10 octobre 2006
Cour de cassation
Pourvoi n° 04-43.453

Chambre sociale

Publié au Bulletin

Titres et sommaires

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION - employeur - modification dans la situation juridique de l'employeur - définition - transfert d'une entité économique autonome conservant son identité - entité économique - notion - continuation du contrat de travail - domaine d'application - caractérisation - office du juge - contrat de travail, rupture - licenciement économique - suppression d'emploi - cessation d'activité de l'entreprise - condition - cause - cause réelle et sérieuse - motif économique

Le transfert d'une entité économique autonome, constituée par un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels qui poursuit un objectif propre entraîne la poursuite de plein droit, avec le cessionnaire, des contrats de travail des salariés qui y sont affectés. Et il appartient aux juges du fond de rechercher les éléments qui constituent une telle entité, indépendamment des règles d'organisation et de gestion du service au sein duquel s'exerce l'activité économique. Ainsi, le seul fait qu'une société soit chargée de la gestion d'un marché d'intérêt national comportant deux sites ne suffit pas à exclure que l'un de ces sites constitue une entité économique autonome.

Texte de la décision

Attendu que la Société d'économie mixte pour la construction et la gestion du marché d'intérêt national de Marseille (Somimar), qui assurait dans cette ville la gestion d'un marché d'intérêt national dénommé "Les Arnavaux" et consacré au commerce des fruits et légumes, a été également chargée en 1978, en qualité de concessionnaire et pour une durée de trente ans, de l'exploitation d'un port de pêche et d'un marché aux poissons dénommé "Saumaty", rattaché en 1977 au marché d'intérêt national ; que Mme X..., engagée par la société Somimar comme secrétaire, en septembre 1975, a été alors affectée à la gestion du marché Saumaty ; que la ville de Marseille a mis fin à cette concession en décembre 1993, pour confier la gestion du marché "Saumaty", à partir du 1er janvier 1994, à une société d'économie mixte Saumaty Méditerranée, créée à cet effet ; qu'après avoir établi un plan social, la société Somimar a notifié à Mme X..., le 23 décembre 1993, un licenciement pour motif économique, en lui proposant un reclassement dans un emploi d'agent contractuel de la ville de Marseille, que la salariée a accepté ; qu'en vertu de conventions conclues en décembre 1993 avec la société Saumaty Méditerranée, une société Marseille aménagement a assuré des prestations d'administration générale, exécuté un mandat de gestion et de commercialisation du marché Saumaty et mis du personnel à la disposition du nouveau concessionnaire ; que, par la suite, le Conseil d'Etat ayant émis un avis défavorable à l'attribution de la gestion du même marché d'intérêt national à deux sociétés distinctes, la commune de Marseille a résilié la convention conclue à cette fin avec la société Saumaty Méditerranée et chargé à nouveau la société Somimar, à partir du 15 février 1999, de la gestion de l'ensemble du marché d'intérêt national ; que, soutenant qu'elle aurait dû passer au service du concessionnaire du marché "Saumaty", en janvier 1994, Mme X... a saisi le juge prud'homal de demandes indemnitaires ;




Sur le premier moyen :


Vu l'article L. 122-12, alinéa 2, du code du travail, interprété à la lumière de la Directive 77/187/CEE du 14 février 1977 ;


Attendu que, pour juger que la société Saumaty Méditerranée n'était pas tenue de poursuivre le contrat de travail de Mme X... et débouter cette dernière des demandes indemnitaires qu'elle formait à ce titre contre les sociétés Somimar, Saumaty Méditerranée et Marseille aménagement, la cour d'appel a retenu qu'il résulte de la combinaison des articles L. 730-2 et L. 730-3 du code de commerce et de l'avis du Conseil d'Etat qu'un marché d'intérêt national ne peut avoir qu'un gestionnaire unique, ce qui exclut nécessairement que l'une des structures de ce marché d'intérêt national soit considérée comme une entité économique pouvant faire l'objet d'un transfert, alors qu'un tel transfert aurait pour conséquence directe l'existence d'une pluralité de gestionnaires prohibée par ces textes, et que même s'il était fait application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du code du travail, la mise hors de cause des sociétés Saumaty Méditerranée et Marseille aménagement s'imposerait puisque la salariée, qui avait une option, n'a pas demandé la reprise de son contrat de travail par ces deux sociétés mais a seulement formé une demande d'indemnisation à la suite de son licenciement, qu'elle ne peut diriger qu'à l'encontre de la société Somimar ;


Attendu, cependant, qu'il résulte de l'article L. 122-12, alinéa 2, du code du travail, interprété à la lumière de la Directive 77/187/CEE du 14 février 1977 que l'entité économique autonome dont le transfert à un cessionnaire entraîne la poursuite de plein droit avec celui-ci des contrats de travail des salariés qui lui sont affectés s'entend d'un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre ; qu'ainsi, l'existence d'une entité économique autonome, dont il appartient au juge du fond de rechercher les éléments qui la constituent, est indépendante des règles d'organisation et de gestion du service au sein duquel s'exerce l'activité économique ;


Qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher si la gestion du marché Saumaty ne constituait pas, au sein de la société Somimar une branche d'activité autonome, dont l'exploitation avait été poursuivie à partir de 1994 par les sociétés Saumaty Méditerranée et Marseille aménagement et si le refus de maintenir le contrat de travail à la suite de ce transfert ne résultait pas, ainsi qu'il était prétendu, d'un concert frauduleux entre ces trois sociétés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ;


Et sur le second moyen :


Vu l'article L. 321-1 du code du travail ;


Attendu que, pour débouter Mme X... de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a retenu que la cessation d'activité de la société Somimar, qui était la conséquence d'une décision de la ville de Marseille constitue une cause économique justifiée ;


Attendu, cependant, que seule une cessation complète de l'activité de l'employeur peut constituer en elle-même une cause économique de licenciement, quand elle n'est pas due à une faute ou à une légèreté blâmable de ce dernier ; qu'une cessation partielle de l'activité de l'entreprise ne justifie un licenciement économique qu'en cas de difficultés économiques, de mutation technologique ou de réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;


Qu'en statuant comme elle l'a fait, alors qu'il résultait de ses constatations que la société Somimar avait poursuivi l'exploitation du marché des Arnavaux après avoir perdu la gestion du marché Saumaty, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :


CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 4 mars 2004, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;


Condamne les sociétés Somimar, Saumaty et Marseille aménagement aux dépens ;


Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, condamne les sociétés Somimar, Saumaty et Marseille aménagement à payer à Mme X... la somme de 2 500 euros ;


Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix octobre deux mille six.

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