19 avril 2024
Cour d'appel d'Amiens
RG n° 23/05019

TARIFICATION

Texte de la décision

ARRET

N°168





Société [4]





C/





CARSAT Rhône-Alpes













COUR D'APPEL D'AMIENS



TARIFICATION





ARRET DU 19 AVRIL 2024



*************************************************************



N° RG 23/05019 - N° Portalis DBV4-V-B7H-I6C2









PARTIES EN CAUSE :





DEMANDEUR





Société [4]

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 2]





Représentée et plaidant par Me Carl Wallart, avocat au barreau d'Amiens substituant Me Valéry Abdou de la SELARL Abdou et associés, avocat au barreau de Lyon











ET :





DÉFENDEUR





CARSAT Rhône-Alpes

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 2]



Représentée et plaidant par Mme [O] [D] [J], munie d'un pouvoir











DÉBATS :



A l'audience publique du 19 janvier 2024, devan M. Renaud Deloffre, président assisté de M. Jean-Pierre Lannoye et M. Younous Hassani, assesseurs, nommés par ordonnances rendues par Madame la première présidente de la cour d'appel d'Amiens les 03 mars 2022, 07 mars 2022, 30 mars 2022 et 27 avril 2022.



M. Renaud Deloffre a avisé les parties que l'arrêt sera prononcé le 19 avril 2024 par mise à disposition au greffe de la copie dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme Audrey Vanhuse



PRONONCÉ :



Le 19 avril 2024, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par M. Renaud Deloffre, président et Mme Audrey Vanhuse, greffier.




*

* *



DECISION



Monsieur [B] [I] a établi en date du 11 novembre 2020 une déclaration de maladie professionnelle au titre de deux pathologies cancéreuses de nature rénale et urothéliale.



Par courrier du 22 avril 2021, la Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Rhône a notifié à la société [4] sa décision de prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels de la maladie hors tableau de Monsieur [B] [I] suite à l'avis du Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles.



Les incidences financières de cette maladie ont été imputées sur les comptes employeur 2020 et 2021 de l'établissement de [Localité 5] de la société [4].



Par courrier du 22 février 2023, la société [4] a saisi la CARSAT d'un recours gracieux tendant à obtenir l'inscription au compte spécial des conséquences financières de la maladie déclarée par Monsieur [B] [I] le 11 novembre 2020.



Par courrier du 23 mars 2023, la CARSAT Rhône Alpes a rejeté le recours gracieux de la société [4] et confirmé l'imputation du sinistre sur le compte employeur de la société.



Par acte délivré à la CARSAT Rhône-Alpes le 16 mai 2023 pour l'audience du 19 janvier 2024 la société [4] demande à la cour d'inscrire au compte spécial les conséquences financières de la maladie professionnelle de Monsieur [B] [I] sur le fondement des dispositions de l'article 2 2° de l'arrêté du 16 octobre 1995.



A l'audience du 19 janvier 2024, la demanderesse soutient oralement par avocat les prétentions résultant de son acte introductif d'instance.
Après le rappel des textes et de la jurisprudence en la matière, elle fait valoir ce qui suit :



Les pièces de ce dossier montrent que la maladie « hors tableau » de Monsieur [I] a été reconnu d'origine professionnelle après avis du Comité Régional de Reconnaissance des maladies professionnelles (pièce 2).



Aussi, la maladie de Monsieur [I] (cancer du rein) a été reconnue en application du quatrième alinéa de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale.



Or, s'il n'est pas contesté que Monsieur [I] a pu être exposé à des produits pouvant entrainer un cancer du rein sur une partie de sa carrière professionnelle au sein de la société requérante, il n'en demeure pas moins que cette exposition à des substances pouvant entrainer l'apparition d'un cancer du rein a forcément cessé après 1990.



En effet, l'enquêteur de la Caisse primaire, (pièce 3) a repris les déclarations de M. [I] en ces termes :

« M. [I] est rentré chez Rhône Poulenc le 27/08/1962 en tant que manoeuvre dans la fabrioation de colorants. Il effectuait le mélange de produits chimiques dans des cuves sans d'équipements de protection, afin de fabriquer des colorants. A ce moment-là, il fabriquait « une espèce de colle » et en fin de semaine il fallait nettoyer cette colle, qui avait pût tomber au sol. Il nettoyait avec du trichloréthylène. Entre 1968 et 1969, Mr [I] a travaillé dans des laboratoires. Il travaillait sur des solvants pour fabriquer des colles et utilisait des cordons d'amiante pour enrouler autour des conduits afin d'isoler de la chaleur et d'éviter les brûlures. En 1976, Mr [I] est devenu cadre et manageait une équipe de 4 ou 6 personnes. Il fabriquait des colorants pour les teintures de cheveux notamment, puis de la vanille synthétique et de l'aspirine. Mr [I] précise avoir changé à plusieurs reprises d'atelier de fabrication (PMO, PMOI, PMOP...). Mr [I] ajoute qu'en tant que cadre, il continuait à faire les mêmes tâches que les manoeuvres. Entre 1977 et 1991, Mr [I] était exposé aux amines aromatiques car il fabriquait de la DCNA pour ensuite fabriquer de l'hydroquinone. A l'atelier PMOP, en 1978, il faisait le dépotage des wagons d'acide oyanidrique en moyenne 1 fois par semaine. Il fallait alors porter un scaphandre.

De 1991 à 1994, il effectuait le dépotage des Big Bag d'hydroquinone. De plus en 1990, sur l'aire de déstockage extérieur, Mr [I] faisait des manipulations de vidange de biphénol Ether (solvant).

Puis, de 1994 au 29/02/2000 jusqu'à son départ en retraite, Mr [I] travaillait au service logistique. Il précise qu'il n'était presque plus en contact avec des produits chimiques. En effet, il s'agissait de gérer l'arrivée des camions et des wagons et d'organiser leur dépotage avec son équipe ».



Il en ressort très clairement qu'à compter de 1991, le salarié « effectuait le dépotage des Big Bag d'hydroquinone » et qu'à compter de 1994, il était affecté au service logistique sans être exposé à des produits chimiques.



Des déclarations de Monsieur [I], l'employeur est en droit de considérer que l'exposition au risque qui s'est matérialisée par la survenance du cancer du rein a cessé au moins à partir de 1991.



En effet, il ressort de la fiche toxicologique de l'Hydroquinone publiée par l'INRS que « les études publiées ne sont pas en faveur d'un effet cancérogène de l'hydroquinone. On ne dispose pas de données sur d'éventuels effets sur la fonction de reproduction » (pièce 4).



Il parait donc évident que Monsieur [I] n'a pas été exposé à partir de 1991 à des produits susceptibles de provoquer de cancer, notamment du rein.

Sachant que la maladie « hors tableau » de Monsieur [I] a été constatée en 2018 mais que Monsieur [I] n'a été exposé au risque de cette maladie professionnelle qu'antérieurement au 30 mars 1993, le sinistre doit être imputé au compte spécial, selon les règles de la tarification sauf à la Carsat de démontrer que l'exposition au risque du cancer du rein était postérieure à 1993.



Par conclusions enregistrées par le greffe à la date du 5 janvier 2024 et soutenues oralement par avocat, la CARSAT Rhône-Alpes demande à la cour de :



- Juger que les conditions d'application de l'article 2 2° de l'arrêté du 16 octobre 1995 ne sont pas remplies ;

Et, en conséquence de :

- Confirmer la décision de la CARSAT Rhône Alpes de maintenir sur le compte employeur de la société [4] les conséquences financières de la maladie professionnelle déclarée le 11 novembre 2020 par Monsieur [B] [I] ;

- Rejeter le recours et les demandes de la société [4].



Contrairement à ce que soutient la société [4], il ne peut être déduit de la lecture des arrêts rendus par la Cour de cassation le 17 mars 2022 que lorsque l'employeur soutient que l'exposition a cessé à une date déterminée, il revient à la CARSAT d'établir la preuve que l'exposition a perduré au-delà.



En effet, dans les arrêts dont se prévaut la société, comme dans ceux du 1er décembre 2022, la Cour de cassation a posé le principe qu'indépendamment d'une demande d'inscription au compte spécial, l'employeur peut solliciter le retrait de son compte des dépenses afférentes à une maladie professionnelle lorsque la victime n'a pas été exposée au risque à son service.



Or, il ressort des termes mêmes de l'assignation de la société [4] qu'elle ne conteste pas que Monsieur [I] a pu être exposé à des produits pouvant entraîner un cancer du rein sur une partie de sa carrière professionnelle en son sein (assignation, page 7).



C'est donc à la société [4], qui sollicite l'inscription au compte spécial des incidences financières de la maladie professionnelle de Monsieur [B] [I] de prouver que les conditions de l'article 2 2° de l'arrêté du 16 octobre 1995 sont réunies, et plus particulièrement que le salarié n'a été exposé au risque de sa maladie qu'antérieurement au 30 mars 1993.



En l'occurrence, la société [4] soutient que l'exposition au risque de Monsieur [I] a forcément cessé après 1990.



Elle invoque en ce sens le rapport d'enquête administrative qui selon elle reprend les déclarations de Monsieur [I] et en déduit qu'il en ressort très clairement qu'à compter de 1991, le salarié « effectuait le dépotage des Big Bag d'hydroquinone » et qu'à compter de 1994, il était affecté au service logistique sans être exposé à des produits chimiques (pièce adverse n° 3).



Contrairement à ce que soutient la société [4], ces déclarations de Monsieur [I] ne sont pas suffisantes à établir qu'il a cessé d'être exposé au risque à partir de 1991.



Au contraire, il ressort du rapport d'enquête produit par la société que si une date de fin d'exposition au risque de Monsieur [I] peut être établie, celle-ci est nécessairement fixée à compter de 1994.

Ainsi, Monsieur [I] a bien été exposé antérieurement et postérieurement au 30 mars 1993, de sorte que le moyen tiré de l'application de l'article 2 2° de l'arrêté du 16 octobre 1995 n'est pas fondé.



Dans ces conditions, c'est à bon droit que la CARSAT a maintenu les incidences financières de la maladie professionnelle déclarée sur le compte employeur de la société.



En conséquence, la CARSAT sollicite le débouté de la société [4] de l'ensemble de ses demandes.



MOTIFS DE L'ARRET.

Attendu que les articles D.242-6-5 alinéa 4 et D.242-6-7 alinéa 4 du code de la sécurité sociale [issus du décret n°2010-753 du 5 juillet 2010 fixant les règles de tarification des risques accidents du travail et maladies professionnelles (ci-après AT/MP)] prévoient que les dépenses engagées par les caisses d'assurance maladie par suite de la prise en charge de maladies professionnelles constatées ou contractées dans des conditions fixées par un arrêté ministériel ne sont pas comprises dans la valeur du risque ou ne sont pas imputées au compte employeur mais sont inscrites à un compte spécial.

Qu'aux termes des dispositions de l'article 2 de l'arrêté du 16 octobre 1995 (relatif à la tarification des risques accidents du travail et maladies professionnelles) pris pour l'application de l'article D.242-6-5 précité, dans sa rédaction applicable, sont inscrites au compte spécial les maladies professionnelles dans les cas suivants :

1° La maladie professionnelle a fait l'objet d'une première constatation médicale entre le 1er janvier 1947 et la date d'entrée en vigueur du nouveau tableau de maladies professionnelles la concernant ;

2° La maladie professionnelle a fait l'objet d'une première constatation médicale postérieurement à la date d'entrée en vigueur du tableau la concernant, mais la victime n'a été exposée au risque de cette maladie professionnelle qu'antérieurement à la date d'entrée en vigueur dudit tableau, ou la maladie professionnelle reconnue en application des troisième et quatrième alinéas de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale a été constatée postérieurement au 29 mars 1993, mais la victime n'a été exposée au risque de cette maladie professionnelle qu'antérieurement au 30 mars 1993 ;

3° La maladie professionnelle a été constatée dans un établissement dont l'activité n'expose pas au risque mais ladite maladie a été contractée dans une autre entreprise ou dans un établissement relevant d'une autre entreprise qui a disparu ou qui ne relevait pas du régime général de la sécurité sociale ;

4° La victime de la maladie professionnelle a été exposée au risque successivement dans plusieurs établissements d'entreprises différentes sans qu'il soit possible de déterminer celle dans laquelle l'exposition au risque a provoqué la maladie ;

5° La maladie professionnelle reconnue en application des troisième et quatrième alinéas de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale a été constatée entre le 1er juillet 1973 et le 29 mars 1993.

6° La maladie est reconnue d'origine professionnelle en lien avec une infection par le SARS-CoV2, sur la base du tableau n° 100 ' Affections respiratoires aiguës liées à une infection au SARS-CoV2 ' ou en application de l'alinéa 7 de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale

Attendu que la demande présentée par la société [4] au titre du 2° de l'article 2 de l'arrêté du 16 octobre 1995 l'est au titre de la deuxième partie de ce texte puisque la maladie a été prise en charge sur le fondement d'un avis du CRRMP à titre de maladie hors-tableau.



Qu'il appartient à la demanderesse en application du texte précité et des articles 1356 du Code Civil et 9 du code de procédure civile d'établir l'exposition de la victime uniquement antérieurement au 30 mars 1993, étant relevé que la reconnaissance de la maladie sur le fondement de l'alinéa 4 devenu alinéa 7 de l'article L.461-1 du Code de la sécurité sociale et sa constatation postérieurement au 29 mars 1993 sont non contestées et établies.



Que rien ne justifie en effet de faire supporter à la CARSAT Rhône-Alpes la charge de la preuve de l'exposition au risque du salarié postérieurement à cette dernière date, l'inversion de la charge de la preuve de l'exposition ne s'appliquant qu'en matière de contestation de l'exposition par l'employeur impacté ainsi que dans le cadre de l'application des dispositions du 3° de l'article 2 de l'arrêté du 16 octobre 1995.

Attendu que la demanderesse n'a pas produit l'avis du CRRMP et que la Cour se trouve donc dans l'incapacité de déterminer la nature de l'agent chimique à l'origine de la pathologie litigieuse.

Qu'alors qu'elle supporte la charge de la preuve la demanderesse n'établit donc aucunement que le salarié n'ait plus été exposé au risque après le 29 mars 1993 puisque l'on ignore même la nature exacte de ce risque.

Qu'au surplus, comme le fait justement remarquer la CARSAT, il résulte des indications du rapport d'enquête que le salarié a continué postérieurement au 29 mars 1993 à être exposé à des produits chimiques, dont l'on ignore cependant s'ils sont à l'origine de sa pathologie, puisqu'il est relevé par l'enquêteur que de 1991 à 1994 le salarié effectuait le dépotage des big bag d'hydroquinone et qu'il a déclaré que jusqu'au 29 février 2000, date de son départ en retraite, il n'était presque plus en contact avec des produits chimiques, ce dont il résulte qu'il était toujours en contact avec ces derniers, certes de manière très limitée.

Que la demanderesse succombant dans la charge de la preuve qui lui incombe, il convient de la débouter de sa demande d'inscription des coûts litigieux au compte spécial.



Attendu que succombant en ses prétentions, la demanderesse doit être condamnée aux dépens.



PAR CES MOTIFS.

La cour, statuant par arrêt contradictoire rendu en audience publique par sa mise à disposition au greffe,

Déboute la société [4] de sa demande d'inscription au compte spécial des coûts de la maladie déclarée par Monsieur [B] [I].

Dit bien fondée la décision de la CARSAT Rhône-Alpes de maintenir sur le compte employeur de la société [4] les conséquences financières de la maladie professionnelle déclarée par Monsieur [B] [I].



Condamne la société [4] aux dépens.







Le greffier, Le président,

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