2 mai 2024
Cour d'appel de Paris
RG n° 21/00814

Pôle 6 - Chambre 7

Texte de la décision

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7



ARRÊT DU 02 MAI 2024



(n° 171 , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00814 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDASH



Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 novembre 2020 - Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BOBIGNY - RG n° 16/03151





APPELANT

Monsieur [F] [S]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Pearl GOURDON, avocat au barreau de PARIS, toque : D0309





INTIMÉE

S.A. AIR FRANCE

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Harold HERMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : T03





COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 février 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent ROULAUD, conseiller, chargé du rapport.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Bérénice HUMBOURG, présidente de chambre

Madame Marie SALORD, présidente de chambre

Monsieur Laurent ROULAUD, conseiller



Greffier, lors des débats : Madame Alisson POISSON





ARRÊT :



- CONTRADICTOIRE,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie SALORD, présidente de chambre et par Madame Alisson POISSON, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.






FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES



Par contrat de travail à durée indéterminée prenant effet le 5 septembre 2005, M. [F] [S] a été engagé en qualité de steward par la société Air France.



La société Air France emploie à titre habituel plus de dix salariés.



Les relations contractuelles étaient régies par l'accord d'entreprise Air France.



Jusqu'au 31 décembre 1995, le personnel navigant commercial (ci-après désigné le PNC) comprenant les hôtesses et les stewards de la société Air France était soumis à une grille de rémunération composée de 10 échelons et de 6 classes.



Par décision de la société prenant effet le 1er janvier 1996, les hôtesses et les stewards de la société Air France embauchés à compter de cette date ont été soumis à une nouvelle grille de rémunération composée de 13 échelons et 8 classes.



Ce système était baptisé l'échelle'B-Scale' (échelle bis) puisque selon la date d'embauche le salarié appartenant au PNC était soumis soit à l'ancienne soit à la nouvelle grille de rémunération.



Des mouvements de grève initiés par les organisations syndicales ont perduré jusqu'en 2001, dénonçant, du fait de la mise en place de l'échelle 'B-Scale', des inégalités de traitement entre le personnel embauché avant et après janvier 1996.



Suite à ces mouvements de grèves répétés, des négociations ont eu lieu entre les organisations syndicales et la société Air France. Elles ont abouti, tout d'abord, à une modification de l'échelle 'B-Scale' par l'accord collectif du 16 juin 1999, puis, à sa suppression dès le 1er janvier 2002 par un avenant à cet accord. Les personnels embauchés depuis le 1er janvier 1996 ont ainsi vu leur ancienneté recalculée sur la base d'une nouvelle grille salariale fondée sur cet avenant.



A la suite d'un arrêt de la cour d'appel de Paris du 28 mai 2015 accordant à une salariée d'Air France une indemnisation pour inégalité de traitement en raison de l'application de l'échelle 'B-Scale', M. [S] a écrit à son employeur pour revendiquer une régularisation de sa situation.



La société Air France ayant refusé de faire droit à sa demande, il a saisi avec d'autres salariés le conseil de prud'hommes de Bobigny le 15 juillet 2016 aux fins d'obtenir de la société Air France des dommages-intérêts pour violation du principe d'égalité de traitement.



Par jugement du 13 novembre 2020, le conseil de prud'hommes a :

Rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société Air France et tirée du défaut d'intérêt à agir des demandeurs,

Déclaré irrecevables les demandes de dommages-intérêts au titre de la violation du principe d'égalité de traitement entre salariés présentées par les salariés demandeurs et notamment par M. [S],

Débouté la société Air France de sa demande d'indemnité pour procédure abusive sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile,

Débouté les salariés demandeurs et notamment M. [S] de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Débouté la société Air France de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamné les salariés demandeurs et notamment M. [S] aux dépens,

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du jugement.



Le 6 janvier 2021, M. [S] a interjeté appel du jugement.



Selon ses conclusions transmises par la voie électronique le 15 janvier 2024, M. [S] demande à la cour de :

Infirmer le jugement en ce qu'il :

- a fixé le point de départ de la prescription pour inégalité de traitement à sa date d'embauche et a par conséquent dit qu'à la date de saisine du conseil de prud'hommes sa demande était prescrite,

- a déclaré irrecevable sa demande de dommages-intérêts au titre de la violation du principe d'égalité de traitement,

- a débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et l'a condamné aux entiers dépens,

Statuant à nouveau,

Fixer le point de départ de la prescription visée à l'article L. 1471-1 du code du travail au 28 janvier 2016 et par conséquent de déclarer recevable son action,

Condamner la société Air France à lui verser la somme de 9.000 euros à titre de dommages-intérêts pour violation du principe d'égalité,

Condamner la société Air France à lui verser la somme de 7.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamner la société Air France aux entiers dépens de première instance et d'appel.



Selon ses conclusions transmises par la voie électronique le 23 juin 2021, la société Air France demande à la cour de :

Juger que M. [S] est irrecevable en ses demandes en raison de la prescription,

En conséquence,

Confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré les demandes prescrites,

Infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de procédure abusive et, statuant à nouveau, de condamner M. [S] à lui payer la somme de 2.000 euros pour procédure abusive sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile,

Condamner M. [S] à lui verser la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamner M. [S] aux dépens.



Pour un exposé des moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions transmises par la voie électronique.



L'instruction a été déclarée close le 17 janvier 2024.




MOTIFS



Sur la prescription :



En premier lieu, les parties exposent que jusqu'au 31 décembre 1995 le personnel navigant commercial (ci-après désigné le PNC) regroupant les hôtesses et les stewards de la société Air France était soumis à une grille de rémunération. Elles exposent également que par décision prenant effet le 1er janvier 1996 (ci-après désignée la décision de 1996), la société Air France a mis en place une nouvelle grille de rémunération destinée exclusivement au PNC recruté à compter de cette date.



Le salarié soutient ainsi que la décision de 1996 mettant en place l'échelle 'B-Scale' a eu pour effet de créer une inégalité de traitement salarial entre les hôtesses et les stewards recrutés avant et après le 1er janvier 1996. Il sollicite ainsi la somme de 9.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi.



En deuxième lieu, lorsque le salarié invoque une atteinte au principe d'égalité de traitement, la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance objet de sa demande.



La demande pécuniaire du salarié étant de nature indemnitaire et non salariale, la prescription invoquée par l'employeur à l'encontre de celle-ci est gouvernée par les dispositions suivantes.



Avant l'entrée en vigueur de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, l'action en responsabilité contre l'employeur était soumise à la prescription trentenaire en vertu de l'article 2262 du code civil qui disposait : 'Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi'. La loi n°2008-561 du 17 juin 2008 ayant réformé la durée de la prescription a modifié ce texte. Aux termes de l'article 2224 issu de cette loi, 'les actions personnelles ou mobilières se prescrivent désormais par 5 ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer'. Selon le second alinéa de l'article 2222 du même code, également introduit par la loi du 17 juin 2008, 'en cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieur'. Enfin, la loi n°2013-504 du 14 juin 2013 a, d'une part, introduit un article L. 1471-1 dans le code du travail, entré en vigueur le 17 juin 2013, qui dispose : 'Toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit' et, d'autre part, précisé dans le V de son article 21 que ces dispositions 's'appliquent aux prescriptions en cours à compter de la date de promulgation de la présente loi, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure'.



Compte tenu de ces dispositions législatives et de la date de saisine du conseil de prud'hommes (15 juillet 2016), le bien-fondé de la fin de non-recevoir soulevée par l'employeur dépend de la détermination par la cour du point de départ du délai de prescription qui, comme il a été dit, ne commence à courir que lorsque le salarié 'a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit'.



Le salarié soutient qu'à la date de son embauche, il ne disposait pas des éléments lui permettant de savoir qu'il était victime d'une inégalité de traitement. Il expose également que l'employeur n'établit pas qu'il a eu connaissance de l'inégalité de traitement invoquée avant le 28 janvier 2016, date à laquelle il a participé à une réunion syndicale d'information au cours de laquelle il a eu connaissance de l'arrêt du 28 mai 2015 par lequel la cour d'appel de Paris a condamné la société Air France à verser à une de ses salariés une indemnité pour violation du principe d'égalité de traitement du fait de la mise en place de l'échelle 'B-Scale'. Il indique enfin que la prescription ne peut commencer à courir que lorsqu'il a connaissance non seulement de l'inégalité de traitement invoquée mais également de l'estimation précise du préjudice en résultant ne pouvant découler que de la communication par l'employeur de l'ancienne grille de rémunération applicable.



L'employeur soutient que la date de révélation des faits est la date d'entrée dans l'entreprise du salarié puisqu'il a été informé à cette occasion des nouvelles règles de carrière et que l'échelle 'B-Scale' a été appliquée de 1996 au 1er janvier 2002 et a fait l'objet :

- de 53 jours de grève à l'initiative des syndicats ;

- de nombreuses communications syndicales diffusées dans l'entreprise et remises pour certaines au PNC,

- de lettres d'Air France adressées au PNC,

- de communications internes de la part d'Air France dans les flashs actualité,

- de différents accords collectifs signés par les partenaires sociaux,

- d'articles de presse extérieure à l'entreprise, de reportages aux journaux télévisés et dans des radios à audience nationale.



Toutefois, il ressort des éléments versés aux débats que le salarié a été embauché le 5 septembre 2005, soit postérieurement aux événements invoqués par l'employeur. Or, il n'est nullement établi en l'espèce que le salarié a été informé de ces événements ou des critiques à l'encontre de l'échelle 'B-Scale' au moment de son embauche ou avant la réunion du 28 janvier 2016. Il s'en déduit que le délai de prescription n'a pu courir à l'égard du salarié qu'à compter de cette dernière date et la demande pécuniaire n'est ainsi pas prescrite puisque le salarié a saisi le conseil de prud'hommes le 15 juillet 2016.



Le jugement sera infirmé en ce qu'il a jugé prescrite la demande du salarié.



Sur le bien-fondé de la demande pécuniaire du salarié :



Si le salarié ne mentionne pas dans ses écritures la période durant laquelle son préjudice serait né, la cour constate cependant qu'il n'invoque à l'origine de celui-ci que la décision de 1996 mettant en place la grille de rémunération litigieuse. Or, il ressort des éléments produits que cette décision a été annulée à compter du 1er janvier 2002 par un avenant à l'accord collectif du 16 juin 1999, cet avenant ayant également substitué une nouvelle grille de rémunération à celle mise en place dans le cadre de l'échelle 'B-Scale' dont le salarié ne conteste pas la régularité.



Comme il a été dit précédemment, le salarié a été embauché le 5 septembre 2005, soit postérieurement à l'annulation de la décision de 1996. Il s'en déduit que, comme l'affirme l'employeur dans ses écritures, cette décision ne lui a jamais été applicable. Par suite, elle ne peut être à l'origine du préjudice qu'il invoque. Dès lors, le salarié sera débouté de sa demande pécuniaire.



Sur la demande reconventionnelle au titre de la procédure abusive :



La société Air France ne produisant aucun argumentaire à l'appui de sa demande indemnitaire pour procédure abusive, elle sera déboutée de celle-ci et le jugement sera confirmé en conséquence.



Sur les demandes accessoires :



Le salarié qui succombe dans la présente instance, doit supporter les dépens d'appel et être condamné à payer à la société Air France la somme de 200 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel. Il sera débouté de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



PAR CES MOTIFS :



La Cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire et rendu en dernier ressort, mis à disposition au greffe,



INFIRME le jugement en ce qu'il a dit que la demande de M. [F] [S] était prescrite,



CONFIRME le jugement pour le surplus,



Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,



DÉCLARE recevable la demande de dommages-intérêts au titre de la violation du principe d'égalité de traitement de M. [F] [S],



DÉBOUTE M. [F] [S] de ses demandes,



CONDAMNE M. [F] [S] à verser à la société Air France la somme de 200 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,



DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes,



CONDAMNE M. [F] [S] aux dépens d'appel.





La greffière, La présidente.

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