspendu jusqu'au 2 mai 2017, date de la révélation des faits, pour en déduire à bon droit que la prescription n'était pas acquise.

22. Dès lors, le moyen doit être écarté.

Sur le quatrième moyen proposé pour M. [ZB]

Enoncé du moyen

23. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a partiellement confirmé l'ordonnance du juge d'instruction du tribunal judiciaire de Lorient ayant rejeté sa demande de constat de la prescription de l'action publique s'agissant des faits concernant Mmes [R] [H], [NA] [BO], [S] [C], M. [EA] [E], Mmes [KE] [HC], [TF] [MP], MM. [EL] [EK], [V] [PU], [G] [TJ], [L] [BF], [X] [W], [U] [TH], [WL] [WH], [L] [PN], Mme [WJ] [Z], MM. [PS] [T], [HE] [MY], [GW] [TL], [PW] [KA], Mme [ZH] [ZF], MM. [GW] [GY], [WD] [EB], [EL] [PL], [MW] [K], [HG] [HA], [JY] [A], [MU] [WF], Mme [WB] [EE], MM. [BJ] [TP], [I] [P], [EJ] [O], [PW] [YX] et [HI] [BN], alors « qu'en constatant que dès 2006 des propos à connotation sexuelle du mis en examen envers un de ses patients avait attiré l'attention du personnel soignant qui en avait informé la direction par courrier du 14 juin 2006 et l'ordre des médecins dès le 19 juillet 2006, sans en déduire qu'à cette date, s'agissant des infractions commises avant le 14 juin 2006, la cause de suspension avait pris fin et le délai de prescription avait repris son cours, la chambre de l'instruction a violé l'article 9-3 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

24. L'arrêt attaqué retient comme point de départ du délai de prescription la découverte des écrits de M. [ZB] lors de la première perquisition à son domicile le 2 mai 2017, au motif que ces écrits ont permis de révéler la possibilité de la commission des crimes et délits sexuels, objet de la saisine ultérieure du magistrat instructeur.

25. En prononçant ainsi, dès lors, d'une part, que les pièces de la procédure établissent que les infractions, qui lui sont reprochées dans la présente information, ne sont pas apparues dans des conditions ayant permis la mise en oeuvre de l'action publique avant la date précitée, et, d'autre part, que la prescription de l'action publique n'a pu être interrompue par la révélation de faits distincts, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des textes visés au moyen.

26. Ainsi, le moyen doit être écarté.

Sur le moyen proposé pour Mme [F]

Enoncé du moyen

27. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit que l'action publique était acquise concernant les faits d'agression sexuelle avec violence ou surprise sur mineur de quinze ans par personne ayant autorité commis entre le 1er janvier et le 31 décembre 1990 sur la personne de Mme [F], alors :

« 1 °/ que tout obstacle de droit ou de fait, insurmontable et assimilable à la force majeure, rend impossible la mise en mouvement de l'action publique et suspend la prescription ou reporte son point de départ ; que l'impossibilité pour une personne endormie médicalement, d'avoir connaissance des actes sexuels commis sur elle par le chirurgien qui l'opère, constitue un obstacle insurmontable rendant impossible la mise en mouvement de l'action publique ; que la cour d'appel a constaté que « compte tenu de l'ensemble des éléments, il existait une impossibilité d'agir pour les victimes potentielles à la conscience abolie, en sommeil anesthésique, pré-médiquée ou en phase d'éveil, liée à des circonstances irrésistibles qui leur sont parfaitement extérieures.

En raison du mode opératoire et des stratagèmes utilisés par [TN] [ZB] entourant la commission des actes et de l'absence de souvenirs des patients en résultant, les autorités compétentes qui ne pouvaient être mises en mesure de connaître l'existence même des faits, ont été empêchées d'agir pour interrompre la prescription de l'action publique » ; qu'en énonçant cependant que l'infraction serait prescrite, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision et a méconnu les articles 8, 9-3, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'un acte interruptif de prescription concernant une infraction a un même effet à l'égard d'une autre infraction lorsque celle-ci est connexe ; que sont connexes les infractions commises en série sur des victimes différentes en cas de similitude dans le mode opératoire, dans l'approche et le sort réservé aux victimes ; que M. [ZB] a commis des mêmes infractions sexuelles selon le même mode opératoire, la même approche et choix des victimes et le même sort leur était réservé ; que la cour d'appel a constaté que les actes étaient « similaires » procédaient « d'un même mode opératoire » et « d'un même mode [...] de prédation » ; qu'en énonçant l'absence de connexité en ce que les faits « en ce qu'ils sont commis sur des victimes distinctes [...] demeurent séparables », la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision et a méconnu les dispositions susvisées ainsi que les articles 8, 9-2 et suivants, 203, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en sa première branche

28. Pour déclarer prescrite l'action publique relative aux faits concernant Mme [F], l'arrêt attaqué énonce que ceux-ci, commis en 1990, alors que l'intéressée était âgée de moins de quinze ans, sont normalement prescrits, et qu'il convient de vérifier si la prescription n'a pas été suspendue par l'effet d'un obstacle de fait insurmontable.

29. Les juges ajoutent que cette victime a confirmé lors de son audition avoir subi une opération à la clinique où exerçait M. [ZB], sans se souvenir de gestes à connotation sexuelle qu'on lui aurait imposés.

30. Ils précisent que, dans ses écrits relatifs à ces faits, M. [ZB] a évoqué des attouchements sur la vulve et le clitoris, sans toutefois indiquer leurs conditions de réalisation (état de veille ou de somnolence de l'enfant, lieu, anesthésie, etc.).

31. Ils en concluent que les conditions fixées pour retenir l'obstacle insurmontable ne sont pas remplies.

32. En l'état de ces énonciations, qui procèdent de son appréciation souveraine, et dont il résulte que les éléments de fait du dossier ne permettent pas de caractériser que cette victime avait subi des faits alors qu'elle était inconsciente, et d'en déduire l'existence d'un obstacle insurmontable ayant rendu impossible l'exercice de l'action publique, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

33. C'est à tort que les juges ont considéré que les crimes et délits sexuels, y compris commis par le même auteur, ne peuvent être considérés comme des infractions connexes au sens de l'article 9-2 du code de procédure pénale, en ce qu'ils sont commis sur des victimes distinctes ayant subi des actes qui, bien que similaires comme procédant d'un même mode opératoire et de prédation, demeurent séparables les uns des autres tant dans leur matérialité que dans leur intentionnalité.

34. En effet, de tels faits peuvent être connexes dès lors qu'ils présentent entre eux des rapports étroits qu'il appartient aux juges du fond de caractériser.

35. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure, dès lors que la connexité entre ces faits n'était pas de nature à permettre à une victime, dont il n'est pas établi qu'elle s'est trouvée dans l'impossibilité d'agir, de bénéficier de la suspension du délai de prescription accordée pour ce motif à une autre victime d'un fait connexe.

36. Ainsi, le moyen doit être écarté.

37. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Mallard - Avocat général : M. Valat - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SCP Sevaux et Mathonnet ; SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés ; SARL Cabinet François Pinet ; SCP Waquet, Farge et Hazan ; Me Balat ; SCP Le Bret-Desaché -

Textes visés :

Article 7 et 8 du code de procédure pénale dans leur rédaction en vigueur du 14 juillet 1989 au 18 juin 1998 ; articles 9-3 et 593 du code de procédure pénale.

Crim., 7 juin 2023, n° 22-86.644, (B), FRH

Rejet

Action publique – Suspension – Ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 – Date d'expiration du délai – Absence d'influence

L'article 3 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 a suspendu l'ensemble des délais de prescription de l'action publique et de la peine qui étaient en cours à la date du 12 mars 2020, et ce jusqu'au 10 août 2020, sans distinguer selon que ces délais devaient, ou non, expirer pendant cette période.

Justifie en conséquence sa décision de rejet de demande de constatation de l'acquisition de la prescription d'une peine correctionnelle une cour d'appel qui constate que celle-ci a fait l'objet d'un acte d'exécution le 1er décembre 2021, six ans et deux mois après un précédent, dès lors que le délai de prescription avait été suspendu pendant plus de quatre mois à raison de la période visée par l'ordonnance précitée.

M. [D] [R] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 5-1, en date du 4 octobre 2022, qui a prononcé sur sa requête en constatation de prescription de la peine.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Par arrêt du 9 juin 2015, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a condamné M. [D] [R] à quatre ans d'emprisonnement et à une interdiction professionnelle définitive.

3. Un premier mandat d'arrêt européen a été décerné contre lui le 1er octobre 2015, et un second, le 1er décembre 2021.

4. Par requête du 26 juillet 2022, M. [R] a demandé à la cour d'appel de constater la prescription de la peine.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête de M. [R] aux fins de constatation de la prescription d'une peine, alors « que l'article 3 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, qui prévoyait que les délais de prescription de la peine étaient suspendus à compter du 12 mars 2020 jusqu'à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire, soit jusqu'au 10 août 2020, n'était applicable qu'aux délais expirant entre ces deux dates ; qu'en l'espèce où, selon les constatations de l'arrêt attaqué, le délai de prescription de la peine d'emprisonnement prononcée à l'encontre de M. [R], qui avait été interrompu le 1er octobre 2015, expirait le 1er octobre 2021, la cour d'appel, en considérant que ce délai avait été suspendu entre le 12 mars et le 10 août 2020 par application de l'article 3 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020, ce dont elle a déduit qu'il n'était pas expiré à la date du mandat d'arrêt européen du 1er décembre 2021, a méconnu ce texte par fausse application, ensemble les articles 133-1, alinéa 2, et 133-3 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

6. Pour rejeter la demande de constatation de la prescription, l'arrêt attaqué constate que la peine prononcée, de nature correctionnelle, se prescrivait par six ans.

7. Les juges ajoutent qu'il s'est écoulé moins de six ans entre l'arrêt du 9 juin 2015 qui a prononcé la peine, et le mandat d'arrêt européen du 1er octobre 2015, qui a donc interrompu la prescription, puis qu'il s'est écoulé six ans et deux mois entre ce premier mandat, et le second, du 1er décembre 2021.

8. Ils relèvent que, l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 ayant suspendu les délais de prescription de la peine du 12 mars 2020 au 10 août 2020, soit pendant plus de quatre mois, la date d'expiration du délai de prescription a été reportée d'autant.

9. Ils en concluent que, compte tenu de cette suspension, le délai de prescription de la peine n'était pas encore expiré à la date du mandat d'arrêt européen du 1er décembre 2021, qui a donc à nouveau interrompu la prescription.

10. En prononçant ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application des textes visés au moyen.

11. En effet, l'article 3 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 a suspendu l'ensemble des délais de prescription de l'action publique et de la peine qui étaient en cours à la date du 12 mars 2020, et ce jusqu'au 10 août 2020, sans distinguer selon que ces délais devaient, ou non, expirer pendant cette période.

12. Ainsi, le moyen doit être écarté.

13. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Mallard - Avocat général : M. Petitprez - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Article 3 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020.

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