2 mai 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG n° 18/12055

4ème chambre 2ème section

Texte de la décision

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
2 Expéditions
exécutoires
- Me Jean-François CREMIEUX
- Me Didier SITBON
délivrées le :
+ 1 copie dossier




4ème chambre
2ème section


N° RG 18/12055
N° Portalis 352J-W-B7C-CN7FP

N° MINUTE :




Assignation du :
01 Octobre 2018









JUGEMENT
rendu le 02 Mai 2024
DEMANDERESSE

La SCI MGF IMMOBILIER, Société Civile Immobilière dont le siège est [Adresse 1], immatriculée sous le numéro 328 467 337 RCS LE MANS ;

représentée par Me Jean-François CREMIEUX, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #D0308


DÉFENDERESSE

La SAS FONCIA LAPORTE, au capital de 240.000€, immatriculée au RCS PARIS sous le n°542 055 132, dont le siège social est [Adresse 3] à [Localité 5], représentée par son Président domicilié en cette qualité audit siège ;


représentée par Me Didier SITBON, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #C2472



Décision du 02 Mai 2024
4ème chambre 2ème section
N° RG 18/12055 - N° Portalis 352J-W-B7C-CN7FP



COMPOSITION DU TRIBUNAL

madame Nathalie VASSORT-REGRENY, Vice-Présidente
madame Géraldine DETIENNE, Vice-Présidente
monsieur Matthias CORNILLEAU, Juge

assistés de Tiana ALAIN, Greffière,


DÉBATS

A l’audience du 15 Février 2024 tenue en audience publique devant madame Nathalie VASSORT-REGRENY, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux parties que la décision serait rendue le 02 Mai 2024 par mise à disposition au greffe.

JUGEMENT

Prononcé par mise à disposition
Contradictoire
En premier ressort

______________________


FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

La SCI MGF IMMOBILIER dont les parts sont détenues à 100% par la société COVEA, société de groupe d’assurance mutuelle, est propriétaire de locaux professionnels, de locaux commerciaux et de parkings dans un ensemble immobilier dénommé Villa [9] situé entre les rues [Adresse 6], [Adresse 7] et [Adresse 8] dans le [Localité 2] de [Localité 10].

Les parkings sont situés dans des immeubles soumis au régime de la copropriété gérés pour ce qui est des parties communes par le cabinet CENTENNIAL GESTION, syndic de copropriété.

Les autres biens sont la propriété exclusive de la SCI MGF IMMOBILIER et ne relèvent d'aucun syndicat des copropriétaires.

Les locaux comme les parkings sont loués à une vingtaine de locataires en totalité.

Le 12 avril 1996, la SCI MGF IMMOBILIER a conclu avec la société FONCIA LAPORTE plusieurs mandats de gestion immobilière portant sur l'ensemble des biens susvisés (locaux professionnels commerciaux et parkings) à savoir :
▪ un mandat n° 3314 portant sur 7.623 m² de locaux commerciaux et son avenant du 1er octobre 1996
▪ un mandat n° 3315 portant notamment sur 571 parkings en sous-sol et ses avenants.

Le 14 avril 1999 ont de même été conclus :
▪ un mandat n° 3664 portant sur 5.500 m2 environ de locaux commerciaux sis [Adresse 4]
▪ un mandat n° 3665 des 14 avril 1999 et 24 avril 1999 portant notamment sur 150 parkings.

Plusieurs avenants ont été régularisés les 1er octobre 1996, 3 juin 2004 et 28 février 2006  pour les mandats n° 3314 , n° 3315 et n° 3665.

Les mandats ont pris fin le 31 décembre 2014, la gestion des locaux revenant, à compter du 1er janvier 2015, à la société COVEA IMMOBILIER qui détient 100% des parts de la SCI MGF IMMOBILIER et est devenue à cette date, son administrateur de biens.

Par courrier recommandé avec avis de réception du 1er juillet 2015, la SCI MGF a sollicité de la société FONCIA LAPORTE la transmission de l’arrêté des charges pour la période comprise entre 2011 et 2013 ainsi que l’état des dépenses et des provisions pour la période du 1er juillet 2011 au 31 décembre 2014 et la régularisation des charges.

Le 2 mai 2016 la SCI MGF IMMOBILIER a fait délivrer une première assignation.

Les 23 et 26 juin 2016  la société FONCIA LAPORTE a adressé un certain nombre de documents dont un document de « régularisation des charges ».

L'assignation n'a pas été placée.

Le 2 juillet 2018, la SCI MGF a adressé à la SAS FONCIA LAPORTE un nouveau courrier recommandé avec avis de réception mettant en demeure cette dernière de lui payer une somme de 206.150,23 euros au titre des régularisations de charges locatives.

C'est dans ce contexte que la SCI MGF IMMOBILIIER a, suivant acte extrajudiciaire du 1er octobre 2018, fait délivrer la présente assignation à la SAS FONCIA LAPORTE d'avoir à comparaître devant le tribunal de grande instance devenu tribunal judiciaire de Paris.

Par dernières conclusions communiquées par voie électronique le 13 décembre 2022 ici expressément visées, la SCI MGF IMMOBILIIER demande au tribunal judiciaire de Paris de :

« Vu les articles 1231-1 et suivants du Code civil,
Vu les articles 1984 et suivants du Code civil,
Vu les articles 1103 et 1104 et suivants du Code civil,
Vu l’article 2224 du Code civil,
Vu l’article R145-36 du Code de commerce

Rejeter l'ensemble de l'argumentation de la société FONCIA LAPORTE et la débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
Juger que l'action de la SCI MGF IMMOBILIER n'est pas prescrite ;
Juger que la société FONCIA LAPORTE a commis des manquements dans l’exécution de ses mandats de gestion au titre de la régularisation des charges pour les années 2011 à 2014, occasionnant un préjudice pour la SCI MGF IMMOBILIER ;
EN CONSEQUENCE ;
Condamner la société FONCIA LAPORTE à payer à la SCI MGF IMMOBILIER la somme de 206.150,23 euros au titre des régularisations de charges non recouvrées dans le cadre de ses mandats de gestion ;
Juger que cette somme portera intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 1er juillet 2015 ;
Ordonner la capitalisation annuelle des intérêts dus conformément à l’article 1343-2 du Code Civil ;
Condamner la société FONCIA LAPORTE à relever et garantir la SCI MGF IMMOBILIER de toute responsabilité et condamnation à l’égard notamment de ses anciens locataires qui trouveraient sa cause ou son origine dans la mauvaise exécution des mandats de gestion immobilière ;
Condamner la société FONCIA LAPORTE à payer à la SCI MGF IMMOBILIER la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;
Condamner la société FONCIA LAPORTE à payer à la SCI MGF IMMOBILIER la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Condamner la société FONCIA LAPORTE aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Jean-François CREMIEUX, Avocat au Barreau de Paris, conformément aux dispositions de l’article 699 du CPC.
Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir».

Par dernières conclusions communiquées par voie électronique le 7 juin 2023 ici expressément visées, la SAS FONCIA LAPORTE demande au tribunal judiciaire de Paris de :

« Vu les articles 1992, 2224, 2241 et 2243 du Code Civil,
Vu les article 9 et 757 (ancien) du CPC,

A titre principal sur la prescription :
Ø Juger que la SCI MGF IMMOBILIER, au capital de 7.600.000€, et détenue à 100% par la société COVEA, société de groupe d’assurance mutuelle, était parfaitement apte et compétente à analyser et comprendre les comptes rendus de gestion trimestriels et les récapitulatifs annuels de dépenses et acomptes de l’exercice clos et qu’elle ne peut donc pas prétendre que la prescription n’aurait commencé à courir qu’en 2015.
Ø Juger que la première assignation du 2 mai 2016, caduque, n’a pas pu interrompre la prescription.
Ø Juger que la simple communication de pièces, intervenue en juin 2016, et en juillet 2018, ne vaut nullement reconnaissance d’un quelconque droit de la SCI MGF IMMOBILIER de réclamer à la SAS FONCIA LAPORTE quelque somme que ce soit, surtout que l’objet des deux assignations
du 2 mai 2016 et du 1er octobre 2018 est différent.
Ø Prononcer l’irrecevabilité, pour cause de prescription, de l’action engagée et des demandes
formulées par la SCI MGF IMMOBILIER à l’encontre de la SAS FONCIA LAPORTE pour la période de 2011 au 1er octobre 2013.

A titre subsidiaire sur le mal fondé
Ø Débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions la SCI MGF IMMOBILIER, qui ne démontre pas la prétendue faute de la SAS FONCIA LAPORTE.
Ø Juger que la SCI MGF IMMOBILIER, qui a un nouvel administrateur de biens LA SOCIETE COVEA IMMOBILIER depuis le 31 décembre 2014, ne justifie pas avoir tenté, à quelque moment que ce soit, dans des temps non encore prescrits, ni en 2016, ni en 2018, de récupérer sur ses locataires la régularisation des charges 2011-2014 en litige, ou encore ne justifie pas s’être « heurtée » à une opposition de ses locataires ou à une demande de communication de « factures justificatives ».
Ø Débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions, la SCI MGF IMMOBILIER, qui ne démontre pas le prétendu « préjudice » qu’elle invoque à hauteur de la somme de 206.150,23€, ni les prétendus « préjudices » prescrits et hypothétiques qu’elle invoque, et qui est irrecevable et mal fondée à demander, de façon générale et hypothétique, vague et indéterminée, la condamnation de la SAS FONCIA LAPORTE à la relever et garantir de toutes les condamnations éventuelles qui ne sont certaines ni dans leur principe ni dans leur quantum, au profit de ses locataires, au demeurant prescrits dans leurs actions.
Ø Débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions la SCI MGF IMMOBILIER, qui ne démontre pas le lien de causalité entre la prétendue « faute » et le prétendu « préjudice » qu’elle invoque, et qui en est même à l’origine avec son nouveau mandataire.
Dans tous les cas
Ø Juger la SCI MGF IMMOBILIER irrecevable et mal fondée dans toutes ses demandes.
Ø Débouter la SCI MGF IMMOBILIER de sa demande mal fondée, tant dans son principe que dans son quantum, de dommages intérêts pour prétendue « résistance abusive ».
Ø Débouter la SCI MGF IMMOBILIER de toutes ses demandes, fins et conclusions.
Ø Débouter la SCI MGF IMMOBILIER de sa demande d’exécution provisoire s’il était par extraordinaire fait droit à ses demandes.
Ø Condamner la SCI MGF IMMOBILIER à payer à la SAS FONCIA LAPORTE la somme de 10.000€ au titre de l’article 700 du CPC.
Ø Condamner la SCI MGF IMMOBILIER aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Didier SITBON, avocat, conformément à l’article 699 du CPC ».

Pour un complet exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il est expressément renvoyé aux dernières écritures régulièrement communiquées conformément aux dispositions de l’article 455 alinéa 2 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 2023 et l'affaire fixée à l'audience du 15 février 2024.






MOTIFS

A titre liminaire, il sera rappelé qu'en procédure écrite, la juridiction n'est saisie que des seules demandes reprises au dispositif récapitulatif des dernières écritures régulièrement communiquées avant l'ordonnance de clôture et que les demandes de « donner acte », visant à « constater », à « prononcer », « dire et juger » ou à « dire n'y avoir lieu » notamment, ne constituent pas des prétentions saisissant le juge au sens de l'article 4 du code procédure civile dès lors qu'elles ne confèrent pas de droits spécifiques à la partie qui les requiert . Elles ne donneront donc pas lieu à mention au dispositif du présent jugement.

Il est également rappelé qu'en application de l’article 768 du code de procédure civile , entré en vigueur le 1er janvier 2020 et applicable aux instances en cours à cette date, « Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions. Les moyens qui n'auraient pas été formulés dans les conclusions précédentes doivent être présentés de manière formellement distincte. Le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion. ».

Sur le moyen tiré de la prescription partielle soulevé à titre principal par la société FONCIA LAPORTE

Sur le fondement de l'article 2224 du code civil la société FONCIA soutient à titre principal que l'action est prescrite pour la période comprise entre 2011 et le 1er octobre 2013 dans la mesure où la SCI MGF a, par la communication des récapitulatifs annuels des dépenses et acomptes de l'exercice clos et par la reddition trimestrielle des comptes de gestion, eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance des absences de régularisation objet du litige et qu'elle ne peut se prévaloir de sa propre absence d'analyse des données transmises. La société FONCIA LAPORTE ajoute que par application des articles 757, 2243 et 2246 du code civil, l'assignation du 2 mai 2016 caduque pour n'avoir pas été placée, n'a pu interrompre le délai de prescription pas plus que les demandes de communication de pièces, ni la transmission de celles-ci qui ne vaut pas reconnaissance du droit invoqué par la SCI MGF.

La SCI MGF s'oppose à la fin de non-recevoir partielle en soutenant qu'elle n'a découvert l'absence de régularisation des charges qu' à la fin du mandat de la société FONCIA LAPORTE en 2015, les récapitulatifs annuels des dépenses et acomptes et la reddition trimestrielle des comptes de gestion indiquant essentiellement les loyers réglés par les locataires. La demanderesse au principal soutient dès lors que le point de départ du délai de prescription doit être repoussé au 1er juillet 2015, date d'envoi de la première mise en demeure, voire au 2 mai 2016, l'assignation délivrée à cette date ayant interrompu le délai de prescription, de même que les demandes de pièces et les communications de celles-ci par la société FONCIA LAPORTE les 23 et 28 juin 2016 et 25 juillet 2018 qui par ses envois des 23 et 28 juin 2016 et 25 juillet 2018 a reconnu le bien fondé de sa demande, interrompant de la sorte le délai de prescription.

Sur ce,

L’article 2224 du code civil  applicable depuis la réforme du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile édicte: “les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait du connaître les faits lui permettant de l’exercer”.

Par application de l' article 2240 du code civil , « la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrit interrompt le délai de prescription ».

Selon l' article 2243 du même code, « l'interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande et laisse périmer l'instance, ou si la demande est définitivement rejetée ».

Au cas présent, la SCI MGF soutient qu'elle a découvert que la société FONCIA LAPORTE n'avait pas procédé à la régularisation des charges pour les années 2011 à 2014 en 2015.

Force en premier lieu est de relever avec la société FONCIA LAPORTE que pour autant elle ne conteste pas avoir, conformément à l' article 2.7 des mandats, reçu les récapitulatifs annuels des dépenses et les acomptes de l'exercice clos ainsi que les redditions trimestrielles des comptes de gestion adressés par la société FONCIA LAPORTE . La SCI MGF oppose en revanche que les récapitulatifs annuels des dépenses constituent un récapitulatif des seules charges et que les redditions trimestrielles des comptes de gestion indiquent essentiellement les loyers réglés par les locataires.

La société FONCIA LAPORTE verse en procédure:

Les relevés des dépenses ou « état des charges » lesquels comme l'oppose la SCI MGF font le compte de l'ensemble des dépenses exposées (eau , électricité, entretien et réparations, gardiennage, impôts notamment) ; les revenus n'étant en revanche pas exposés à ces états, ceux-ci ne permettaient donc pas à la SCI MGF de s'apercevoir de l'absence éventuelle de régularisation.

Les « comptes de gérance » ou « comptes de gestion » établis et adressés trimestriellement consignent quant à eux les dépenses et les recettes pour chaque lot, en ce compris les sommes payées par les locataires.

Les comptes de gérance versés en procédure sont datés pour l'exercice 2011- 2012 des 30 septembre 2011 (période du 1er juillet 2011 au 30 septembre 2012), 3 janvier 2012, 3 avril 2012, 28 juin 2012. Les envois trimestriels tous de même justifiés pour 2012-2013 aux 27 septembre et 28 décembre 2012, 27 mars et 2 juillet 2013 et, pour l'exercice 2013-2014 au 20 septembre 2013.

Comme le soutient la société FONCIA LAPORTE, la SCI MGF a donc eu ou à tout le moins aurait dû, au fur et à mesure de l'envoi des comptes trimestriels de gestion précités et donc de l'exécution du mandat, connaissance des éventuelles absences de régularisation objet du présent litige.

Au regard des dates des envois précités les demandes de régularisation devaient, sauf interruption ou suspension du délai de prescription, être présentées avant le 30 septembre 2016 pour les charges du 3ème trimestre 2011 et avant le 23 septembre 2019 pour celles du 3ème trimestre 2014.

Sur le moyen tiré de l'interruption de la prescription, il est constant que le 2 mai 2016, la SCI MGF IMMOBILIER a fait délivrer une première assignation à la société FONCIA LAPORTE.

Il résulte toutefois de la combinaison des articles 757 du code de procédure civile et 2243 du code civil qu'une assignation dont la caducité a été constatée n'a pu interrompre le cours de la prescription (Cass. Ass.plen., 3 avril 1987, n°86-11.536P, Civ.2ème, 21 mars 2019, n°17-31.502P). Or l'assignation du 2 mai 2016 n'a pas été placée et sa caducité a été constatée; cet acte est donc insusceptible d'avoir interrompu les délais de prescription.

Par courrier recommandé avec avis de réception daté du 1er juillet 2015, la SCI MGF avait notamment sollicité de la société FONCIA LAPORTE la communication de l'arrêté des charges, de l'état des dépenses et des provisions pour la période 2011 à décembre 2014.

Par courriel du 23 juin 2016 puis par courrier officiel du 26 juin 2016, la société FONCIA LAPORTE a adressé à la SCI MGF des documents dits de « régularisation » des charges établis le 10 juin 2016 pour la période susmentionnée de 2011 à décembre 2014.

Ce faisant, la société FONCIA LAPORTE a de fait reconnu le droit de la SCI MGF à obtenir la régularisation des charges locatives, ce qui emporte comme le soutient cette dernière , interruption du délai de prescription lequel a commencé de courir à compter de la date du 23 juin 2016.

L'assignation ayant été délivrée le 1er octobre 2018 dans le délai quinquennal de l' article 2224, les demandes présentées pour la période comprise entre 2011 et le 1er octobre 2013 ne sont pas prescrites.

Au fond, sur l'action en responsabilité

La SCI MGF invoquant la responsabilité de son mandataire pour la période 2011 à 2014 et l'action étant prescrite pour la période antérieure au 1er octobre 2013 , le tribunal devra examiner le bien fondé des demandes pour la période courant du 1er octobre 2013 au 31 décembre 2014.

Sur le fond, la SCI MGF expose que la responsabilité de la société FONCIA LAPORTE est engagée dans la mesure où aucune régularisation de charges n'a été effectuée dans le temps du mandat , les régularisations n'ayant été adressées que le 28 juin 2016 à sa demande. Elle entend faire valoir que l'argument tiré de l'absence de communication des charges par le syndic est sans incidence, la plupart des biens n'étant pas soumis au statut de la copropriété. La SCI MGF explique ensuite que contrairement à ce qu'indique la société FONCIA LAPORTE , elle n'a pu recouvrer les charges auprès des locataires dans la mesure où les documents justificatifs ne lui avaient pas été transmis et que les preneurs étaient en droit de demander restitution des provisions sur charges. Elle soutient que le préjudice financier résultant de ces manquements est établi par les documents de régularisation dressés par la société FONCIA LAPORTE elle-même pour un montant de 206.150,23 euros pour la période 2011 à 2014.

La société FONCIA LAPORTE ne conteste pas que la régularisation proprement dite est intervenue le 28 juin 2016 mais conteste néanmoins tout manquement dans la mesure où aucune régularisation n'était possible avant cette date dans la mesure où les charges communes des bureaux et commerces n'ont été connues qu'après leur établissement par le syndic de copropriété suite à l'assemblée générale de copropriété et en rappelant que son mandant a pris fin au 31 décembre 2014, soit antérieurement au 28 juin 2016. Elle ajoute qu'elle n'avait aucune obligation, en l'absence de demande de communication des justificatifs par les locataires, de les adresser à ces derniers.

La partie défenderesse conteste de même tout préjudice dans la mesure où les charges communes ont été connues postérieurement à la fin de son mandat intervenue le 31 décembre 2014 et dans celle où malgré la transmission des données relatives à la régularisation le 28 juin 2016, le nouveau gestionnaire de la SCI MGF, la société COVEA IMMOBILIER n'a nullement tenté de recouvrer les sommes dues par les locataires auprès de ceux-ci, ce qui inversement témoigne de sa carence qu'elle tente de pallier par la présente action ; la société FONCIA LAPORTE relève encore qu'elle ne lui a réclamé aucune pièce ou information supplémentaire avant 2018 et que la SCI MGF ne justifie pas du préjudice allégué, qui est purement hypothétique, incertain et indéterminé, notamment s'agissant du  risque de restitution des provisions sur charges par les locataires.

Sur ce,

L'article 1984 du code civil dispose : « Le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom . Le contrat ne se forme que par l'acceptation du mandataire ».

L' article 1191 alinéa 1 du code civil énonce : «le mandataire est tenu d'accomplir le mandat tant qu'il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution ».

Selon l'article 1992 «le mandataire répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu'il commet dans sa gestion. Néanmoins la responsabilité relative aux fautes est appliquée moins rigoureusement à celui dont le mandat est gratuit qu'à celui qui reçoit un salaire ».

Aux termes de l' article 1993 du code civil « Tout mandataire est tenu de rendre compte de sa gestion, et de faire raison au mandant de tout ce qu'il a reçu en vertu de sa procuration, quand même ce qu'il aurait reçu n'eût point été dû au mandant ».

En application de ces textes, le mandataire est sauf cas fortuit, présumé en faute du seul fait de l'inexécution de son mandat. Dans l'hypothèse d'une mauvaise exécution, il appartient donc en ce cas au mandant d'établir les fautes de gestion de son mandataire (Civ.1ère , 18 janvier 1989 D.1989.302 ; Civ.1ère 16 mai 2006 n°03-19. 936)

En vertu de l'article 1147 du code civil dans sa dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 entrée en vigueur le 1er octobre 2016, applicable en l'espèce s'agissant de mandats confiés en ce compris les avenants en 1996 et 1999, le débiteur  est condamné s'il y a lieu, au payement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée.

Sur les manquements

Au cas présent l' article 2.7 des mandats de gestion stipulait : « Charges locatives : le mandataire établira les budgets, fixera et encaissera les acomptes auprès des locataires et effectuera les régularisations conformément à la réglementation. Le mandataire adressera au mandant un récapitulatif des dépenses et acomptes de l'exercice clos ».

Il s'évince en l'espèce des débats et des pièces produites que si les relevés de charges  et les « comptes de gestion » ont été adressés annuellement pour les premiers et trimestriellement pour les seconds par la société FONCIA LAPORTE, celle-ci n'a en revanche procédé à la « régularisation » des charges que le 10 juin 2016 (date portée au document de régularisation) et adressé les documents relatifs à celle-ci seulement les 23 et 26 juin 2016 sur demande et mise en demeure de la SCI MGF.

L'établissement des documents relatifs à la régularisation a donc été tardif et de ce fait potentiellement fautif. Il n'est pas discuté que les sommes portées au crédit du bailleur n'ont pas été recouvrées auprès des locataires.

Le moyen tiré de l'attente de la régularisation des charges communes par le syndic opposé par la société FONCIA LAPORTE est, comme le relève la SCI MGF, sans effet s'agissant des locaux professionnels et commerciaux ; en effet ceux-ci ne sont pas soumis au statut de la copropriété et étaient entièrement gérés par la société FONCIA LAPORTE qui disposait donc de tous les documents relatifs à ces biens sans avoir à les solliciter d'un tiers.

L'argument ne saurait valoir le cas échéant que pour les parkings soumis au statut de la copropriété et à la gestion des parties communes par un syndic tiers. Or la société FONCIA LAPORTE se borne à affirmer (dans ses conclusions comme dans son courrier du 26 juin 2016) que le cabinet CENTENNIAL GESTION, syndic de copropriété a communiqué tardivement , en 2016 les charges adoptées par le syndicat des copropriétaires sans rapporter la preuve de ce fait qui dès lors ne saurait l'exonérer, étant relevé avec la SCI MGF qu'elle ne produit pas même un courriel de relance adressé à cette fin au cabinet CENTENNIAL GESTION.

La régularisation comptable tardive constitue donc une inexécution fautive.

En outre la société FONCIA LAPORTE qui n'a procédé à la régularisation « théorique » ou comptable que le 10 juin 2016, soit près de dix huit mois après la fin de son mandat ne conteste pas que les sommes portées au crédit du bailleur n'ont pas été recouvrées auprès des locataires par ses soins, ce qui constitue un second manquement à ses obligations de mandataire.

Sur les préjudices et le lien de causalité

La somme de 206.150,23 euros sollicitée par la SCI MGF correspond aux régularisations de charges non recouvrées auprès des locataires et dont le montant résulte des documents dressés et transmis par la société FONCIA LAPORTE.

La SCI MGF soutient aussi que les locataires qui n'ont pas non plus bénéficié de la régularisation des charges seraient en droit de réclamer les provisions sur charges, ce pour un montant évalué à une somme de 913.606,02 euros ; elle sollicite en conséquence dans l'hypothèse d'une condamnation à au bénéfice de ces derniers que la société FONCIA LAPORTE soit condamnée à la relever et à la garantir .

A rebours de ce que soutient la société FONCIA LAPORTE, le préjudice financier, résultant de l’absence de recouvrement de la somme de 206.150,23 euros dont la SCI MGF était créancière après régularisation n'est ni hypothétique ni incertain et il est la résultante du double manquement établi à savoir l'absence d'établissement des comptes de régularisation et absence de recouvrement des créances, étant ajouté avec la SCI MGF que la société FONCIA LAPORTE ne saurait au motif qu'elle a été déchargée de sa gestion au 1er janvier 2015 , s'exonérer de sa responsabilité.

La société FONCIA LAPORTE ne peut pas plus utilement soutenir que la SCI MGF ne justifie pas avoir tenté dans des temps non encore prescrits de récupérer sur ses locataires la régularisation des charges 2011-2014, alors qu'il lui incombait de le faire, qu'elle était rémunérée notamment à cette fin.

Par application des articles 1992 et 1993 du code civil , la société FONCIA LAPORTE sera condamnée à payer à la SCI MGF la somme de 206.150,23 euros au titre des régularisations de charges qu'elle aurait dû percevoir et qu'elle n'a pas recouvrées.

En revanche la société FONCIA LAPORTE doit être suivie lorsqu'elle expose que le préjudice résultant d'une demande de restitution par les locataires des provisions sur charges versées est purement hypothétique. La SCI MGF sera donc déboutée de sa demande visant à voir condamner la société FONCIA LAPORTE à la relever et à la garantir de toute responsabilité et condamnation à l’égard notamment de ses anciens locataires qui trouveraient sa cause ou son origine dans la mauvaise exécution des mandats de gestion immobilière.

L'article 1231-7 alinéa 1 du code civil prévoit qu'« en toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts aux taux légal même en l'absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n'en décide autrement ».

En application des dispositions sus-visées le juge dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour fixer à une autre date que celle de sa décision le point de départ des intérêts.

Au cas présent, les intérêts seront dus à compter du 1er juillet 2015, date de la mise en demeure adressée par la SCI MGF . Il y a également lieu d'en ordonner la capitalisation dans les termes de l’article 1343-2 du code civil.

Le préjudice supplémentaire résultant de la résistance abusive dont l'indemnisation est sollicitée à hauteur de 10.000 euros n'étant pas démontré, la SCI MGF sera déboutée du chef de cette demande.

Sur les autres demandes et sur les demandes accessoires

L’article 696 du code de procédure civile dispose que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

Par application de l' article 700 du code de procédure civile, le juge condamne, sauf considération tirée de l'équité, la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

En l'espèce la société FONCIA LAPORTE qui succombe , supportera les dépens qui seront recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile par maître CREMIEUX, avocat.

Pour les mêmes motifs, la société FONCIA LAPORTE devra payer à la SCI MGF la somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles.

L'assignation a été délivrée antérieurement au 1er janvier 2020 ; les articles 514-1 à 514-6 du code de procédure civile issus du décret 2019-1333 du 11 décembre 2019 ne sont donc pas applicables ; l'exécution provisoire n'est pas de droit . S’agissant d’un litige qui dure depuis plus de cinq années, il apparaît toutefois nécessaire d’ordonner l’exécution provisoire par ailleurs compatible avec la nature de l’affaire.





PAR CES MOTIFS, le tribunal statuant conformément à la loi, publiquement, par jugement contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au greffe le jour du délibéré:

REJETTE la fin de non-recevoir tirée de la prescription partielle des demandes concernant la période comprise entre 2011 et le 1er octobre 2013 et DECLARE RECEVABLE l'ensemble des demandes formées par la SCI MGF ;

CONDAMNE la société FONCIA LAPORTE (SAS) à payer à la SCI MGF la somme de 206.150,23 euros au titre des régularisations de charges ;

DIT que la somme susvisée sera augmentée des intérêts au taux légal à compter du 1er juillet 2015 et en ordonne la capitalisation dans les termes de l’article 1343-2 du code civil ;

DEBOUTE la SCI MGF de sa demande de condamnation de la société FONCIA LAPORTE à la relever et à la garantir de toute responsabilité et condamnation à l’égard notamment de ses anciens locataires;

DEBOUTE la SCI MGF de sa demande de dommages et intérêts formée à hauteur de 10.000 euros  au titre de la résistance abusive ;

CONDAMNE la société FONCIA LAPORTE (SAS) à supporter les dépens de l’instance ;

ACCORDE à maître J.F CREMIEUX avocat, le bénéfice de l’article 699 du code de procédure civile;

CONDAMNE la société FONCIA LAPORTE (SAS) à payer à la SCI MGF la somme de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile;

DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes comme inutiles ou mal fondées;

ORDONNE l’exécution provisoire du présent jugement.

Ainsi jugé et prononcé les jour, mois et an susdits. Le présent jugement a été signé par le Président et le greffier présent lors du prononcé.

LE GREFFIERLA PRESIDENTE

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