17 avril 2024
Cour d'appel de Douai
RG n° 23/00031

JRDP

Texte de la décision

AU NOM DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



COUR D'APPEL DE DOUAI







JURIDICTION CIVILE DU PREMIER PRÉSIDENT

EN MATIÈRE DE RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES









minute n° 10/24



n° RG : 23/0031





A l'audience publique du 17 avril 2024 tenue par M. Jean SEITHER, premier président, assisté de

M. Christian BERQUET, greffier, a été prononcée l'ordonnance suivante :







Sur la requête de :



M. [U] [D], né le [Date naissance 5] 1998 à [Localité 8]

demeurant [Adresse 2] [Localité 8]



ayant pour avocat Me Jéromine ARMAND, avocat au barreau de Lille, demeurant [Adresse 1] [Localité 3]













Les débats ayant eu lieu à l'audience du 21 février 2024, à 10 heures



L'audience était présidée par M. Jean SEITHER, premier président, assisté de M. Christian BERQUET, greffier ;









En présence de :



MONSIEUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL PRES LA COUR D'APPEL DE DOUAI,



représenté par M. Jean-Baptiste MIOT, substitut général







L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

Direction des affaires juridiques

dont le siège est situé Sous Direction du Droit Privé

[Adresse 6]

[Localité 4]



ayant pour avocat Me Maxime DESEURE, avocat au barreau de Béthune















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Exposé de la cause



Par requête reçue au greffe de la cour d'appel le 30 août 2023, M. [U] [D] a présenté une demande en indemnisation en raison d'une détention provisoire injustifiée.



Par jugement contradictoire à signifier en date du 12 septembre 2022, le tribunal correctionnel de Lille a déclaré M. [D] coupable des faits de vol de véhicule en réunion et l'a condamné à la peine de 12 mois d'emprisonnement avec mandat d'arrêt.



M. [D] a interjeté appel de ce jugement le 16 septembre 2022. Il a été écroué, en exécution du mandat d'arrêt, le 27 janvier 2023.



Par arrêt en date du 25 avril 2023, la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Douai a infirmé le jugement du tribunal correctionnel de Lille et relaxé M. [D].



La détention de M. [D] a donc duré du 27 janvier 2023 (date de son incarcération) au 25 avril suivant (date de l'arrêt de relaxe), soit pendant 88 jours.



Pour cette détention injustifiée, il sollicite que lui soient allouées les sommes de :



- 5.000 € en réparation de son préjudice moral ;

- 5.972,72 € au titre du préjudice matériel ;

- 1.500 € au titre des frais irrépétibles.



Dans ses conclusions des 20 novembre 2023 et 19 février 2024, l'agent judiciaire de l'Etat propose que le préjudice moral du requérant soit réparé à hauteur de 5.000 € et que sa demande d'indemnisation présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile soit réduite à de plus justes proportions. Il propose de débouter M. [D] du surplus de ses demandes.

Dans ses conclusions en date du 23 novembre 2023, le ministère public requiert que le préjudice moral de M. [D] soit indemnisé à hauteur de 5.000 € et s'en rapporte aux conclusions de l'agent judiciaire de l'Etat au sujet de la réparation du préjudice matériel et de l'article 700 du code de procédure civile.



Au terme des débats tenus le 21 février 2024, le premier président a indiqué qu'il mettait l'affaire en délibéré au 17 avril 2024.



Et, après en avoir délibéré conformément à la loi,



vidant son délibéré à l'audience de ce jour,






SUR CE,



Sur la recevabilité :



Aux termes de l'article 149 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.



Cet article précise, toutefois, qu'aucune réparation n'est due lorsque la personne était, dans le même temps, détenue pour autre cause.



En application de l'article R. 26 du code de procédure pénale, la requête en indemnisation doit être signée du demandeur ou d'un des mandataires mentionnés à l'article R. 27 du code de procédure pénale, doit contenir le montant de l'indemnité demandée, doit être présentée dans un délai de six mois à compter du jour où la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement acquiert un caractère définitif, ce délai ne courant que si, lors de la notification de cette décision, la personne a été avisée de ce droit ainsi que des dispositions de l'article 149-1 du code de procédure pénale.



En l'espèce, la requête a été reçue par le greffe de la cour d'appel de Douai le 30 août 2023, soit dans le délai de six mois suivant l'arrêt de la cour d'appel de Douai en date du 25 avril 2023.

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Figure au dossier un certificat établi par le greffe de la cour d'appel de Douai en date du 25 juillet 2023 attestant qu'aucun pourvoi en cassation n'a été formé à l'encontre de cet arrêt.



En conséquence, l'arrêt est définitif et la requête ayant été présentée dans le délai légal, il y a lieu de la déclarer recevable.



Sur le préjudice moral :



Le préjudice moral résultant d'une incarcération injustifiée constitue une évidence de principe.



La preuve de conditions exceptionnelles ou ayant entraîné des conséquences personnelles excédant les conséquences liées à toute privation de liberté en milieu carcéral peut justifier une indemnisation proportionnellement plus élevée. Par contre, la souffrance morale résultant du choc de l'incarcération se trouve minorée par le passé carcéral de la personne détenue.



En l'espèce, il convient tout d'abord de relever que le bulletin n° 1 du casier judiciaire de M. [D] ne mentionne qu'une seule condamnation, prononcée par le tribunal correctionnel de Béziers le 3 novembre 2021 au suivi d'un stage de citoyenneté pour des faits de violence en réunion avec incapacité de travail inférieure à 8 jours.



La détention litigieuse est donc la première incarcération de M. [D]. Le choc carcéral lié à sa mise en détention le 27 janvier 2023 s'en est donc trouvé aggravé.



Par ailleurs, le requérant fait valoir que sa détention a été particulièrement dommageable du fait qu'elle l'a empêché de comparaître en Belgique le 13 février 2023 et ensuite le 16 mars 2023 dans le cadre d'une autre affaire pénale et que jugé en son absence et condamné par la juridiction belge, il a fait l'objet d'un mandat d'arrêt européen en exécution duquel il a été remis aux autorités judiciaires belges dès qu'il a été relaxé par la cour d'appel de Douai.

La fiche pénale révèle toutefois que le mandat d'arrêt européen a été délivré par les autorités belges dès le 5 décembre 2022, soit plus d'un mois avant la détention litigieuse.



Par ailleurs, l'extrait du jugement du tribunal correctionnel de Tournai du 6 avril 2023 dont il ressort qu'il a été condamné par défaut à une peine de 5 années d'emprisonnement pour des faits qui ne ressortent pas de cette pièce n'apporte pas la démonstration de ce que la sanction prononcée ait été aggravée par l'absence de M. [D], ni que ce dernier se soit trouvé dans l'incapacité d'exercer contre cette décision son droit à recours.



Il ne ressort donc pas de ces éléments une cause d'aggravation du préjudice moral de M. [D].



Au vu de l'ensemble de ces éléments, il sera alloué à M. [D] la somme de 5.000 euros en réparation de son préjudice moral.



Sur le préjudice matériel :



Au titre du préjudice matériel, le requérant sollicite une indemnité de 754,08 € correspondant à deux mensualités de son prêt immobilier, une somme de 3.218,64 € au titre de la perte de deux mois de salaire et celle de 2.000 € au titre de ses frais d'avocat.



En ce qui concerne le prêt immobilier, M. [D] ne justifie pas de la situation d'impayé durant la détention ni d'éventuelles pénalités infligées par le prêteur.



Il sera donc débouté de ce chef de demande.



S'agissant de la perte de chance de percevoir un revenu, le requérant produit à l'appui de sa demande un contrat de travail de trois mois en intérim entre septembre et novembre 2022. Cependant, M. [D] ne démontre pas qu'il travaillait au moment de son placement en détention.



L'intéressé se prévaut aussi d'une perte de chance de percevoir un revenu par suite de l'impossibilité pour lui d'occuper un emploi de vendeur automobile au sein de la société [7] dont il avait reçu le 2 février 2023 une promesse d'emploi moyennant un salaire mensuel de 1709,32€.





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Contrairement aux prétentions du demandeur à l'instance, le préjudice indemnisable au titre de la perte de chance ne peut être constitué de salaires attendus au cours de la période de détention injustifiée mais de la seule réparation de la chance perdue d'occuper un emploi dont la concrétisation serait intervenue en l'absence de cette détention.



M. [D] est irrecevable en ce chef de demande.



Enfin s'agissant des frais d'avocat, seuls les honoraires correspondant aux prestations directement liées à la privation de liberté sont indemnisables.



Or, le requérant produit aux débats une facture en date du 25 avril 2023 qui concerne la défense pénale au fond et non le contentieux de la liberté.



En conséquence, M. [D] ne peut qu'être débouté de l'ensemble de ses demandes présentées au titre du préjudice matériel.



Sur l'article 700 du code de procédure civile :



M. [D] sollicite la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Il sera alloué à M. [D] la somme de mille euros (1.000 €) au titre des frais engagés pour la présente procédure.



Sur les dépens :



Les dépens seront laissés à la charge du Trésor public.





PAR CES MOTIFS,



Après débats en audience publique,



statuant publiquement et contradictoirement,



DECLARONS recevable la requête de M. [U] [D] ;



ALLOUONS à M. [U] [D] la somme de cinq mille euros (5.000 €) au titre de son préjudice moral ;



DEBOUTONS M. [U] [D] de sa demande au titre du préjudice matériel ;



ALLOUONS à M. [U] [D] la somme de mille euros (1.000 €) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;



LAISSONS les dépens à la charge du Trésor Public.



Ainsi fait, jugé et prononcé par M. Jean SEITHER, premier président de la cour d'appel de DOUAI, le 17 avril 2024,



en présence de M. Jean-Baptiste MIOT, substitut général,



assisté de M. Christian BERQUET, greffier qui a signé la minute avec le premier président.



Le greffier Le premier président







C. BERQUET J. SEITHER

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