18 avril 2024
Cour d'appel de Douai
RG n° 22/03202

CHAMBRE 1 SECTION 1

Texte de la décision

République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 1 SECTION 1



ARRÊT DU 18/04/2024





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RENVOI DE CASSATION



N° de MINUTE :

N° RG 22/03202 - N° Portalis DBVT-V-B7G-ULZH



Jugement (N° 17/01899) rendu le 12 novembre 2018 par le tribunal de grande instance d'Amiens

Arrêt rendu le 30 juin 2020 par la cour d'appel d'Amiens

Arrêt rendu le 02 mars 2022 par la Cour de Cassation







DEMANDEURS A LA DECLARATION DE SAISINE



Madame [B] [D] [W] [J]

née le [Date naissance 5] 1949 à [Localité 18]

[Adresse 8]

[Localité 18]



Madame [U] [L] [R] [J] épouse [I]

née le [Date naissance 1] 1950 à [Localité 18]

[Adresse 11]

[Localité 3]



Madame [E] [B] [P] [C] [J]

née le [Date naissance 2] 1954 à [Localité 16]

[Adresse 13]

[Localité 17] Luxembourg



Monsieur [Y] [F] [M] [J]

né le [Date naissance 4] 1971 à [Localité 16]

[Adresse 10]

[Localité 14]



Monsieur [V] [S] [A] [M] [ME]

né le [Date naissance 9] 1979 à [Localité 15]

[Adresse 8]

[Localité 18]



représentés par Me Bernard Franchi, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

assistés de Me Frédéric Dasse, avocat au barreau d'Amiens, avocat plaidant













DÉFENDERESSE A LA DECLARATION DE SAISINE



Maître [O] [H] notaire associé de la SELAS Béatrice Lecomte-Lemoine, Jean-François Lecomte, [O] [H], Cécile Allexandre-Phippot et Maxime Boulongne

[Adresse 12]

[Localité 16]



représenté par Me Marie-Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai, avocat constitué assistée de Me Franck Derbise, avocat au barreau d'Amiens, avocat plaidant



DÉBATS à l'audience publique du 05 juin 2023, tenue par Camille Colonna magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.



GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe



COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ



Bruno Poupet, président de chambre

Céline Miller, conseiller

Camille Colonna, conseiller



ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 18 avril 2024 après prorogation du délibéré en date du 12 octobre 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Bruno Poupet, président et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.




****



[M] [J] est décédé le [Date décès 7] 1979, laissant pour lui succéder :

- ses quatre enfants légitimes, à savoir [K] [J], décédé le [Date décès 6] 2003, Mmes [B], [U] et [E] [J],

- deux légataires à titre particulier : son frère, [T] [J], également décédé depuis lors, et son neveu, M. [X] [J],

- deux légataires à titre universel, ensemble, de la quotité disponible d'un quart de la succession ou divisément chacun pour un huitième, à savoir M. [Y] [J] et M. [V] [ME], ses petits-enfants.



Par jugement du 30 mars 2006, confirmé par un arrêt définitif du 6 décembre 2007, le tribunal de grande instance de Péronne a homologué le projet de partage de la succession de [M] [J] établi le 28 mai 2004 par Me [Z] [H], notaire.



Me [O] [H], notaire reprenant les opérations de succession de M. [J] à la suite de Me [Z] [H], a établi un projet de partage actualisé le 28 avril 2009. Ce projet a été contesté par Mmes [B], [U] et [E] [J], M. [Y] [J] et M. [V] [ME].





A la suite du dernier projet établi le 7 octobre 2009, ces derniers ne se sont pas présentés à l'étude notariale le 9 octobre 2009 pour quittancement des sommes revenant à chacun d'eux et un procès-verbal de carence a été dressé par le notaire.



Le 20 août 2011, ils ont établi un document faisant état d'un certain nombre de demandes d'explications et de rectifications sur l'actif et le passif de la succession du projet actualisé de partage.



Par acte d'huissier du 6 juin 2017, ils ont fait assigner Me [O] [H] devant le tribunal de grande instance d'Amiens afin, notamment, de lui voir enjoindre de répondre à leurs demandes d'explications et de rectifications et d'établir un projet de partage actualisé aux fins d'homologation judiciaire et, à défaut, de voir ordonner une expertise.



Par jugement contradictoire du 12 novembre 2018, le tribunal de grande instance d'Amiens a déclaré irrecevables leurs demandes, les a condamnés à verser à Me [H] la somme de 800 euros au titre de ses frais irrépétibles et les a condamnés aux dépens.



Par arrêt contradictoire du 30 juin 2020, la cour d'appel d'Amiens a infirmé ledit jugement en ce qu'il avait déclaré lesdites demandes irrecevables et, statuant à nouveau du chef infirmé, a déclaré recevable l'action de Mmes [B], [U] et [E] [J], M. [Y] [J] et M. [V] [ME], mais a débouté ces derniers de leurs demandes et les a condamnés in'solidum aux dépens d'appel ainsi qu'à verser à Me [H] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Cependant, par arrêt du 2 mars 2022, la Cour de cassation a cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens, remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Douai, a condamné Me [H] aux dépens, a rejeté sa demande au titre de l'article 700 et l'a condamnée sur ce fondement à payer aux consorts [J] et [ME] la somme de 3 000 euros.



Par déclaration du 4 juillet 2022, les consorts [J] et [ME] ont saisi la cour d'appel de céans afin qu'il soit à nouveau statué, en fait et en droit, dans la limite de la cassation intervenue, sur l'appel en son temps inscrit contre le jugement rendu le 12 novembre 2018 par le tribunal de grande instance d'Amiens.



Aux termes de leurs conclusions notifiées le 5 septembre 2022, ils demandent à la cour, au visa des articles 480 et suivants et 500 et suivants du code de procédure civile, abstraction faite de demandes de « dire et juger'» qui ne constituent pas des prétentions au sens des articles 4 et 954 du code de procédure civile, d'infirmer ledit jugement et, statuant à nouveau :

à titre principal,

- de déclarer recevables leurs demandes en ce qu'elles ne se heurtent pas à l'autorité de la chose jugée pas plus qu'à la force obligatoire attachée aux décisions précédentes,

- d'ordonner à Me [H], dans le cadre des projets d'actualisation de partage des 28 avril et 7 octobre 2009, de répondre aux interrogations posées, ainsi qu'aux demandes d'explication et de rectifications formulées,

- de dire et juger que Me [H] devra établir un projet de partage actualisé qui sera soumis à la signature des parties aux fins d'homologation judiciaire si besoin est,

à titre subsidiaire,

- d'ordonner la désignation d'un expert-comptable et d'un notaire en exercice ou honoraire avec pour mission de :

* se faire remettre tous éléments de la comptabilité de Me [H] relatifs à la succession de [M] [J] et de celle des autres successions en lien avec celle-ci,

* lister les points litigieux en référence à la pièce n° 6,

* donner son avis sur chacun des points évoqués dans cette pièce et dire s'ils constituent des anomalies ou des erreurs,

* apporter les réponses nécessaires aux difficultés soulevées et procéder, dès lors, à l'actualisation des comptes,

* déterminer les sommes restant en compte à l'étude de Me [H],

en tout état de cause,

- de condamner Me [H] aux entiers dépens de première instance et d'appel,

- de la condamner à leur verser la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



Par conclusions remises le 14 octobre 2022, Me [H] demande pour sa part à la cour':

- de confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance d'Amiens le 12 novembre 2018 en toutes ses dispositions, de déclarer les demandes des consorts [J] et [ME] dirigées à son encontre irrecevables et mal fondées et, en conséquence, de les débouter de ces demandes et de leur demande de désignation d'un expert-comptable,

- subsidairement, de juger qu'elle ne peut en l'état fournir aucune autre réponse ou document comptable et de prendre acte de ses protestations et réserves sur la demande de désignation d'un expert-comptable,

- en toute hypothèse, de condamner in solidum les appelants à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, y compris ceux exposés devant la cour d'appel de céans, dont distraction au profit de Me Laurent.



Il est renvoyé aux conclusions des parties pour l'exposé de leur argumentation.






MOTIFS DE LA DÉCISION



Sur la recevabilité des demandes des appelants



L'article 1355 du code civil dispose que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties et formée par elles et contre elles en la même qualité.



Le premier juge a déclaré irrecevables les demandes des héritiers en retenant qu'elles se heurtaient à l'autorité de la chose jugée de l'arrêt confirmatif de la cour d'appel d'Amiens du 6 décembre 2007 ayant irrévocablement homologué le projet de partage de la succession de [M] [J] du 28 mai 2004 et à la force obligatoire de l'acte de partage du 12 mai 2001 concernant la succession d'[R] [J]-[G], mère du de cujus et grand-mère des appelants.



Cependant, les demandes des héritiers ne sont pas une remise en cause du projet de partage du 28 mai 2004 mais de son actualisation et sont formulées à l'encontre de Me [H] qui n'était pas partie à la procédure ayant abouti à la décision définitive d'homologation du 6'décembre 2007, de sorte qu'elles n'entrent pas dans le champ de l'autorité de la chose jugée invoquée et que la fin de non-recevoir tirée de celle-ci l'est à tort.



Il y a donc lieu d'infirmer le jugement querellé et de déclarer recevables les demandes des consorts [J] et [ME].



Sur le fond



Il convient de rappeler que la succession de M. [M] [J], décédé en 1979, a été traitée successivement par Me [N], Me [Z] [H] (rédacteur du projet du 28 mai 2004) et Me'[O] [H] qui a établi les deux projets actualisés d'avril et octobre 2009.



Sur les demande principales



Dès lors qu'en vertu de l'article 954 du code de procédure civile, les conclusions d'appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée, il est regrettable que les appelants s'abstiennent d'attribuer un quelconque fondement juridique à leur demande.



Quoi qu'il en soit, dans une lettre du 25 septembre 2009, Me [O] [H] écrivait notamment au conseil des appelants :

« J'ai pour ma part mis un point d'honneur à répondre régulièrement aux demandes comptables de vos clientes (...) et vous avoue que leur perpétuelle mise en doute sur ma volonté de poursuivre ce travail de fourmi et de recherches dans ce dossier très ancien me désole.

Je comprends aisément leur impatience mais, j'ai de mon côté un jugement qui homologue un partage et il m'appartenait de quittancer les sommes y figurant ; aujourd'hui, pour répondre avec sérieux et précisions aux demandes de vos clientes sur des comptes successifs, j'ai dû mandater ma collaboratrice et mon comptable qui, durant cinq jours complets, ont repris chaque mouvement bancaire pour en déterminer l'origine.

Nous avons par conséquent établi des tableaux de synthèse reprenant à la fois la succession de Mme [R] [J] et celle de M. [M] [J], telles qu'elles ont été établies aux termes des actes de partage respectivement des 12 mai 2001 et du 28 mai 2004, en parallèle de notre comptabilité et des comptes d'administration de Me [N], faisant ainsi ressortir les intérêts produits par chaque somme et les ajustements à opérer.

Je serai en mesure de vous adresser par courrier l'intégralité de notre travail au plus tard pour le 2 octobre prochain, accompagné bien sûr des réponses à chacune des dernières questions posées par vos clientes. (...)

Je me propose, si vos clientes le souhaitent, de les rencontrer en votre compagnie à compter du 2 octobre prochain pour répondre de vive voix à leurs demandes afin qu'elles puissent légitimement, et préalablement informées, assister au rendez-vous arrêté le vendredi 9 octobre prochain'».



Dans une seconde lettre, du 1er octobre 2009, à laquelle elle a joint « quatre tableaux retraçant les deux partages tels qu'ils ont été signés, les écritures comptables en l'étude pour chaque succession, les ajustements à opérer et le projet d'acte final réactualisé'», Me [H] apporte, sur douze points, des explications détaillées au conseil des dames [J] et ajoute «'Je souhaite avoir, par la présente, répondu au mieux aux interrogations de vos clientes (...). Bien évidemment, je demeure toujours à leur entière disposition, comme à la vôtre, pour leur fournir toutes explications comptables relativement à notre travail'».



Il ressort également de ces courriers que Me [H] avait antérieurement communiqué divers comptes au conseil des consorts [J] et [ME].



Si le courrier susvisé du 1er octobre 2009 ne prend certes pas la forme d'un examen, point par point et dans l'ordre, des questions évoquées dans le document établi par les appelants le 20 août 2011 et constituant leur pièce n° 6, il n'apparaît pas que ces derniers aient saisi la proposition faite par le notaire dans sa précédente missive de les rencontrer pour leur apporter de vive voix les explications qu'ils estimeraient encore nécessaires ni aient sollicité d'autres précisions comptables après la réception de ce courrier.



L'intimée affirme aujourd'hui catégoriquement qu'ayant pris connaissance du document versé en pièce n°6 par les appelants, elle est dans l'incapacité de fournir d'autres éléments, s'agissant du dossier de succession ouvert depuis 1979, que ceux qu'elle a adressés aux héritiers le 1er octobre 2009 (tableaux comptables dressés par l'étude notariale résumant les différentes écritures) au soutien des réponses circonstanciées apportées à leurs questions.



La double injonction (répondre aux questions et établir en conséquence un nouveau projet de partage) que les appelants demandent à la cour de prononcer à l'encontre du notaire, outre qu'elle n'est pas clairement justifiée, est donc vaine, de sorte qu'il y a lieu de les en débouter, et il leur appartient de rechercher dans toute autre voie de droit qu'ils jugeront opportune une solution à leur insatisfaction.



Sur la demande d'expertise



En vertu des articles 143 et 144 du code de procédure civile, les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d'office, être l'objet de toute mesure d'instruction légalement admissible ; les mesures d'instruction peuvent être ordonnées en tout état de cause, dès lors que le juge ne dispose pas d'éléments suffisants pour statuer.



La cour n'étant saisie, au principal, que de la demande d'injonction évoquée ci-dessus et non d'un litige à résoudre, de différends à trancher, dont une mesure d'instruction pourrait faciliter la solution, l'expertise demandée n'a pas lieu d'être dans le cadre de la présente instance.



Sur les autres demandes



Il incombe aux appelants, parties perdantes, de supporter la charge des dépens, conformément à l'article 696 du code de procédure civile. Il est en outre équitable qu'en application de l'article 700 du même code, ils indemnisent l'intimée des autres frais qu'elle a été contrainte d'exposer pour assurer la défense de ses intérêts. Il convient également de confirmer le jugement en ce qui concerne les dépens et les frais irrépétibles.





PAR CES MOTIFS



La cour



infirme le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré les demandes des consorts [J] et [ME] irrecevables,



le confirme pour le surplus,



statuant à nouveau du chef infirmé,



déclare recevable l'action de Mmes [B], [U] et [E] [J], M. [Y] [J] et M. [V] [ME],



y ajoutant



déboute ces derniers de leurs demandes,



les condamne in solidum à payer à Mme [O] [H] la somme de 4 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de la présente procédure.











Le greffier







Delphine Verhaeghe







Le président







Bruno Poupet

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