13 September 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-81.655

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:CR00902

Texte de la décision

N° Q 21-81.655 F-D

N° 00902


SL2
13 SEPTEMBRE 2022


CASSATION PARTIELLE


M. BONNAL conseiller le plus ancien faisant fonction de président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 13 SEPTEMBRE 2022



M. [E] [F], d'une part, et M. [O] [T], partie civile, d'autre part, ont formé des pourvois contre l'arrêt n° 37/2021 de la cour d'appel de Fort-de-France, chambre correctionnelle, en date du 25 février 2021, qui, pour complicité de diffamation publique envers un particulier, a condamné, le premier à 3 000 euros d'amende avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils, et a débouté le second de ses demandes après relaxe de Mme [H] [I] du chef de diffamation publique envers un particulier.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de M. Dary, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [O] [T], les observations de la SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller, avocat de M. [E] [F], les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de Mme [H] [I], et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents M. Bonnal, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Dary, conseiller rapporteur, Mme Ménotti, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 9 octobre 2017, M. [O] [T] a porté plainte et s'est constitué partie civile du chef de diffamation publique envers un particulier et de complicité de ce délit en raison des propos publiés dans un article de la revue
« Inter entreprises », hors-série de septembre 2017, dont Mme [I] est la directrice de publication : « Selon M. [E] [F], le système comportait quelques particularités : [2] a décidé de vendre sa production, notamment des poulets, à perte, à la société [1]. Elle a notamment vendu à cette même société de la marchandise congelée en fin de date limite de consommation (DLC) à un prix dérisoire. Cette marchandise bradée était fortement subventionnée par le Poséi. En contrepartie, le gérant de [1] a versé des sommes d'environ 4 000 euros à chaque fois, en espèces, puis en chèques aux dirigeants de [2], soit M. [T], président de [2] et de l'MTV. »

3. Par ordonnance en date du 15 février 2019, le juge d'instruction a renvoyé Mme [I] devant le tribunal correctionnel, en qualité de directrice de publication et d'auteure, du chef de diffamation publique envers un particulier et M. [F] du chef de complicité de ce délit.

4. Par jugement du 2 juin 2019, le tribunal correctionnel a rejeté l'exception de nullité de la plainte initiale, condamné les prévenus des chefs susvisés à
3 000 euros d'amende avec sursis, chacun, et prononcé sur les intérêts civils.

5. Les prévenus ont relevé appel de la décision et le ministère public,
appel incident.




Examen des moyens

Sur les premier, deuxième, troisième et cinquième moyens proposés pour M. [F] et le moyen unique, pris en sa première branche, proposé pour M. [T]


6. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.


Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche, proposé pour
M. [T]

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmé le jugement en prononçant la relaxe de Mme [I] du chef de diffamation publique envers un particulier, alors « que la reprise d'une imputation diffamatoire constitue elle-même une diffamation qui implique l'intention de nuire et que cette présomption ne peut disparaître qu'en présence de faits justificatifs de nature à faire admettre la bonne foi ; que n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 23, 29, alinéa 1, 32 alinéa 1, 42, 43, 48, 55 de la loi du 29 juillet 1881, 121-6 et 121-7 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale et a procédé par voie de contradiction de motifs, la cour d'appel qui a relaxé Mme [I] au bénéfice de la bonne foi aux motifs qu'elle s'était « contentée de retranscrire les propos de [E] [F], sans les déformer, ni les reprendre à son compte », quand elle relevait, dans le même temps, que « les propos litigieux, de par leur caractère totalement dénué de mesure et de prudence, posés en forme d'attaque personnelle par leur auteur, non vérifiés par la directrice de la publication (…), ne reposaient donc pas sur une base factuelle suffisante. »

Réponse de la Cour

8. Pour infirmer le jugement et prononcer la relaxe de Mme [I], l'arrêt attaqué énonce, tout d'abord, après avoir retenu que les propos poursuivis portaient atteinte à l'honneur de la partie civile, que, si la parution du numéro spécial de la revue Inter entreprises pouvait poursuivre un but d'intérêt général, les propos litigieux, qui n'avaient pas été vérifiés par la directrice de la publication, ne reposaient pas sur une base factuelle suffisante.

9. Les juges relèvent, ensuite, que Mme [I] a reproduit les propos diffamatoires en les citant entre guillemets, précisant qu'ils avaient été tenus par M. [F].

10. Ils en concluent que, n'ayant ni repris à son compte ni déformé ces propos, Mme [I] n'a pas dépassé les limites admissibles de la liberté d'expression, permettant, dès lors, son admission au bénéfice de la bonne foi, sans avoir à justifier d'une enquête sérieuse.

11. En se déterminant ainsi la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.

12. En premier lieu, Mme [I] a reproduit des propos tenus par un tiers sans les reprendre à son compte.

13. En deuxième lieu, la diffusion de ces propos, rendue possible par une enquête sérieuse, dont la prévenue justifie, participe d'un débat d'intérêt général portant sur des détournements allégués susceptibles d'avoir des conséquences en termes de santé publique, contribuant ainsi à la légitime information du public.

14. Enfin, il ne peut, dans ces conditions, être reproché à la journaliste un prétendu manque de prudence ni l'éventuelle insuffisance de la base factuelle des seuls propos tenus par le tiers.

15. Dès lors, le grief n'est pas fondé.

Mais sur le quatrième moyen proposé pour M. [F]

Enoncé du moyen

16. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [F] coupable de complicité de diffamation envers M. [T], alors que « la liberté d'expression protégée notamment par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ne peut faire l'objet d'une limitation qu'à la condition d'être nécessaire dans une société démocratique et proportionnée au but légitime poursuivi ; que l'ingérence doit être examinée à la lumière de l'ensemble de l'affaire, y compris la teneur des propos reprochés au prévenu et le contexte dans lequel celui-ci les a tenus, notamment lorsqu'il s'agit d'un débat d'intérêt général ou politique ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a porté une atteinte excessive à la liberté d'expression et n'a pas légalement justifié sa décision en écartant la bonne foi de M. [F], sans égard pour le contexte d'intérêt général dans lequel se sont inscrits ces propos, méconnaissant ainsi les articles 6 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 29 et 31 de la loi du
29 juillet 1881 »



Réponse de la Cour

Vu les articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 593 du code de procédure pénale :

17. La liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que dans le cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 du premier de ces textes.

18. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

19. Il se déduit de ces trois textes que, si c'est au seul auteur d'imputations diffamatoires qui entend se prévaloir de sa bonne foi d'établir les circonstances particulières qui démontrent cette exception, celle-ci ne saurait être légalement admise ou rejetée par les juges qu'autant qu'ils analysent les pièces produites par le prévenu et énoncent précisément les faits sur lesquels ils fondent leur décision.

20. Pour confirmer le jugement en ce qu'il a refusé à M. [F] le bénéfice de la bonne foi, l'arrêt énonce que, si la parution de l'article sur les filières viandes aux Antilles et en Guyane pouvait poursuivre un but d'intérêt général, les propos litigieux, totalement dénués de mesure et de prudence, posés en forme d'attaque personnelle par leur auteur et visant nommément la partie civile comme auteur de délits d'atteinte à la probité dont la vraisemblance est sujette à caution, ne reposaient pas sur une base factuelle suffisante.

21. Les juges ajoutent que l'intention de nuire se déduit de ce qui précède et de la tenue des propos par M. [F] lors d'une conférence de presse.

22. En se déterminant ainsi, alors que les propos litigieux participaient d'un débat d'intérêt général portant, en l'espèce, sur des détournements allégués de subventions publiques dans une filière de production de viande, susceptibles d'avoir des conséquences en termes de santé publique, la cour d'appel, qui devait analyser précisément les pièces produites par le prévenu et les déclarations du témoin cité, au soutien de l'exception de bonne foi, éléments énumérés dans l'offre de preuve, afin d'apprécier, en considération de ce qui précède, la suffisance de la base factuelle, n'a pas justifié sa décision.

23. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.



Portée et conséquences de la cassation

24. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à la déclaration de culpabilité, au prononcé de la peine et aux intérêts civils concernant M. [F]. Les autres dispositions seront donc maintenues.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Fort-de-France, en date du 25 février 2021, mais en ses seules dispositions relatives à la déclaration de culpabilité, au prononcé de la peine et aux intérêts civils concernant M. [F], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Basse-Terre, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

CONDAMNE M. [T] à payer à Mme [I] la somme de 2 500 euros en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Fort-de-France et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le treize septembre deux mille vingt-deux.

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