2 mai 2024
Cour d'appel de Versailles
RG n° 22/03023

Chambre sociale 4-5

Texte de la décision

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80C



Chambre sociale 4-5



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 02 MAI 2024



N° RG 22/03023

N° Portalis DBV3-V-B7G-VOMR



AFFAIRE :



[P] [W]





C/

S.A.S. STYLE & DESIGN GROUP









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 05 Septembre 2022 par le Conseil de Prud'hommes de RAMBOUILLET

N° Chambre : E

N° RG : 21/00099



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS



la SCP AVENS







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE DEUX MAI DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :



Monsieur [P] [W]

né le 06 Avril 1968 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625

Représentant : Me Franck AMRAM, Plaidant, avocat au barreau du VAL D'OISE







APPELANT

****************





S.A.S. STYLE & DESIGN GROUP

N° SIRET : 528 78 2 9 23

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Marie-hortense DE SAINT REMY de la SCP AVENS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0286







INTIMEE

****************







Composition de la cour :



En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 06 Mars 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller chargé du rapport.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :



Monsieur Thierry CABALE, Président,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Madame Laure TOUTENU, Conseiller,



Greffier lors des débats : Monsieur Nabil LAKHTIB,














EXPOSE DU LITIGE.



M. [P] [W] a été embauché, à compter du 23 novembre 2009, selon contrat de travail à durée indéterminée par la société STYLE & DESIGN GROUP.



Une clause de non-concurrence a été incluse dans le contrat de travail.



La convention collective applicable à la relation de travail est la convention nationale collective des bureaux d'études techniques, cabinets d'ingénieurs conseils, sociétés de conseils dite 'Syntec'.



En dernier lieu, M. [W] occupait les fonctions de 'responsable conception et fabrication assistées par ordinateur ' (statut de cadre, position 3.2, coefficient 210) et encadrait à ce titre plusieurs salariés.



Par lettre du 26 janvier 2021, la société STYLE & DESIGN GROUP a convoqué M. [W] à un entretien préalable à un éventuel licenciement avec mise à pied à titre conservatoire.



Par lettre du 8 février 2021, la société STYLE & DESIGN GROUP a notifié à M. [W] son licenciement pour faute grave tirée d'agissements de harcèlement moral sur ses subordonnés.



Le 1er avril 2021, M. [W] a saisi le conseil de prud'hommes de Rambouillet pour contester le bien-fondé de son licenciement et demander notamment la condamnation de la société STYLE & DESIGN GROUP à lui payer des indemnités de rupture, une indemnité pour licenciement sans cause et sérieuse et une indemnité au titre de la clause de non-concurrence.



Par jugement du 5 septembre 2022, le conseil de prud'hommes a :

- requalifié le licenciement pour faute grave de M. [W] en licenciement pour faute,

- condamné la société STYLE & DESIGN GROUP à payer à M. [W] les sommes suivantes :

* 15'487 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 1 548 euros au titre des congés payés afférents ;

* 1720 euros à titre de rappel de salaire sur la mise à pied à titre conservatoire ;

* 9 292,78 euros au titre de la clause de non-concurrence et 929,27 euros au titre des congés payés afférents ;

- débouté M. [W] de ses autres demandes ;

- ordonné à la société STYLE & DESIGN GROUP de fournir sans délai à M. [W] les documents sociaux à jour ;

- débouté la société STYLE & DESIGN GROUP de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société STYLE & DESIGN GROUP aux dépens.



Le 6 octobre 2022, M. [W] a interjeté appel de ce jugement.



Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 19 juin 2023, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens, M. [W] demande à la cour de :

1) infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a requalifié son licenciement pour faute grave en licenciement pour faute, l'a débouté de ses demandes, a statué sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile et statuant à nouveau sur les chefs infirmés, dire son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner la société STYLE & DESIGN GROUP à lui payer une somme de 54'207 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

2) rectifiant l'omission de statuer, condamner la société STYLE & DESIGN GROUP à lui payer une somme de 19'646,90 euros à titre d'indemnité légale de licenciement ;

3) confirmer le jugement attaqué pour le surplus ;

4) condamner la société STYLE & DESIGN GROUP à lui payer une somme de 3500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en première instance et une somme de 7000 euros au même titre pour la procédure suivie en appel, ainsi qu'aux entiers dépens.



Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 15 février 2023, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens, la société STYLE & DESIGN GROUP demande à la cour de :

1) infirmer le jugement attaqué sur la requalification du licenciement pour faute grave en licenciement pour faute, sur les condamnations prononcées à son encontre, le débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

2) confirmer le jugement attaqué pour le surplus et notamment sur le débouté des autres demandes de M. [W] ;

3) statuant à nouveau sur les chefs infirmés :

- dire que le licenciement de M. [W] repose sur une faute grave ;

- débouter M. [W] de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner M. [W] à lui payer une somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.



Une ordonnance de clôture de l'instruction a été rendue le 20 février 2024.




SUR CE :



Sur le bien-fondé du licenciement et ses conséquences :



M. [W] soutient que son licenciement pour faute grave tirée d'un harcèlement moral sur ses collaborateurs est dépourvu de cause réelle et sérieuse aux motifs que :

- les faits de harcèlement reprochés ne sont pas établis et relèvent en tout état de cause de difficultés à diriger une équipe et donc d'une insuffisance professionnelle ;

- les difficultés à diriger une équipe qui lui sont reprochées étaient connues depuis longtemps par l'employeur et n'ont donné lieu à aucune réaction ;

- les faits litigieux résultent de la propre pression mise par l'employeur sur ses épaules ;

- il n'a aucun passé disciplinaire .



Il réclame en conséquence la condamnation de la société STYLE & DESIGN GROUP à lui payer une indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents, un rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et une indemnité légale de licenciement.



La société STYLE & DESIGN GROUP soutient que le harcèlement moral reproché à M. [W] est établi et constitutif d'une faute grave. Elle ajoute qu'elle n'a pas toléré ce comportement et a réagi immédiatement en engageant la procédure de licenciement après la dénonciation d'un salarié et une enquête interne. Elle conclut donc au débouté des demandes de M. [W].



La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et implique son éviction immédiate. La charge de la preuve de cette faute incombe à l'employeur qui l'invoque.



Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.



Aux termes de l'article L. 1152-5 du même code, tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement moral est passible d'une sanction disciplinaire.



En l'espèce, la société STYLE & DESIGN GROUP verse aux débats les comptes-rendus des auditions des sept subordonnés de M. [W] qu'elle a réalisées dans le cadre de l'enquête interne engagée à la suite d'une dénonciation de harcèlement moral faite par l'un d'eux, le 16 décembre 2020 (M. [I] [X]), lesquels sont en outre appuyés par des attestations précises, concordantes et circonstanciées de ces mêmes salariés.



Il ressort de ces pièces que M. [W] :

- avait un mode habituel de direction de ses subordonnés très autoritaire, ne supportant aucune discussion et n'écoutant aucun d'eux, que plusieurs d'entre eux décrivent de façon concordante comme 'tyrannique' ;

- dirigeait ses subordonnés en exerçant des pressions permanentes, en leur disant par exemple fréquemment que 'l'erreur n'est pas humaine',

- adressait habituellement des critiques injustifiées sur le travail de ses subordonnés et ce devant les autres salariés ou des clients, de manière humiliante, par exemple en disant que le travail accompli 'était de la merde' ou en jetant violemment sur le bureau de l'un des salariés un objet qu'il avait conçu ;

- avait un comportement lunatique et s'acharnait à tour de rôle par des critiques injustifiées surses subordonnés qui devenaient ainsi des souffre-douleurs ;

- tenait des propos graveleux sur l'absence de vie affective de l'un des salariés ou des propos moquant ses origines espagnoles ('tu me ramènes une tortilla') ;



Les salariés font état également de l'angoisse et du stress permanent ainsi généré par le comportement de M. [W] à leur égard, du fait qu'ils se sentaient mieux dès qu'il n'était pas dans les locaux et de leur envie de quitter leur poste.



La société STYLE & DESIGN GROUP établit ainsi que M. [W] a commis de manière volontaire des agissements répétés de harcèlement moral qui ont eu pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail des salariés susceptible de porter atteinte à leurs droits et à leur dignité, d'altérer leur santé physique ou mentale ou de compromettre leur avenir professionnel.



Pour sa part, M. [W] n'établit en rien qu'il était soumis à une pression de la part de la société STYLE & DESIGN GROUP justifiant un tel comportement, l'attestation d'un ancien salarié de la société nouvellement versée en appel ne faisant pas ressortir de tels faits.



Enfin, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, aucun élément ne fait ressortir que la société STYLE & DESIGN GROUP avait connaissance d'un tel harcèlement moral depuis longtemps et a toléré ces faits sans réagir. En effet, les salariés mentionnent tous dans leur auditions et leurs attestations qu'aucune dénonciation de harcèlement moral à l'encontre de M. [W] n'a eu lieu avant le mois de décembre 2020 eu égard à la crainte qu'il inspirait et à la peur de perdre leur emploi. Les évaluations professionnelles de M. [W] quant à elles ne font en rien ressortir que des agissements de harcèlement moral ont été pointés du doigt par l'employeur à plusieurs reprises.



Il résulte de ce qui précède que les faits de harcèlement moral imputés à M. [W] sont établis et qu'ils rendaient impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et impliquaient son éviction immédiate.



Le licenciement de M. [W] repose donc bien sur une faute grave, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges. Le jugement attaqué sera donc infirmé sur ce point.



Par suite, il y a lieu de débouter M. [W] de ses demandes d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents, de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire, le jugement attaqué étant infirmé sur ces points.



Il y a lieu également de confirmer le débouté de la demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.



Il y a enfin lieu de débouter M. [W] de sa demande d'indemnité légale de licenciement sur laquelle les premiers juges ont omis de statuer.



Sur l'indemnité au titre de la clause de non-concurrence et les congés payés afférents :



Contrairement à ce que soutient la société STYLE & DESIGN GROUP, il appartient à l'employeur de rapporter la preuve d'une éventuelle violation de la clause de non-concurrence par le salarié.



En l'espèce, la société STYLE & DESIGN GROUP n'apporte par la preuve d'une telle violation de son obligation de non-concurrence par M. [W].



Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il alloue une somme de 9 292,78 euros au titre de l'indemnité de non-concurrence et une somme 929,27 euros au titre des congés payés afférents, étant précisé que ces montants ne sont pas discutés par l'employeur.



Sur la remise de documents sociaux :



Eu égard à la solution du litige, il y a lieu d'infirmer le jugement en ce qu'il statue sur ce point et d'ordonner à la société STYLE & DESIGN GROUP de remettre à M. [W] des documents sociaux conformes au présent arrêt.



Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :



Eu égard à la solution du litige, il y a lieu de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il statue sur ces deux points.



En outre, chacune des parties conservera la charge de ses dépens et frais irrépétibles exposés en cause d'appel.



PAR CES MOTIFS :



La cour, statuant par arrêt contradictoire,



Infirme le jugement attaqué, sauf en ce qu'il statue sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'indemnité au titre de la clause de non-concurrence et les congés payés afférents, l'article 700 du code de procédure civile et les dépens,



Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,



Dit que le licenciement de M. [P] [W] repose sur une faute grave,



Ordonneà la société STYLE & DESIGN GROUP de remettre à M. [W] des documents sociaux conformes au présent arrêt,



Déboute les parties pour le surplus,



Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,



Dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens d'appel.



Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



Signé par Monsieur Thierry CABALE, Président, et par Monsieur Nabil LAKHTIB, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.





Le greffier, Le président,

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