18 avril 2024
Cour d'appel de Douai
RG n° 19/04741

CHAMBRE 1 SECTION 1

Texte de la décision

République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 1 SECTION 1



ARRÊT DU 18/04/2024



****





N° de MINUTE :

N° RG 19/04741 - N° Portalis DBVT-V-B7D-SRPT



Jugement (N° 15/07128)

rendu le 16 janvier 2017 par le tribunal de grande instance de Lille







APPELANT



Monsieur [F] [W]

né le [Date naissance 1] 1955 à [Localité 9]

[Adresse 3]

[Localité 7]



représenté par Me Philippe Lefevre, avocat au barreau de Lille, avocat constitué substitué par Me Alexandre Steclebout, avocat au barreau de Lille



INTIMÉS



Monsieur [T] [H]

[Adresse 4]

[Localité 6]



représenté par Me Marie-Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

assisté de Me Patrick Drancourt, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant



Le comptable des finances publiques du pôle de recouvrement spécialisé de [Localité 10]

ayant son siège social [Adresse 2]

[Localité 5]



représenté par Me Benoît de Berny, avocat au barreau de Lille, avocat constitué



COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ



Bruno Poupet, président de chambre

Samuel Vitse, président de chambre

Céline Miller, conseiller

---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe











DÉBATS à l'audience publique du 13 novembre 2023, après rapport oral de l'affaire par Bruno Poupet.

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.



ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 18 avril 2024 après prorogation du délibéré en date du 22 février 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Bruno Poupet, président, et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.



ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 19 octobre 2023



****



M. [T] [H] a été, de sa création en 2004 au 4 novembre 2008, le gérant de la société Bureaux Etudes Toutes Missions (ci-après, 'la société BETM') dont le siège social se situait [Adresse 8] à [Localité 10].



M. [F] [W] lui a succédé jusqu'au jugement du 17 octobre 2011 qui a prononcé la liquidation judiciaire de la société, désignant la SELAS Soinne en qualité de liquidateur.



Au cours de cette période, les services fiscaux ont procédé à une vérification de la comptabilité de la société qui a abouti à des propositions de rectification à plusieurs titres (notamment la TVA et l'impôt sur les sociétés) puis, après le rejet des recours exercés, à l'émission de plusieurs avis de recouvrement en 2011 et 2012.



La créance de l'administration fiscale a été admise au passif de la liquidation judiciaire de la société BETM pour une somme globale de 656 743 euros.



Par acte d'huissier du 26 juin 2014, le comptable public du pôle de recouvrement spécialisé de [Localité 10] (ci-après, 'le comptable public') a fait assigner à jour fixe MM. [H] et [W] devant le président du tribunal de grande instance de Lille sur le fondement de l'article L 267 du Livre des procédures fiscales afin de voir chacun d'eux déclaré solidairement tenu avec la société BETM au paiement des impositions et pénalités dues par celle-ci et condamnés à lui verser, respectivement, les sommes de 351 443 euros et 305 300 euros.



Par jugement avant dire droit du 5 janvier 2015, le président a déclaré recevable une question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. [H], ordonné la transmission de celle-ci à la Cour de cassation et sursis à statuer sur les demandes au fond des parties dans l'attente de la décision de la haute juridiction ou du Conseil constitutionnel, le cas échéant.



Par arrêt du 16 avril 2015, la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu de soumettre la question au Conseil constitutionnel.





Par jugement du 16 janvier 2017, le tribunal de grande instance de Lille a principalement :

- rejeté la fin de non-recevoir tirée tant du délai raisonnable que de l'acquisition de la prescription,

- déclaré M. [H] solidairement responsable du paiement des impositions et pénalités dues par la société BETM à hauteur de 351 443 euros et condamné celui-ci à payer cette somme au comptable public,

- déclaré M. [W] solidairement responsable du paiement des impositions et pénalités dues par la société BETM à hauteur de 305 300 euros et condamné celui-ci à payer ladite somme au comptable public,

- rejeté les demandes relatives aux intérêts au taux légal et à la capitalisation des intérêts,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement dans toutes ses dispositions.



Par déclarations des 20 et 21 mars 2017, MM. [W] et [H] ont interjeté appel de cette décision et les deux instances ont été jointes.



Par différentes ordonnances d'incident, le conseiller de la mise en état a débouté le comptable public d'une demande de radiation de l'affaire, débouté M. [H] de deux demandes de transmission de questions préjudicielles à la Cour de justice de l'Union européenne mais ordonné qu'il soit sursis à statuer dans l'attente, d'abord, d'une décision de l'administration fiscale sur une réclamation de M. [H], puis d'une décision du tribunal administratif de Lille sur une requête du même.




Aux termes de ses dernières conclusions remises le 4 octobre 2022, M. [W] demande à la cour, au visa de l'article L 267 du livre des procédures fiscales et de l'instruction n° 06.09.1988 de la DGI et de la direction de la comptabilité publique relative l'action en recouvrement de l'impôt, de :

à titre principal,

- infirmer le jugement en sa totalité,

- déclarer le comptable public irrecevable en ses demandes,

à titre subsidiaire :

- débouter le comptable public de l'ensemble de ses demandes,

en tout état de cause :

- condamner le comptable public, outre aux dépens de première instance et d'appel, à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 10'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Par conclusions remises le 12 octobre 2022, M. [H] demande pour sa part à la cour, au visa de l'article L 267 du livre des procédures fiscales et de l'instruction du 6 septembre 1998 de la DGI, de :

- réformer intégralement le jugement entrepris,

- déclarer que l'action engagée contre lui est prescrite et irrecevable,

- juger que le comptable public n'a pas engagé la procédure à son encontre dans un délai raisonnable, le déclarer irrecevable et mal-fondé en ses demandes,

- poser à la Cour de justice de l'Union européenne une question préjudicielle qui sera reproduite infra,

- surseoir à statuer dans l'attente de la décision de ladite Cour,

- débouter le comptable public de l'ensemble de ses demandes,

- écarter l'application de l'article L267 du Livre des procédures fiscales,

à titre subsidiaire,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déclaré solidairement responsable du paiement des impositions et pénalités dues par la SARL BETM à hauteur de 351'443 euros et l'a condamné à payer au comptable public la somme de 351 443 euros,

- débouter le comptable public de l'ensemble de ses demandes,

en toutes hypothèses :

- condamner le comptable public, outre aux dépens d'instance et d'appel, à lui payer la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.



Par conclusions remises le 28 novembre 2022, le comptable public demande à la cour de confirmer le jugement entrepris et de condamner M. [W] à lui verser la somme de 5'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens d'appel.



Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.




MOTIFS DE LA DÉCISION



L'article L 267 du livre des procédures fiscales dispose que lorsqu'un dirigeant d'une société, d'une personne morale ou de tout autre groupement, est responsable des man'uvres frauduleuses ou de l'inobservation grave et répétée des obligations fiscales qui ont rendu impossible le recouvrement des impositions et des pénalités dues par la société, la personne morale ou le groupement, ce dirigeant peut, s'il n'est pas déjà tenu au paiement des dettes sociales en application d'une autre disposition, être déclaré solidairement responsable du paiement de ces impositions et pénalités par le président du tribunal judiciaire ; qu'à cette fin, le comptable public compétent assigne le dirigeant devant le président du tribunal judiciaire du lieu du siège social'; que cette disposition est applicable à toute personne exerçant en droit ou en fait, directement ou indirectement, la direction effective de la société, de la personne morale ou du groupement ; que les voies de recours qui peuvent être exercées contre la décision du président du tribunal judiciaire ne font pas obstacle à ce que le comptable prenne à leur encontre des mesures conservatoires en vue de préserver le recouvrement de la créance du Trésor.



Sur la recevabilité des demandes du comptable des finances publiques



Il est constant que l'action prévue par l'article L 267 précitée peut être exercée tant que les poursuites tendant au recouvrement de la dette fiscale de la société ne sont pas atteintes par la prescription, soit dans le délai de quatre ans instauré par l'article L 274 du même code, lequel est interrompu par une déclaration de créance dans le cadre d'une procédure collective, un nouveau délai courant à compter du jugement de clôture pour insuffisance d'actif.



Au cas présent, l'action de l'administration fiscale n'est nullement frappée par la prescription dès lors, d'une part, que celle-ci a déclaré ses créances le 19 décembre 2011 alors que les avis de recouvrement avaient été émis les 6 et 9 octobre 2011, interrompant ainsi la prescription, d'autre part, qu'elle a engagé ladite action par acte du 26 juin 2014, soit largement moins de quatre ans après la clôture de la procédure de liquidation pour insuffisance d'actif et même après l'émission des avis de recouvrement susvisés.



Il est non moins constant que, conformément à l'instruction administrative du 6'septembre 1988, ladite action doit être engagée dans un délai satisfaisant à compter du constat de l'impossibilité définitive de recouvrer les impositions et pénalités dues par la société.



Si MM. [W] et [H] soulignent que le jugement d'ouverture du 17 octobre 2011 mentionnait déjà que le redressement de l'entreprise était manifestement impossible, cela n'impliquait pas en soi une impossibilité pour l'administration fiscale de recouvrer tout ou partie de sa créance. Comme le tribunal l'a relevé à juste titre, ce n'est qu'une fois les déclarations de créance collationnées et les rejets prononcés par le juge commissaire qu'il a été établi que le passif admis s'élevait à 1'194'466 euros et que seule l'Unedic, créancière superprivilégiée, pourrait percevoir un paiement partiel, et les appelants ne démontrent pas que l'administration ait eu immédiatement connaissance de l'état de l'actif et du passif ainsi déterminé. Ces derniers font certes valoir qu'en vertu de l'article R 621-19 du code de commerce, les créanciers qui en font la demande par lettre recommandée avec demande d'avis de réception au mandataire judiciaire sont tenus informés par celui-ci des étapes essentielles de la procédure au fur et à mesure du déroulement de celle-ci mais l'administration n'était pas tenue de procéder ainsi. Or, le comptable public, qui rappelle qu'il n'a disposé d'une créance définitive à l'égard de la société BETM qu'à compter de l'admission de celle-ci au passif le 3'août 2012, a fait preuve d'une diligence suffisante en interrogeant le liquidateur sur ses chances de recouvrer sa créance le 12 avril 2013, soit un an et demi seulement après l'ouverture de la procédure collective, et en engageant la présente action par assignation du 26 juin 2014 après avoir obtenu du liquidateur de la société un certificat d'irrécouvrabilité le 17 septembre 2013, puis l'autorisation d'assigner du directeur général des finances publiques et celle du président du tribunal de grande instance, et en ayant donc agi dans l'année du constat de l'impécuniosité de la société, étant ici rappelé que l'instruction administrative susvisée invite seulement l'administration à agir dans un délai satisfaisant, ce qui s'entend d'un délai raisonnable, laissé à l'appréciation des juges, par rapport à la date des faits reproché au dirigeant et des circonstances de l'espèce, mais non « sans délai'» ni même «'à bref délai'».



Par ailleurs, contrairement à ce que soutient M. [H], par une interprétation erronée d'un arrêt rendu par la Cour de cassation constatant simplement que, dans l'espèce examinée, un commandement avait interrompu la prescription de l'action fondée sur l'article L 267, la délivrance d'un commandement n'est pas une formalité obligatoire.



Il y a donc lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré l'action du comptable public recevable.









Sur la demande de sursis à statuer et de saisine de la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle et sur la demande tendant à voir écarter l'application de l'article L 267 du livre des procédures fiscales



L'idée que défend M. [H], à ce sujet, depuis le début des poursuites contre lui et sous différentes formes, est que ledit article, en ce qu'il permet à l'administration fiscale d'engager une procédure personnelle à l'encontre d'un ancien dirigeant de société qui, comme lui, n'a pas participé aux opérations de vérification fiscale et ne dispose plus des documents lui permettant de combattre les conclusions de celles-ci et leurs conséquences, viole le principe de la contradiction et rompt l'égalité des armes et, ce faisant, porte atteinte aux droits de la défense et au droit à un procès équitable.



Ces droits sont pareillement consacrés par la Constitution, le droit de l'Union européenne et la Convention européenne des droits de l'Homme.



Le premier juge a adressé à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité suivante : «'L'article L 267 du livre des procédures fiscales qui permet d'engager une procédure à l'encontre de l'ancien gérant de société qui n'a pas participé aux vérifications fiscales de la société et qui n'a plus compétence pour contester le contrôle fiscal à l'encontre de la société porte-t-il atteinte au principe d'égalité devant la loi et devant la justice, au principe de proportionnalité, de nécessité et d'adéquation, au respect des droits de la défense qui implique le respect d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties, au principe de bonne administration de la justice, objectifs de valeur constitutionnelle'''».



Par arrêt du 16 avril 2015, la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu de transmettre la question au Conseil constitutionnel en retenant que celle-ci «'ne présente pas un caractère sérieux en ce que les dispositions de l'article L 267 du livre des procédures fiscales qui ont pour objet, sous le contrôle du juge judiciaire, d'apprécier la responsabilité d'un dirigeant de société, solidairement avec cette dernière, au titre de manquements aux obligations fiscales leur incombant et répondent ainsi à l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale, ne portent pas atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution dès lors que la situation de l'ancien gérant de société, qui n'a pas participé aux opérations de vérification fiscale, est vérifiée concrètement par le juge devant lequel il peut exercer un recours effectif, notamment en contestant la régularité et le bien fondé de l'imposition réclamée'».



Dans la présente instance d'appel, M. [H] a saisi le conseiller de la mise en état d'un incident tendant à voir poser à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante : «'L'article L 267 du livre des procédures fiscales qui permet d'engager une procédure à l'encontre de l'ancien gérant de société qui n'a pas participé aux vérifications fiscales de la société, qui n'a plus compétence pour contester le contrôle fiscal à l'encontre de la société, qui ne dispose pas des pièces comptables prises en considération par l'administration fiscale pour adopter sa décision est il conforme au principe général du droit de l'Union du respect des droits de la défense ''».



Le conseiller de la mise en état, rappelant notamment qu'en vertu de l'article 267 du traité de l'Union européenne, la Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour statuer à titre préjudiciel sur l'interprétation des traités et sur la validité des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l'Union, et que lorsqu'une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour, a rejeté la demande de M. [H] en constatant que, indépendamment de ce que la cour d'appel, dont les décisions sont susceptibles de faire l'objet d'un pourvoi en cassation, n'était pas tenue de saisir la CJUE, sa question, portant sur la validité d'une loi au regard d'une norme communautaire, ne relevait pas de la procédure de la question préjudicielle mais du contrôle de conventionnalité que le juge interne peut exercer.



M. [H] demande aujourd'hui à la cour de poser à la CJUE la question suivante : «'Le principe général du droit de l'Union du respect des droits de la défense doit-il être interprété en ce sens qu'il exige que l'ancien gérant de société qui n'a pas participé aux vérifications fiscales de la société et qui n'a plus compétence pour contester le contrôle fiscal à l'encontre de la société, doit avoir accès à toutes les informations et à tous les documents, se trouvant dans le dossier administratif et qui ont été pris en compte par l'administration fiscale dans le cadre de sa proposition de rectification ''».



Or, présentée artificiellement sous forme d'une demande d'interprétation d'un principe du droit de l'Union, la question posée est en réalité toujours celle de la conformité aux droits de la défense protégés par l'Union d'une loi nationale prévoyant la situation dans laquelle il se trouve face à l'administration fiscale, et ne relève donc pas de la procédure de la question préjudicielle.



La procédure fondée sur l'article L 267 du livre des procédures fiscales est menée devant la juridiction civile et suit donc les règles de la procédure civile dont le caractère contradictoire n'est pas contestable, lesquelles permettent aux parties, assistées de leurs conseils, d'échanger les pièces dont elles se prévalent mais aussi de demander la production de pièces qu'elles estiment nécessaires pour vérifier le bien-fondé des prétentions adverses ou asseoir les leurs, et au juge de statuer au vu des productions mais aussi de tirer toute conséquence des absences, voire des refus, de production. Dans ce cadre, s'il estime insuffisantes les productions de l'administration fiscale, rien n'interdit à un ancien dirigeant se trouvant dans la situation envisagée par M. [H], c'est-à-dire 'qui n'a pas participé aux vérifications fiscales de la société et qui n'a plus compétence pour contester le contrôle fiscal à l'encontre de la société' de demander la production des documents qui ont été pris en compte par l'administration fiscale dans le cadre de sa proposition de rectification, demande qui ne peut naturellement aboutir que si lesdits documents existent encore et que l'administration en dispose, au moins en copie, conditions dont l'éventuel défaut en raison de circonstances indépendantes de la volonté de l'administration, ne saurait caractériser une violation du principe de la contradiction. Il est également loisible à l'ancien dirigeant en question de solliciter la production de pièces détenues par un tiers, à commencer par la société elle-même, lorsqu'elle existe encore, et/ou ses dirigeants. Enfin, la vérification ayant abouti au redressement, sur laquelle repose la mise en cause de l'ancien dirigeant, s'est en principe elle-même déroulée contradictoirement à l'égard de la société elle-même, première intéressée, et a pu faire l'objet de recours tant sur le plan procédural que sur le fond. Dans ces conditions, l'application de l'article L 267 du livre des procédures fiscales dans l'hypothèse envisagée par M. [H] ne se révèle pas contraire au principe de la contradiction, aux droits de la défense et au droit à un procès équitable, de sorte qu'il n'y a pas lieu, sur le principe, de l'écarter.



De surcroît et in concreto, l'administration fiscale produit au cas présent les pièces de la procédure de vérification, notamment la proposition de rectification, qui détaille les investigations, documents, faits et analyse sur lesquels elle se fonde, et la réponse tout aussi détaillée du vérificateur aux observations du contribuable (la société). M. [H] ne fait pas état d'un refus qui aurait été opposé à une demande de communication de pièces complémentaires précisément désignées, d'une sommation ou d'un incident à cette fin demeurés vains, et il ne saurait en toute hypothèse exiger de l'administration fiscale, au nom du principe de la contradiction et des droits de la défense, la communication de pièces comptables de la société, qu'elle a consultées mais ne détient pas et dont l'éventuelle disparition dans le cadre de la liquidation de la société ne lui est pas imputable, et qu'il pouvait également tenter de solliciter de son successeur aux fonctions de dirigeant, étant observé en outre que l'exigence de telles pièces n'aurait un intérêt dans la présente procédure que dans la mesure où elles auraient une possible influence sur la caractérisation de la responsabilité de l'appelant, non pour contester le redressement. Il doit être précisé, à cet égard, qu'il ressort des pièces produites par l'administration que la vérification de la comptabilité de la société BETM s'est faite contradictoirement en présence de M.'[W], qui était alors le dirigeant de celle-ci, et de son expert-comptable, la régularité de la procédure de vérification n'étant pas contestée par M.'[W] qui est partie au présent procès, que la société s'est fait assister par un avocat fiscaliste pour en examiner et en contester au moins partiellement le résultat, que les rehaussements, une fois notifiés, ont été confirmés à l'issue d'un recours hiérarchique puis d'une saisine de la commission ad'hoc par la société, qu'ils n'ont pas fait l'objet d'un recours contentieux et sont définitifs.



En conclusion, il n'y a pas lieu de poser la question préjudicielle suggérée ni d'écarter l'application de l'article L 267 du livre des procédures fiscales, si elle s'avère justifiée.



Sur le fond



Le redressement étant définitif, les faits sur lesquels il repose sont tenus pour acquis.



Ceux-ci, commis sous les mandats des deux dirigeants, sont essentiellement, d'une part, des manquements aux obligations légales en matière de TVA, notamment une minoration des recettes déclarées à ce titre par rapport aux encaissements effectivement réalisés et une déduction injustifiée de TVA, d'autre part et surtout, la mention de dépenses qui se sont avérées fictives, notamment au profit d'une société britannique qui n'existait plus aux dates de facturation, les sommes censées avoir été ainsi payées ayant été encaissées par les deux dirigeants appelants, et la prise en charge par l'entreprise de dépenses personnelles des intéressés (cigarettes, alcools, parfums, hôtels de tourisme, voilier, club de loisirs, frais de chasse).



La première catégorie (TVA) révèle une inobservation grave et répétée des obligations fiscales, la seconde des man'uvres frauduleuses, éléments matériels sanctionnés par l'article L 267 du livre des procédures fiscales.



Les appelants ne contestent pas avoir été les dirigeants effectifs de la société pendant les périodes, à cheval sur les deux mandats, au cours desquelles ont été constatées ces pratiques et doivent donc en assumer la responsabilité.



La prise en charge par la société d'importantes dépenses injustifiées (prestations fictives, dépenses personnelles) ont naturellement affecté sa trésorerie et ses résultats ; les manquements aux obligations fiscales ont provoqué un redressement et une créance fiscale constituant une part importante du passif. Il en est résulté, dans des conditions que le premier juge a détaillées par une motivation que la cour adopte, le passif et l'insuffisance d'actif responsables de l'irrécouvrabilité de la majeure partie dudit passif et en particulier de la créance fiscale.



Ainsi que l'a noté le premier juge, M. [W] ne peut sans se contredire prétendre que l'irrécouvrabilité litigieuse n'est pas démontrée après avoir soutenu, pour plaider la tardiveté de l'action du comptable public, que ce dernier aurait dû en avoir conscience dès le jugement d'ouverture de la procédure collective.



M. [H] ne peut raisonnablement prétendre que le comptable intimé ne justifie pas de sa créance alors que le redressement est définitif et que ladite créance a été étayée, vérifiée et admise dans le cadre de la procédure collective.



Enfin, si les intimés s'interrogent sur la répartition qui a été faite entre eux de la charge des droits éludés et pénalités, celle-ci a été faite, clairement, proportionnellement au temps de gouvernance de chacun d'eux et selon un décompte figurant en page 10 des conclusions du comptable public qui n'est pas utilement discuté.



Il y a lieu, dans ces conditions, de confirmer le jugement et, naturellement, de débouter M. [W] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.



Sur les dispositions accessoires



Il incombe aux appelants, parties perdantes, de supporter la charge des dépens, conformément à l'article 696 du code de procédure civile. Il est en outre équitable qu'en application de l'article 700 du même code, M. [W], dernier dirigeant en date contre lequel seul est dirigée la demande de l'intimé à ce titre, indemnise ce dernier des autres frais qu'il a été contraint d'exposer pour assurer la défense de ses intérêts ou, plus exactement, de l'intérêt public.













PAR CES MOTIFS



La cour



déboute M. [H] de sa demande de transmission d'une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne et de sa demande tendant à voir écarter l'application de l'article L 267 du livre des procédures fiscales,



confirme le jugement entrepris,



déboute MM. [W] et [H] de leurs demandes de dommages et intérêts et d'indemnités pour frais irrépétibles,



les condamne in solidum aux dépens,



condamne en outre M. [W] à verser au comptable des finances publiques du pôle de recouvrement spécialisé de [Localité 10] une indemnité de 5 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.











Le greffier







Delphine Verhaeghe







Le président







Bruno Poupet

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.