30 avril 2024
Cour d'appel de Toulouse
RG n° 22/03391

1ere Chambre Section 2

Texte de la décision

30/04/2024



ARRÊT N°24/276



N° RG 22/03391 - N° Portalis DBVI-V-B7G-PAFR

CJ - CD



Décision déférée du 05 Juillet 2022 - TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'ALBI - 21/00007

Mme MALLET

















[L] [W]

[T] [W]

[G] [A] Veuve [W]

[U] [W] épouse [O]

[H] [W]

[Z] [W] épouse [V]





C/





[B] [K] épouse [K]





























































CONFIRMATION PARTIELLE







Grosse délivrée



le



à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

1ere Chambre Section 2

***

ARRÊT DU TRENTE AVRIL DEUX MILLE VINGT QUATRE

***



APPELANTES



Madame [L] [W]

[Adresse 3]

[Localité 8]



Madame [T] [W]

[Adresse 3]

[Localité 8]



Madame [G] [A] veuve [W]

[Adresse 3]

[Localité 8]



Madame [U] [W] épouse [O]

[Adresse 4]

[Localité 8]



Madame [H] [W]

[Adresse 3]

[Localité 8]



Madame [Z] [W] épouse [V]

[Adresse 2]

[Localité 9]





Représentées par Me Arnaud GONZALEZ de l'ASSOCIATION CABINET DECHARME, avocat au barreau de TARN-ET-GARONNE





INTIMÉE



Madame [B] [S] épouse [K]

[Adresse 11]

[Localité 7]



Représentée par Me Claire GIMENEZ, avocat au barreau D'ALBI

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 31555/2022/018512 du 31/10/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de TOULOUSE)





COMPOSITION DE LA COUR



Après audition du rapport, l'affaire a été débattue le 19 Décembre 2023 en audience publique, devant la Cour composée de :



C. DUCHAC, présidente

M.C. CALVET, conseiller

C. PRIGENT-MAGERE, conseiller

qui en ont délibéré.



Greffier, lors des débats : M. TACHON







ARRET :



- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par C. DUCHAC, présidente, et par M. TACHON, greffier de chambre


EXPOSE DU LITIGE



[I] [W] est décédée le [Date décès 6] 2015 laissant à sa survivance, ses nièces :

- Mme [U] [W] épouse [O]

- Mme [Z] [W] épouse [V]

- Mme [L] [W]

- Mme [H] [W]

- Mme [T] [W].



Ces dernières sont les filles du frère de la défunte, [E] [W], prédécédé le [Date décès 5] 2010, marié à Mme [G] [A].



L'actif de la succession est constitué :

- de 240 parts sociales de la SCI [12], propriétaire d'une maison d'habitation située [Adresse 1] à [Localité 10], étant précisé que les autres parts de cette société sont détenues pour 100 d'entre-elles par M. [X] [R] et pour les 100 parts restantes par Mme [G] [A] pour moitié en pleine propriété et moitié en usufruit dont la nu propriété est dévolue à ses cinq filles.

- de la moitié indivise d'une maison et de parcelles situées à [Localité 13] (Tarn), l'autre moitié relevant de la succession de son frère [E].



[I] [W] avait laissé un testament olographe en date du 31 juillet 2014, modifié le 25 février 2015, par lequel elle lègue à Mme [B] [K] les parts qu'elle détenait au sein de la SCI [12]. Le testament énonce par ailleurs : 'je décide également de ne rien laisser à mes nièces dans mon testament '.



Suite à un certificat médical établi le 2 avril 2014 par le Docteur [Y], médecin psychiatre inscrit sur la liste prévue à l'article 493-1 du code civil, le juge des tutelles d'Albi a placé [I] [W] sous le régime de la curatelle renforcée par jugement en date du 10 septembre 2014.



Le 4 janvier 2021, les nièces et la belle-soeur de [I] [W], ci-après désignées les consorts [W], ont assigné Mme [B] [K] devant le tribunal judiciaire d'Albi afin de voir annuler le testament des 31 juillet 2014 et 25 février 2015 et subsidiairement pour demander son interprétation.









Par jugement contradictoire rendu le 5 juillet 2022, le tribunal judiciaire d'Albi a :



- déclaré irrecevable la fin de non recevoir soulevée par Mme [B] [K],

- rejeté la demande en nullité du testament de [I] [W] formulée par les consorts [W],

- rejeté la demande en interprétation du testament de [I] [W] formulée par les consorts [W]

- condamné in solidum les consorts [W] à payer à Mme [B] [K] la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.



Par déclaration du 20 septembre 2022, les consorts [W] ont interjeté appel de cette décision, qu'elles critiquent en ce qu'elle a rejeté la demande en nullité du testament, la demande en interprétation dudit testament, les a condamné aux dépens et à une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.





Suivant leurs dernières conclusions du 17 avril 2023, les consorts [W] demandent à la cour :

A titre principal,

- de prononcer l'annulation du testament olographe de [I] [W] des 31 juillet 2014 et 25 février 2015 pour insanité d'esprit ;



A titre subsidiaire,

- d'interpréter le testament olographe de [I] [W] des 31 juillet 2014 et 25 février 2015 comme n'emportant aucune disposition pour les droits qu'elle détenait dans l'immeuble de [Localité 13], et ne valant pas exhérédation de mesdames [U] [O], [Z] [V], [L] [W], [H] [W] et [T] [W] des droits qu'elles détiennent dans cet immeuble, par représentation de leur père, frère du de cujus prédécédé ;



En toute hypothèse,

- de rejeter l'intégralité des demandes de madame [B] [K] née [S];

- de condamner [B] [S], épouse [K] à leur payer la somme de 4.500€ par application de l'article 700, alinéa 1er du code de procédure civile ainsi que les dépens de première instance ;





Ajoutant à la décision entreprise,

- de condamner [B] [S], épouse [K] à leur payer la somme de 5.000€ par application de l'article 700, alinéa 1er du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel ainsi que les dépens d'appel ;

- d'ordonner que les dépens soient recouvrés par le conseil des concluantes selon les modalités de l'article 699 du même code.





Suivant ses conclusions d'intimée du 30 janvier 2023, Mme [B] [K] demande à la cour :

- de confirmer le jugement rendu le 5 juillet 2022 par le tribunal judiciaire d'Albi,

En conséquence,

- de débouter les parties demanderesses de toutes leurs demandes,

En tout état de cause,





- de condamner in solidum les parties demanderesses au paiement de la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de les condamner aux entiers dépens.



L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 décembre 2023.






MOTIFS



Sur la demande de nullité du testament



Suivant les disposition de l'article 901 du code civil, pour faire une libéralité, il faut être sain d'esprit.



Suivant l'article 470 du même code, la personne en curatelle peut librement tester sous réserve des dispositions de l'article 901.



Les appelantes déduisent l'insanité d'esprit de la testatrice des qualités intrinsèques du testament (longueur, ratures, digressions), de la décision contemporaine de placement sous curatelle renforcée ainsi que des conditions de vie de l'intéressée.



C'est par une juste analyse des faits de la cause que le tribunal a retenu les éléments qui suivent, pour en conclure que [I] [W] était saine d'esprit au moment où elle a établi le testament du 31 juillet 2014 puis sa modification du 25 février 2015 :



- en dépit de ratures et d'ajouts, le texte du testament litigieux, long d'une dizaine de pages, reste lisible et organisé, écrit dans un français correct, le tout rendant le contenu clairement compréhensible ;

- la longueur du récit n'est pas ici le signe d'une insanité d'esprit ; elle correspond à la manière de s'exprimer de l'intéressée, relevée par le médecin psychiatre intervenu dans le cadre de la mesure de protection, suivant laquelle [I] [W] avait tendance à se perdre dans les détails et à se répéter, ce médecin n'ayant pas relevé d'élément pathologique ou délirant ;

- la constance dans l'expression de la volonté de la testatrice qui a le 31 juillet 2014 institué Mme [B] [K] en tant que légataire de ses parts dans la SCI [12] propriétaire de la maison de [Localité 10], puis a le 13 octobre 2014 signé un acte sous seing privé attribuant un droit de jouissance à l'association 'l'univers des 4 pattes de compagnies' dont elle était la présidente, et désignant Mme [B] [K] comme devant prendre sa suite à la tête de cette association après son décès ; elle a enfin maintenu son choix en apportant des précisions à son testament le 25 février 2015 ; le premier juge a justement analysé que ces éléments font apparaître une décision réfléchie, cohérente et constante quant à la destination de la maison de [Localité 10].



Le jugement a également considéré avec pertinence que les attestations de Messieurs [X] [R] et [F] [J] suivant lesquelles :



- [I] [W] vivait dans un logement inhabitable pour être envahi par les chats qu'elle recueillait et qu'elle était alors venue s'installer chez M. [R] sans le prévenir, réquisitionnant deux chambres auxquelles elle lui interdisait l'accès,

- en août 2014, [I] [W] évoquait sa peur du vol des meubles de sa maison et lui avait demandé de l'y accompagner pour photographier tout et n'importe quoi,



ne permettent pas de conclure à l'insanité d'esprit en ce qu'elles sont relativisées par les éléments contenus dans le certificat médical établi par le Docteur [Y] en vue de la mesure de protection, dont il résulte :



- que l'intéressée avait conscience de l'insalubrité de son logement, liée à un état dépressif depuis le décès de son frère, raison pour laquelle elle s'est installée chez son ami ;

- qu'elle a évoqué clairement l'acte du 13 octobre 2014 par lequel elle a accordé la jouissance de son logement à l'association qu'elle dirigeait, non pas gratuitement mais en contrepartie de la remise en état de la maison et du jardin ;

- qu'aucun élément délirant n'a été repéré en ce qui concerne la peur exprimée de se faire voler.



La cour ajoute que les longs développements contenus dans le testament sur la vie de sa rédactrice, ainsi que son sentiment d'abandon dont elle fait état ont pour objet d'expliquer sa décision. L'expression du sentiment d'abandon à l'endroit de sa famille et tout particulièrement de sa belle-soeur, dont le Docteur [Y] a relevé qu'il ne caractérisait pas un état paranoïaque, est cohérent avec la décision contenue dans le testament. Dès lors qu'il s'agit d'un sentiment authentique non constitutif d'un symptôme de maladie mentale, il n'appartient pas à la juridiction saisie d'apprécier le bien fondé des griefs allégués qui sont personnels à leur auteur.



Enfin, en application de l'article 470 ci-dessus, la mesure de curatelle renforcée ne retire pas la possibilité de tester. Le premier juge a justement observé que la lecture du certificat médical montre que [I] [W] adhérait à cette mesure, étant consciente de ses difficultés, ce qui va dans le sens d'une volonté suffisamment claire.



Au regard de cet ensemble d'éléments, c'est par une motivation pertinente que le tribunal a retenu la validité du testament du 31 juillet 2014 et de sa modification du 25 février 2015 et rejeté la demande tendant au prononcé de sa nullité.

Le jugement sera donc confirmé de ce chef.





Sur l'interprétation du testament



Le juge interprète le testament lorsque la volonté du testateur est équivoque.



Le tribunal a considéré que la disposition suivant laquelle [I] [W] écrit ' à ma famille proche (mes nièces), elles sont restées totalement dans l'ignorance, et pour cause, car ma belle-soeur [G] (leur mère) a manoeuvré pour faire le vide autour de moi (...) Quant à mes nièces, je comprends qu'elles étaient trop jeunes pour avoir un jugement plus juste et réfléchi, mais maintenant qu'elles sont largement adultes, qu'elles font leur vie de leur côté, qu'elles ne sont plus intéressées ni curieuses de la mienne (...) Ainsi je décide également de ne rien laisser à mes nièces dans mon testament ' ne souffre pas interprétation en ce que la testatrice explicite son choix qui consiste à exhéréder ses nièces.



Les appelantes demandent l'interprétation du testament concernant la maison de [Localité 13] au regard de la disposition qui énonce : 'aussi je décide également de ne rien laisser à mes nièces dans mon testament ', étant précisé que ce bien qui appartenait pour moitié indivise à [I] [W] ne fait pas l'objet de l'institution d'un légataire. Elles avancent que seul l'actif expressément visé au testament est exclu de l'actif revenant aux nièces de la défunte qui n'a pas défini le sort de l'immeuble de [Localité 13].



Il est constant que l'actif de la succession de [I] [W] se compose de parts sociales de la SCI [12] qu'elle a léguées à Mme [B] [K] ainsi que de la moitié indivise d'une maison située à Puycelsi, laquelle n'est pas expressément visée par le testament.



La formulation par laquelle [I] [W] énonce des griefs contre ses nièces pour en conclure qu'elle décide de ne rien leur laisser dans son testament, présente une ambiguïté, dans la mesure où dans un testament particulièrement exhaustif, le sort de la part indivise de la maison qui n'est pas léguée à Mme [B] [K] n'est pas expressément défini. L'ambiguïté consiste à déterminer si [I] [W] a entendu tout simplement ne pas gratifier ses nièces dans le cadre de ses dispositions testamentaires ou si elle a voulu les exclure de sa succession, ce qui était possible puisqu'elles ne sont pas héritières réservataires.



Sur le plan sémantique, énoncer à l'issue d'un passage exprimant le grief de ne pas s'être soucié d'elle, 'je décide également de ne rien laisser à mes nièces dans mon testament' signifie que la testatrice n'entend pas les gratifier par cet acte. Cela ne signifie pas qu'elle souhaite les exclure de sa succession et ceci alors même que le testament est rédigé en termes précis par une personne qui pour avoir été institutrice et directrice d'école maîtrisait parfaitement, y compris à la fin de sa vie, les nuances de la langue française. Dans ce contexte, l'emploi du terme testament plutôt que succession ou héritage doit être entendu pour son sens littéral : [I] [W] a voulu de ne pas gratifier ses nièces par son testament, elle n'a pas exprimé pour autant la volonté de les exclure de sa succession.



Cette interprétation est conforme au contexte dans lequel a été établi le testament, à savoir que [I] [W] a émis clairement la volonté de léguer ses parts de SCI à Mme [B] [K] qui était son amie et partageait avec elle une passion pour les chats, mais elle n'est pas allée au-delà dans la répartition ou l'exclusion de ses biens, restant taisante sur le sort de sa part indivise de la maison située à Puycelsi.

La déception dont elle fait état par rapport à ses nièces devenues adultes ne suffit pas à en déduire une volonté d'exhérédation.



Par conséquent, réformant le jugement déféré, le testament sera interprété en ce que s'il n'a rien légué aux nièces de [I] [W], il ne les a pas exclues de sa succession en qualité d'héritières.





Sur les dépens et les frais



Chacune des parties succombant partiellement, les dépens d'appel et de première instance seront partagés par moitié entre les appelantes d'une part, l'intimée d'autre part, réformant le jugement déféré.



Au regard de l'équité, les parties seront déboutées de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

























PAR CES MOTIFS



la cour,



Dans la limite de sa saisine,



Confirme le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande en nullité du testament de [I] [W] en dates des 31 juillet 2014 et 25 février 2015,



Le réforme pour le surplus et statuant à nouveau,



Dit que le testament est sujet à interprétation en ce qu'il énonce 'aussi je décide également de ne rien laisser à mes nièces dans mon testament ' ,



Dit que [I] [W] a exprimé sa volonté de ne pas gratifier ses nièces aux termes de son testament, mais qu'elle n'a pas exprimé la volonté de les exclure de sa succession en leur qualité d'héritières,



Déboute les parties de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en première instance et en appel,



Partage par moitié les dépens d'appel et de première instance, et condamne Mme [U] [W] épouse [O], Mme [Z] [W] épouse [V], Mme [L] [W], Mme [H] [W], Mme [T] [W], Mme [G] [A] in solidum d'une part, Mme [B] [S] épouse [K] d'autre part à payer chacunes la moitié des dépens, dont distraction au profit des avocats de la cause qui en ont fait la demande.



LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,

M. TACHON C. DUCHAC

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