Rémy Heitz - Journée nationale de la relation magistrats-avocats

21/03/2024

Allocution prononcée par le procureur général Rémy Heitz en ouverture du colloque organisé à la Cour de cassation le 21 mars 2024 « Les sources de la norme déontologique des magistrats de l’ordre judiciaire et des avocats ».

Monsieur le premier président,

Monsieur le président de l’Ordre,

Mesdames et Messieurs les bâtonniers,

Mesdames et Messieurs les membres du Conseil supérieur de la magistrature,

Monsieur le Directeur des services judiciaires,

Monsieur le premier président de la cour d’appel de Montpellier,

Mesdames et Messieurs les professeurs,

Mesdames et Messieurs,

Chers collègues,

Je suis très heureux d’intervenir aujourd’hui, dans cette Grand’chambre, en ouverture de la première édition de la journée nationale dédiée aux relations entre les avocats et les magistrats. Un sujet qui me tient particulièrement à cœur.

Ce jour, vous l’avez rappelé Monsieur le premier président, correspond au deux-cent vingtième anniversaire de la promulgation du code civil, le 21 mars 1804.

Grâce à l’initiative et aux efforts conjoints de nos professions, réunies notamment au sein du Conseil consultatif conjoint de la déontologie de la relation magistrats-avocats (le CCC), dont je salue l’action dynamique et ô combien utile, ce jour constituera aussi désormais, j’en forme le vœu, une date inscrite au calendrier de notre institution judiciaire.

En ce 21 mars 2024, sur l’ensemble du territoire national, nous célébrons et nous affirmons l’importance et la richesse des liens qui unissent avocats et magistrats.

Des rencontres sont organisées, autour de conférences, de débats de projections ou encore de moments conviviaux divers. Je souhaite une pleine réussite à ces évènements organisés dans toute la France.

En un mot, nous provoquons une occasion incomparable de faire vivre intensément le dialogue entre nos professions. Un dialogue que nous savons toutes et tous essentiel, pour fonder des rapports harmonieux et constructifs, en faveur d’une justice à laquelle nous œuvrons, à la fois respectivement, mais aussi ensemble, chacun dans nos domaines de compétence.

Pour cette première édition, la Cour de cassation a choisi d’évoquer un thème fondamental, qui constitue un symbole de ce qui unit et surtout de ce qui élève nos professions : la « déontologie ».

Une déontologie qui encadre les comportements et les relations, pour favoriser ce qui est adapté et aller vers ce qui est juste.

Une déontologie au cœur de notre Justice du 21ème siècle, marquée par des exigences démocratiques et légitimes, de transparence, d’efficacité et de responsabilité.  

Une déontologie, qui, surtout, protège l’équilibre des relations entre les acteurs judicaires et la qualité de leur exercice au quotidien, en prévenant les atteintes qui peuvent résulter de mauvais comportements individuels, parfois collectifs aussi, ou de difficultés systémiques.

Car la Justice - cet espace et ce temps où, par nature, s’expriment les plus vives tensions de notre société – est l’œuvre de femmes et des hommes, qui ont à la fois toutes les qualités, mais aussi parfois les défauts de leur humanité, et qui doivent être guidés vers le respect d’une éthique qu’impose l’importance de leurs missions, de nos missions que nous exerçons au service de tous et de l’intérêt général.

Cette déontologie leur donne, nous donne, la juste direction. Celle qu’il n’est pas toujours aisé d’identifier et de suivre, tant les zones grises sont nombreuses au cours d’une vie professionnelle.

La déontologie donne un élan vertueux, essentiel dans un temps de moyens matériels et humains contraints.

Un temps où la dématérialisation, si elle est une avancée majeure par certains aspects, raréfie, jusqu’à parfois altérer le rapport humain.

Une époque où l’architecture même des palais de justice et l’usage des espaces ne favorisent pas toujours un contact direct, qui demeure pourtant essentiel.

J’en parle en connaissance de cause, ayant vécu l’installation du nouveau palais de justice de Paris, aux Batignolles, qui n’a pas été sans soulever de nombreux défis à cet égard. 

Dans ce contexte, la déontologie nous donne du commun, des valeurs en partage.

Ces valeurs communes sont au cœur des serments que nous prêtons tous en intégrant nos fonctions : la dignité, l’indépendance, l’intégrité/probité et, depuis la loi organique du 20 novembre 2023 pour la magistrature, l’humanité.

Cette identité éthique permet, au-delà de nos histoires respectives, des rôles, des habitudes ou encore des intérêts qui nous distinguent, que nous puissions appartenir dans la durée à une même communauté : la communauté judiciaire, la communauté du palais.

Et ce ne sont pas que des mots. Car chacun sait ce que cela représente et ce que cela détermine. Rien de moins qu’une réelle capacité à se respecter, s’écouter et se comprendre, jusque dans la foi du palais. Une belle notion, si vivante. Et cela, toujours dans le respect des lois.

L’enjeu est aussi de favoriser le cours normal et serein des procédures, et de l’image que nous donnons d’une justice qui se rend sous les yeux de ceux qui en attendent, et qui parfois en subissent, les décisions, mais aussi sous le regard de l’ensemble des citoyens, depuis les bancs des salles d’audience ou, désormais, parfois derrière leurs écrans.

Finalement, la déontologie est un pilier, sur lequel nous fondons une œuvre que nous bâtissons ensemble magistrats et avocats : l’œuvre de droit.

Pour atteindre ce but, la déontologie doit être claire et concrète, ce qui implique des formes et des contenus précis, parfois différents entre nos professions, et toujours adaptés aux spécificités de chacune d’elles.

Elle doit aussi être dynamique, en évoluant au gré des besoins et des pratiques, qui sont eux-mêmes le reflet des changements profonds et rapides de notre société.

La loi organique du 8 août 2016[1], la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire du 22 décembre 2021[2] et, plus récemment, la loi organique du 20 novembre 2023[3], ont marqué des étapes essentielles en la matière, notamment à travers la création d’une déclaration d’intérêts et d’un entretien déontologique des magistrats, l’instauration d’un code de déontologie des avocats, ou encore en confiant au Conseil supérieur de la magistrature la mission d’élaborer une charte de déontologie de la magistrature.

Un travail que nous menons déjà au sein du Conseil supérieur de la magistrature.

Ces réformes sont l’occasion de souligner l’importance du travail réalisé dans ce domaine par nos organes professionnels. L’ensemble des bâtonniers de France, le Conseil national des barreaux, l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, et le Conseil supérieur de la magistrature, dont j’ai l’honneur de présider la formation compétente à l’égard des magistrats du parquet. Des instances qui, lorsque cela est nécessaire, prolongent la déontologie par l’exercice des prérogatives disciplinaires qui leurs sont confiées.

La dynamique déontologique que j’évoquais est aussi portée par nos écoles de formation, dont je salue les représentants présents, qui œuvrent à croiser les regards et les expériences des élèves-magistrats et avocats, afin qu’ils intègrent au plus tôt les impératifs de chaque profession et qu’un lien de respect et de confiance s’instaure dès l’origine.  

A cet égard, il n’est pas neutre de souligner que l’ENM est aujourd’hui dirigé par une avocate, et l’EFB par un magistrat. C’est un beau symbole de ce lien que nous célébrons.

Cette dynamique est enfin soutenue par des initiatives locales, qui forgent des relations déontologiques concrètes et durables. A cet égard, les assises de la relation avocats/magistrats que nous avons mises en place à Paris à compter de novembre 2019, et qui sont réunies tous les deux ans désormais, ont démontré combien ces rendez-vous sont précieux pour apaiser les tensions et enrichir les interactions entre nos professions. Il est significatif de remarquer le succès qu’ils rencontrent.

Le grand mérite de cette journée est donc de pouvoir analyser un édifice collectif, en perpétuel mouvement, en s’attachant à en explorer les sources.

Apprécier l’intérêt d’un nouveau rapprochement, voire d’un regroupement de ces règles ou de certaines d’entre elles.

D’interroger aussi l’opportunité d’une codification de certaines d’entre elles.

Tout cela, à la lumière des situations et des pratiques qui donnent vie à cette déontologie, au quotidien, dans l’ensemble des juridictions de notre pays.  

Pour mener ces réflexions, nous bénéficierons durablement du cadre du CCC, dont je souligne encore une fois la richesse et l’importance.

Dès à présent, nous allons profiter du regard de praticiens, avocats et magistrats, œuvrant en juridiction et en administration centrale, que je remercie vivement pour leur participation à nos travaux.

Nous bénéficierons également de l’analyse de chercheurs et de professeurs, qui nous font l’honneur de leur contribution et dont le premier d’entre eux, le professeur Jean-Louis HALPÉRIN, que je salue aussi, inscrira notre analyse dans le temps.

Ce temps, qui trace un trait. Celui d’une histoire partagée.

Une histoire que nous écrivons, chaque jour, et aujourd’hui en particulier, ensemble.    

Je vous remercie de votre attention.

Rémy Heitz

 


[1] Relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu'au Conseil supérieur de la magistrature

[2] LOI n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire (1) - Légifrance (legifrance.gouv.fr)

[3] Relative à l'ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire 

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Par Rémy Heitz

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