2 mai 2024
Cour d'appel de Versailles
RG n° 22/01203

Chambre sociale 4-6

Texte de la décision

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



Chambre sociale 4-6



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 02 MAI 2024



N° RG 22/01203 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VEIQ



AFFAIRE :



[U] [E]





C/

S.A.R.L. AUTO SECURITE LA ROSERAIE









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 16 Mars 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

N° Chambre :

N° Section : C

N° RG : F18/01236



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Julie SANDOR



Me Thibaud DESSALLIEN







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE DEUX MAI DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :



Monsieur [U] [E]

né le 26 Décembre 1972 à [Localité 9]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 3]



Représentant : Me Julie SANDOR, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C00223







APPELANT

****************





S.A.R.L. AUTO SECURITE LA ROSERAIE

N° SIRET : 477 553 051

[Adresse 1]

[Localité 6]



Représentant : Me Thibaud DESSALLIEN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1003







INTIMEE

****************







Composition de la cour :





En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 12 Mars 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Véronique PITE, Conseiller chargé du rapport.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :



Madame Nathalie COURTOIS, Président

Madame Véronique PITE, Conseiller,

Madame Odile CRIQ, Conseiller,



Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE,








FAITS ET PROCÉDURE



M. [U] [E] a été engagé par contrat de travail à durée déterminée du 7 juillet 2014, puis par contrat à durée indéterminée à compter du 7 novembre 2014, en qualité de contrôleur technique, statut employé, par la société à responsabilité limitée Auto Sécurité La Roseraie, qui est spécialisée dans le contrôle technique automobile, emploie moins de onze salariés et relève de la convention collective des services de l'automobile.



Convoqué le 12 septembre 2017, à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 25 septembre suivant, et mis à pied à titre conservatoire, M. [E] a été licencié par courrier du 9 octobre 2017, énonçant une faute grave.



M. [E] a saisi, le 8 octobre 2018, le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt, en vue d'obtenir la requalification de son licenciement en un licenciement nul ou, à titre subsidiaire, sans cause réelle et sérieuse et la condamnation de la société au paiement de diverses sommes, ce à quoi la société s'est opposée.



Par jugement rendu le 16 mars 2022 et notifié le 30 mars suivant, le conseil a statué comme suit :



Dit que la demande de licenciement pour faute grave de M. [E] est fondée ;



Déboute M. [E] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;



Déboute la société Auto Sécurité La Roseraie de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;



Dit que les dépens seront supportés par M. [E].



Le 13 avril 2022, M. [E] a relevé appel de cette décision par voie électronique.



Selon ses dernières conclusions remises au greffe le 26 juin 2022, il demande à la cour de :



Le recevant en son appel et l'y disant bien fondé,



Rejeter les demandes, fins et prétentions formulées par la société ;



Réformer le jugement en ce qu'il l'a débouté des chefs de demandes suivants :



' Débouté de sa demande au titre de la nullité de son licenciement pour harcèlement moral



' Débouté de sa demande de dommages et intérêts au titre de la nullité



' Débouté de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (à titre subsidiaire)



' Débouté de sa demande de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité de résultat



' Débouté de sa demande d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés sur préavis



' Débouté de sa demande d'indemnité légale de licenciement



' Débouté de sa demande de rappel de salaire sur mise à pied et de congés payés sur mise à pied



' Débouté de sa demande d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé



' Débouté de sa demande d'ordonner la communication de la facture du kit GPL



' Débouté de sa demande de voir ordonner la remise des documents sociaux rectifiés



' Débouté de sa demande d'astreinte



' Débouté de sa demande de paiement de la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile



' Débouté de sa demande de capitalisation des intérêts sur le fondement de l'article 1343-2 du code civil.



Et statuant à nouveau



Juger à titre principal que son licenciement pour faute grave est nul en raison des faits d'harcèlement moral qu'il a subis et à titre subsidiaire qu'il est nécessairement sans cause réelle et sérieuse.



Fixer la moyenne de son salaire à la somme de 2.738,23 euros (moyenne des douze derniers mois de salaire)



A titre principal,



Dommages et intérêts pour licenciement nul :15.106 euros nets



A titre subsidiaire,



Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 10.071 euros



En conséquence :



Condamner la société au paiement des sommes suivantes :



Dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité de résultat :15.000 euros



Indemnité compensatrice de préavis : 5.035,63 euros



Congés payés sur préavis : 503,56 euros



Indemnité légale de licenciement : 2.338,90 euros



Rappel de salaire sur mise à pied du 12/09/17 au 11/10/17 : 2.356,70 euros



Congés payés sur rappel de salaire sur mise à pied : 235,67 euros



Indemnité forfaitaire pour travail dissimulé : 15.106,92 euros



Ordonner la remise des documents sociaux rectifiés sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document à compter du jugement à intervenir



Se réserver la liquidation de l'astreinte



Juger que les sommes allouées à M. [E] produiront des intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil pour les sommes ayant un caractère de salaire et de la notification de la décision à intervenir pour les autres sommes ;



Faire application de l'article 1343-2 du code civil relatif à la capitalisation des intérêts ;



Y ajoutant ;



Condamner la société à lui payer la somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en 1ère instance sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à la somme de 2.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.



Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 27 novembre 2022, la société Auto Sécurité La Roseraie demande à la cour de :



Confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré



Et par conséquent



Dire et juger que le licenciement de M. [E] n'encourt strictement aucune nullité au titre d'un soi-disant harcèlement moral ou d'une supposée violation de l'obligation de sécurité



Dire et juger que M. [E] a commis une faute grave qui justifiait son licenciement



Constater que la demande de M. [E] afférente à un soi-disant prêt de main d''uvre illicite ne saurait en aucun cas concerner la société Auto Sécurité La Roseraie qui n'est son employeur qu'à compter du mois de mai 2016



En conséquence,



Débouter M. [E] de l'intégralité de ses demandes fins et conclusions formulées à son encontre, y compris celle de l'article 700 du code de procédure civile,



Condamner M. [E] à lui payer la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile



Condamner M. [E] aux entiers dépens.



A titre infiniment subsidiaire et si par impossible la cour envisageait de réformer le licenciement pour faute grave



Constater le chiffrage erroné des sommes réclamées à titre de rappel de salaire, de préavis et d'indemnité de licenciement



En conséquence,



Limiter aux sommes suivantes :



Le rappel de salaire sur mise à pied (du 12 au 14 septembre 2017) à la somme de 315 euros



L'indemnité de préavis à la somme de 3.776,73 euros



L'indemnité de licenciement à la somme de 2.276,26 euros



A titre plus subsidiaire encore,



Constater l'absence totale de préjudice de M. [E] et le fait qu'il a manifestement retrouvé un emploi très peu de temps après la rupture



En conséquence,



Limiter au minimum légal l'indemnité qui serait allouée à M. [E], soit l'équivalent d'un mois de salaire, si par extraordinaire il était jugé que son licenciement était abusif.



Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.



Par ordonnance rendue le 10 janvier 2024, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 12 mars 2024.








MOTIFS





Sur le harcèlement moral





Au soutien du harcèlement moral dont il se dit victime, M. [E] fait valoir :




Les pressions de l'employeur pour ne pas signaler les défauts des véhicules,





Son arrêt maladie consécutif,





Sa dénonciation des faits à l'inspection du travail suivie de son licenciement,





Le licenciement d'un autre salarié qui refusa de témoigner en sa défaveur.




Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.



En vertu de l'article L.1154-1 du même code, dans sa rédaction antérieure ou issue de la loi du 8 août 2016, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L.1152-1 à L.1152-3 et L.1153-1 à L.1153-4, le salarié présente des faits qui permettent de présumer ou des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.



Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.



M. [E] n'établit pas, comme il le prétend, qu'il subit des pressions de la société Auto sécurité pour ne pas signaler les défauts des véhicules contrôlés en contravention avec la réglementation ad hoc. A cet effet, il compare des procès-verbaux de contrôle de certains véhicules et les factures associées, en déduisant l'effacement de défauts précédemment relevés et qui ne figuraient plus ensuite. Cependant, son analyse, en plus de ne donner prise à aucune appréciation faute de pouvoir connaître l'état réel des véhicules, ne dit rien des pressions reçues pour falsifier intellectuellement le contenu des défauts ou anomalies constatées.



La copie de l'attestation disant : « je soussigné [D] [P], chef de centre, demande à Mr [U] [E] de faire un contrôle GPL de la C4 immatriculé[e] [Immatriculation 4], sans kit », frappée du timbre de la société Auto sécurité dont cette dernière conteste la sincérité, n'a aucune valeur probante, faute d'aucune signature, ni d'aucun original.



M. [E] fut placé, comme il l'affirme, en arrêt maladie du 27 juin au 28 juillet 2017.



Il établit seulement sa dénonciation des pratiques de son employeur le 6 septembre 2017 auprès de l'inspection du travail par l'accusé réception qu'elle en fit, à la suite de laquelle elle effectua un contrôle le 11 septembre suivant.



Il est vrai qu'il fut convoqué ensuite à un entretien en vue d'une éventuelle sanction pouvant aller jusqu'au licenciement.



M. [A], son collègue, déposa une main-courante affirmant que son employeur lui demanda de témoigner contre M. [E], ce qu'il refusa suite à quoi, il reçut une convocation préalable à un éventuel licenciement.



Cependant, les seuls faits matériellement établis ne permettent pas de présumer un harcèlement moral à l'encontre de l'intéressé.





Sur la violation de l'obligation de sécurité





M. [E] se prévaut du comportement de l'employeur qui provoqua son arrêt de travail, lequel ne fut pas suivi, à sa reprise, d'une visite auprès de la médecine du travail.



Selon l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent : 1° des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ; 2° des actions d'information et de formation ; 3° la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.



Ces mesures sont mises en 'uvre selon les principes définis aux articles L. 4121-2 et suivants du même code.



Cependant, M. [E] ne donnant aucune explication sur le mauvais comportement dénoncé sans détail, il ne met pas l'employeur en position de justifier des mesures prises pour satisfaire à son obligation de moyens renforcés, de sécurité.



En revanche, la circonstance qu'il ne vit pas le médecin du travail à la reprise de son activité le 28 juillet 2017 en méconnaissance des prescriptions de l'article R.4624-31 du code du travail, est établie, la société Auto sécurité ne prouvant pas sa libération au regard.



Pour autant, il ne s'en déduit aucun préjudice que M. [E] ne spécifie pas plus.



Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes du requérant de dommages-intérêts.



Sur le prêt illicite de main d''uvre



M. [E] expose avoir été mis à disposition des établissements de la société Hycotec, sis à [Localité 7], de juillet 2014 à novembre 2015 et à [Localité 5], de décembre 2015 à mai 2016. Il voit dans l'économie faite puisque cette société ne le déclarait pas et dans la flexibilité de la gestion du personnel, le caractère lucratif du prêt.



La société Auto sécurité fait valoir les prescriptions du contrat de travail l'autorisant, et conteste le caractère lucratif de la mise à disposition, en rappelant qu'autrement un tel prêt est autorisé par les dispositions de l'article L.8241-2. Elle relève qu'au reste, la demande ne pourrait qu'être dirigée contre la société Hycotec, qui dissimula l'emploi. Elle souligne encore n'être pas concernée, puisqu'elle fut rachetée en mai 2016.



L'article L.8241-1 du code du travail énonce que « toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d''uvre est interdite. (')



Une opération de prêt de main-d''uvre ne poursuit pas de but lucratif lorsque l'entreprise prêteuse ne facture à l'entreprise utilisatrice, pendant la mise à disposition, que les salaires versés au salarié, les charges sociales afférentes et les frais professionnels remboursés à l'intéressé au titre de la mise à disposition. »



L'article L.8241-2 poursuit : « les opérations de prêt de main-d''uvre à but non lucratif sont autorisées.



(') Le prêt de main-d''uvre à but non lucratif conclu entre entreprises requiert :



1° L'accord du salarié concerné ;



2° Une convention de mise à disposition entre l'entreprise prêteuse et l'entreprise utilisatrice qui en définit la durée et mentionne l'identité et la qualification du salarié concerné, ainsi que le mode de détermination des salaires, des charges sociales et des frais professionnels qui seront facturés à l'entreprise utilisatrice par l'entreprise prêteuse ;



3° Un avenant au contrat de travail, signé par le salarié, précisant le travail confié dans l'entreprise utilisatrice, les horaires et le lieu d'exécution du travail, ainsi que les caractéristiques particulières du poste de travail.



(')



Pendant la période de prêt de main-d''uvre, le contrat de travail qui lie le salarié à l'entreprise prêteuse n'est ni rompu ni suspendu. Le salarié continue d'appartenir au personnel de l'entreprise prêteuse ; il conserve le bénéfice de l'ensemble des dispositions conventionnelles dont il aurait bénéficié s'il avait exécuté son travail dans l'entreprise prêteuse. »



M. [E] justifie au moins avoir été occupé dans ces établissements au cours du premier semestre 2016, dans ses fonctions propres ne supposant aucun savoir-faire singulier, et ainsi sa mise à disposition impliquant qu'il exerce, pour une durée déterminée ou indéterminée, sa prestation de travail au profit d'une entreprise utilisatrice. En effet, il produit outre une demande de congé, acceptée par la société Hycotec le 7 mars 2016, le journal synthétique de ses interventions de contrôleur auprès de cette société.



Cela étant, l'article 4 du contrat de travail stipule que M. [E] « exercera ses activités dans le centre de contrôle situé [Adresse 1] ('). De plus, il sera appelé à exercer son activité dans d'autres centres de contrôle technique et tout particulièrement les deux centres situés à [Localité 5] et [Localité 7] appartenant à la société mère la SARL Hycotec ».



Pour autant, il n'est pas établi qu'un avenant ait été conclu en vue d'une mise à disposition singulière, fixant la nature du travail confié dans l'entreprise utilisatrice, les caractéristiques particulières du poste de travail, les horaires et le lieu de travail, alors que consentement du salarié doit être précisément recueilli.



Aucune convention de mise à disposition du salarié passée entre les deux sociétés Hycotec et Auto Sécurité La Roseraie n'ait produite aux débats.



Comme le relève le salarié, le caractère lucratif du prêt de main d''uvre illicite peut résulter d'un accroissement de flexibilité dans la gestion du personnel et de l'économie de charges induites pour l'entreprise utilisatrice.



Or, contrairement à ce qu'estime la société Auto sécurité, les parties à une telle convention engagent ensemble leur responsabilité, comme étant les co-auteurs de l'opération prohibée de sorte qu'elle ne peut prétendre n'être nullement concernée par l'éventuelle dissimulation commise par la société Hycotec.

Elle est également mal fondée à exciper de la cession de ses parts sociales en mai 2016, qui n'a eu aucun effet sur la persistance de sa personnalité morale.



Dès lors que M. [E] a été mis à disposition d'une entreprise tierce durant les 5 premiers mois de l'année 2016 d'une manière qui apparait quasi-continue, il s'en déduit suffisamment que cette entreprise s'est enrichie de l'accroissement de la flexibilité dans la gestion de son personnel, dont M. [E] était l'une des variables d'ajustement, et cette circonstance est autant reprochable à la partie intimée, en sa qualité de société prêteuse.



Cela étant, l'employeur, qui a participé à cette opération prohibée, ne justifie pas que la société Hycotec a accompli ses obligations relatives à la déclaration d'un emploi salarié.



Comme le salarié a été placé sous l'autorité d'une société tierce pendant plusieurs mois sans que celle-ci n'accomplisse aucune de ses obligations relatives à la déclaration d'un emploi salarié, il s'en déduit suffisant l'élément intentionnel caractérisant le travail dissimulé prohibé par l'article L.8221-5 du code du travail.



En application de l'article L.8223-1 du code du travail, la société Auto sécurité, co-autrice, sera condamnée à payer au salarié l'indemnité forfaitaire prévue à raison de 15.106,92 euros, dont le quantum n'est pas querellé.



Etant souligné que la partie intimée ne dispute pas l'autonomie de cette demande au regard du licenciement en dépit du libellé des conclusions adverses qu'il convient d'interpréter, le jugement, qui l'a faussement tenue pour subséquente, sera infirmé dans son expression contraire.





Sur le licenciement



La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est ainsi libellée :



« Par courrier du 12 Septembre 2017 nous vous avons notifié votre mise à pied à titre conservatoire à effet immédiat avec interdiction de vous présenter sur votre lieu de travail jusqu'à la décision qui découlera de l'entretien préalable.



Nous vous avons convoqué, dans ce même courrier, à un entretien préalable fixé au Jeudi 25 Septembre 2017 à 14h30 en nos bureaux à [Localité 6] pour être entendu par Monsieur [V] [M], Gérant de la Société, entretien auquel vous vous êtes présenté, assisté de Monsieur [Z] [I] [C], Délégué Syndical Départemental CGT.



Lors de cet entretien, nous vous avons exposé les faits qui vous sont reprochés, à savoir :



' Comportement agressif et menaçant envers le personnel et la hiérarchie



' Comportement désobligeant et inadapté envers la clientèle



' Négligence des véhicules clients et de la sécurité du personnel



Vous avez intégré le siège social de notre Société, SARL Auto Sécurité La Roseraie, situé à [Localité 6] en qualité de Contrôleur Technique en mai 2016, suite au rachat du centre de contrôle technique. A cette occasion, nous avons pu constater assez rapidement de nombreuses tensions entre vous et Monsieur [S] [J], Contrôleur technique et collègue.



Afin de mettre un terme à ces difficultés, nous avons décidé de réorganiser les équipes en proposant à Monsieur [J] d'être affecté sur un autre site de la société basé à [Localité 8] et celui-ci a accepté. De ce fait, nous avons fait appel à Monsieur [P] [D], salarié de la société affecté sur [Localité 8], lequel a accepté en novembre 2016, d'être muté en tant que Chef de Centre sur le site où vous travaillez.



Or malgré cette réorganisation de l'équipe, il est apparu que les tensions perduraient puisque vous avez continué d'adopter un comportement parfaitement inadmissible et intolérable tant vis-à-vis de vos collègues que de votre hiérarchie.



En effet, malgré le départ de Monsieur [J], vous avez continué à dénigrer ouvertement ce dernier auprès des clients, alors qu'il n'était plus présent sur le site.

Ainsi, nous avons appris que le 23 août 2017, vous aviez tenu des propos aussi diffamatoires qu'insultants à son encontre, à une cliente qui demandait où il se trouvait, en lui répondant : "Il a été viré, c'est un voleur, un sale musulman qui vole dans la caisse ".

La cliente a rapporté vos propos à Monsieur [J] qui nous a avoué que ce n'était pas la première fois que vous vous comportiez de cette manière avec lui. En effet, [à l'] été 2016, suite à des propos insultants, menaçants et des moqueries sur son physique, il avait été arrêté par son médecin pour état dépressif.



De plus, vous avez adopté ce comportement vis à vis d'autres collègues de travail, notamment Monsieur [G] [R] à qui vous avez tenu des propos agressifs et menaçants tels que "tu me casses les couilles, je connais mon métier", "si t'es pas content fais le toi-même" ou encore "si tu continues je t'en colle une".



En second lieu, vous vous êtes également comporté de façon irrespectueuse et menaçante envers les membres de votre hiérarchie :



En effet, vous mettiez constamment en doute l'autorité de votre supérieur hiérarchique direct, Monsieur [D]. A chaque demande de sa part, demande entrant pourtant dans le cadre de vos fonctions, vous faisiez preuve d'insubordination et refusiez systématiquement ses directives, au surplus de manière agressive : "vous n 'avez pas à me dire ce que je dois faire!" ou encore "ce n'est pas à moi de faire ça".



De même, Monsieur [K] [X] qui a été votre supérieur pendant les congés de Monsieur [D] nous a rapporté strictement la même attitude de votre part : irrespect, agressivité constante et refus systématique des directives et remarques qui vous sont faites.



Enfin, quand Monsieur [V] [M], Gérant de la Société, s'entretenait avec vous et vous faisait des rappels oraux sur votre comportement, en tentant de vous faire entendre raison, vous n'avez pas hésité à lui dire que vous ne changeriez pas, tout en le menaçant ouvertement de « mettre des véhicules automatiquement en contre visite ».



Plus grave encore, c'est vis-à-vis de la clientèle de la société que vous avez également décidé d'avoir un comportement très désobligeant et parfaitement inadapté.



Plusieurs clients se sont plaints de votre attitude désinvolte à leur égard, de votre impolitesse et de votre agressivité : aucune réponse lorsque le client vous dit " bonjour", ou encore "ici c'est pas un parking", propos tenus le 8 Septembre 2017 à une cliente qui souhaitait faire le contrôle technique de sa voiture. Certains clients nous ont téléphoné et ont avoué avoir renoncé à laisser leur véhicule suite à votre accueil.



Nous ne pouvons bien évidemment pas tolérer un tel comportement et une telle attitude qui nuisent au bon fonctionnement du centre.



Enfin, il apparaît que pendant les opérations de contrôles techniques que vous menez, vous négligez les véhicules des clients et ne respectez pas les règles de sécurité.



Vous laissez constamment les clefs sur le contact des véhicules, même lorsque le contrôle est fini, ce qui représente une négligence et créée un risque de vol des voitures.



Malgré plusieurs rappels verbaux de vos collègues et des membres de votre hiérarchie, vous n'avez pas pris conscience des risques encourus, et persistez à laisser les véhicules clients, clés apparentes sur le contact, à la vue de tous.

Nous avons également constaté que vous utilisiez constamment votre téléphone pendant vos horaires de travail à des fins personnelles et ce même lorsque vous êtes en train d'effectuer un contrôle, ce qui est absolument interdit.



En effet, les tâches de contrôle requièrent une concentration et une vigilance non négligeable, et par conséquent, vous mettez clairement votre sécurité ainsi que celle de vos collègues en danger.

Votre comportement irrespectueux, votre constante agressivité, votre manque total de professionnalisme ainsi que la négligence des véhicules clients et des règles de sécurité sont autant de faits qui s'avèrent à l'opposé des comportements, méthodes de travail, culture d'entreprise et image que nous véhiculons auprès de nos différents interlocuteurs, tant internes qu'externes.



Au cours de l'entretien du 25 Septembre 2017 vous n'avez fourni aucun élément permettant de remettre en cause la nature des faits reprochés, ni leur existence. En outre, mais ce n'est qu'anecdotique, vous avez décidé d'adopter une attitude provocatrice à l'encontre de Monsieur [M] en le filmant à son insu, ce qui est aussi déloyal qu'illégal, et c'est pourquoi lorsqu'il s'en est rendu compte, il vous a demandé d'arrêter immédiatement.



Encore une fois, cette attitude témoigne du fait que vous n'avez nullement l'intention de modifier votre comportement ni de faire évoluer positivement vos relations avec les collaborateurs, la hiérarchie et la clientèle.



Compte tenu de la gravité des faits énoncés, nous considérons la poursuite de votre contrat de travail impossible et nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave. Cette décision prendra effet dès réception de la présente. ['] »



Sur la nullité



M. [E] ayant fondé la nullité du licenciement sur le harcèlement moral subi qui n'a pas été retenu dans son principe, ne peut être suivi dans ses prétentions à la voir constater.

Le jugement, qui n'y a pas fait droit, sera confirmé à cet égard.





Sur le bien-fondé



Selon l'article L.1235-1 du code du travail, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.



La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du code du travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. L'employeur doit rapporter la preuve de l'existence d'une telle faute, et le doute profite au salarié.



La société Auto sécurité soutient les griefs exposés dans la lettre de licenciement.



M. [E] en souligne l'imprécision et la carence probatoire de son colitigant.



Il estime que la cause véritable de son licenciement est son refus de falsifier les contrôles techniques.



Cependant, est suffisamment motivée la lettre qui énonce des griefs matériellement vérifiables, peu important qu'ils ne soient pas datés, ni détaillés de façon exhaustive, dès lors qu'ils peuvent être précisés et discutés devant les juges du fond. Ainsi, l'employeur est en droit, en cas de contestation, d'invoquer toutes les circonstances de fait qui permettent de justifier des motifs énoncés.





Pour justifier du comportement désagréable du salarié envers ses collègues ou ses supérieurs, la société Auto sécurité produit l'attestation de M. [R], voiturier, témoignant, outre d'une attitude habituellement insultante et menaçante à son égard, des propos rapportés dans la lettre dont les derniers en août 2017, corroborée par celles de M. [D], parlant d'une « manière agressive » qui s'était aggravée « ces derniers mois », que confirme M. [X] pour le temps de son remplacement en septembre 2017 (« il me répondait de manière agressive, je fais ce que je veux »).



L'attestation de M. [J], l'ancien chef de centre, parle des moqueries du salarié liées à son handicap physique, de ses insultes « fils de pute », de ses menaces ayant obligé à sa propre mutation en un autre lieu et qui étaient cause d'une maladie dépressive. Certes, M. [E] fait valoir la prescription de faits que l'employeur fait remonter à 2016. Néanmoins, si en application de l'article L.1332-4 du code du travail l'employeur ne peut se prévaloir de faits antérieurs de deux mois aux poursuites disciplinaires, il en va autrement si ces faits procèdent d'un comportement fautif de même nature que celui dont relèvent les faits non prescrits donnant lieu à l'engagement des poursuites disciplinaires, comme c'est le cas, puisque l'employeur fait égard à la persistance d'une même attitude, dont les derniers développements seraient survenus, selon lui, dans les deux mois précédant la procédure.



La société Auto sécurité justifie suffisamment, par les témoignages de MM. [D] et [X] du comportement incorrect du salarié à l'égard des clients non salués à qui il parlait de façon agressive et qui se plaignaient auprès du premier de ce mauvais accueil, dans les termes évoqués dans la lettre de licenciement, le second ayant reçu les doléances de la cliente mécontente.



Ils témoignent tous de la négligence de l'intéressé, laissant les clés de contact sur les tableaux des véhicules, en dépit de leurs remarques ou de leurs instructions contraires, alors repoussées. M. [X] ajoute qu'il dut lui demander à plusieurs reprises de ne plus téléphoner durant ses horaires de travail.

La preuve de la matérialité des faits reprochés est ainsi suffisamment rapportée, alors que M. [E] y oppose faussement l'absence de qualité de salarié des témoins et inutilement une approximation qu'elles démentent en spécifiant son comportement d'habitude, dont elles détachent certains faits saillants et précisés.



Leur gravité s'entend de leurs conséquences pour autrui et pour la société, d'ailleurs tenue d'une obligation de préserver la santé de ses employés, et qui, vecteurs de malaise pour les employés est encore susceptible, ici, de se traduire, pour cette dernière, par la perte de sa clientèle.



Le jugement sera confirmé en ce qu'il a jugé le licenciement fondé et a rejeté les prétentions contraires de M. [E], sur le principe et ses conséquences.







PAR CES MOTIFS





La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,



Confirme le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de M. [U] [E] formée au titre du travail dissimulé et sur les frais de justice ;



L'infirme pour le surplus ;



Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant ;



Condamne la société à responsabilité limitée Auto sécurité La Roseraie à payer à M. [U] [E] la somme de 15.106,92 euros bruts à titre d'indemnité pour prêt de main d''uvre illicite, augmentés des intérêts au taux légal dès ce jour ;



Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;



Condamne la société à responsabilité limitée Auto sécurité La Roseraie à payer à M. [U] [E] la somme de 3.000 euros pour les frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel ;



La condamne aux entiers dépens.



- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.





- signé par Madame Nathalie COURTOIS, Président et par Madame  Isabelle FIORE , Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.









Le greffier, Le président,

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