25 avril 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-17.229

Deuxième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2024:C200243

Titres et sommaires

RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE

Texte de la décision

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 25 avril 2024




Cassation partielle


Mme MARTINEL, président



Arrêt n° 243 FS-B

Pourvoi n° H 22-17.229


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 25 AVRIL 2024

La société Allianz IARD, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° H 22-17.229 contre l'arrêt rendu le 5 avril 2022 par la cour d'appel de Montpellier (5e chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault, dont le siège est [Adresse 3],

2°/ à l'association [5], dont le siège est [Adresse 6],

3°/ à Mme [L] [W], veuve [D], domiciliée [Adresse 2], prise tant à titre personnel qu'en qualité d'ayant droit de son fils, [G] [D], décédé le 14 octobre 2017,

4°/ à M. [M] [D], domicilié [Adresse 4],

5°/ à M. [F] [D], domicilié [Adresse 2],

ces deux derniers pris tant à titre personnel qu'en qualité d'ayants droit de leur frère, [G] [D],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Philippart, conseiller référendaire, les observations de la SCP Duhamel, avocat de la société Allianz IARD, de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de Mme [W], veuve [D], et de MM. [M] et [F] [D], et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 30 janvier 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, Mme Philippart, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, Mme Cassignard, M. Martin, Mmes Chauve, Isola, conseillers, MM. Ittah, Pradel, Mme Brouzes, M. Riuné, conseillers référendaires, M. Grignon Dumoulin, avocat général, et Mme Cathala, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 5 avril 2022) et les productions, le 24 juin 2008, [G] [D] a été grièvement blessé par l'explosion d'un engin pyrotechnique lors d'une fête organisée par l'association [5] (l'association), assurée auprès de la société Allianz IARD (l'assureur).

2. [G] [D] a assigné l'association et son assureur en responsabilité et indemnisation de ses préjudices, en présence de la caisse primaire d'assurance maladie du Gard, aux droits de laquelle vient la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault.

3. Il est décédé des suites de ses blessures le 14 octobre 2017. Sa mère, Mme [D], et ses frères, MM. [M] et [F] [D], sont intervenus volontairement à l'instance, tant à titre personnel qu'en leur qualité d'ayants droit.

4. Un arrêt du 24 juillet 2018, rendu sur renvoi après cassation (2e Civ., 14 janvier 2016, pourvois n° 14-29.147 et 15-14.517), a déclaré l'association responsable des préjudices subis par [G] [D], déclaré l'assureur tenu à garantie et a sursis à statuer sur l'indemnisation des ayants droit de [G] [D], tant au titre de leur action successorale que de leur action personnelle.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. L'assureur fait grief à l'arrêt de le condamner, in solidum avec l'association, à payer aux ayants droit de [G] [D], au titre de l'action successorale, la somme de 80 000 euros en réparation de l'incidence professionnelle, alors « que le juge doit réparer le préjudice sans qu'il en résulte ni perte ni profit pour la victime ; que seule la consolidation de l'état de la victime permet de réparer les préjudices permanents qui en résultent, telle que l'incidence professionnelle ; qu'en l'espèce, en octroyant aux ayants droit de [G] [D] la somme de 80 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, préjudice permanent tout en ayant constaté que l'état de santé de [G] [D] n'avait jamais été consolidé, ce qui excluait l'existence d'un quelconque préjudice permanent, dont l'incidence professionnelle, la cour d'appel a méconnu le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. »

Réponse de la Cour

6. L'arrêt constate, d'abord, que si l'état de santé de [G] [D] n'a jamais été consolidé, compte tenu de l'évolution permanente de sa pathologie, il a subi, du traumatisme initial jusqu'à son décès neuf années plus tard, une réelle limitation dans ses possibilités professionnelles, rendant impossible la poursuite de son activité de conducteur d'ambulances et de véhicules sanitaires puis d'ambulancier, ainsi que toute évolution dans cette branche professionnelle, puisqu'il a été licencié pour inaptitude en mars 2012.

7. L'arrêt relève, ensuite, que les séquelles de l'accident du 24 mai 2008 ont rendu définitivement impossible, à partir du mois de juillet 2012, tout espoir pour [G] [D] d'une évolution favorable d'une carrière de sapeur-pompier volontaire, métier qu'il exerçait jusqu'à cette date.

8. La cour d'appel en a déduit à tort que la victime devait être indemnisée d'un poste de préjudice autonome d'incidence professionnelle actuelle, alors que les préjudices dont elle constatait l'existence, compte tenu de l'absence de consolidation jusqu'au décès survenu plus de neuf ans après l'accident, tenant à la limitation de ses possibilités professionnelles et à la perte d'une chance de bénéficier de promotions professionnelles, devaient être indemnisés au titre des pertes de gains professionnels actuels.

9. Cependant, l'arrêt, qui, au titre des pertes de gains professionnels actuels, n'a indemnisé que la perte de revenus de la victime liée à son placement en arrêt de travail, évaluée à la différence entre ses revenus antérieurs à l'accident et la pension d'invalidité qu'elle a perçue de l'organisme social après celui-ci, n'a pas indemnisé deux fois le même préjudice.

10. Le moyen, qui invoque une violation du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime, n'est, dès lors, pas fondé.

Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

11. L'assureur fait le même grief à l'arrêt, alors « que, subsidiairement, le juge doit réparer le préjudice sans qu'il en résulte ni perte ni profit pour la victime ; qu'il est interdit au juge, qui doit évaluer in concreto chaque poste de préjudice, de procéder à une réparation forfaitaire ; qu'en l'espèce, pour allouer aux ayants droit de [G] [D] la somme de 80 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, la cour d'appel a considéré qu'il s'agissait « d'une évaluation forfaitaire » ; qu'en statuant ainsi, sans évaluer in concreto le préjudice résultant de l'incidence professionnelle, la cour d'appel a violé le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. »

Réponse de la Cour

Vu le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :

12. Pour condamner in solidum l'association et son assureur au titre de l'incidence professionnelle, l'arrêt énonce que s'agissant d'une évaluation forfaitaire, il est alloué aux ayants droit de la victime la somme de 80 000 euros.

13. En statuant ainsi, alors que la réparation du préjudice doit correspondre à ce dernier et ne saurait être appréciée de manière forfaitaire, la cour d'appel a violé le principe susvisé.

Et sur le second moyen

Enoncé du moyen

14. L'assureur fait grief à l'arrêt de le condamner, in solidum avec l'association, à payer aux ayants droit de [G] [D], au titre de l'action successorale, la somme de 60 000 euros en réparation du préjudice sexuel et du préjudice d'établissement, alors « que le juge doit réparer le préjudice sans qu'il en résulte ni perte ni profit pour la victime ; que seule la consolidation de l'état de la victime permet de réparer les préjudices permanents qui en résultent, tels que le préjudice d'établissement et le préjudice sexuel ; que le poste de déficit fonctionnel temporaire intègre notamment le préjudice sexuel subi pendant la période antérieure à la consolidation, de sorte que le préjudice sexuel n'est, en tant que chef de préjudice autonome, réparable qu'au titre des préjudices à caractère permanent ; qu'en l'espèce, en octroyant aux ayants droit de [G] [D] la somme globale de 60 000 euros au titre du préjudice d'établissement et du préjudice sexuel qualifiés de « provisoires », tandis que ces chefs de préjudice ne peuvent être réparés qu'au titre des préjudices permanents après consolidation, et que la somme allouée au titre du déficit fonctionnel temporaire intégrait nécessairement le préjudice sexuel avant consolidation, la cour d'appel a méconnu le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. »

Réponse de la Cour

Vu le principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime :

15. Le préjudice d'établissement constitué par la perte d'espoir et de chance de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap subsistant après consolidation est un poste de préjudice à caractère permanent. Lorsqu'en raison de la longueur de la période temporaire, cette même perte est subie avant consolidation, elle peut être indemnisée au titre du déficit fonctionnel temporaire, qui répare la perte de qualité de vie et des joies usuelles de l'existence.

16. Le préjudice sexuel avant consolidation est indemnisé au titre du déficit fonctionnel temporaire.

17. Pour allouer aux ayants droit de [G] [D] une somme au titre d'un préjudice sexuel et d'un préjudice d'établissement, qualifiés de provisoires, l'arrêt constate que, même si l'état de santé de ce dernier n'a jamais pu être considéré comme consolidé, la victime avait, avant l'accident, une vie sentimentale correspondant aux attentes d'un jeune homme de 26 ans et que, postérieurement à l'accident, compte tenu des séquelles physiques et de la lourdeur de son handicap, la relation avec sa compagne avait cessé et qu'elle n'avait pu au cours des neuf ans qui avaient suivi, en raison notamment des séquelles esthétiques dont elle était atteinte, renouer une relation sentimentale et construire le projet de vie familiale auquel elle pouvait légitimement prétendre.

18. En statuant ainsi, en indemnisant, outre le poste de déficit fonctionnel temporaire, un poste de préjudice sexuel et d'établissement avant consolidation, la cour d'appel, qui a indemnisé deux fois les mêmes préjudices, a violé le principe susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

19. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt condamnant in solidum l'association et son assureur à payer une somme au titre de l'incidence professionnelle, dite temporaire, entraîne la cassation du chef de dispositif les condamnant in solidum à payer une somme au titre des pertes de gains professionnels actuels, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

20. Les cassations prononcées n'emportent pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'association et son assureur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à leur encontre.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne in solidum l'association [5] et la société Allianz IARD à payer aux ayants droit de [G] [D], au titre de l'action successorale, les sommes de 80 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, 60 000 euros au titre du préjudice sexuel et du préjudice d'établissement, et 43 971,08 euros au titre de la perte de gains professionnels actuels, l'arrêt rendu le 5 avril 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;

Condamne Mme [D], M. [M] [D] et M. [F] [D] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq avril deux mille vingt-quatre.

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