50e anniversaire de la ratification par la France de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales

29/05/2024

La Cour de cassation a eu l’immense plaisir d’accueillir en son sein un colloque évènement célébrant le 50e anniversaire de la ratification par la France de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales introduit par M. le Ministre de la justice, Garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti. Cet évènement commémoratif a été organisé conjointement avec l’Ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation ainsi qu’avec le Conseil national des barreaux, le 3 mai 2024, soit 50 ans jour pour jour après la ratification de la Convention européenne des droits de l’Homme par la France le 3 mai 1974. 

Le colloque a été ouvert par M. le Ministre de la justice, Garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, M. le premier président Christophe Soulard, M. le procureur général Rémy Heitz, Mme la présidente du Conseil national des barreaux Julie Couturier et M. le président de l’Ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation Thomas Lyon-Caen. Ces propos introductifs ont été suivis de deux tables rondes modérées par M. le président honoraire de la Cour européenne des droits de l’Homme, et avocat associé au cabinet Gibson Dunn, Robert Spano et M. le professeur des universités, agrégé de droit privé et de sciences criminelles, chercheur à l’institut de droit européen des droits de l’Homme (IDEDH), Jean-Pierre Marguénaud. Le colloque a été clôturé par Mme la Défenseure des droits Claire Hédon qui a mis en exergue la manière dont l’institution du Défenseur des droits est « un partenaire des juridictions et des professions judiciaires avec lesquelles elle collabore dans un esprit de dialogue et de complémentarité ».

Cet évènement organisé en deux tables rondes – auxquelles ont pris part des présidents de chambre  et le premier avocat général de la chambre criminelle de la Cour de cassation, le juge élu au titre de la France à la Cour européenne des droits de l’Homme, le directeur des affaires juridiques du Ministère de l’Europe et des affaires étrangères et des avocats dont le président de l’Ordre des avocats aux Conseils - a été l’occasion d’échanger sur la transformation des professions judiciaires à l’ère de la subsidiarité. Ces intervenants de haut niveau, de par leur expertise et leurs connaissances techniques du système conventionnel, ont mis en lumière les avancées réalisées en matière de droits de l’Homme grâce à cette ratification. Cela a été souligné par M. le Garde des Sceaux dans ses propos introductifs : « 50 ans de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme ont transformé des pans entiers de notre droit […], rétrospectivement, 50 ans de jurisprudence éclairent nos 21 années d’hésitation […] ratifier la Convention c’était en effet faire le choix du progrès, de la démocratie, celui de l’Etat de droit contre les conservatismes de tout bord, celui de la confiance dans les droits et les libertés individuelles ».

M. le Ministre de la justice, Garde des Sceaux, a tout au long de son intervention souligné à quel point  la Convention et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme constituent un phare pour les professionnels du droit (« La Cour est plus que jamais « un phare, une vigie, un feu d’alarme et une source d’espoir » pour reprendre les termes du président Jean-Paul Costa »). Aussi, M. le Ministre a mentionné la grande évolution qu’a été l’introduction du recours individuel devant la Cour européenne des droits de l’Homme, combat porté par Robert Badinter, ainsi que l’approfondissement du dialogue des juges notamment depuis l’entrée en vigueur du Protocole N°16. En effet, ce colloque s’inscrit dans le sillage du précédent évènement organisé à la Cour, en partenariat avec la Conseil national des barreaux, célébrant le 40e anniversaire de la reconnaissance par la France du droit de recours individuel devant la Cour européenne des droits de l’Homme, colloque clôturé par M. le Garde des Sceaux. Ces deux évènements ont rendu hommage aux projets portés par Robert Badinter « dont le nom est associé à tout jamais à l’histoire de la Convention européenne de droits de l’Homme en France », pour reprendre les propos de M. le Garde des Sceaux

M. le premier président Christophe Soulard a, à son tour, dans ses propos introductifs, évoqué l’influence de la Convention telle qu’interprétée par la jurisprudence de la Cour européenne, sur notre droit tant en matière civile qu’en matière pénale. En effet, certaines condamnations ont, pour citer le premier président, poussé « notre système juridique à se réinventer, à revoir ses positions ». Néanmoins, « ce qui était autrefois perçu comme une contrainte s’est mué en échange fructueux […] il y a encore quelques années, le président Spielmann pouvait s’inquiéter dans son discours de rentrée de l’acceptabilité des décisions de la CEDH… alors qu’aujourd’hui, nous avons largement dépassé cela en France, pour arriver à ce que j’appellerais une « subsidiarité prédictive » ». Ainsi, la Cour de cassation s’est « engagée dans une démarche proactive » en ce que le « juge national ne se contente pas d’appliquer le droit, mais qu’il participe activement à sa création et à sa réinvention perpétuelle, travaillant main dans la main avec les juridictions européennes ».

Pour sa part, M. le procureur général Rémy Heitz a, dans son discours introductif, notamment rappelé l’impact de cette ratification sur le métier de l’avocat général. En effet, « les arrêts Slimane-Kaïd et Reinhardt contre France ont été un tournant […] l’avocat général à la Cour de cassation a vu sa place et son rôle dans le processus juridictionnel reconsidérés ». Néanmoins, le parquet général a su se renouveler et désormais la « Cour européenne des droits de l’Homme ne manque pas, lorsque c’est pertinent, de faire une lecture attentive de l’avis de l’avocat général dans l’affaire examinée et de s’y référer expressément ». Ainsi, grâce à la marge nationale d’appréciation laissée par la Cour européenne aux cours supérieures, le parquet général de la Cour de cassation « éclaire en toute indépendance la Cour au nom de l’intérêt général et du bien commun et […] informe les professionnels du droit et les citoyens sur la jurisprudence qu’elle est amenée à rendre. Cela signifie qu’il prend sa pleine part à l’œuvre de jurisprudence de cette Cour ».

Par la suite, Mme la présidente du Conseil national des barreaux Julie Couturier a souligné dans son discours le fait que les avocats sont les premiers acteurs pour faire valoir les droits de l’Homme. La profession s’est appropriée la Convention et notamment depuis l’ouverture du droit au recours individuel : « Il est bon de savoir et plus encore de pouvoir se référer à une instance qui, par principe, protège les droits humains et les principes de l’Etat de droit. Tenir cette position de défenseur des libertés et des droits, ne nous y trompons pas, est une lutte de chaque instant […] nous les avocats nous le savons mieux que quiconque alors il faut sans cesse, et cet anniversaire en est une belle occasion, dire, redire encore, faire savoir que le respect des droits et des libertés doit encore plus nous obliger à concentre nos efforts lorsque le monde tangue ». Les avocats sont donc pleinement investis dans la protection internationale et européenne des droits de l’Homme.

Dans le même esprit, M. le président de l’Ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation Thomas Lyon-Caen a conclu les propos introductifs en affirmant que « les avocats au Conseil et la Convention européenne étaient faits pour s’entendre. Les avocats aux Conseils se sont d’ailleurs très tôt emparés de la Convention européenne des droits de l’Homme » en ce qu’« ils ont très rapidement vu dans le droit européen conventionnel une opportunité de décloisonner et de transformer le droit interne en défendant des interprétations innovantes, si bien qu’en définitive, je crois pouvoir dire que, le droit conventionnel est aujourd’hui omniprésent dans l’exercice quotidien des avocats au Conseil ».

Ces propos introductifs ont été suivis de deux tables rondes qui ont permis de faire un état des lieux de l’évolution du droit et de la transformation des professions judiciaires. La première table ronde a retracé l’historique de la ratification de la Convention et l’appropriation du droit de la Convention : évolutions historiques et transformations des métiers et pratiques judiciaires [1], tandis que la seconde table ronde a davantage porté sur la mise en œuvre de la Convention à l’ère de la subsidiarité : une responsabilité partagée au service de la démocratie et de l’Etat de droit en Europe [2]. Cet évènement nous a offert un « dialogue pluriprofessionnel entre juges européens magistrats nationaux, administration, avocats et avocats aux Conseils », pour reprendre les paroles de M. le président de l’Ordre.

L’article ci-après vous donnera un bref aperçu de la teneur des échanges de ce colloque commémoratif.

1. La ratification de la Convention et l’appropriation du droit de la Convention : évolutions historiques et transformations des métiers et pratiques judiciaires

Cette première table ronde a été introduite et modérée par M. le professeur Marguénaud. Sa brève introduction a notamment permis de présenter les raisons qui ont repoussé la ratification par la France de la Convention. Aussi pour modérer au mieux cette table-ronde, M. le professeur a rappelé que le premier juge européen est le juge national. Pour cela, il s’est référé à l’arrêt Verein KlimaSeniorinnen Schweiz du 9 avril 2024 [§412] dans lequel la Cour européenne rappelle que « Une intervention juridictionnelle, y compris de la Cour, ne peut remplacer les mesures qui doivent être prises par les pouvoirs législatif et exécutif, ou fournir un substitut à celles-ci. Toutefois, la démocratie ne saurait être réduite à la volonté majoritaire des électeurs et des élus, au mépris des exigences de l’État de droit. La compétence des juridictions internes et de la Cour est donc complémentaire à ces processus démocratiques. ». Une fois ce rappel historique fait et ce fil conducteur posé, les échanges ont pu débuter.

  • M. le directeur des affaires juridiques du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères Diego Colas, étant notamment l’agent du gouvernement devant la Cour européenne des droits de l’Homme, a captivé son auditoire par son intervention à la fois juridique et pratique qui a permis à chacun de comprendre le fonctionnement de la Cour européenne des droits de l’Homme. M. le directeur a commencé son intervention en rappelant qu’au regard des statistiques, il était important de « relativiser la question de la France mise en cause par la Cour européenne des droits de l'Homme ou la France mauvaise élève de la Convention […] parce que la réalité est que la France représente une très faible part des requêtes adressées à la Cour ». Il a évoqué dans un premier temps, les relations que la France entretient avec la Cour européenne des droits de l’Homme - à la fois sur le terrain de la défense de l’Etat français devant la Cour et de l’exécution des arrêts – et dans un second temps, M. le directeur a présenté la pratique de l’agent du gouvernement devant la Cour. Il a étayé son propos en se référant à l’affaire Carême contre France [1] qui lui a permis d’expliquer pourquoi dans cette affaire la France avait eu l’opportunité de plaider en premier, autrement dit avant le requérant.

 

  • M. le premier avocat général de la chambre criminelle de la Cour de cassation Frédéric Desportes a quant à lui évoqué le chemin parcouru dans l’application de la Convention en matière pénale depuis sa ratification. Il a notamment souligné que la chambre criminelle de la Cour de cassation a pleinement fait sienne les dispositions de la Convention et les méthodes et modes de raisonnement de la Cour européenne en s’attachant « à placer le contrôle de proportionnalité au cœur de la démarche du juge pénal ». En effet, « plus le cas dont est saisi le juge national est éloigné de ceux dont a eu à connaître la Cour européenne, plus est élevé le degré d’anticipation, d’imagination raisonnée, dont il doit faire preuve pour déterminer la solution qu’impose le respect des exigences conventionnelles. A partir de la jurisprudence européenne, il lui faut souvent transposer, extrapoler ou innover. En définitive, ce sont moins des décisions qu’il doit s’approprier qu’un mode de raisonnement qui, en l’absence de précédents, est sa boussole européenne. La chambre criminelle s’y attache. ».

 

  • Mme la présidente de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation Agnès Martinel a axé son intervention sur l’article 6§1 de la Convention, qui, pour reprendre ses propos, est « le premier des droits. Il n'y a pas de droits concrets et effectifs sans tribunal indépendant et impartial et sans procès équitable ». Il est ressorti de l’intervention de Mme la présidente Martinel que la Cour de cassation s’est pleinement appropriée les standards du procès équitable dégagés par la Cour européenne des droits de l’Homme. En ce sens, Mme la présidente a retracé l’histoire de cette appropriation, autrement dit l’évolution jurisprudentielle du principe du contradictoire, de l’accès à un tribunal indépendant et impartial et de l’égalité des armes. Aussi, après avoir présenté cette « acculturation progressive du juge français du droit issu de la Convention », Mme la présidente – qui pilote à la Cour de cassation le groupe de travail sur la motivation enrichie diligenté par M. le premier président - a présenté les exigences en matière de motivation des décisions de justice posées par la Cour européenne des droits de l’Homme qui ont notamment poussé la Cour de cassation à réformer la motivation de ses arrêts. Cette motivation dite enrichie permet d’intégrer le contrôle de proportionnalité dans le corps de l’arrêt en s’inspirant des méthodes de la Cour européenne.

 

  • Enfin, Me Christophe Pettiti a expliqué l’évolution du rôle de l’avocat à la suite de la ratification de la Convention. Me Pettiti a évoqué « une lente histoire d’amour ». « C'est une autre culture juridique qui se présentait à l'avocat et au magistrat, avec la nécessité de s'approprier des concepts nouveaux, vous l'avez dit, Mme la présidente, une manière de réfléchir différemment. ». Désormais, l’avocat est devenu « l’acteur de la Convention » et « l’utilise dans des domaines très techniques là où l’applicabilité n’est pas évidente ». Cependant, Me Pettiti a précisé que « la pratique de la Convention devant les juridictions nationales exige, et toujours elle l'exige, un devoir d'argumentation plus exigeant de la part de l'avocat face à un juge qui, naturellement, n'est pas au quotidien ou pas nécessairement un spécialiste de la Convention, même s'il est le juge naturel de la Convention. C'est le travail requis du dialogue nécessaire, pas simplement entre le juge national et les juridictions internationales, mais le dialogue entre le juge national et l'avocat. ». Cela met en exergue la transformation des métiers et pratiques judiciaires.

 

2. La mise en œuvre de la Convention à l’ère de la subsidiarité : une responsabilité partagée au service de la démocratie et de l’Etat de droit en Europe

 


[1] Carême contre France, requête n°7189/21

La seconde table ronde a quant à elle été introduite et modérée par le président honoraire de la Cour européenne des droits de l’Homme Robert Spano, qui a conceptualisé « l’ère de la subsidiarité ». M. le président a ainsi abordé trois séries de remarques sur le principe de subsidiarité afin de guider au mieux les intervenants, principe qui a été entériné par l’adoption du Protocole N°15 à la Convention. Il est ressorti de ces réflexions préliminaires qu’en premier lieu, la Cour européenne des droits de l’Homme se doit de « concilier les tensions entre d’une part la formulation des normes des droit de l’homme pan européen et d’autre part les réalités et l’évolution politique au sein des Etats membres (cela est de plus en plus important). Le système ne fonctionne que parce que les juges internationaux et nationaux se reconnaissent mutuellement une légitimité et une confiance durable. ». En second lieu, la Cour européenne des droits de l’Homme conduisant « un examen direct ex post d’une série de décisions précises dans le passé au niveau national » se doit de « comprendre les juges nationaux et respectueusement de leur répondre et de raisonner avec eux sans dicter ni prêcher ». Enfin, M. le président Spano a rappelé qu’il était « crucial d’avoir une solide compréhension de la manière dont la Convention interagit chaque jour avec les différents domaines des droits nationaux ». La table ronde a ainsi pu débuter.

  • Mme la présidente de la première chambre civile de la Cour de cassation Carole Champalaune a tout d’abord indiqué comment la responsabilité partagée des acteurs juridictionnels de la Convention reposait notamment sur le respect de la règle de l’épuisement des voies de recours et sur la mise en place d’une chaîne de contrôle adaptée au plan national. La règle de l’épuisement est en effet « consubstantielle au principe de subsidiarité ». Une telle règle, pour reprendre les dires de Mme la présidente, « participe à cette ère de la subsidiarité dans la mesure où ça peut agir comme désincitation à la saisine de la CourEDH mais aussi une incitation des plaideurs à faire valoir le plus possible la protection que leurs doivent les juridictions nationales - renforçant encore une fois par symétrie cette responsabilité du juge national dans la mise en œuvre des droits garantis par la Convention. ». Ainsi, « il faut que les juges du fond comme de la Cour de cassation examinent avec rigueur l’invocation des violations alléguées de la Convention. Alors pour ce faire, il faut utiliser une méthode spécifique d’examen de ces violations ». Ce sont ces méthodes d’interprétation et la marge nationale d’appréciation que Mme la présidente s’est attachée à présenter dans un second temps.

 

  • Mme la présidente de chambre, directrice du Service de la Documentation, des Etudes et du Rapport (SDER) de la Cour de cassation, Sandrine Zientara-Logeay au cours de son intervention s’est focalisée sur deux thèmes : la responsabilité partagée entre la Cour de cassation et les juridictions du fond et la responsabilité partagée entre les cours suprêmes nationales, et les pouvoirs exécutif et législatif. Concernant le premier point, Mme la présidente a souligné qu’en « faisant du juge national le juge naturel de la convention, le principe de subsidiarité permet une irradiation du droit conventionnel jusqu’aux premiers juges. On assiste alors à un copartage de responsabilité, entre la Cour européenne et la Cour de cassation, la Cour de cassation et les juridictions du fond. ». Du fait de cette responsabilité partagée, la Cour de cassation a élaboré un « mémento du contrôle de conventionnalité […] qui vise à donner aux juges de cassation comme aux juges du fond, une méthodologie du contrôle » ; certains arrêts sont publiés avec une note explicative donnant des précisions aux juges du fond, notamment lorsqu’ils sont confrontés à des allégations de traitements inhumains et dégradants par la personne détenue. La présidente a présenté l’ensemble de ces outils. Enfin, dans le cadre de son second point, elle s’est attardée sur la question de la dignité des conditions de détention afin de rappeler que le « principe de subsidiarité a une double acceptation, juridictionnelle et législative » et que la responsabilité est partagée entre les cours suprêmes, développant l’exemple des arrêts JMB contre France[1] et leurs conséquences sur la jurisprudence de la Cour de cassation puis sur la loi nationale.

 


[1] JMB et autres contre France, requête n° 9671/15 et 31 autres

  • M. le président de l’Ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation Thomas Lyon-Caen a évoqué les missions et les responsabilités des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation depuis la consécration et la montée en puissance de la règle de subsidiarité. En ce sens, M. le président a évoqué l’applicabilité horizontale de la Convention - autrement dit, la responsabilité d’invoquer correctement devant les cours supérieures les dispositions et la jurisprudence - mais aussi la responsabilité de l’avocat aux Conseils de vérifier les conditions de recevabilité, notamment celle l’épuisement des voies de recours pour saisir la Cour européenne des droits de l’Homme dans un délai de 4 mois, et enfin les techniques de cassation qui ont été enrichies par la subsidiarité. Sur ce dernier aspect, il est ressorti de l’intervention de M. le président que l’avocat aux Conseils « pourra parfois aller jusqu'à inviter le juge de cassation à procéder lui-même à la pesée des intérêts en présence comme c'est le cas en matière de presse ». Ainsi, l’ensemble des professionnels du droit, dont les avocats et avocats aux Conseils, « acteurs essentiels de la subsidiarité », sont « au service d'une meilleure effectivité du droit européen conventionnel et au service donc de la démocratie et de l'État de droit. », argumentation qui rejoint les propos tenus précédemment par Mme la présidente Julie Couturier et Me Christophe Pettiti.

 

  • Enfin M. le juge élu au titre de la France à la Cour européenne des droits de l’Homme Mattias Guyomar a pu offrir à son auditoire une précieuse analyse du principe de subsidiarité d’un point de vue supranational. M. le juge a formulé trois propositions qu’il a étayées d’illustrations concrètes. D’une part, il a présenté les relations entre la France et le système conventionnel en ce que la France a joué dans l’élaboration de ce système un rôle moteur quand bien même la Convention a été ratifiée tardivement [« mouvement de yoyo »] et a déclenché l’entrée en vigueur du Protocole n°16 en étant le dixième Etat à le signer. D’autre part, M. le juge a souligné qu’au regard du contentieux français et des statistiques « le système fonctionne bien ». Les statistiques « traduisent de manière globale une compatibilité de l'ordre juridique français tel qu'il émane du droit adopté par les pouvoirs législatif et réglementaire et mise en œuvre par les juges internes avec les exigences de la convention telles qu'interprétée par notre Cour », ce qui renforce les propos de M. le directeur Diego Colas tenus lors la première table ronde. Il a, en ce sens, cité quelques affaires lourdes d’enjeux souvent médiatisées qui n’aboutissent pas devant la Cour européenne « parce qu’elles ont été complètement du point de vue de la Convention et des exigences de notre jurisprudence correctement traitées dans l’ordre interne ». Enfin, M. le juge a présenté la responsabilité partagée entre le juge interne français et la Cour européenne au service du respect effectif de l'État de droit. Pour ce faire, il a mentionné une série d’affaires mettent en lumière la réception proactive par les juridictions supérieures du raisonnement de la Cour européenne.

 

Pour conclure ces deux tables rondes, et pour reprendre les propos de M. le président Lyon-Caen, « cette subsidiarité invite aussi les avocats à faire preuve d’anticipation et d’imagination en suggérant aux juridictions nationales d’adopter des solutions que la Cour européenne pourrait retenir notamment au regard des solutions qu’elle a déjà adopté à l’égard des autres états ». Le public a ainsi pu retrouver cette idée d’anticipation tout au long du colloque, notamment dans les propos introductifs de M. le premier président (à travers la notion de « subsidiarité prédictive »), dans les interventions de M. le président au Conseil, de M. le premier avocat général, de Me Christophe Pettiti. Elle a été exprimée par l’ensemble des professions présentes et intervenantes ce qui met en lumière la transformation profonde des professions judiciaires à l’ère de la subsidiarité.

Mme la Défenseure des droits Claire Hédon a fait l’honneur à la Cour de cassation, à l’Ordre des avocats aux Conseils et au Conseil national des barreaux de conclure ce colloque évènement. Ses propos ont illustré à quel point la Convention, instrument vivant, irrigue et inspire l’ensemble des institutions françaises. En effet, Mme la Défenseure des droits qui en tant que partenaire des juridictions et autres professions s’appuie « sur les dispositions de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales » dans les décisions, avis ou observations qu’elle rend devant les juridictions. « Le Défenseur des droits se nourrit [donc] des dispositions de la Convention ». Mme la Défenseure des droits a souligné que cela a permis un certain nombre d’avancées comme en matière de contrôles d’identité discriminatoires et cela devant les juridictions judiciaires et administratives. Par ailleurs, le Défenseur des droits a affirmé favoriser aussi l’application des dispositions de la Convention par la Cour européenne des droits de l’Homme aux situations nouvelles en ce que « le Défenseur des droits a adressé depuis dix ans une trentaine de tierces interventions à la Cour ». Pour illustrer ses propos, Mme la Défenseure des droits s’est référée à une affaire Khan contre France[1] dans laquelle « la Cour cite une vingtaine de fois les observations et constats du Défenseur des droits ». Le rôle du Défenseur des droits ne se limite toutefois pas à ces tierces interventions en ce qu’il veille également à la bonne exécution des arrêts en rendant « régulièrement des observations devant le service de l’exécution des arrêts de la Cour. ».

Néanmoins, « l’exécution de ces décisions n’apparait pas toujours obligatoire même à ceux qui en ont le charge » ce qui peut nécessairement avoir pour conséquence de remettre en cause sa légitimité et vivifier les critiques prononcées à son égard. Toutefois, il est certain, comme l’a aussi souligné Mme la présidente Julie Couturier, « que la bataille en droit pour les droits a de beaux jours devant elle et je peux vous dire que les avocats, sans relâche, l'amèneront jusque devant la Cour européenne des droits de l'homme et aussi longtemps que nécessaire » – sentiment partagé par Mme la Défenseure des droits pour qui même « si l’heure est à l’inquiétude […] la vigueur des dispositions de la Convention dont la Cour, mais aussi les juridictions nationales et le Défenseur des droits, sont les bras armés ».

 


[1] Khan contre France, requête n°12267/16

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