13 October 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-86.605

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2021:CR01216

Texte de la décision

N° Z 20-86.605 F-D

N° 01216


GM
13 OCTOBRE 2021


CASSATION


M. SOULARD président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 13 OCTOBRE 2021



M. [L] [H] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 5-2, en date du 14 septembre 2020, qui, statuant après cassation (Crim., 6 mars 2019, pourvoi n° 17-86.445), pour abus de confiance, l'a condamné à trois ans d'emprisonnement dont deux ans avec sursis, cinq ans d'interdiction professionnelle et a prononcé sur les intérêts civils.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. Ascensi, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boullez, avocat de M. [L] [H], et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 15 septembre 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. Ascensi, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Dans le cadre de dispositifs de défiscalisation prévus notamment par les lois dites Monuments historiques ou Malraux, visant à la sauvegarde et à la valorisation du patrimoine, M. [H], à travers un ensemble de sociétés, dénommé Groupe quarante, comprenant notamment la société Continentale TMO (CTMO) qu'il dirigeait, ayant pour objet la réalisation de tous travaux du bâtiment par sous-traitance à des entreprises qualifiées et la maîtrise d'ouvrage pour le compte de tiers, et ses filiales Résonnance, créées pour chaque opération immobilière, a vendu à des investisseurs, la plupart regroupés au sein d'associations foncières, associations foncières urbaines libres (AFUL) ou associations syndicales libres (ASL), qu'il avait constituées et qui étaient dirigées par un employé du Groupe quarante, des biens immobiliers situés en secteur sauvegardé ou inscrits à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques, nécessitant d'importants travaux de restauration ou de réhabilitation ouvrant droit à des avantages fiscaux. Pour la réalisation de ces travaux, les AFUL et ASL, qui avaient la qualité de maître d'ouvrage, ont conclu avec la société CTMO, maître d'oeuvre, des contrats de marchés de travaux tous corps d'état pour lesquels des acomptes et avances ont été réglés au fur et à mesure de l'avancement des travaux.

3. Au terme de l'information judiciaire ouverte à la suite de différentes plaintes des investisseurs, des AFUL et des ASL, M. [H] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour avoir détourné des fonds qui lui avaient été remis en sa qualité de dirigeant du Groupe quarante et notamment de la société CTMO et des sociétés Résonance, qu'il avait acceptés à charge de les rendre ou représenter ou d'en faire un usage déterminé, à savoir le financement des travaux dûment autorisés par les administrations compétentes, en l'espèce en prélevant des fonds sur les AFUL ou ASL avant l'obtention des autorisations administratives et des sommes importantes avant même le début des travaux, en continuant de prélever des sommes alors que les travaux étaient arrêtés, en consacrant des fonds manifestement insuffisants à la réalisation des travaux au regard du montant total ayant été perçu des copropriétaires à cette fin, en prélevant une somme forfaitaire excessive au bénéfice du Groupe quarante, faussement présentée comme une marge avant le début des travaux et la constitution du bénéfice, en affectant les fonds appelés pour une opération à une autre opération, en constatant des produits et charges par avance, générant ainsi un bénéfice et des distributions de dividende avant tout commencement des travaux.

4. Le tribunal correctionnel l'a déclaré coupable de ces faits et l'a condamné à trois ans d'emprisonnement dont deux ans avec sursis et mise à l'épreuve par un jugement dont il a interjeté appel.



5. Par arrêt du 12 septembre 2017, la cour d'appel a condamné le prévenu à trois ans d'emprisonnement et à cinq ans d'interdiction professionnelle. Elle a par ailleurs prononcé sur les intérêts civils.

6. M. [H] et la société CTMO, partie civile, se sont pourvus en cassation.

7. Par arrêt du 6 mars 2019 (pourvoi n° 17-86.445), la chambre criminelle a cassé l'arrêt de la cour d'appel en ses dispositions relatives à la déclaration de culpabilité de M. [H], aux peines prononcées à son encontre et aux intérêts civils afférents à ce délit.

8. L'affaire a été renvoyée devant la même cour d'appel autrement composée.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche


9. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.


Mais sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [H] coupable d'abus de confiance, alors :

« 1°/ que l'abus de confiance ne peut porter que sur des fonds, valeurs ou biens remis à titre précaire ; qu'en l'espèce, pour déclarer le prévenu coupable d'abus de confiance, la cour d'appel a retenu qu'il avait détourné les fonds remis par les investisseurs, parties civiles, et destinés à la restauration ou à la transformation d'immeubles ou de monuments historiques aux fins d'obtenir un avantage fiscal, ce qui impliquait qu'ils devaient être employées conformément à leur destination ; qu'en statuant comme elle l'a fait, alors que les fonds remis en vertu de contrats de marchés de travaux l'ont été en pleine propriété, peu important que les sommes versées, utilisées à des fins étrangères à l'exécution des travaux, ouvraient droit à un avantage fiscal, l'accipiens n'assumant sur celles-ci aucune obligation d'affectation qui permettrait d'en établir le détournement, la cour d'appel a méconnu l'article 314-1 du code pénal. »



Réponse de la Cour

Vu l'article 314-1 du code pénal :

11. Il résulte de ce texte que l' abus de confiance ne peut porter que sur des fonds, valeurs ou biens remis à titre précaire.

12. Pour déclarer M. [H] coupable d'abus de confiance, l'arrêt retient d'abord que, dès l'acquisition de leurs lots, les investisseurs s'engageaient pour une opération de réhabilitation finalisée, sous l'égide et l'entière dépendance du Groupe quarante, qui seule leur permettait d'obtenir l'avantage de la défiscalisation, et que c'est dans ce contexte que doivent être analysés les marchés de travaux à propos desquels le prévenu soutient qu'ils ont donné lieu à transfert de propriété des fonds que les maîtres de l'ouvrage devaient verser en exécution du contrat.

13. Les juges ajoutent qu'outre le fait que les conventions afférentes à certaines opérations de réhabilitation ne prévoyaient nullement le paiement d'acomptes et d'avances, des fonds ont par ailleurs été versés par les investisseurs à la société CTMO avant même la conclusion des conventions prévoyant le versement de tels acomptes et avances.

14. Ils précisent que, si les marchés conclus à partir de l'année 2003 contenaient une clause prévoyant que l'entrepreneur pourrait demander des avances et des acomptes, il était également prévu que l'entrepreneur était tenu envers le maître de l'ouvrage d'une obligation de résultat concernant la livraison d'un ouvrage conforme aux présentes dispositions contractuelles et exempt de tout vice dans le délai convenu, les termes « avances » et « acomptes » n'induisaient pas un transfert de propriété sur les fonds remis et il résultait au contraire de ces prévisions contractuelles et de l'obligation pour l'entrepreneur d'établir une situation de travaux tous les 25 du mois, vérifiée par l'architecte, que les versements avaient un caractère précaire pour devoir être affectés prioritairement à l'exécution des travaux prévus, la perception par le promoteur des bénéfices tirés de l'opération ne pouvant avoir lieu qu'une fois les travaux achevés en exécution de l'obligation de résultat contractée par l'entrepreneur.

15. Enfin, les juges énoncent que les investisseurs recherchaient un avantage fiscal auquel ils ne pouvaient prétendre que du fait de la réalisation des travaux de réhabilitation, en sorte que les fonds apportés par les plaignants aux associations foncières devaient être nécessairement et prioritairement affectés à la réalisation des travaux tels qu'autorisés, que les fonds affectés par de telles associations foncières urbaines à l'exécution de travaux ouvrant droit à ses membres à une défiscalisation au titre de travaux de réhabilitation avaient ainsi un usage déterminé, et qu'en conséquence se trouvait démontré le caractère précaire de la remise des fonds par les plaignants.

16. En se déterminant ainsi, alors qu'à l'exception des versements de fonds dénués de fondement contractuel et qui, pour ce motif, ont nécessairement été remis à la société CTMO de façon précaire, elle avait constaté que les fonds, remis en vertu de contrats de marchés de travaux, l'avaient été en pleine propriété, peu important que les sommes versées, utilisées à des fins étrangères à l'exécution des travaux, ouvraient droit à un avantage fiscal, la cour d'appel, a méconnu le texte susvisé.

17. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 14 septembre 2020, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 5-2 et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le treize octobre deux mille vingt et un.

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