26 February 2019
Cour d'appel de Paris
RG n° 17/02136

Pôle 6 - Chambre 8

Texte de la décision

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 26 FEVRIER 2019



(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/02136 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B2TC3



Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Novembre 2016 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 15/09343



APPELANT



Monsieur [E] [T]

[Adresse 1]

[Localité 2]

né le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 3]



Comparant en personne, assisté de Me Frédéric CHHUM, avocat au barreau de PARIS, toque : A0929

Plaidé par Me Camille BONHOURE, avocat au barreau de PARIS, toque : A0929



INTIMEE



SA FRANCE TELEVISIONS

[Adresse 2]

[Localité 1]



Représentée par Me Marc BORTEN du cabinet LEANDRI ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : R271

Plaidée par Me Dimitri PRORELIS du cabinet LEANDRI ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : R271



COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 25 Octobre 2018, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Pascale MARTIN, Président de chambre

Madame Nadège BOSSARD, Conseillère

Monsieur Benoît DEVIGNOT, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.





Greffier, lors des débats : Mme Géraldine BERENGUER





ARRET :



- CONTRADICTOIRE

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Pascale MARTIN, Président et par Claudia CHRISTOPHE, greffière de la mise à disposition, à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire






FAITS- PROCÉDURE-PRÉTENTIONS DES PARTIES



M [E] [T] était engagé selon plusieurs contrats à durée déterminée par la société FRANCE3 à compter de février 1982, sauf entre janvier 1987 et avril 1989, le dernier contrat étant terminé fin octobre 1990.



En mars 1987, il collaborait selon le même mode avec la société FRANCE 2, collaboration arrêtée en 1988 et sur une partie de l'année 1989, puis reprise, le dernier contrat à durée déterminée ayant abouti à un contrat à durée indéterminée signé le 1er mai 2003, M [E] [T] ayant la qualité de 'responsable de la mise à l'antenne des bandes annonces', pour une rémunération brute annuelle de 43.200€ payée en 12 versements mensuels, à titre forfaitaire et 'incompatible avec le paiement d'autres primes ou indemnités'.

Il était mentionné que l'ancienneté de M [E] [T] était fixée à 9 ans 6 mois et 17 jours, soit remontant au 30 mars 1987.



A la suite de l'intégration de la société FRANCE 2 à la société FRANCE TÉLÉVISIONS et de l'accord collectif du 28 mai 2013, l'employeur remettait le 2 septembre 2013 un avenant prévoyant que l'emploi était celui de 'chef d'exploitation antennes' relevant de la classification cadre 3 spécialisé (7S) au niveau d'expertise, au niveau de placement 21, avec une rémunération annuelle globale brute de 53.204,16 €, pour un temps complet, se décomposant selon un salaire mensuel brut de 4.249,48 € et une prime d'ancienneté mensuelle de 184,20 €.



Le salarié contestait les dispositions de l'avenant par divers courriers, refusait de le signer et saisissait le conseil des prud'hommes de PARIS le 24 juillet 2015 aux fins de rappels de salaires et de primes d'ancienneté.



Par jugement du 15 novembre 2016, le conseil des prud'hommes déboutait M [E] [T] de l'ensemble de ses demandes et le condamnait aux dépens.



En suite de l'appel de M [E] [T] le 2 février 2017, les parties ont été convoquées à l'audience du 25 octobre 2018.




Selon conclusions reprises oralement, M [E] [T] demande à la cour de :

INFIRMER le jugement du Conseil de prud'hommes du 15 novembre 2016 ;

Statuant à nouveau,

CONSTATER que Monsieur [T] s'est vu imposer une modification de son contrat de travail ;

EN CONSÉQUENCE,

CONSTATER que FRANCE TELEVISIONS a unilatéralement, et illicitement, modifié la structure de la rémunération de Monsieur [T] ;

FIXER la rémunération brute mensuelle de Monsieur [T] (hors prime d'ancienneté et prime de toute nature) à 4.589 euros ;

CONDAMNER FRANCE TELEVISIONS à payer à Monsieur [T] les sommes suivantes :

- 15.007,37 euros bruts à titre de rappels de salaires entre le 1er janvier 2013 et le 31 octobre 2018 ;

- 1.500,73 euros au titre des congés payés afférents ;

FIXER l'ancienneté de Monsieur [T] à 12 ans, 10 mois et 20 jours au 1er mai 2003 lors de son intégration en CDI ;

FIXER la prime d'ancienneté de Monsieur [T] à 527,83 euros bruts mensuels à la date de l'audience;

CONDAMNER FRANCE TELEVISIONS à payer à Monsieur [T] les sommes suivantes :

- 16.817,80 euros bruts euros bruts à titre de rappels de prime d'ancienneté entre le 1er janvier 2013 et le 31 octobre 2018 ;

-1.681,78 euros au titre des congés payés afférents ;

CONDAMNER FRANCE TELEVISIONS à créditer 2 jours de congés supplémentaires au Plan Epargne Temps de Monsieur [T] ;

CONDAMNER FRANCE TELEVISIONS à payer à Monsieur [T] les sommes suivantes :

- 1.654,63 euros bruts à titre de rappels de salaires dus au titre du Compte Epargne Temps monétisé entre 2014 et 2018 ou subsidiairement 826,31 euros bruts ;

- 165,46 euros bruts au titre des congés payés afférents ou subsidiairement 82,63 euros bruts ;

DANS TOUS LES CAS,

CONDAMNER FRANCE TELEVISIONS à payer à Monsieur [T] la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

ORDONNER les intérêts légaux à compter de la saisine du Conseil de prud'hommes du 24 juillet 2015; ORDONNER la remise de bulletins de paie papier rectificatifs par FRANCE TELEVISIONS, sous astreinte de 50 euros pour jour de retard à compter de la notification de la décision ; CONDAMNER FRANCE TELEVISIONS au paiement des dépens éventuels.



La SA FRANCE TELEVISIONS aux termes de ses écritures et lors des débats, demande à la cour de :

DIRE ET JUGER Monsieur [T] irrecevable et en toute hypothèse mal fondé en ses demandes, fins et conclusions,

CONFIRMER le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

En conséquence,

DEBOUTER Monsieur [T] de toutes ses demandes

CONDAMNER Monsieur [T] à payer à la Société FRANCE TELEVISIONS la somme de 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile

CONDAMNER Monsieur [T] aux entiers dépens.



Pour l'exposé plus détaillé des prétentions et moyens des parties, il sera renvoyé, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions des parties visées par le greffier à l'audience.




MOTIFS DE L'ARRÊT



Sur la structure de la rémunération et la demande de rappels de salaire :



Le salarié estime que l'employeur a unilatéralement modifié le montant et la structure de sa rémunération , sans son accord et produit un tableau des sommes réclamées du 1er janvier 2013 au 31 octobre 2018.



La société intimée considère que la transposition de M [E] [T] sur la nouvelle grille de classification n'a eu aucun effet sur le montant annuel brut de sa rémunération contractuelle qui est demeurée strictement identique, et dénie toute modification unilatérale.

Elle ajoute qu'elle a ainsi respecté la garantie conventionnelle de maintien du niveau de salaire fixe perçu au 31/12/2012 par le salarié, reprenant les termes de la lettre du 29 octobre 2013 adressée au salarié.



De façon générale, l'employeur ne peut modifier les éléments contractualisés du salaire sans l'accord du salarié concerné, qu'il s'agisse du montant du salaire et de ses accessoires, des taux horaires, des éléments du salaire ou du mode de rémunération contractuelle. La rémunération contractuelle d'un salarié, qui constitue un élément du contrat de travail, ne peut être modifiée unilatéralement par l'employeur.



En l'espèce, il résulte du contrat de travail et de ses avenants ainsi que des bulletins de salaires produits avant application de l'accord collectif que la rémunération brute mensuelle de M [E] [T] était fixée de façon forfaitaire et en dernier lieu en décembre 2012 à la somme de 4.291,67 € et que à compter de la transposition rétroactive au 1er janvier 2013, cette rémunération a été scindée en un salaire de base de 4.266,15 € soit inférieur à la rémunération visée ci-dessus à laquelle a été ajoutée une prime d'ancienneté.



Il est donc établi que le mode de rémunération contractuelle de M [E] [T] -lequel constitue un élément du contrat de travail- a été modifié sans son accord, en intégrant une prime d'ancienneté et en diminuant son taux de rémunération, peu important que l'employeur prétende que le nouveau mode de rémunération serait plus avantageux que l'ancien.



En conséquence, il convient de faire droit à la demande de rappels de salaire, sur la base du tableau produit par le salarié, les éléments chiffrés y figurant n'étant pas discutés par l'employeur.



Sur l'ancienneté du salarié :



Au visa de l'article 3.11 de l'accord collectif d'entreprise FRANCE TÉLÉVISIONS , M [E] [T] considère que son ancienneté acquise au sein de FRANCE 3, entre 1982 et 1990 doit être prise en compte proportionnellement à ses périodes d'emploi.

Il précise que dès lors, son ancienneté de 683 jours, soit 3 ans, 4 mois et 3 jours, aurait dû être prise en compte, en plus des 9 ans, 6 mois, 17 jours de collaboration avec FRANCE 2.

Il estime que lors de son intégration en contrat à durée indéterminée au sein de FRANCE 2 (entité, au même titre que FRANCE 3, de la SA FRANCE TELEVISIONS) le 1er mai 2003, il aurait donc dû bénéficier d'une ancienneté de 12 ans, 10 mois et 20 jours, une des raisons pour lesquels il a par la suite refusé de signer l'avenant qui lui a été soumis.



La société intimée indique que lorsqu'elle a recruté Monsieur [T] en mai 2003 en vertu d'un contrat de travail à durée indéterminée, la Société FRANCE 2 n'avait pas à prendre en compte les périodes d'intermittence accomplies par le salarié au sein de la Société FRANCE 3, entité distincte.

Elle précise que si du fait de la fusion, intervenue en 2010, la Société FRANCE TÉLÉVISIONS vient désormais aux droits et obligations des Sociétés FRANCE 2 et FRANCE 3, elle ne peut évidemment venir aux droits et obligations des sociétés fusionnées que sur la base des droits et obligations de ces dernières à la date de la fusion.

Enfin, elle estime que M [E] [T] ne peut non plus espérer se fonder sur les dispositions applicables en matière d'ancienneté telles qu'elles résultent de l'accord collectif d'entreprise FRANCE TÉLÉVISIONS du 28 mai 2013 dès lors que celles-ci n'étaient évidemment pas applicables à la Société FRANCE 2 le 1er mai 2003, date à laquelle le contrat de travail à durée indéterminée a été conclu.



Les arrêts cités par l'appelant sont inopérants puisqu'il est acquis que la collaboration avec FRANCE 3 a été intermittente , a pris fin en octobre 1990 , de sorte que la Société FRANCE 2, lorsqu'elle a conclu le contrat de travail de 2003, soit avant la fusion, ne pouvait prendre en considération l'ancienneté de M [E] [T] au sein d'une entité distincte.



Depuis janvier 2010 en application de la loi du 5 mars 2009 portant réforme de l'audiovisuel public, l'ensemble des Sociétés filiales qui composaient le Groupe FRANCE TÉLÉVISIONS ont été fusionnées en une entreprise unique, et l'article 3-11 de l'accord collectif d'entreprise du 28 mai 2013, a prévu : Les salariés sous contrat à durée indéterminée conservent, à la date d'entrée en vigueur du présent accord, le bénéfice de l'ancienneté qui leur a été reconnu à France Télévisions SA et dans les sociétés absorbées par France Télévisions SA en vertu de la loi n°2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public (France 2, France 3, France 4, France 5, FTVI et RFO).

Dans le cadre de la politique mobilité du groupe, les collaborations effectuées au sein d'une filiale du groupe France Télévision ( on entend par groupe l'ensemble des sociétés pour lesquelles France Télévisions est actionnaire majoritaire ) sont prises en compte dans le calcul de l'ancienneté au prorata des périodes d'emploi.

En tout état de cause, ces dispositions ne sont valables que si l'intéressé n'a pas perçu d'indemnités de licenciement, de rupture conventionnelle ou de départ en retraite pour ce laps de temps. (...)

Les périodes de collaboration sous contrat de travail à durée déterminée, de toute nature, effectuées pour l'entreprise sont prises en compte pour la détermination de l'ancienneté à partir de la date de première collaboration et proportionnellement aux périodes d'emploi et à la durée du travail de l'intéressé.>>



M [E] [T] n'est donc pas fondé à dire qu'il aurait dû bénéficier d'une ancienneté de 12 ans, 10 mois et 20 jours lors de son intégration en contrat à durée indéterminée le 1er mai 2003 mais il est en droit de voir cette ancienneté reconnue depuis cet accord collectif, conçu en termes généraux, lequel ne fait pas de distinction dans cet article.



Sur les rappels de primes d'ancienneté :



En application des dispositions de l'accord collectif sus-visé, et suivant tableaux chiffrés établis par M [E] [T] - non utilement contredits par la société dans leur montant-, il convient de faire droit à la demande de rappels de primes du salarié du 1er janvier 2013 au 31 octobre 2018.



Sur les autres demandes financières :



Avec une ancienneté de 12 ans 10 mois et 20 jours à la date d'application de l'accord collectif, M [E] [T] aurait donc dû bénéficier pour les années 2014 et 2015 de 2 jours supplémentaires de congés, qu'il appartiendra à son employeur de créditer sur son plan épargne temps.



La cour ayant fait droit aux demandes de M [E] [T] relatives à sa rémunération et à son ancienneté, le salarié est en droit de demander des rappels de salaire conformes au titre de ses jours de CET monétisés, selon le tableau produit de janvier 2014 à janvier 2018, l'employeur ne faisant aucune critique sur les montants réclamés à titre principal.



Sur les demandes accessoires :



Les créances salariales nées avant le 28 août 2015 - date de l'accusé de réception de la convocation devant le conseil des prud'hommes bénéficieront des intérêts au taux légal à compter de cette date et pour le surplus, les intérêts sont dûs à compter de la communication des écritures de M [E] [T] par voie électronique le 17 septembre 2018.



Il convient d'ordonner à la société intimée de remettre des bulletins de salaires conformes à la présente décision mais il n'est pas nécessaire de prévoir une astreinte.



Sur les frais et dépens :



La société intimée qui succombe totalement devra s'acquitter des dépens de 1ère instance et d'appel, sera déboutée de sa demande faite sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et sera condamnée à payer à ce titre à M [E] [T] la somme de 3.000 €.



PAR CES MOTIFS



La Cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,



*Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,



Statuant à nouveau et y ajoutant,



*Dit que la structure de la rémunération de M [E] [T] a été modifiée unilatéralement à compter du 1er janvier 2013, par la société FRANCE TÉLÉVISIONS,



*Dit que l'ancienneté de M [E] [T] devait être augmentée au 1er janvier 2013, de 3 ans 4 mois et 3 jours,



*Condamne la société FRANCE TÉLÉVISIONS à payer à M [E] [T] les sommes suivantes :

- 15.007,37 € bruts à titre de rappels de salaires entre le 1er janvier 2013 et le 31 octobre 2018,

-1.500,73 € au titre des congés payés afférents,

- 16.817,80 € bruts à titre de rappels de prime d'ancienneté entre le 1er janvier 2013 et le 31 octobre 2018,

- 1.681,78 € au titre des congés payés afférents,

- 1.654,63 € bruts à titre de rappels de salaires dus au titre du compte épargne temps monétisé entre 2014 et 2018,

- 165,46 € bruts au titre des congés payés afférents,



*Condamne la société FRANCE TÉLÉVISIONS à créditer 2 jours de congés supplémentaires au plan épargne temps de M [E] [T],



*Dit que les intérêts au taux légal sont dûs à compter du 28/08/2015 pour les créances salariales nées avant cette date et pour le surplus à compter du 17/09/2018,



*Ordonne à la société FRANCE TÉLÉVISIONS de délivrer à M [E] [T] des bulletins de salaires conformes à la présente décision,



*Dit n'y avoir lieu à astreinte,



*Condamne la société FRANCE TÉLÉVISIONS à payer à M [E] [T] la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,



*Condamne la société FRANCE TÉLÉVISIONS aux dépens de 1ère instance et d'appel.





LE GREFFIER LE PRESIDENT

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