2 mai 2024
Cour d'appel de Versailles
RG n° 19/00338

Chambre civile 1-3

Texte de la décision

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 63A



Chambre civile 1-3



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 02 MAI 2024



N° RG 19/00338



N° Portalis DBV3-V-B7D-S4Y2



AFFAIRE :



SA UCB PHARMA - ET INTIMEE

...



C/



[T] [D]

...





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 15 Mars 2018 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE

N° chambre : 2

N° RG : 16/5995



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :









Me Mélina PEDROLETTI



Me Martine DUPUIS





Me Monique TARDY



Me Rachel LEFEBVRE



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE DEUX MAI DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :



SA UCB PHARMA

RCS B 562 079 046

[Adresse 11]

[Adresse 11]

[Adresse 11]

Représentant : Me Mélina PEDROLETTI, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626





SAS GLAXOSMITHKLINE SANTE GRAND PUBLIC désormais connue sous le nom commercial 'HALEON' venant aux droits de NOVARTIS SANTE FAMILIALE à la suite de l'apport en nature de l'intégralité de ses titres à Glaxosmithkline Santé Grand Public par décision de son associé unique en date du 22 décembre 2015, suivi de sa dissolution sans liquidation à effet du 1er février 2016

RCS 672 012 580

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625





APPELANTES



****************





Madame [T] [D]

née le [Date naissance 5] 1966 à [Localité 15]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentant : Me Monique TARDY de l'ASSOCIATION AVOCALYS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 620





CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE [Localité 15]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentant : Me Rachel LEFEBVRE de la SELARL KATO & LEFEBVRE ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1901



INTIMEES



****************



Composition de la cour :



En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 18 janvier 2024, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Florence PERRET, Président et Monsieur Bertrand MAUMONT, Conseiller chargé du rapport .



Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :



Madame Florence PERRET, Président,

Monsieur Bertrand MAUMONT, Conseiller

Madame Charlotte GIRAULT, Conseiller



Greffier, lors des débats : Mme Anne Sophie COUQUE,






-------------------



FAITS ET PROCEDURE :



Mme [T] [D], née le [Date naissance 5] 1966, prétend qu'au cours de la grossesse de sa mère, [B] [L] (décédée le [Date décès 3] 2006), cette dernière a pris du Distilbène en raison d'un risque de fausse couche. Elle ne dispose pas de document contemporain de la grossesse en attestant mais affirme l'avoir appris par son père, médecin, à l'âge de 17 ans.



Mme [D] a été hospitalisée en 1992 pour une grossesse extra-utérine suivie de complications. Elle a ensuite été suivie à l'hôpital [16] par le Dr. [W] pour un protocole de procréation médicalement assistée. En 1995, elle se soumet à deux FIV en vain puis survient une grossesse spontanée qui se soldera malheureusement par une fausse couche tardive à 17 semaines d'aménorrhée, suivie d'un curetage en raison d'une rétention intra-utérine.



En mai 1996, un troisième protocole de FIV permet l'obtention d'une grossesse et Mme [D] accouche d'une petite [J] le 31 janvier 1997 après une grossesse difficile ayant nécessité une hospitalisation de 4 mois en raison d'une menace d'accouchement prématuré.

Elle se sépare de son compagnon et père de sa fille en 2003.



Après le décès de son père en décembre 2005 et de sa mère en janvier 2006 d'une récidive de cancer du sein, Mme [D] est hospitalisée à plusieurs reprises pour dépression sévère.



Le 11 décembre 2008, un cancer mammaire est diagnostiqué et Mme [D] subit une tumorectomie.



Par assignations délivrées le 16 février 2015, Mme [D] a fait citer la société UCB Pharma et la CPAM de [Localité 15] devant le tribunal de grande instance de Nanterre aux fins de voir reconnaître la société UCB Pharma responsable de ses anomalies utérines, de sa fausse couche, de sa grossesse extra-utérine et de sa grossesse pathologique consécutive à son exposition in utéro au Distilbène® ou diéthylstilbestrol (DES), prescrit à sa mère durant sa grossesse.



Par acte d'huissier du 23 avril 2015, la société UCB Pharma a assigné en intervention forcée la société Novartis Santé Familiale SAS, devenue la société Glaxosmithkline Santé grand Public, et désormais connue sous le nom commercial Haleon (ci-après " la société GSK " ou la " société Haleon "), ayant commercialisé le Stilboestrol Borne®. Les deux procédures ont été jointes le 2 juin suivant.



Par ordonnance du 7 juillet 2015, le juge de la mise en état a ordonné une expertise médicale confiée aux docteurs [A] et [R] pour rechercher si les troubles présentés par Mme [D] pouvaient être en lien avec son éventuelle exposition au DES et pour examiner tous les autres facteurs susceptibles d'expliquer les dommages invoqués. Il a également débouté Mme [D] de sa demande de provision.

Le rapport d'expertise a été déposé le 10 février 2016.



Par ordonnance du 7 février 2017, le juge de la mise en état a rejeté la demande de la société GSK d'injonction de produire le dossier médical afférent au cancer du sein de la mère de Mme [D].



Par jugement du 15 mars 2018, le tribunal judiciaire de Nanterre a :

-déclaré recevable l'intervention volontaire de la société Glaxosmithkline aux droits de la société Novartis Familiale,

-dit que les demandes de Mme [D] en lien avec ses troubles gynécologiques et son infertilité secondaire sont prescrites,

-déclaré les sociétés UCB Pharma et Glaxosmithkline responsables in solidum des dommages résultant de l'exposition au DES de Mme [D],

-condamné in solidum les sociétés UCB Pharma et Glaxosmithkline à payer à Mme [D] les sommes suivantes, en réparation du préjudice causé, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement et dont il conviendra de déduire les provisions versées le cas échéant :

*au titre des frais divers'''''''''''''''''''''...1500 euros

*au titre du déficit fonctionnel temporaire'''''''''''''.'.1500 euros

* au titre des souffrances endurées'''''''''''''''.'. 3000 euros

*au titre du déficit fonctionnel permanent'''''''''''''..'18 000 euros

-débouté pour le surplus des demandes d'indemnisation,

-réservé les droits de la CPAM de [Localité 15],

-dit que la société UCB Pharma contribuera à la dette à hauteur de 95 % et que la société Glaxosmithkline contribuera à la dette à hauteur de 5%,

-condamné in solidum les sociétés UCB Pharma et Glaxosmithkline à payer à Mme [D] la somme de 8000 euros et à la CPAM de [Localité 15] la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamné in solidum les sociétés UCB Pharma et Glaxosmithkline aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise, qui pourront être recouvrés directement par les avocats de la cause chacun pour ce qui le concerne, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

-ordonné l'exécution provisoire du jugement déféré à hauteur des 2/3 des indemnités allouées et en totalité pour les sommes allouées au titre des frais de procédure et des dépens,

-rejeté le surplus des demandes.



Par acte du 15 mai 2018, la société GSK a interjeté appel.



Par ordonnance de radiation du 13 décembre 2018, le conseiller de la mise en état a radié l'affaire du rôle général de la cour.



Le 15 janvier 2019 l'affaire a été réinscrite sous le numéro de RG 19/00338.



Par arrêt du 4 février 2021, la cour de céans a :



-déclaré sans objet les demandes de rétablissement et de jonction ;

-rejeté la demande de rejet des pièces produites le 25 février 2020 par la société UCB Pharma;

-ordonné une nouvelle mesure d'expertise et commis pour y procéder :

*le professeur [U]-[I] [C], [Adresse 7], courriel: [Courriel 13] ;

*le docteur [H] [Z], [Adresse 9], courriel : [Courriel 12] ;

*le docteur [N] [X], psychiatre, Hôpital [14] [Adresse 8] ; lesquels s'adjoindront si nécessaire tout sapiteur de leur choix dans une spécialité distincte de la leur ;

-confié aux experts la mission suivante :

*prendre connaissance du présent arrêt dans son intégralité ;

* se faire communiquer toutes les pièces médicales et toute autre pièce utile concernant Mme [D] ainsi que toutes celles utiles concernant sa mère ; en tant que de besoin, se faire communiquer par tout tiers détenteur les pièces médicales nécessaires à l'expertise, à charge pour les experts d'en assurer aux parties la communication contradictoire, par l'intermédiaire de leur médecin, avant le dépôt du rapport ;

*convoquer les parties par lettre recommandée avec accusé de réception et leurs conseils par lettre simple, en les informant de leur droit de se faire assister par un médecin conseil de leur choix ;

*procéder à l'examen médical de Mme [D] dans le respect de son intimité et de sa dignité, hors la présence des parties ou de leurs représentants, à charge pour les experts de communiquer aux parties le résultat des constatations et investigations et recueillir leurs observations éventuelles;

*vérifier dans tous ses éléments la réalité des pathologies et troubles dont se plaint Mme [D] ; décrire les troubles et pathologies mis en évidence, leur évolution et les traitements appliqués, avec évaluation des effets pouvant en être attendus ;

*faire le point sur la littérature médicale tant en France qu'à l'étranger concernant les rapprochements signalés ou exclus entre les différents troubles et pathologies et l'exposition in utero au DES ; préciser la date des publications et la méthodologie utilisés ;

* rechercher la cause de ces pathologies et troubles et s'ils sont liés par un rapport de causalité à une exposition in utero au DES ; dans l'affirmative, préciser, dans toute la mesure du possible, si cette causalité est exclue ou, au contraire, certaine ; rechercher si cette causalité est exclusive ou adjointe à d'autres facteurs tenant notamment à un état antérieur lié à Mme [D] elle-même ou à sa mère ; décrire précisément ces autres causalités ; évaluer dans toute la mesure du possible la part des différentes causalités dans l'apparition et l'évolution des troubles et pathologies ;

*décrire dans une discussion précise et synthétique l'ensemble des lésions et séquelles constatées au jour de l'examen en rapport avec les pathologies et troubles invoqués par Mme [D] du fait du DES ;

*fournir à la cour tous renseignements utiles sur l'évolution des pathologies ;

*fixer la date de consolidation de l'état de Mme [D] au regard de l'exposition au DES invoquée en précisant les motifs exclusivement médicaux ayant conduit à retenir cette date; préciser s'il y a lieu la date à laquelle une première consolidation s'est trouvée acquise du fait que l'ensemble des préjudices liés à l'exposition au DES invoquée présentaient un caractère certain permettant de les évaluer et l'existence d'une aggravation ultérieure, les résultantes de celle-ci et la date de consolidation de l'aggravation, en précisant les motifs exclusivement médicaux ayant conduit à retenir ces dates ;

*dire si des soins postérieurs à la consolidation sont nécessaires, en indiquer la nature, la quantité, la nécessité éventuelle de leur renouvellement et leur périodicité ; avant consolidation

*déterminer la durée du déficit fonctionnel temporaire, période pendant laquelle, pour des raisons médicales en relation certaine et directe avec le fait dommageable, la victime a dû interrompre totalement ou partiellement ses activités professionnelles ou ses activités personnelles habituelles (gêne dans les actes de la vie courante) ; si l'incapacité fonctionnelle n'a été que partielle, en préciser le taux ; préciser la durée des arrêts de travail au regard des organismes sociaux ; si cette durée est supérieure à l'incapacité temporaire retenue, dire si ces arrêts sont liés au fait dommageable ;

*indiquer, le cas échéant si l'assistance d'une tierce personne constante ou occasionnelle, quand bien même elle serait assurée par la famille, a été nécessaire, en décrivant avec précision les besoins ; si oui, préciser selon quelle périodicité ;

*décrire les souffrances physiques, psychiques ou morales endurées, les évaluer selon l'échelle habituelle de sept degrés ;

*donner un avis sur l'existence, la nature et l'importance du préjudice esthétique temporaire; l'évaluer selon l'échelle habituelle de sept degrés ; après consolidation

*chiffrer le taux éventuel de déficit fonctionnel permanent imputable résultant de l'atteinte permanente d'une ou plusieurs fonctions persistant au moment de la consolidation; le taux de déficit fonctionnel devant prendre en compte, non seulement les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime mais aussi les douleurs physiques et morales permanentes qu'elle ressent ; dans l'hypothèse d'un état antérieur, préciser en quoi le fait dommageable a eu une incidence sur celui-ci et décrire les conséquences de cette situation ;

*lorsque la victime allègue une répercussion dans l'exercice de ses activités professionnelles, recueillir les doléances, les analyser, les confronter avec les séquelles retenues ; dire si un changement de poste ou d'emploi apparaît lié aux séquelles ;

* indiquer le cas échéant si l'assistance d'une tierce personne constante ou occasionnelle, quand bien même elle devrait être assurée par la famille, est nécessaire, en décrivant avec précision les besoins et si des appareillages, des fournitures complémentaires et/ou des soins sont à prévoir ;

*lorsque la victime allègue l'impossibilité de se livrer à des activités spécifiques de sport et de loisir, donner un avis médical sur cette impossibilité et son caractère définitif ;

*donner un avis sur l'existence, la nature et l'importance du préjudice esthétique définitif ; l'évaluer selon l'échelle habituelle de sept degrés ;

*dire s'il existe un préjudice sexuel ; le décrire en précisant s'il recouvre l'un ou plusieurs des trois aspects pouvant être altérés séparément ou cumulativement, partiellement ou totalement : la morphologie, l'acte sexuel (libido, impuissance ou frigidité) et la fertilité (fonction de reproduction);

*fournir d'une manière générale tous autres renseignements d'ordre médical qui paraîtraient utiles pour liquider le préjudice corporel subi par la victime ;

-fait injonction aux parties de communiquer aux autres parties les documents de toute nature qu'elles adresseront à l'expert pour établir le bien fondé de leurs prétentions ;

-dit que les experts devront adresser aux parties un document de synthèse, ou pré-rapport:

* fixant, sauf circonstances particulières, la date ultime de dépôt des dernières observations des parties sur le document de synthèse, lesquelles disposeront d'un délai de 4 semaines à compter de la transmission du rapport ;

*rappelant aux parties, au visa de l'article 276 alinéa 2 du code de procédure civile, qu'ils ne sont pas tenus de prendre en compte les observations transmises au-delà du terme fixé ;

-dit que les experts répondront de manière précise et circonstanciée à ces dernières observations ou réclamations qui devront être annexées au rapport définitif dans lequel devront figurer impérativement : la liste exhaustive des pièces par eux consultées, le nom des personnes convoquées aux opérations d'expertise en précisant pour chacune d'elle la date d'envoi de la convocation la concernant et la forme de cette convocation, le nom des personnes présentes à chacune des réunions d'expertise, la date de chacune des réunions tenues, les déclarations des tiers entendus par eux, en mentionnant leur identité complète, leur qualité et leurs liens éventuels avec les parties, le cas échéant, l'identité du technicien dont ils se sont adjoints le concours, ainsi que le document qu'ils auront établis de leurs constatations et avis (lequel devra également être joint à la note de synthèse ou au projet de rapport) ;

-dit que les experts devront déposer leur rapport au service des expertises de la cour d'appel de Versailles dans un délai de six mois à compter du jour où ils auront été avisés de leur désignation sauf prorogation dûment sollicitée auprès du magistrat chargé du contrôle des opérations d'expertise, et en adresser une copie aux conseils des parties ;

-fixé à la somme de 3 000 euros le montant de la provision à valoir sur la rémunération des experts qui sera à consigner par les sociétés GSK et UCB Pharma in solidum par chèque(s) établi(s) à l'ordre de la régie d'avances et de recettes de la cour d'appel de Versailles ;

-dit que cette consignation devra être effectuée dans un délai de six semaines à compter de ce jour ;

-dit qu'à défaut de consignation de la provision dans le délai imparti, la désignation des experts sera caduque et privée de tout effet ;

-dit qu'au cas d'empêchement, retard ou refus des experts commis, il sera pourvu à leur remplacement par ordonnance rendue sur requête ;

-désigné Mme [F] [E] ou tout magistrat de la 3ème chambre pour surveiller les opérations d'expertise ;

-dit qu'il est sursis sur l'ensemble des demandes, à l'exception de la demande de rejet des pièces produites par la société UCB Pharma qui a été tranchée, jusqu'au dépôt du rapport d'expertise;

-réservé les dépens.



Les experts ont déposé leur rapport le 13 décembre 2022.



Par dernières écritures du 10 janvier 2024, la société UCB Pharma prie la cour de :



A titre principal,

-confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré les demandes de Mme [D] concernant les troubles gynécologiques/obstétricaux et son infertilité secondaire prescrites ;

-infirmer le jugement en toutes ses autres dispositions et statuant de nouveau :

*mettre hors de cause UCB Pharma ;

*débouter Mme [D] de l'intégralité de ses demandes ;

*débouter la CPAM de [Localité 15] de l'intégralité de ses demandes ;

*ordonner à Mme [D] de restituer la provision ad litem versée en application de l'ordonnance de mise en état du 7 juillet 2015 ;

*débouter la société GSK de l'intégralité de ses demandes à son encontre ;

*condamner tout succombant aux entiers dépens et au paiement de la somme de 1 500 euros à UCB Pharma au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



A titre subsidiaire,

-confirmer le jugement en ce qu'il a :

*déclaré les Sociétés UCB Pharma et GSK responsables in solidum des dommages résultant de l'exposition au DES de Mme [D] ;

-infirmer le jugement en toutes ses autres dispositions et statuant de nouveau :

*déclarer irrecevables comme prescrites les demandes de Mme [D] formées au titre des troubles psychologiques et/ou psychiatriques ; ou subsidiairement l'en débouter ;

*déclarer irrecevables comme prescrites les demandes de Mme [D] relatives à l'indemnisation d'un préjudice d'anxiété ; ou subsidiairement l'en débouter ;

*débouter Mme [D] de l'intégralité de ses demandes au titre du cancer du sein ;

*limiter toute indemnisation de Mme [D] à la somme de 1 800 euros correspondant à la part du DFP imputable à une éventuelle exposition in utero au DES ;

*débouter Mme [D] de l'intégralité de ses autres demandes ;

*débouter la CPAM de [Localité 15] de l'intégralité de ses demandes ;

*ordonner à Mme [D] de restituer la provision ad litem versée en application de l'ordonnance de mise en état du 7 juillet 2015 ;

*ramener l'indemnité sollicitée sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile à de plus justes proportions et déduire la provision ad litem allouée à Mme [D] en application de l'ordonnance de mise en état du 7 juillet 2015 ;

*débouter la société Glaxosmithkline Santé Grand Public de l'intégralité de ses demandes à son encontre;

*laisser à la charge de chacune des parties ses propres dépens.





Par dernières écritures du 10 janvier 2024, la société GSK prie la cour de :



A titre liminaire, sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription des demandes de Mme [D]

-confirmer le jugement déféré, aux besoins par substitution de motifs, en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de Mme [D] relatives à ses troubles gynéco-obstétricaux,

-déclarer irrecevables comme prescrites, dans leur intégralité, les demandes de Mme [D] introduites par assignation du 16 février 2015 et celles de la CPAM de [Localité 15], l'état de santé de Mme [D] devant être considéré comme consolidé depuis 1997 ou, au plus tard, 2002,

-débouter en conséquence Mme [D] et la CPAM de [Localité 15] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,



Subsidiairement, sur le fond

-infirmer jugement déféré en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société GSK,

-débouter UCB Pharma et/ou Mme [D] et/ou la CPAM de [Localité 15] de l'ensemble de leurs demandes dirigées contre elle, les conditions de la responsabilité civile délictuelle n'étant pas réunies,

-la mettre hors de cause,



-Avant dire droit, si la cour estimait ne pas être suffisamment éclairé sur la spécialité en cause, faire injonction à Mme [D] de produire le dossier médical de sa mère ou de justifier des diligences réalisées pour en obtenir la communication,



Très subsidiairement, sur les demandes financières :

-infirmer le jugement du 15 mars 2018 en ce qu'il a alloué à Mme [D] une somme de 24.000 euros à titre de dommages-intérêts ;

Statuant à nouveau :

-déclarer irrecevables comme prescrites les demandes d'indemnisation de Mme [D] au titre d'un préjudice d'anxiété, et l'en débouter,

-débouter Mme [D] et la CPAM de [Localité 15] de l'ensemble de leurs demandes,



A titre plus subsidiaire :

-limiter toute condamnation prononcée à son encontre au prorata du rôle du DES dans les préjudices invoqués, soit au maximum 25% des montants qui lui seraient alloués en indemnisation des préjudices découlant des troubles gynécologiques et obstétriques de Mme [D],

-limiter en conséquence à la somme de 14.631,25 euros l'indemnisation de Mme [D] et la débouter pour le surplus,



En tout état de cause,

-débouter Mme [D], la CPAM de [Localité 15] et UCB Pharma du surplus de leurs demandes, fins et conclusions dirigées contre GlaxoSmithKline Santé Grand Public,

-condamner UCB Pharma à lui verser la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-statuer ce que de droit sur les dépens, dont distraction au profit de Me Martine Dupuis (Cabinet LX Paris-Versailles-Reims), en application de l'article 699 du code de procédure civile.





Par dernières écritures du 10 janvier 2024, Mme [D] prie de cour de :

-la recevoir en son appel principal et incident et le déclarer recevable et bien fondée,

-recevoir les appels principaux et incidents des société GSK et UCB Pharma et les déclarer infondés,

-infirmer la décision dont appel sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription des troubles gynécologiques et de l'infertilité,

-confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré le laboratoire UCB Pharma et la société GSK solidairement responsables du dommage subi par Mme [D] et tenus de le réparer,

-condamner la société UCB Pharma ou la société UCB Pharma et la société GSK solidairement au paiement intégral de la somme de :

*frais divers'''''''''''''''''''''''''''...3 800 euros

-condamner la société UCB Pharma ou la société UCB Pharma et la société GSK solidairement au paiement des sommes suivantes dans la proportion de causalité partielle de 50 % retenue par la cour

*Déficit Fonctionnel Temporaire :''''''''''''''.''''. 10 000 euros

*Perte de gains et incidence professionnelle ''''''''''''''...50 000 euros

*Souffrances Endurées ''''''''''''''''''''''... 20 000 euros

*Déficit fonctionnel permanent'''''''''''''''''.''.159 950 euros

*Préjudice sexuel ''''''''.''''''''''''''.''..10 000 euros

*Préjudice d'établissement'''''''''''''''''''''. 15 000 euros

-débouter les société UCB Pharma et GSK de toutes demandes, fins et conclusions contraires, et notamment les demandes de rejet fondées sur des fins de non-recevoir tirées de la prescription de l'action.

-confirmer le jugement déféré sur les frais irrépétibles de première instance

-condamner la société UCB Pharma ou la société UCB Pharma et la société GSK solidairement au paiement de la somme de 20 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

-condamner la société UCB Pharma ou la société UCB Pharma et la société GSK solidairement aux entiers dépens de première instance et d'appel, comprenant les frais des deux expertises judiciaires, avec droit de recouvrement direct au profit de la société Avocalys avocats sur le fondement de l'article 699 du CPC.



Par dernières écritures du 6 janvier 2024, la CPAM de [Localité 15] prie la cour de :



-la recevoir en son appel incident et l'y déclarer bien fondée ;

En conséquence,

-condamner in solidum la société UCB Pharma et la société GSK à lui verser :

*au titre des dépenses déjà engagées la somme de''''''''..''. 107 132,89 euros

*au titre des frais futurs au fur et à mesure de leur engagement pour un capital s'élevant à la somme de ''...''''''''''''''''''''''..'..37 703,50 euros;

-dire que cette somme portera intérêts au taux légal à compter :

*du 14 août 2018, pour les prestations déjà versées à hauteur de la somme de

'''''''''''''''''''''''''''''. 68 727,69 euros ;

*puis du 14 novembre 2023 sur la somme de''''''...''''' 107 132,89 euros;

*au fur et à mesure de leur engagement pour les frais futurs ;

ou si les tiers optent pour un versement en capital

*de l'arrêt à intervenir sur la somme de'''''''''''''' 37 703,50 euros;

le tout par application de l'article 1231-6 du code civil ;

-condamner in solidum les sociétés la société UCB Pharma et la société GSK à lui verser l'indemnité forfaitaire de gestion, due de droit conformément aux dispositions d'ordre public de l'article L.376-1 du code de la sécurité sociale au montant fixé par arrêté ministériel au moment du règlement, soit 1 191 euros au 1 er janvier 2024 ;

-condamner in solidum les sociétés la société UCB Pharma et la société GSK à lui verser la somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

-condamner in solidum la société UCB Pharma et la société GSK en tous les dépens, d'instance et d'appel, dont distraction au profit de la société Kato & Lefebvre Associés, par application de l'article 699 du code de procédure civile ;



La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.



L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 janvier 2024.




MOTIFS DE LA DECISION



I. Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription des demandes de Mme [D]



Le tribunal a, au visa de l'article 2226 du code civil, retenu que les demandes portant sur les troubles gynécologiques et l'infertilité secondaire de Mme [D] étaient prescrites en estimant que la date du 31 janvier 1997 retenue par les experts comme date de consolidation était justifiée, indépendamment de la date de consolidation afférente au cancer du sein - le 31 décembre 2013, soit 5 ans après le diagnostic initial sans récidive.



Pour justifier la réalisation d'une nouvelle expertise, notre cour, par arrêt du 4 février 2021 a constaté que dans leur pré-rapport les experts avaient fixé trois dates de consolidation distinctes, s'agissant de l'infertilité, du cancer du sein et des troubles psychiatriques allégués, et a considéré notamment que " cette triple consolidation en fonction de la nature des séquelles que les experts relient toutes, dans un rapport de causalité variable, à l'exposition au DES est contraire au principe selon lequel la consolidation n'est pas propre à chacune des séquelles présentées au regard d'un même fait générateur, en l'occurrence cette exposition. Les experts ne s'expliquent pas plus avant, se bornant à affirmer l'impossibilité d'associer ensemble plusieurs pathologies d'évolution et de pronostic différents alors qu'il apparaît a priori contradictoire de lier les troubles obstétricaux et des troubles psychiatriques à l'exposition au DES sans lier leur consolidation et sans qu'ils aient envisagé l'hypothèse d'une consolidation acquise à une certaine date suivie quelques années après de préjudices nouveaux résultant d'une aggravation ".



La société Haleon rappelant que le délai de prescription applicable commence à courir à compter de la consolidation, critique les motifs pour lesquels le second collège d'experts a retenu comme unique date de consolidation, celle du 9 décembre 2008 " en fonction du désir d'une éventuelle nouvelle grossesse ", cette date correspondant " par ailleurs ", selon les termes du rapport, à " la très nette diminution de possibilité de procréer à l'âge de 42 ans [et] la découverte de son cancer du sein qui contre indique toute possibilité de grossesse ", la FIV étant quant à elle contre-indiquée.



Elle fait valoir, premièrement, que la date de consolidation ne peut être fixée en fonction de critères subjectifs, deuxièmement, que les experts n'expliquent pas pourquoi la date à laquelle Mme [D] n'a plus été susceptible de procréer (critère subsidiaire retenu par les experts) devrait être considérée comme la date à laquelle ses lésions se sont stabilisées, et, troisièmement, que même à considérer que la date à laquelle Madame [D] n'était plus accessible à une PMA puisse être retenue, la date de 2008 resterait erronée, les conditions légales pour une telle PMA n'étant plus remplie à compter de 2002, date après laquelle Madame [D] a cessé la communauté de vie avec son compagnon et n'a plus connu de vie commune d'au moins deux ans avec un autre partenaire, ce qui s'oppose à ce qu'elle ait pu accéder après cette date à un parcours de PMA.



Elle estime que la consolidation de l'état de santé de Madame [D] a été acquise non pas en 2008 ni en 2002 mais le 31 janvier 1997, date de son dernier accouchement, non pas en considération d'un désir ou non d'enfant, mais parce qu'au plus tard à cette date, l'ensemble des lésions invoquées (utérus en "T" et cavité de petite taille) et leurs conséquences alléguées (grossesse extra-utérine, fausse couche, menace d'accouchement prématuré), soit selon le rapport "l'ensemble des préjudices liés à l'exposition au DES invoquée" s'est fixé et a pris un caractère permanent sans évolution ultérieure.



La société UCB Pharma fait observer que le second collège d'experts a uniquement retenu le lien " probable " entre le parcours gynécologique et obstétrical de Mme [D] et son exposition in utero alléguée au DES, en excluant, au regard de la littérature médicale et du dossier de Mme [D] tout lien de causalité avec son cancer du sein ou les troubles psychiatriques. Elle considère en conséquence que seule la consolidation des troubles gynécologiques et obstétricaux doit être examinée.



Elle fait valoir que c'est à rebours de la notion médico-légale de consolidation et de la jurisprudence sur cette question que le second collège d'experts a cru pouvoir fixer la consolidation à la date du 9 décembre 2008 " en fonction du désir d'une éventuelle nouvelle grossesse " et qu'il a exclu la date de 1997 motif pris de l'âge de Mme [D] (31 ans). Elle estime que la date de consolidation doit être fixée au 31 janvier 1997, date de l'accouchement marquant la fin de son parcours de procréation.



Mme [D] rétorque que la date de consolidation fixée au 9 décembre 2008 par le second collège d'experts est fondée en ce qu'elle repose sur des données objectives tenant au fait qu'à l'âge de 42 ans les chances de procréer sont très diminuées, y compris en PMA, et que, de surcroît la découverte du cancer du sein à cette date contre-indiquait toute éventuelle grossesse. Elle estime ces conclusions cohérentes, d'une part avec le fait qu'il est permis d'accéder à un protocole de FIV jusqu'à l'âge de 43 ans selon l'agence de biomédecine, d'autre part avec le fait que le Dr. [R], expert psychiatre désigné dans la première expertise, a relevé des difficultés psychologiques directement causées par l'infertilité et proposé de consolider cette pathologie directement imputable au DES en mars 2008.



Sur ce,



Aux termes de l'article 2226 du code civil l'action en responsabilité née à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices qui en résultent, se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé.



La consolidation correspond au moment où les lésions se sont fixées et ont pris un caractère permanent tel qu'un traitement n'est plus nécessaire si ce n'est pour éviter une aggravation, et qu'il devient possible d'apprécier l'existence éventuelle d'une atteinte permanente à l'intégrité physique et psychique.



Si, par conséquent, une seule date de consolidation doit être retenue lorsque les lésions de la victime se présentent comme les manifestations d'un même dommage corporel fût-il protéiforme, il y a lieu cependant de fixer plusieurs dates de consolidation lorsqu'après que l'état de la victime s'est stabilisé apparaissent de nouvelles lésions représentant une rechute ou une aggravation de cet état.



Il doit être précisé que la consolidation devant s'appuyer sur des données objectives de nature à marquer la fin de l'évolution des lésions et donc la stabilisation de l'état de la victime, la consolidation de l'état d'infertilité ne peut dépendre du choix de la victime de cesser tout traitement contre l'infertilité (Civ. 1ère, 17 janvier 2018, n° 14-13.351).



Ne caractérise pas davantage cet état la survenue de la ménopause, en ce qu'il s'agit d'un phénomène physiologique naturel correspondant à l'arrêt définitif des cycles menstruels qui, s'il signe la fin de la période reproductive de la femme, ne traduit pas pour autant la stabilisation de lésions pathologiques consistant en des anomalies à l'origine de difficultés à mener à terme une grossesse. Il en va de même de la préménopause, qui se traduit notamment par des cycles irréguliers, et qui ne rend pas compte de la stabilisation d'un état d'infertilité pathologique.



Sont en outre indifférentes tant la date à laquelle la victime a renoncé à une maternité physiologique, que celle à laquelle elle n'aurait plus été admise à bénéficier d'une procréation médicalement assistée, ces dates faisant intervenir des données subjectives ou administratives incompatibles avec la notion de consolidation, qui désigne exclusivement le moment auquel, objectivement, les séquelles présentées peuvent être définitivement déterminées.



Enfin, si la guérison peut être considérée comme la consolidation particulière d'un état, en l'occurrence celle qui ne laisse aucune séquelle, la naissance d'un enfant ne peut se présenter comme telle pour la femme souffrant d'infertilité, puisque la difficulté à concevoir un enfant peut perdurer après une première grossesse parvenue à terme, sans pouvoir être considérée comme une rechute.



" Sur le second rapport d'expertise :



En l'espèce, par suite de l'arrêt avant-dire droit de notre cour, le second collège d'experts n'a retenu qu'une seule date de consolidation, celle du 9 décembre 2008, soit la " date de la biopsie de la lésion du sein qui a permis le diagnostic de cancer du sein " de Mme [D]. Il explique que " la consolidation a été traduite en fonction du désir d'une éventuelle nouvelle grossesse " et que " par ailleurs " cette date correspond à " la très nette diminution de la possibilité de procréer à l'âge de 42 ans ", et à " la découverte de son cancer du sein qui contre indique toute possibilité de grossesse ".



En réponse au dire de la société Haleon, les experts précisent : " en 1997, Mme [D] avait 31 ans par conséquent la consolidation n'a aucune raison d'être fixée à cette période car Mme [D] était toujours en âge de procréer. Elle a exprimé clairement pendant la réunion d'expertise avoir souhaité d'autres enfant ['] A l'âge de 42 ans les chances de procréer sont très diminuées y compris en PMA et de surcroit il y a une découverte d'un cancer du sein qui contre-indique une éventuelle grossesse. "



La cour observe que le second collège d'experts n'a pas envisagé, comme cela lui a été demandé par la cour de céans, " l'hypothèse d'une consolidation acquise à une certaine date suivie quelques années après de préjudices nouveaux résultant d'une aggravation ".



En outre, les troubles psychiatriques ou psychiques de Mme [D] ne sont pas entrés en ligne de compte dans la détermination de la date de consolidation. Certes, ces experts considèrent que " les troubles dont a souffert et souffre encore Mme [D] ne sont pas en relation directe et déterminante " (p. 31 du rapport) avec son exposition in utero au DES, mais il y a lieu de relever qu'ils ne retiennent pas davantage de lien certain entre l'exposition au DES et le cancer du sein (p. 52) alors que c'est la date du diagnostic du cancer qui a été retenue comme date unique de consolidation.



Etant rappelé que notre cour n'est pas liée par l'avis de l'expert quant à la fixation de la date de consolidation, il convient d'écarter la date de consolidation retenue par le second collège d'experts, d'une part, en ce qu'elle ne permet pas de rendre compte de l'ensemble des lésions alléguées par Mme [D] et, d'autre part, en ce qu'elle relie la consolidation de l'état d'infertilité à la consolidation du cancer du sein sans établir entre eux de rapports de causalité.



" Sur le premier rapport d'expertise :



Les premiers experts ont retenu trois dates de consolidation :

- le 31 janvier 1997, date de naissance de la fille de Mme [D], s'agissant de l'infertilité ;

- le mois de mars 2008, qui correspond à la fin de son hospitalisation psychiatrique, s'agissant des troubles psychiatriques ;

- le 31 octobre 2013, soit 5 ans après le diagnostic initial sans récidive, concernant le cancer du sein.



Il est rappelé que le caractère protéiforme d'un dommage ou la différence de nature des lésions ne justifient pas à eux-seuls la fixation de plusieurs dates de consolidation, celles-ci correspondant à la stabilisation d'un état pathologique pouvant comporter des rechutes ou des aggravations.



Il convient dès lors de rechercher si dans l'histoire des pathologies de Mme [D], il existe des périodes de stabilisation de son état permettant d'envisager plusieurs dates de consolidation successives, étant précisé que chaque date de consolidation doit pouvoir se rapporter à un même dommage, ainsi envisagé de manière unitaire non en raison de la nature des lésions, mais en raison du lien suffisant qui unissent entre elles les lésions le décrivant.



A cet égard, le tribunal a considéré qu'il n'y avait pas lieu de relier la consolidation des troubles psychiatriques de Mme [D] à la consolidation de son infertilité secondaire dans la mesure où cette infertilité n'est pas le support de ses troubles de la personnalité qui relèvent d'un état antérieur, tout en précisant néanmoins que certains aspects de ces troubles " ont pu être majorés par l'infertilité subie selon les experts ".



Sur ce point, le premier rapport d'expertise décrit avec précision le trouble de personnalité borderline de Mme [D], l'impact psychologique de son histoire personnelle et familiale, et ses antécédents d'addictions (héroïne, cocaïne, alcool). Il explique que la période la plus chaotique est à situer entre 2006 et 2008, après le décès consécutif de ses parents à un mois d'intervalle en décembre 2005 et janvier 2006, période durant laquelle se multiplient tentatives de suicide impulsives et hospitalisations. Cependant, il est indiqué que ces troubles sont sans lien avec l'exposition in utero au DES alléguée.



Le premier collège d'experts estime néanmoins qu'il convient de " prendre en considération le fait que l'infertilité a majoré la tendance à l'autodépréciation, notamment pendant le parcours de fécondation in vitro, entre 1994 et 1996 " en ce que " à l'époque, cette infertilité faisait l'objet d'introspection et d'interrogations douloureuses ". Le second collège d'experts note à plusieurs endroits de son rapport que " Mme [D] a eu une période de dépression qu'elle qualifie de profonde pendant toute la période de la fausse couche, de la FIV, de la GEU, qui a duré 6 ans jusqu'à la naissance de [sa] fille [J] ". S'il ne relie pas ces troubles dépressifs à l'infertilité et au parcours obstétrical, il ne l'exclut pas non plus.



Par conséquent, il ne peut être exclu d'envisager comme ressortissant à un même dommage l'état pathologique constitué par l'infertilité, le parcours de grossesse et les troubles dépressifs associés à ce dernier, étant observé que les " troubles psychiques " sont les seuls invoqués au fond par Mme [D] comme présentant un lien certain avec son exposition à la molécule, à l'exclusion des troubles psychiatriques, en particulier le trouble de la personnalité borderline et l'ensemble de ses manifestations dont il ressort suffisamment des éléments versés aux débats qu'ils sont sans lien avec son exposition in utero au DES.



Par ailleurs, s'agissant de l'histoire obstétricale de Mme [D], il apparaît que celle-ci débute par une grossesse extra-utérine (GEU) en 1992, traitée par salpingotomie. Mme [D] est ensuite suivie pour infertilité secondaire, d'abord par sa gynécologue qui lui prescrit durant deux ans un progestatif, puis à partir de mars 1994 par le Dr. [W], qui l'accompagne dans un processus de procréation médicalement assistée (PMA) et lui propose de suivre un protocole de fécondation in vitro (FIV) après coelioscopie objectivant un utérus en forme de T, caractéristique d'une exposition in utero au DES. Deux protocoles de FIV ont lieu en février 1995 et juin 1995, sans succès. En août 1995, une grossesse spontanée d'évolution défavorable (fausse couche tardive) survient, puis un troisième protocole de fécondation in vitro est réalisé en mai 1996, qui aboutit à un accouchement spontané, Mme [D] donnant naissance à sa fille [J] le 31 janvier 1997.



Au regard de ces éléments, l'infertilité a pris un caractère permanent en 1995, compte tenu des tentatives de fécondations in vitro réalisées et de la fausse couche tardive survenue cette année-là, alors que la lésion utérine alléguée (utérus en T et cavité hypoplasique) était déjà objectivée, sans évolution ultérieure. Il est à cet égard indifférent que Mme [D] ait finalement pu donner naissance à un enfant en 1997 et, plus encore, qu'elle ait été à même de concevoir un deuxième enfant, même suivant des probabilités très faibles, jusqu'au diagnostic de son cancer, à l'âge de 42 ans, dès lors que ces éléments ne participent pas de la définition de l'état pathologique d'infertilité qui correspond à une affection du système reproducteur empêchant d'aboutir à une grossesse.



Toutefois, durant cette période, Mme [D] souffrait de dépression en lien avec son infertilité et son parcours obstétrical, situation qui n'a pu être stabilisée avant la naissance de sa fille en 1997, étant observé que comme le relève le premier collège d'experts " dans les suites de cette grossesse Mme [D] n'exprime pas de désir de nouvelle grossesse et n'envisage pas la reprise d'un protocole de FIV ", ce qui ne permet donc pas de relier quelques troubles psychiques ultérieurs à la difficulté à concevoir un deuxième enfant.





En somme, il convient d'envisager comme un dommage initial l'état pathologique constitué par les lésions morphologiques, les accidents gravidiques, l'infertilité et les troubles psychologiques afférents à cette dernière, et de fixer la date de consolidation au 31 janvier 1997, en ce que cette date marque le terme des troubles dépressifs associés à l'histoire obstétricale de Mme [D].



L'action en responsabilité ayant été introduite par cette dernière le 16 février 2015, soit postérieurement à l'expiration du délai de 10 ans pour agir, les demandes afférentes aux troubles décrits ci-dessus sont prescrites.



Le jugement déféré sera réformé sur ce point, en ce qu'il n'a pas déclaré prescrites les demandes relatives aux troubles psychiques associés à l'infertilité et au parcours obstétrical.



S'agissant des demandes relatives au cancer du sein, il doit être relevé qu'à compter de 2004, des examens mammaires sont réalisés et conduisent au diagnostic, le 12 décembre 2008, d'un carcinome canalaire infiltrant au sein droit. Une chirurgie mammaire est pratiquée le 12 janvier 2009 puis une curiethérapie est mise en place à compter du 6 mai 2009. Une mammographie est réalisée le 9 septembre 2009 qui conclut à l'absence évident de signe de reprise évolutive dans les seins.



Ces éléments suffisent à considérer comme non prescrites les demandes afférentes au cancer du sein de Mme [D], dès lors que la date de consolidation est nécessairement postérieure au diagnostic qui date de 2008.



Le jugement sera confirmé sur ce point.



II. Sur le fond



A. Sur la preuve de l'exposition in utero de Mme [D] au Distilbène ou au DES



Le tribunal a retenu que des présomptions graves, précises et concordantes permettaient de retenir que [B] [L], la mère de Mme [D], s'était vu prescrire du diéthylstilbestrol pendant sa grossesse. Il a estimé que le fait que la spécialité Distilbène® soit celle la plus fréquemment prescrite à l'époque était insuffisant à déterminer quelle spécialité avait été effectivement prescrite.



Etant rappelé que le diéthylstilbestrol a été commercialisé sous le nom de spécialité Distilbène® par la société UCB Pharma et sous le nom de Stilboestrol Borne® par la société Novartis aux droits de laquelle vient la société GSK (Haleon), la société Haleon fait valoir que Mme [D] rapporte la preuve de son exposition au Distilbène® par des éléments qui permettent d'exclure le Stilboestrol Borne®, ce qui suffit à la mettre hors de cause. Elle fait valoir la précision du courrier du père de Mme [D] -" Distilbène (DES) " - et son caractère décorrélé de toute instance judiciaire, le dossier médical qui vise l'exposition au Distilbène à une époque éloignée de toute visée judiciaire, et la très grande disproportion des parts de marché respectives des parties sur le marché du DES, qui rend encore plus improbable une prise de Stilboestrol Borne® jamais évoquée, ni par la demanderesse, ni par le dossier médical. Elle ajoute que Mme [D] ne présente pas de pathologies permettant à elles-seules d'induire une exposition à la molécule DES.

La société UCB Pharma soutient que Mme [D] ne rapporte ni la preuve d'une exposition in utero au DES, ni la preuve d'une exposition au Distilbène®. Elle considère que le mode de preuve, par voie de présomptions graves, précises et concordantes, est inadapté, d'une part, en ce que le secret médical l'empêche d'exiger la production du dossier médical de la plaignante et avec elle les éléments nécessaires lui permettant d'apporter la preuve de l'absence de prescription de son produit, d'autre part, en ce que le vocable " distilbène " est employé comme synonyme de la molécule DES, voire d'autres molécules, ce qui est source de confusion à son détriment. Elle ajoute qu'en toute hypothèse de simples allégations ne peuvent être qualifiées de présomptions et conteste la valeur probante de la lettre du père de Mme [D], des pièces de son dossier médical et de l'argument des parts de marché de GSK, étant donné que les deux produits fabriqués à base de diéthylstilbestrol coexistaient en 1965-1966. Enfin, elle soutient que les propos des experts judiciaires sont dépourvus de pertinence dès lors que ce point relève d'une appréciation juridique et qu'ils ont ainsi outrepassé leur compétence.



En réponse, Mme [D] souligne que si elle ne dispose pas de documents contemporains de la grossesse de sa mère, son dossier médical objective une cavité utérine en T hypoplasique dont la seule cause possible est une exposition au DES, en l'absence d'autres causes identifiées. Elle met également en avant son parcours d'infertilité et d'accidents gravidiques de grossesse, qui même s'il existe d'autres causes possibles à sa survenue, représente un ensemble de pathologies dont la fréquence élevée de survenue dans la population exposée in utero au DES est tout à fait caractéristique car pathognomonique de cette exposition au DES.



Sur ce,



(a) Il est de jurisprudence constante que la preuve d'un fait juridique peut être rapportée par tous moyens et notamment par présomptions.

Ainsi, la preuve de l'exposition in utero à la molécule DES peut être administrée par la plaignante de façon alternative :

- directement par la production de documents justifiant de la prescription de la molécule durant la grossesse de la mère de la plaignante ;

- par la preuve d'une pathologie dont l'exposition au DES est la seule cause possible et qui constitue à elle seule une présomption suffisante de l'exposition ;

- par des présomptions graves, précises et concordantes au sens de l'ancien article 1353 du code civil, si jamais la pathologie invoquée peut avoir potentiellement une autre cause que l'exposition au DES.

En l'espèce, il n'est pas produit de document contemporain à la grossesse de [B] [L], mère de Mme [D], démontrant que le DES lui a été prescrit.

L'exposition in utero au DES est toutefois mentionnée dans le dossier médical de Mme [D], sous la plume du Dr. [W], qui assurait son suivi gynécologique, et ce, dès 1992. Le 15 février 1992, il note, au titre des antécédents familiaux : " mère a pris du Distilbène ". Il le rappelle le 24 mars 1994 et précise : " lettre de son père, médecin à [Localité 10] mère 34 ans (') DES toute la grossesse ".



Si ces éléments sont insuffisants à eux seuls à établir la réalité de l'exposition, en ce qu'ils reposent sur les seules déclarations de Mme [D] et de son père, ils constituent néanmoins un indice crédible au regard de la date de ces déclarations, très antérieures au début de la présente procédure.

En outre, Mme [D] présente des pathologies dont le lien avec une exposition in utero au DES a été mis en avant par les experts, à partir de la littérature médicale et du dossier médical de Mme [D].



A cet égard, le premier rapport d'expertise a considéré la malformation utérine (cavité utérine hypoplasique en T) en relation exclusive avec l'exposition in utero au DES (" car caractéristique de cette maladie ") et envisagé les autres (infertilité, fausse couche tardive, menace de fausse couche tardive et accouchement prématuré, grossesse ectopique, cancer du sein) comme pouvant être reliées à cette même exposition, en tant que causalité adjointe.

Le second collège d'experts, quoique moins affirmatif, conclut que l'utérus en T est " caractéristique " d'une exposition in utero au DES, que les mesures utérines réduites confirment le " très probable " lien avec une exposition au DES et que la fausse couche est " très vraisemblablement " en rapport avec cette exposition.

Il existe donc des indices probants permettant de retenir que Mme [D] a été exposée in utero à la molécule, étant précisé que le fait que les experts ne soient pas unanimes quant à l'imputabilité au DES de certaines pathologies, ne constitue pas en soi un indice de non-exposition faisant obstacle à la reconnaissance de présomptions graves, précises et concordantes établies sur la base des éléments relevés en l'espèce.

(b) Il ressort de l'interprétation donnée par la Cour de cassation aux dispositions des anciens articles 1382 et 1315 du code civil, que lorsque l'exposition in utero au DES est établie, il appartient à chacun des laboratoires de prouver que son produit n'était pas à l'origine du dommage (Civ. 1ère, 24 sept. 2009, n° 08-16.305).

Contrairement à ce qu'indique la société UCB Pharma dans ses écritures, il n'est pas instauré de présomption irréfragable au détriment des laboratoires, chacun d'eux pouvant rapporter par tous moyens la preuve que son produit n'est pas à l'origine de l'exposition in utero au DES, étant rappelé que la charge et le risque de la preuve préalable de l'exposition au DES pèse sur la victime prétendue.

En l'occurrence, la société Haleon, qui prétend que son produit n'est pas en cause, se prévaut tout d'abord de deux courriers du père de Mme [D] : un premier courrier mentionné dans le dossier médical en 1994, un second, non daté, mais nécessairement postérieur à 1997, compte tenu de la référence à [J], fille de Mme [D], née le [Date naissance 6] 1997.

Si le premier courrier n'a pas conduit le Dr. [W] à préciser la spécialité Distilbène®, celle-ci figure en revanche expressément dans le second courrier évoqué, versé au dossier médical de Mme [D], qui mentionne : " Distilbène (DES) à fortes doses pendant la qualité-totalité de la grossesse ".

Le tribunal a considéré que la mention " DES " entre parenthèses pouvait s'interpréter comme une précaution marquant une " volonté d'être affirmatif s'agissant de la molécule prescrite (DES), dans l'hypothèse où la spécialité rapportée ne serait pas celle qui a été effectivement prescrite ".

Toutefois, il n'est pas contesté que M. [D] était médecin de formation, de sorte que ses connaissances pharmacologiques lui permettaient de ne pas confondre les différentes spécialités. S'il est vrai que le courrier a été rédigé plus de 30 ans après la naissance de Mme [D], un phénomène de " démémorisation " jouant au détriment de la précision aurait plus probablement conduit M. [D] à ne mentionner que la molécule " DES " sans faire référence à une spécialité sur laquelle, par hypothèse, il aurait eu un doute. Dans ces circonstances, la mention " DES " entre parenthèses, aux côtés de la mention de la spécialité " Distilbène ", marque bien plutôt la volonté de M. [D] de préciser son propos, en tant que médecin éclairé sur les dangers du diéthylstilbestrol, de sorte que ce courrier doit être considéré comme l'indice d'une exposition au Distilbène®.



Alors que le dossier médical de Mme [D] ne fait aucunement référence au Stilboestrol Borne®, l'indice d'une exposition au Distilbène® est corroboré, d'une part, par la mention de cette spécialité par le Dr. [W] dans son rapport daté de 1992, celui-ci ayant pris soin de souligner le vocable, d'autre part, par le fait que Mme [D] affirme elle-même dans ses écritures que son père, en sa qualité de médecin, connaissait le nom de la spécialité prescrite par son épouse, à savoir le Distilbène®.



Est ainsi rapportée la preuve, par des présomptions graves, précises et concordantes, que la spécialité Stilboestrol Borne® n'a pas été prescrite à la mère de Mme [D], ce qui doit conduire à mettre hors de cause la société Haleon.

Le jugement sera en conséquence infirmé, en ce qu'il a retenu la responsabilité in solidum de la société GSK.



B. Sur la responsabilité de la société UCB Pharma



1. Sur la faute



Les parties ne font que reprendre devant la cour leurs prétentions et leurs moyens de première instance.

En l'absence d'élément nouveau soumis à son appréciation, la cour estime que les premiers juges, par des motifs pertinents qu'elle approuve, ont fait une exacte appréciation des faits de la cause et des droits des parties.

Le tribunal a ainsi retenu à juste titre que le laboratoire avait commis une faute par imprudence du fait d'un défaut de vigilance en maintenant sur le marché, sans précaution ni mise en garde, un produit dont il savait ou avait les moyens de savoir que non seulement l'efficacité mais également l'innocuité étaient, depuis longtemps et de manière documentée, remises en cause.



2. Sur le lien de causalité



Il est rappelé que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a déclaré prescrite l'action de Mme [D] tendant à voir indemnisés ses dommages en lien avec ses troubles gynécologiques et son infertilité. C'est à bon droit, partant, que le tribunal a considéré qu'il n'y avait pas lieu d'examiner le lien de causalité entre son exposition in utero au DES et ces dommages.

En outre, si le tribunal a cru devoir accueillir la demande indemnitaire de Mme [D] au titre des " troubles psychologiques et psychiatriques ", la cour, par le présent arrêt, considère que cette demande est également prescrite, en ce que Mme [D] décrit comme seuls dommages liés au DES les " troubles psychiques " consécutifs à son infertilité et à ses accidents gravidiques de grossesse, à l'exclusion de ses troubles psychiatriques qu'elle rattache à son histoire familiale et personnelle.

Il en résulte qu'à hauteur d'appel doit seulement être recherchée l'existence d'un lien de causalité entre le cancer du sein développé par Mme [D] et la faute d'imprudence de la société UCB Pharma ayant conduit à son exposition in utero au Distilbène.



" Sur l'imputabilité au DES du cancer du sein :



Le tribunal a retenu que le lien de causalité adjointe de l'exposition au DES avec le développement du cancer du sein de Mme [D] était suffisamment justifié dans le rapport d'expertise du Dr. [A] sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une nouvelle expertise.

Devant la cour, la société UCB Pharma fait valoir que les antécédents de Mme [D] mentionnent l'existence d'un cancer du sein développé par sa mère, sa grand-mère et sa grande tante maternelle, et approuve en conséquence le second collège d'experts qui, après avoir considéré que le risque génétique de cancer ne pouvait être exclu dans cette famille, a estimé que le cancer de Mme [D] n'était pas en lien direct et certain avec son exposition au DES. Elle ajoute que la littérature médicale la plus récente - en particulier l'étude [P] et al. de 2017 et 2019 - infirme tout lien entre l'exposition in utero au DES et le cancer du sein.



En réponse, Mme [D] argue que le test génétique réalisé, écarte totalement le risque familial dans son cas, et considère, à la suite du Dr. [A], que son cancer du sein est une pathologie dont la causalité adjointe du DES est reconnue dans la littérature. Elle précise qu'une étude de cohorte rétrospective, financée par l'ANSM, a retrouvé une augmentation significative du risque de cancer du sein dans la population de femmes de 40 ans et estime que plusieurs études américaines ont démontré un risque plus élevé de survenue du cancer du sein pour les femmes exposées in utero.



Sur ce,



Il résulte des articles 1382 et 1353 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, que l'action en responsabilité suppose la démonstration d'un lien de causalité direct et certain entre le fait générateur et le dommage, pouvant être rapporté par tous moyens, notamment par des présomptions graves, précises et concordantes.



En présence d'une pluralité de causes possibles parmi lesquelles l'exposition au DES, le lien de causalité est exclu lorsqu'une autre cause se présente, dans l'espèce considérée, comme la seule cause explicative du dommage. A l'inverse, le lien de causalité est établi, au regard des circonstances de la cause, soit par la preuve que l'exposition au DES constitue la seule cause explicative du dommage, soit par la preuve qu'elle constitue l'une des causes ayant contribué à la réalisation du dommage.



A cet égard, il est de jurisprudence constante, d'une part, qu'il suffit de présomptions graves, précises et concordantes pour établir, au plan juridique, un lien de causalité certain entre l'exposition au DES et la survenance du dommage, même en présence d'une pluralité de causes possibles, et, d'autre part, qu'il ne peut être exigé de la victime qu'elle démontre que son exposition au DES était, parmi les causes possibles, la cause exclusive du dommage (cf. 1re Civ., 11 janv. 2017, n° 15-16.282 ; 1re Civ., 19 juin 2019, n° 18-10.380 ; 1re Civ., 18 oct. 2023, n° 22-11.492).



Toutefois, lorsqu'il est établi que les troubles présentés ne sont que pour partie imputables à l'exposition in utero au DES, en raison d'une causalité adjointe non rattachée à cette exposition, il est admis de limiter le droit à indemnisation à une certaine proportion (cf. Civ. 1ère, 14 nov. 2019, n° 18-10.794) correspondant à la part imputable au DES dans la réalisation du dommage.



Le premier rapport d'expertise, remis le 10 février 2016, retient, à partir de certaines études - [M] (2002), [P] (2007), [V] (2015) - que " le cancer du sein survenu à 42 ans est une pathologie dont la causalité adjointe du DES est reconnue dans la littérature ". Le Dr. [A] considère, contrairement au médecin conseil d'UCB Pharma, que " les résultats de ces études semblent montrer une augmentation significative du risque de cancer du sein dans la population exposée ". En outre, en réponse au dire de la société UCB Pharma (p. 98 et 120-121) posant la question des conséquences à tirer du facteur génétique et des antécédents familiaux de Mme [D], il relève la négativité de la recherche des gènes BRCA 1 et 2 dans le cas de Mme [D], alors qu'il s'agit des seuls gènes retrouvés dans les enquêtes oncologiques familiales. Ainsi, à l'instar d'autres pathologies présentées par Mme [D], le rapport conclut qu'il existe " une relation probable mais non exclusive avec l'exposition in utero au DES ".



Le second rapport d'expertise a été remis le 29 novembre 2022, soit postérieurement à l'étude [P] et al. de 2017, republiée en 2019, évoquée par les parties dans leurs conclusions, et analysée par le collège d'experts. Il est relevé que les auteurs de cette étude " concluent à une augmentation mais faible du risque de cancer du sein après exposition au DES ". Les experts en concluent eux-mêmes, après analyse de la littérature, que " le cancer n'est très probablement pas en rapport avec l'exposition in utero au DES ". Dans le cas de Mme [D], ils expliquent (p. 33 du rapport): " si le risque existe il est très faible. Mme [D] était à haut risque de cancer du sein du fait d'un cancer familial premier degré (sa mère). Les gènes de prédisposition héréditaires BCR1 et BRC2 sont négatifs mais la recherche de mutation d'autres gènes (PALB2 et p53') n'a pas été réalisée et le risque génétique de cancer ne peut être exclu dans cette famille ". Ils concluent : " le lien avec l'exposition au DES et très peu probable voire inexistant ".



Il s'ensuit que l'analyse de la littérature médicale et des éléments propres au dossier médical de Mme [D], réalisée par les experts, ne permet ni d'identifier la cause de son cancer du sein ni d'exclure toute probabilité, même faible, que l'exposition in utero au DES soit à l'origine de son cancer.



Si l'absence de causalité établie au plan médical ne fait pas en soi obstacle à la caractérisation d'un lien de causalité juridique, encore faut-il qu'il existe des présomptions graves, précises et concordantes permettant d'établir le rôle ne serait-ce que contributif du DES dans la survenance du dommage.



Ainsi, notamment, un risque significatif de présenter une pathologie après avoir été exposé in utero au DES constitue l'indice d'un lien de causalité.



S'agissant du cancer du sein, la dernière étude analysée ([P] et al. 2019) portant sur le suivi de 6 905 femmes (4822 exposées au DES et 2 083 non exposées) a mis en lumière une " augmentation faible mais significative " du nombre de cancers du sein comparé par rapport à la population générale (+ 1, 17). Le second collège d'experts relève toutefois qu'après ajustement sur 4 facteurs de risque de cancer du sein (antécédents familiaux, biopsies mammaires, âge de la puberté, âge du premier enfant) " l'augmentation du risque de cancer du sein n'est pas significative".



De fait, il existe des antécédents de cancers dans la famille de Mme [D], notamment de cancers du sein (mère, grand-mère maternelle et grand-mère paternelle). A cet égard, si l'étude oncogénétique réalisée par Mme [D] n'a pas permis d'identifier chez elle un gène de prédisposition familial du cancer du sein, ces résultats n'ont pas pour autant conduit le second collège d'experts à écarter tout risque familial, compte tenu des limites inhérentes à de telles investigations.



En outre, les auteurs de l'étude précitée suggèrent que l'effet du DES ne serait pas direct mais indirect, en opérant sur les facteurs de risque, en particulier l'âge de la puberté ou du premier enfant. Or, ces éléments n'ont pas été identifiés dans le cas de Mme [D] comme des facteurs de risque et, a fortiori, comme des facteurs de risque aggravés ou générés par l'effet de son exposition in utero au DES.



Etant donné les autres facteurs de risque que présentent Mme [D] par ailleurs, en particulier le tabagisme (15 à 20 cigarettes par jour), et l'absence de lien entre les autres dommages allégués, prêtés au DES (lésion utérine, accidents gravidiques, infertilité, troubles psychiques) et le cancer du sein, la conclusion de la seconde expertise suivant laquelle le lien entre le cancer du sein et l'exposition au DES de Mme [D] est " très peu probable voire inexistant " apparait recevable et ne permet pas de retenir comme indice probant la probabilité médicale mise en avant.

La cour, qui n'est pas appelée à pallier l'incertitude du lien causal au moyen de l'indemnisation d'une perte de chance d'échapper au préjudice, est donc conduite à écarter, en l'absence d'élément probant, tout lien de causalité, même au titre de la causalité adjointe, entre l'exposition in utero au DES et le cancer du sein.



C. Sur les autres demandes



Les conditions de la responsabilité de la société UCB Pharma n'étant pas réunies, en l'absence de lien de causalité entre l'exposition fautive au DES et les dommages allégués, il convient de rejeter les prétentions indemnitaires de Mme [D], au titre du cancer du sein, et avec elles, le recours subrogatoire de la CPAM de [Localité 15].

Le jugement sera infirmé en conséquence.

Mme [D] n'invoquant l'anxiété qu'au titre de l'aggravation de son déficit fonctionnel permanent, il n'y a pas lieu d'examiner la recevabilité d'une prétention autonome formée à ce titre, de même qu'apparait sans objet la demande de la société UCB Pharma d'ordonner la restitution d'une provision prétendument perçue par Mme [D], alors que l'ordonnance du juge de la mise en état du 7 juillet 2015, à laquelle il est fait référence, l'a déboutée de ce chef de demande.

D. Sur les frais irrépétibles et les dépens



Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une partie.



En l'occurrence, la société UCB Pharma est à l'origine de l'exposition in utero au Distilbène® de Mme [D] qui, si elle succombe au terme de la procédure en appel, n'en était pas moins légitime à introduire son action en justice contre le laboratoire au regard du risque que présentait son exposition. Or, ce procès appelait nécessairement la réalisation d'expertises judiciaires dont il apparaitrait inéquitable de faire supporter le coût à Mme [D], alors que ces mesures d'instruction s'inscrivent dans les suites directes de la faute commise par le laboratoire. La CPAM de [Localité 15], agissant en qualité de tiers payeur, avait également tout intérêt à agir, au regard de l'exposition in utero de son assurée au DES.



Il convient pour ces motifs de faire supporter les dépens par la société UCB Pharma, à l'exclusion de la société GSK, mise hors de cause à hauteur d'appel.



Conformément à l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer aux autres parties la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, en tenant compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée.



En conséquence, la société UCB Pharma, tenue aux dépens, indemnisera les parties, au titre des frais irrépétibles, de la manière suivante :

- au titre des frais irrépétibles de première instance : 6 000 euros à Mme [D], 2 000 euros à la société GSK, 1 000 euros à la CPAM de [Localité 15] ;

- au titre des frais irrépétibles exposés en appel : 4 000 euros à Mme [D], 2 000 euros à la société GSK, 2 000 euros à la CPAM de [Localité 15].



PAR CES MOTIFS



La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,



Confirme le jugement en ce qu'il a dit que les demandes de Mme [T] [D] en lien avec ses troubles gynécologiques et son infertilité secondaire sont prescrites,



Infirme le jugement pour le surplus des dispositions soumises à la cour,



Statuant à nouveau des chefs infirmés,



Déclare irrecevables comme prescrites les demandes de Mme [D] formées au titre des troubles psychiques,



Déclare recevables les demandes de Mme [D] au titre du cancer du sein,



Dit que la société Gloxosmithkline Santé Grand Public connue sous le nom commercial " Haleon ", n'est pas à l'origine de l'exposition in utero au DES de Mme [D],



Met hors de cause la société Gloxosmithkline Santé Grand Public connue sous le nom commercial " Haleon ",



Déboute Mme [D] de ses demandes en paiement formées au titre de la réparation de son dommage corporel,



Déboute la CPAM de [Localité 15] de son recours subrogatoire, diligenté en qualité de tiers payeur,



Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,



Condamne la société UCB Pharma aux dépens de première instance, dont distraction chacun pour leur part, sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile, au profit de la société Avocatlys avocats, la SELARL Kato & Lefebvre Associés et Me Martine Dupuis (Cabinet LX Paris-Versailles-Reims),



Condamne la société UCB Pharma à payer, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en première instance :

- 6 000 euros, à régler à Mme [T] [D]

- 2 000 euros, à régler à la société Gloxosmithkline Santé Grand Public

- 1 000 euros, à régler à la CPAM de [Localité 15]



Y ajoutant,



Condamne la société UCB Pharma aux dépens d'appel, dont distraction chacun pour leur part, sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile, au profit de la société Avocatlys avocats, la SELARL Kato & Lefebvre Associés et Me Martine Dupuis (Cabinet LX Paris-Versailles-Reims),



Condamne la société UCB Pharma à payer, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en première instance :

- 4 000 euros, à régler à Mme [T] [D]

- 2 000 euros, à régler à la société Gloxosmithkline Santé Grand Public

- 2 000 euros, à régler à la CPAM de [Localité 15].







- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par Madame F. PERRET, Président et par Madame K. FOULON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.





Le greffier, Le président,

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