Audience filmée: Application post-Brexit par le juge français d’une règle de droit britannique prise en application d’une directive européenne

03/04/2024

Audience d'assemblée plénière - Vendredi 5 avril 2024  - à 9h30 en Grand'chambre puis à 14h sur internet

Pourvoi n°21-21.615

  • Mise à jour : La décision sera rendue le vendredi 3 mai 2024, à 14H

La Cour de cassation doit se prononcer :

  • sur le statut post-Brexit d’une règle de droit britannique prise en application d’une norme européenne ;
  • sur la façon dont le juge français doit appliquer cette règle de droit britannique.

Avertissement : Ce communiqué n’a pas vocation à exposer dans son intégralité la teneur de l’affaire. Il tend à présenter de façon synthétique les principales questions juridiques posées à l’audience.   

Les faits

En 2007, une banque française recrute une femme en contrat à durée indéterminée régi par la loi du Royaume-Uni. La salariée occupera plusieurs postes à responsabilité au sein de cette banque.

À la suite d’un changement de fonctions, la salariée dénonce à son employeur une discrimination liée au sexe et une rétrogradation dont elle aurait fait l’objet. 

 

La procédure

En 2013, la salariée demande à la justice française d’ordonner son repositionnement au sein de la banque et de condamner la banque à lui verser des dommages-intérêts pour discrimination et harcèlement moral.

En 2021, la cour d’appel rejette ses demandes.

La salariée forme alors un pourvoi en cassation.

 

Que reproche la salariée à la cour d’appel ?

La salariée reproche à la cour d’appel de ne pas avoir interprété le droit britannique applicable à son litige de manière conforme à la directive européenne de 2006 relative à l'égalité des chances et de traitement au travail entre les hommes et les femmes.

Cette règle de droit britannique (l’Equality Act 2010) est un texte de loi qui a été pris en application de cette directive européenne.

Repère : Application d’une loi étrangère par le juge français

Quand ?
  • Lorsque les parties le souhaitent (par exemple, à la signature d’un contrat, les parties peuvent décider que c’est la loi étrangère qui sera appliquée) ;
  • Lorsque les règles du droit international privé imposent au juge national d’appliquer une loi étrangère.

 

Comment ?

Le juge français doit appliquer la loi étrangère telle qu’elle pourrait être interprétée par le juge étranger.

Les questions posées à la Cour de cassation

Question préalable : Le statut de la loi britannique

La salariée et la banque française sont entrées en litige avant le Brexit. Mais le juge français a été amené à statuer sur ce litige après le Brexit.

Dès lors, il faudra d’abord se demander si la loi anglaise applicable doit être considérée comme la loi d’un État membre de l’Union européenne (UE) ou comme la loi d’un État tiers.

Repère : Le Brexit

L’accord de retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE) s’articule sur trois périodes :

Jusqu’au 31.12.2020 > Le droit de l’UE reste applicable.

Du 01.01.2021 au 31.12.2023 > Une partie du droit de l’UE est maintenue, mais elle perd son statut de droit issu de l’application des traités européens.

Après le 01.01.2024 > Le droit de l’UE qui reste maintenu n’est plus soumis au principe de primauté du droit de l’UE.

Deux solutions sont possibles :

  • Hypothèse A : Compte tenu du fait que le juge tranche un litige après le Brexit, la loi britannique pourrait être considérée comme celle d’un État tiers à l’UE.  

Dans cette hypothèse, les questions posées à la Cour de cassation deviendraient sans objet : le juge français serait amené à raisonner comme s’il appliquait la loi étrangère d’un pays tiers à l’UE. Le fait que cette loi ait été prise en application d’une directive européenne avant le Brexit ne serait plus à prendre en considération.

  • Hypothèse B : Compte tenu du fait que l’action en justice a été engagée alors que le Royaume-Uni était encore membre de l’UE, cette loi pourrait être considérée comme celle d’un État membre de l’UE.

Dans cette hypothèse, la Cour de cassation aurait à répondre à deux autres questions.

 

Question n° 1 : Comme appliquer le droit national d’un autre État membre de l’UE ?

Le juge d’un État membre de l’UE est tenu d’interpréter le droit de son pays d’une manière conforme au droit européen.

Mais ce principe s’applique-t-il lorsque le juge interprète le droit national d’un autre État membre de l’UE ?

Repère : Principes d’application du droit national à l’aune du droit européen

  • La primauté du droit de l’UE : Le droit des États membres ne peut faire obstacle à l’application du droit de l’UE.
  • L’interprétation conforme du droit national au droit de l’UE : Afin de garantir l’effectivité du droit européen, le juge national doit interpréter, dans toute la mesure du possible, le droit de son pays de manière à le rendre conforme au droit de l’UE. Ainsi, le juge national est tenu :

- de modifier l’interprétation d’une règle nationale si celle-ci n’est pas conforme au droit de l’UE ;

- d’écarter l’application d’une règle nationale s’il paraît impossible d’en faire une application conforme au droit de l’UE ;

- en présence d’une directive européenne, d’appliquer le droit national à la lumière de celle-ci.

Question n° 2 : Quel contrôle exercé par la Cour de cassation ?

Selon une jurisprudence constante, la Cour de cassation ne contrôle pas la manière dont les cours d’appel appliquent la loi étrangère. Sauf exception, elle ne peut censurer une décision de cour d’appel, même si elle estime que les juges d’appel n’ont pas correctement appliqué la loi étrangère ; cette interprétation est laissée à l’appréciation souveraine des tribunaux et cours d’appel.

Cette jurisprudence doit-elle évoluer au nom de l’obligation d’interprétation conforme du droit national au droit de l’UE ?

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