5 juillet 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-24.712

Chambre sociale - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:SO00922

Titres et sommaires

QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE - Travail réglementation, santé et sécurité - Hygiène et sécurité - Principe de protection de la santé - Principe d'égalité devant la loi - Droit à l'emploi - Droits de la défense - Obligation vaccinale de l'article 12 et 14, II, de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 - Caractères nouveau et sérieux - Défaut - Non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel

Texte de la décision

SOC.

COUR DE CASSATION



CH9


______________________

QUESTION PRIORITAIRE
de
CONSTITUTIONNALITÉ
______________________





Audience publique du 5 juillet 2023




NON-LIEU A RENVOI


M. SOMMER, président



Arrêt n° 922 FS-B

Pourvoi n° R 22-24.712







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 5 JUILLET 2023

Par mémoire spécial présenté le 24 avril 2023, Mme [F] [O], domiciliée [Adresse 1], a formulé des questions prioritaires de constitutionnalité à l'occasion du pourvoi n° R 22-24.712 qu'elle a formé contre l'arrêt rendu le 8 juillet 2022 par la cour d'appel de Douai (chambre sociale), dans une instance l'opposant à l'Etablissement français du sang, dont le siège est [Adresse 2], et ayant un établissement Hauts-de-France Normandie, [Adresse 3].

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Chiron, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de Mme [O], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de l'Etablissement français du sang Hauts-de-France Normandie, et l'avis de M. Juan, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 juillet 2023 où étaient présents M. Sommer, président, M. Chiron, conseiller référendaire rapporteur, Mme Capitaine, conseiller doyen, Mmes Lacquemant, Nirdé-Dorail, Salomon, conseillers, Mmes Valéry, Pecqueur, Laplume, M. Leperchey, conseillers référendaires, M. Juan, avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Mme [O] a été engagée en qualité de technicienne de laboratoire le 26 février 2020 par l'Etablissement français du sang.

2. Le 26 août 2021, l'employeur lui a notifié la suspension de son contrat de travail en application des dispositions de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021.

3. Elle a saisi la juridiction prud'homale statuant en référé d'une demande de réintégration dans ses fonctions.

Enoncé des questions prioritaires de constitutionnalité

4. A l'occasion du pourvoi qu'elle a formé contre l'arrêt rendu le 8 juillet 2022 par la cour d'appel de Douai rejetant sa demande, la salariée a présenté, par mémoire distinct et motivé, trois questions prioritaires de constitutionnalité ainsi rédigées :

« 1°/ Les articles 12 et 14, II de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021, prévoyant la suspension du contrat de travail pour certains salariés refusant de se soumettre à l'obligation vaccinale contre la Covid 19, portent-ils atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, notamment au principe de protection de la santé garanti par le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 dès lors qu'ils imposent une vaccination avec des produits qui ne sont qu'en phase d'expérimentation et dont l'absence de dangerosité n'est pas établie et au principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en ce qu'ils ne prévoient une obligation de vaccination que pour certaines personnes alors que les vaccins ne permettent pas de stopper la transmission du virus de la Covid 19 ?

2°/ L'article 14 II de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 porte-t-il atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, notamment au principe à valeur constitutionnelle du droit au travail et de l'interdiction de léser un travailleur dans son emploi en raison de ses opinions garanti par le cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 dès lors qu'il impose la suspension du contrat de travail tant que le salarié ne sera pas vacciné ainsi qu'au principe selon lequel tout être humain dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence garanti par le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 dès lors qu'il ne prévoit pas de régime d'indemnisation des salariés dont le contrat est suspendu par l'employeur ?

3°/ L'article 14 II de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 porte-t-il atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, notamment au principe des droits de la défense garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, dès lors que la suspension du contrat de travail n'étant précédée d'aucune procédure, elle ne permet pas à l'intéressé de bénéficier de tels droits ? »

Examen des questions prioritaires de constitutionnalité

5. Les dispositions contestées sont applicables au litige, qui concerne la suspension contestée d'une salariée soumise à l'obligation prévue à l'article 12 de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021, prononcée en application de l'article 14 II de la même loi.

6. Elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

7. Cependant, d'une part, les questions posées, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, ne sont pas nouvelles.

8. D'autre part, les questions posées ne présentent pas un caractère sérieux.

9. En effet, en premier lieu, le législateur, en adoptant les dispositions contestées, a entendu, au regard de la dynamique de l'épidémie, du rythme prévisible de la campagne de vaccination, du niveau encore incomplet de la couverture vaccinale de certains professionnels de santé et de l'apparition de nouveaux variants du virus plus contagieux, en l'état des connaissances scientifiques et techniques, permettre aux pouvoirs publics de prendre des mesures visant à lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19 par le recours à la vaccination, et garantir le bon fonctionnement des services hospitaliers publics grâce à la protection offerte par les vaccins disponibles et protéger, par l'effet de la moindre transmission du virus par les personnes vaccinées, la santé des malades qui y étaient hospitalisés poursuivant ainsi l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.

10. Par ailleurs, l'obligation vaccinale ne s'impose pas, en vertu de l'article 13 de la même loi du 5 août 2021, aux personnes qui présentent un certificat médical de contre-indication ainsi que, pendant la durée de sa validité, aux personnes disposant d'un certificat de rétablissement. Enfin, l'article 14 contesté donne compétence, en son IV, au pouvoir réglementaire, compte tenu de l'évolution de la situation épidémiologique et des connaissances médicales et scientifiques et après avis de la Haute autorité de santé, pour suspendre cette obligation pour tout ou partie des catégories de personnes qu'elle concerne.

11. Ainsi, les dispositions contestées, qui sont justifiées par une exigence de santé publique et ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif qu'elles poursuivent, ne portent pas atteinte au principe constitutionnel de protection de la santé.

12. En deuxième lieu, les dispositions contestées ne portent pas atteinte au principe d'égalité dès lors, d'une part, qu'elles s'appliquent de manière identique à l'ensemble des personnes exerçant leur activité dans les établissements de santé du code de la santé publique, à l'exception de celles y effectuant une tâche ponctuelle, qu'elles fassent ou non partie du personnel soignant, et d'autre part, que la circonstance que les dispositions contestées font peser sur les personnes exerçant une activité au sein de ces établissements, une obligation vaccinale qui n'est pas imposée à d'autres personnes, constitue, compte tenu des missions des établissements de santé et de la vulnérabilité des patients qui y sont admis, une différence de traitement en rapport avec cette différence de situation, qui n'est pas manifestement disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi.

13. En troisième lieu, les dispositions contestées ne portent pas atteinte au droit à l'emploi, ni à l'interdiction de léser un travailleur dans son emploi en raison de ses opinions, ni au droit de tout être humain dans l'incapacité de travailler d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence, dans la mesure où elles ne prévoient pas la rupture du contrat de travail mais uniquement sa suspension.
Cette suspension prend fin dès que le salarié, qui n'est ainsi pas privé d'emploi, remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité et produit les justificatifs requis, conservant, pendant la durée de celle-ci, le bénéfice des garanties de protection complémentaires auxquelles il a souscrit.

14. En dernier lieu, les dispositions contestées, en ce qu'elles n'instituent pas une sanction ayant le caractère d'une punition dès lors que la suspension du contrat s'impose à l'employeur et ne présente aucun caractère disciplinaire, ne portent pas atteinte aux droits de la défense. En outre, elles prévoient que l'employeur informe le salarié des conséquences de l'absence de vaccination, des moyens de régulariser sa situation, donnent ensuite la possibilité au salarié d'utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de repos conventionnels ou de congés payés.

15. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer les questions prioritaires de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq juillet deux mille vingt-trois.

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