2 mai 2024
Cour d'appel de Versailles
RG n° 22/01249

Chambre sociale 4-6

Texte de la décision

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80C



Chambre sociale 4-6



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 02 MAI 2024



N° RG 22/01249 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VEQZ



AFFAIRE :



[X] [L]





C/

S.A.S.U. CYLLENE ITS (anciennement dénommée CONSEILS ET SYSTEMES INFORMATIQUES)









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 03 Février 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT



N° Chambre :

N° Section : E

N° RG : 19/00713



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Reihaneh NOVEIR de

la SELARL NOVEIR & BENSASSON





Me Grégoire BRAVAIS







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE DEUX MAI DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :



Monsieur [X] [L]

né le 30 Août 1977 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 4]



Représentant : Me Reihaneh NOVEIR de la SELARL NOVEIR & BENSASSON, avocat au barreau d'ESSONNE -





APPELANT



****************





S.A.S.U. CYLLENE ITS (anciennement dénommée CONSEILS ET SYSTEMES INFORMATIQUES)

N° SIRET : 337 958 698

[Adresse 3]

[Localité 2]



Représentant : Me Grégoire BRAVAIS, avocat au barreau de PARIS





INTIMEE



****************







Composition de la cour :



En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 12 Mars 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Véronique PITE, Conseiller chargé du rapport.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :



Madame Nathalie COURTOIS, Président,

Madame Véronique PITE, Conseiller,

Madame Odile CRIQ, Conseiller,



Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE,
















FAITS ET PROCÉDURE



M. [X] [L] a été engagé par contrat de travail à durée indéterminée à compter 3 avril 2017, en qualité d'ingénieur commercial senior, statut cadre, par la société ABC Systèmes et Formation, aux droits de laquelle vient désormais la société par actions simplifiée Cyllene ITS, qui est spécialisée dans le conseil en systèmes et logiciels informatiques, emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective des bureaux d'études techniques, cabinets d'ingénieurs conseils et des sociétés de conseil, dite SYNTEC.



Par courrier du 18 juillet 2018, M. [L] a démissionné sans réserve, et il a sollicité la dispense partielle de son préavis pour un départ effectif le 31 août, qui fut acceptée.



Il a ensuite reçu une convocation datée du 8 août 2018, à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 5 septembre suivant, restée sans suite.



M. [L] a saisi, le 15 mai 2019, le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt, en vue d'obtenir la requalification de sa démission en une prise d'acte de la rupture aux torts de l'employeur déployant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et la condamnation de la société au paiement de diverses sommes, ce à quoi la société s'est opposée.



Par jugement rendu le 3 février 2022 et notifié le 24 mars suivant, le conseil a statué comme suit :



Condamne la société à verser à M. [L] la somme de 3.333,33 euros bruts au titre de solde de prime contractuelle ;



Juge que le licenciement pour faute grave de M. [L] est fondé et le déboute du surplus de ses demandes ;



Laisse à chacune des parties le paiement de ses frais irrépétibles.



Le 15 avril 2022, M. [L] a relevé appel de cette décision par voie électronique.



Selon ses dernières conclusions remises au greffe le 10 mai 2022, il demande à la cour de :



Infirmer le jugement en ce qu'il :



A condamné la société à lui verser 3.333,33 euros bruts à titre de solde de prime contractuelle, sur le quantum de la somme allouée,



A jugé que son licenciement pour faute grave est fondé,



L'a débouté du surplus de ses demandes,



A laissé à chacune des parties le paiement des frais irrépétibles.



En conséquence, il demande à la cour, en statuant à nouveau, de :



Juger que sa démission est imputable aux manquements de l'employeur,



Requalifier sa démission en une prise d'acte produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,



En conséquence :



Condamner la société à lui verser les sommes suivantes :



o 14.022,02 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,



o 12.358,07 euros au titre de reliquat d'indemnité compensatrice de préavis,



o 1.235,80 euros au titre des congés payés afférents,

o 49.381,92 euros (9 mois) au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,



o 27.434,40 euros (5 mois) au titre des dommages et intérêts pour préjudice moral,



o 1.500 euros au titre de dommages et intérêts pour perte de chance de percevoir des commissions sur des contrats rapportés par lui,



o 20.000 euros au titre de rappel de prime contractuelle,



o 59.493,54 euros au titre de rappel d'heures supplémentaires,



o 5.949,35 euros au titre des congés payés afférents,



o 9.087,12 euros au titre de rappel de commissions et de congés payés sur rappel de commissions,



Condamner la société à lui verser la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,



Condamner la société aux entiers dépens,



Dire que les condamnations prononcées porteront intérêts au taux légal en vigueur, à compter de la demande introductive de l'instance.



Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 14 juin 2022, la société Cyllene ITS demande à la cour de :



Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt en ce qu'il a débouté M. [L] de ses demandes au titre de la rupture de son contrat de travail,

Infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt en ce qu'il :



' L'a condamnée à verser à M. [L] la somme de 3.333,33 euros bruts au titre de solde de prime contractuelle,



' A laissé à chacune des parties le paiement des frais irrépétibles.



La société demande par conséquent à la cour de :



Débouter M. [L] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,



Condamner M. [L] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,



Condamner M. [L] aux entiers débours et dépens.



Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.



Par ordonnance rendue le 10 janvier 2024, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 12 mars 2024.



Le conseiller rapporteur a mis d'office dans les débats le moyen de l'inexécution déloyale du contrat de travail pour les griefs énoncés au soutien de la requalification de la démission dont le fondement légal n'est pas précisément énoncé.

Aucune note en délibéré n'est parvenue à la cour durant le temps imparti aux plaideurs pour y répondre.


MOTIFS



Sur la requalification de la démission



Pour dire la démission équivoque, M. [L], qui souligne en avoir précisé les causes dans les 2 mois de son envoi, fait valoir le management sans considération de la nouvelle direction sur les anciens salariés qui quittèrent pour la plupart les effectifs, et dénonce, à son égard, son humiliation publique, son intimidation, l'absence de moyens affectés aux tâches demandées, sa surcharge de travail due à une débauche massive et ayant conduit à la violation de son droit aux repos quotidien et hebdomadaire sans paiement de ses heures supplémentaires, enfin, le manquement à l'obligation de sécurité par prévention des risques professionnels de burn out. Il souligne la dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé.



L'employeur y oppose l'absence de réserve et le silence gardé par le salarié durant des mois rendant sa démission non équivoque, et que justifiait un nouvel emploi à effet au 1er septembre 2018.



Pour le surplus, démentant les accusations portées à son encontre, il plaide la carence probatoire de son colitigant, tout en relevant que les faits dénoncés après la démission ne sauraient pas en être l'explication.



Sur l'équivoque



La lettre de démission du 18 juillet 2018 est ainsi libellée :



« je vous informe par la présente de ma décision de démissionner du poste d'ingénieur commercial senior que j'occupe dans votre entreprise, ABC SYSTEMES et Formation, depuis le 03 avril 2017.

J'ai bien conscience que les termes de mon contrat de travail prévoient un préavis, je sollicite la dispense d'une partie de celui-ci, de sorte à ce que mon départ devienne effectif le 31 août 2018.

Je reste à votre disposition afin de convenir d'un rendez-vous pour solder notre collaboration en toute régularité. »



L'article L.1231-1 du code du travail dit que le contrat à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative du salarié.



Pour produire ses effets, la démission initiée par le salarié doit lui être imputable et ainsi n'être pas équivoque, au regard de son libellé ou des circonstances contemporaines ou antérieures à sa délivrance. Il appartient ainsi au salarié qui conteste son imputabilité d'établir l'existence d'un différend antérieur ou contemporain permettant de l'appréhender comme la prise d'acte de la rupture du contrat de travail, aux torts exclusifs de l'employeur.



Ici, M. [L] se prévaut de la lettre de son conseil adressée à l'employeur le 10 octobre 2018, faisant doléance d'agissements irrespectueux à son égard, d'un manque de moyens dédiés aux prestations demandées, d'une trop grande amplitude de travail, d'heures supplémentaires effectuées sans être rémunérées.



Il produit les attestations de plusieurs collègues se faisant unanimement l'écho, après la fusion de la société ABC Systèmes et Formation avec la société CetSI à l'été 2017 de la mise en place d'une nouvelle direction prise en main par le président de la société CetSI en octobre, en discordance avec les savoirs et les procédés de la société ABC, alors dénigrés, d'une ambiance « délétère », « très vite très dure » appuyée par des remarques désobligeantes qui provoqua le départ du tiers des effectifs, selon M. [C], et par suite une surcharge de travail, M. [H] affirmant que « M. [Z] [[W], PDG] et Cyl[l]ène ont été le Covid-19 d'une entreprise qui [s]'est très bien porté[e] en plus de 15 ans ».



Dans ce contexte singulier, précisément étayé, c'est à tort que le conseil de prud'hommes estima, par des motifs inopérants et pour le surplus incomplets, que la démission était univoque à raison de son libellé, de la négociation du préavis et d'une contestation tardive envisagée au seul jour de sa saisine.



Il convient ainsi, pour la qualifier, d'analyser les griefs exposés aux débats.

Sur la bonne foi



Le contrat de travail s'exécute de bonne foi.



Sur le dénigrement



M. [W] s'adressant par mail le 23 avril 2018 à M. [L] exprime : « ému, offusqué, courroucé, choqué, contrarié, froissé ou simplement surpris'ces termes n'ont qu'une faible valeur à mes yeux (') En effet, à la différence de l'ère pigoisienne [M. [E], ancien président de la société ABC Systèmes et Formation] où l'émotionnel était le pivot central du comportement de l'entreprise, celle de Cyllène est basée sur la rigueur, le pragmatisme et le respect des valeurs. (') Il est dès lors inutile d'étendre plus avant ces discussions superflues. Pour conclure et ne pas renouveler ce genre de situation tout comme le raisonnement absurde qui consisterait à indexer la rémunération des commerciaux sur l'activité réelle du support (') » etc.



S'il lui confirme que « nul n'a autorité pour modifier un document de facturation en dehors de la direction financière du groupe », il ne traite pas l'intéressé, contrairement à ce qu'il prétend, de « voleur » et l'attestation imprécise de M. [Y], sales manager, à cet égard ne l'éclaire pas plus.



Par ailleurs, M. [L] ne justifie pas que M. [W] aurait traité l'entière équipe de beatnik, par le mail adressé par un tiers mentionnant « the beatnik group », le 29 mai 2018, diversement commenté.



En revanche, M. [Y] témoigne que M. [W] affublait M. [L] des vocables de « pignouf », « gros roudoudou », « dents pourris », ajoutant que « le costume est trop grand pour lui ».



Dans cette mesure, le dénigrement est établi.



Sur l'intimidation



Par mail du 4 avril 2018, dans le contexte non disputé d'un document non remis en temps utile par un collaborateur dont M. [L] se plaignait en mettant en copie de sa réclamation M. [W], ce dernier, filant en trois paragraphes la métaphore, répliquait notamment : « ainsi les remarques, reproches, rodomontades, critiques, jugements etc. devront de préférence être fait en comité restreint ou mieux encore par oral et ce, en évitant de mettre l'armateur en copie au risque de lui faire craindre l'avarie de son beau navire. »



Il ne s'en détache pas suffisamment une tentative d'intimidation, à laquelle n'ajoutent pas les commentaires de l'incident par d'autres, dont M. [L] se prévaut.



Sur le défaut de moyens et la mise à l'écart



Les échanges des 10 septembre 2017, 7 mars, 6 juin et 2 juillet 2018 dont se prévaut M. [L] ne témoignent d'aucune mise à l'écart volontaire, mais, mettant aux prises des personnes différentes dans des circuits d'information complexes, de dysfonctionnements conjoncturels, et ne disent rien de précis sur les moyens non alloués invoqués.



Sur la surcharge de travail



Sur les heures supplémentaires



L'article L.3171-4 du code du travail exprime qu'« en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable. »

Il résulte de ces dispositions qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.



Au soutien de sa demande en paiement d'une somme de 59.493,54 euros sur trois ans, l'appelant affirme qu'il travaillait tôt le matin ou tard le soir, voire durant ses congés ou le dimanche. Il fait valoir 10 heures supplémentaires par semaine sur la base d'un horaire conventionnel de 39 heures hebdomadaires, que révèle effectivement son contrat, pris en son article 5.



Il produit à cet égard plusieurs mails et attestations disant pour certaines, qu'il ne comptait pas ses heures.



C'est à tort que la société plaide l'imprécision, du moment que l'intéressé quantifie sa demande même s'il ne fournit pas de décompte détaillé des heures effectuées.



Alors qu'il incombe à l'employeur de justifier le temps de travail effectif du salarié, la société Cyllène ne dispute pas utilement ces prétentions au motif de leur non-étaiement ou de l'absence de réclamations préalables, faute de verser aucune pièce aux débats sous cet aspect, quand il lui appartient d'assurer le contrôle des heures de travail effectuées en produisant ses propres éléments sur les horaires effectivement accomplis par le salarié.



Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble des éléments en la cause au regard des exigences légales et réglementaires. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.



Dès lors, au vu des éléments soumis aux débats par l'une et l'autre partie, il convient d'allouer à M. [L] 30.000 euros bruts à ce titre, ainsi que 3.000 euros bruts pour les congés payés afférents, au paiement desquels la société Cyllène sera condamnée. Le jugement sera réformé de ce chef.



Par ailleurs, c'est à juste titre que M. [L] affirme que ses heures supplémentaires n'ont pas été rémunérées, nul ne le prétendant.



Sur le droit au repos



La directive 93/104/CE du Conseil, du 23 novembre 1993, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, telle que modifiée par la directive 2000/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 2000, institue des périodes minimales de repos journalier et des durées maximales hebdomadaires pour les travailleurs, jugées nécessaires à la protection de leur sécurité et de leur santé constituant des règles du droit social communautaire revêtant une importance particulière.



Son article 3 prévoit ainsi, pour chaque période de 24 heures, une période minimale de repos de 11 heures consécutives.



L'article 5 ajoute, pour chaque période de 7 jours, une période minimale de repos sans interruption de 24 heures auxquelles s'ajoutent les 11 heures de repos journalier précitées.



Les articles 6 et 16.2 édictent une durée maximale hebdomadaire de travail de 48 heures sur une période de référence de 4 mois.



En la matière, les dispositions de l'article L. 3171-4 du code du travail relatives à la répartition de la charge de la preuve des heures de travail effectuées entre l'employeur et le salarié ne sont applicables ni à la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne ni à la preuve de ceux prévus par les articles L. 3121-34 et L. 3121-35 du code du travail, qui incombe à l'employeur dans le cadre de son obligation de sécurité.



En l'espèce, M. [L] fait valoir que la violation des dispositions légales et conventionnelles relatives aux durées maximales quotidienne et hebdomadaire de travail est établie au regard de l'accomplissement d'heures supplémentaires.



Il affirme qu'il recevait des mails à toute heure, y compris très tôt ou très tard, et qu'il travaillait parfois le week end.



La société qui s'est limitée à contester tout manquement, alors que la charge de la preuve du respect de ces prescriptions lui incombe, ne communique aucun élément de nature à établir le respect du repos quotidien, hebdomadaire et de la durée journalière de travail.



Ce manquement est constitué.



Sur l'obligation de sécurité



Le salarié invoque également une violation de l'obligation de sécurité par l'employeur, en raison de la violation du droit aux repos quotidien et hebdomadaire.



Selon l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent : 1° des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ; 2° des actions d'information et de formation ; 3° la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.



Ces mesures sont mises en 'uvre selon les principes définis aux articles L. 4121-2 et suivants du même code.



Alors qu'il appartient à l'employeur de rapporter la preuve qu'il a mis en place toutes les mesures de protection et prévention nécessaires, conformément à ses obligations, faute pour la société Cyllène en l'espèce de justifier avoir pris les dispositions de nature à garantir une amplitude et une charge de travail raisonnable, sous la précision que les attestations concordantes versées aux débats témoignent d'une dérive de l'organisation influençant la charge de travail de l'ensemble, le manquement est établi.



Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la démission de M. [L] doit être requalifiée en une prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur, ayant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, du moment que les différents manquements de l'employeur empêchaient, au regard de leur gravité et de leur répétition, la poursuite du contrat de travail. Le jugement sera réformé dans son expression contraire, sur le principe et ses conséquences, et notamment en ce qu'il a jugé, d'ailleurs ultra petita faute d'aucun licenciement, que le licenciement pour faute grave de M. [L] est fondé.





Sur les conséquences



Sur les effets du licenciement sans cause réelle et sérieuse



Si les bulletins de paie mentionnent une ancienneté remontant au 4 octobre 2010, que relève le salarié, elle est contredite par le contrat de travail précisant que M. [L] fut embauché dès le 3 avril 2017, sans que l'avenant ensuite conclu le 1er janvier 2018 ne le modifie.



Faute de cause, cette seule date doit être retenue pour le calcul de l'indemnité conventionnelle de licenciement.



De ce motif, il lui sera alloué la somme de 3.200,68 euros bruts, sur le fondement de l'article R.1234-2 du code du travail, plus favorable que l'article 19 de la convention collective invoqué par le salarié, du moment qu'il ne décompte l'indemnité qu'à compter de 2 ans d'ancienneté, et ce, sur la base d'une moyenne, constante, de 5.486,88 euros par mois.

Comme l'observe la société Cyllène, M. [L] ne peut prétendre à plus d'un mois et demi du préavis non effectué, puisqu'il démissionna le 13 juillet, et travailla jusqu'au 31 août 2018. Lui restent dus 8.230,32 euros, augmentés des congés payés afférents dont convient l'employeur à titre subsidiaire, conformément à l'article L.1234-5 du code du travail.



En application de l'article L.1235-3 du code du travail, vu son ancienneté et l'évolution favorable de sa situation puisqu'il retrouva un emploi dès le 1er septembre 2018, M. [L] sera indemnisé de la perte injustifiée de son emploi par l'octroi de 16.460,64 euros.



Sur les rappels de nature salariale



M. [L] réclame le paiement des commissions qu'il aurait dû percevoir sur la base de la moyenne de celles déjà perçues en 2018, sur les 4 mois restants.



Cependant, il ne peut s'abstraire de la rémunération conventionnelle, qui prévoit au paragraphe 1.2 de l'avenant à son contrat de travail qu'il pourra prétendre à une commission mensuelle de 3% de la marge mensuelle sur le chiffre d'affaires mensuel qu'il aura réalisé pour les sociétés du groupe Cyllène au cours du mois précédent, étant ajouté que le chiffre d'affaires réalisé par l'intéressé correspond à celui pour lequel il aura effectué l'ensemble des démarches depuis le contact clientèle jusqu'au suivi de son compte.



La société Cyllène, qui établit sa libération pour les dernières commissions dues en septembre 2018 sans que la partie appelante n'y oppose aucune critique dans le détail, ne saurait y être condamnée, faute de cause.



Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.



M. [L] sollicite l'indemnisation de sa perte de chance de percevoir d'autres commissions, en faisant valoir la conclusion avant son départ d'un contrat avec la société Solaire direct, devant générer une commission, selon lui, de 1.500 euros. Il fait égard à la fermeture de ses accès au logiciel SAGE ne lui permettant plus d'étayer sa demande.



Cependant, c'est justement que la société Cyllène objecte s'être acquittée de la commission afférente au contrat susdit, récapitulée dans son tableau, à raison de 126,11 euros, dont le versement n'est pas contesté.



Or, la perte de chance réparable est la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable.

Cette éventualité n'étant pas mieux étayée, et sous la précision que les conséquences de la perte injustifiée de l'emploi, dans toutes leurs branches, sont autrement indemnisées, il ne peut être fait droit à la demande qui sera rejetée par confirmation du jugement.



Se fondant sur les stipulations 1.3.1 de l'avenant à son contrat de travail, M. [L] réclame paiement de sa prime contractuelle, pour le 2ème semestre, à raison de 10.000 euros, ce à quoi la société Cyllène lui oppose de n'avoir pas travaillé et de n'avoir pas atteint les objectifs impartis.



Il est écrit à l'article 1.3.1 de l'avenant que M. [L] « percevra, le cas échéant, une rémunération variable brute annuelle pouvant aller jusqu'à 20.000 (') euros assise sur la réalisation d'objectifs ci-après définis :




Gain de 2 nouveaux clients par an dont le chiffre d'affaires annuel récurrent par client est supérieur à 50.000,00 € hors taxes (fraction de la prime pour la réalisation de cet objectif : 5.000,00 € bruts).





Cross selling avec les sociétés détenues en tout ou partie par la société Industries & Finances partenaires : 4 leads qualifiés par an (fraction de la prime pour la réalisation de cet objectif : 5.000,00 € bruts) (').





Accroissement du chiffre d'affaires et de la marge réalisés par M. [X] [L] pour les sociétés du groupe Cyllène par rapport à l'année précédente avec une hausse minimale de la marge de + 6% par rapport à l'année précédente (fraction de la prime pour la réalisation de cet objectif : 10.000,00 € bruts). »


Il est ajouté « le montant de la fraction de la prime sur objectifs versé en juillet et janvier de chaque année sera calculé en fonction du niveau de réalisation des objectifs fixés pour le semestre précédent. »



Cependant, comme l'a justement relevé le conseil de prud'hommes, il appartient à l'employeur qui n'a pas versé la rémunération variable d'en justifier des motifs, étant ajouté qu'ici, il est le seul à détenir les éléments en permettant le calcul.



Dès lors, le jugement sera confirmé dans son appréciation, du moment que la société Cyllène ne s'explique nullement sur l'atteinte ou non par l'intéressé des objectifs énoncés et se dispense d'en produire les éléments de calcul, alors qu'il n'était pas placé en congé au mois de juillet jusqu'au 6 août, et avait, contrairement à ce qu'elle prétend, travaillé, de sorte qu'elle est redevable de la rémunération dont s'agit, en proportion de son temps de présence dans les effectifs de l'entreprise puisqu'elle s'acquiert en contrepartie de son activité.



Se fondant sur les stipulations 1.3.2 de l'avenant à son contrat de travail, M. [L] fait enfin valoir avoir déjà atteint 125% de ses objectifs annuels, lui ouvrant droit à une prime complémentaire de 10.000 euros, l'employeur lui opposant les mêmes moyens que précédemment.



L'article 1.3.2 de l'avenant au contrat de travail stipule que « M. [X] [L] percevra, par ailleurs, le cas échéant, une rémunération variable brute annuelle complémentaire de 10.000 € (') conditionnée à la réalisation de 125% de son objectif individuel de chiffre d'affaires annuel hors taxes. Cette rémunération variable annuelle sera versée en janvier de l'année suivante. Pour l'année calendaire 2018, l'objectif individuel de chiffre d'affaires annuel hors taxes de M. [X] [L] est fixé à 2.000.000,00 € ».



De même, la société Cyllène, qui n'a pas versé cette prime ne justifie pas que M. [L] n'aurait pas atteint, avant son départ, les objectifs fixés, et ne produit aucun élément servant à son calcul.



Toutefois, dans la mesure où la prime litigieuse constitue la partie variable de sa rémunération versée en contrepartie de son activité, elle s'acquiert au fur et à mesure, et doit lui être allouée à raison de son temps de présence dans les effectifs de l'entreprise. Il sera ajouté au jugement à cet égard.



Sur la réparation du préjudice moral



En plus de la dégradation de ses conditions de travail et de sa santé due à la mise en place d'un management anxiogène, basé sur des humiliations et des dénigrements, et du défaut de paiement de ses heures supplémentaires et de ses commissions, M. [L] fait valoir l'inutilité de la procédure de licenciement destinée à l'évincer durant le préavis quoique en congé, pour une faute grave, qui, bien qu'extraordinaire, ne lui fut reprochée que 8 mois après la connaissance qu'en eut l'employeur, et qui, de toute façon, ne lui est pas imputable. Rappelant par ailleurs avoir été mis à l'écart durant son préavis et accusé de concurrence déloyale, il dénonce l'atteinte à sa dignité et le préjudice moral en dérivant.



La société Cyllène lui objecte la véracité des reproches, dont elle fut informée, pour le harcèlement sexuel, le 2 août, et pour les injures, par ses recherches ultérieures.



L'article 1231-1 du code civil dispose que « le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure. »



Le créancier doit alors établir le manquement, le dommage et leur lien.



Il s'évince de ce qui précède que M. [L] se trouva soumis à une charge importante de travail progressivement dès l'été 2017, sans paiement corrélatif de ses heures supplémentaires, sans respect de son droit au repos et qu'il fut dénigré par l'employeur.



Cependant, il ne justifie pas de la dégradation de son état de santé.



Il n'établit pas plus le préjudice distinct du retard de paiement que rémunère déjà l'intérêt moratoire en l'absence de paiement de ses commissions, exigibles après le dénouement de la relation conventionnelle.



S'il reproche à l'employeur l'atteinte dérivant de la procédure de licenciement pour faute grave initiée à son encontre après la rupture du contrat de travail, il n'y a de légèreté blâmable, aurait-elle été inutile, de le convoquer durant son préavis pour explication en vue d'une sanction alors qu'il avait été précisément mis en cause par Mme [I], sa collègue, dans un harcèlement moral et sexuel au long court qui l'aurait « détruite », qu'elle dénonçait par lettre recommandée du 2 août 2018, et que la société Cyllène était au reste dans l'obligation de mener des investigations. Sans faute, il n'y a de dommage réparable, et il importe peu qu'au final, M. [L], alors en congé et qui quittait sans revenir les effectifs le 31 août, ne fut pas sanctionné.



Par ailleurs, selon le compte-rendu de l'entretien préalable, M. [L] se plaignit de la coupure de ses accès après son placement en congés. Elle advint au reste, vu les mails, le jeudi 2 août, alors qu'il était en congé le 6. Dans ces circonstances, elle n'est pas non plus reprochable.



Enfin, le mail du 7 août 2018 de M. [W] lui rappelant son obligation de loyauté ne laisse de place à aucun préjudice qui serait juridiquement relevant.



Il suit de ce qui précède que les agissements retenus seront justement indemnisés par l'allocation de 3.000 euros au paiement desquels la société Cyllène sera condamnée. Le jugement sera infirmé dans son expression contraire.





PAR CES MOTIFS





La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,



Infirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a condamné la société par actions simplifiée Cyllène ITS à payer à M. [X] [L] la somme de 3.333,33 euros bruts au titre du solde de sa prime contractuelle, sauf à ajouter que cette somme est due sur le fondement de l'article 1.3.1 de l'avenant au contrat de travail de M. [X] [L], et en ce qu'il a rejeté les demandes de rappel de commission de septembre à décembre 2018, de dommages-intérêts pour perte de chance de percevoir d'autres commissions ;



Le confirme pour le surplus ;



Statuant sur les chefs infirmés et y ajoutant ;



Requalifie la démission de M. [X] [L] en une prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur ;



Dit qu'elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;



Condamne la société par actions simplifiée Cyllène ITS à payer à M. [X] [L] :




3.200,68 euros d'indemnité légale de licenciement ;





8.230,32 euros bruts de solde d'indemnité compensatrice de préavis, et 823,03 euros de congés payés afférents ;





16.460,64 euros de dommages-intérêts pour perte injustifiée de l'emploi ;





3.000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral ;





3.333,33 euros bruts de prime conventionnelle sur le fondement de l'article 1.3.2 de l'avenant du contrat de travail ;

30.000 euros bruts de rappel d'heures supplémentaires de 2016, 2017 et 2018, ainsi que 3.000 euros bruts pour les congés payés afférents ;





1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;




Dit que les créances de nature contractuelle sont productives d'intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation pour les créances échues à cette date, et à compter de chaque échéance devenue exigible, s'agissant des échéances postérieures à cette date, et que les créances indemnitaires sont productives d'intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant ;



Condamne la société par actions simplifiée Cyllène ITS aux dépens.



- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par Madame Nathalie COURTOIS, Président et par Madame Isabelle FIORE Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.











Le greffier, Le président,

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