14/02/2024
Chambre commerciale, financière et économique – pourvoi n°22-10.472
Lorsqu’il n’a pas respecté les règles de sa profession, un journaliste qui provoque une brusque chute du cours d’une action en diffusant, même involontairement, une information fausse ou trompeuse sur une société cotée en bourse, peut être sanctionné par l’Autorité des marchés financiers.
Avertissement : Le communiqué n’a pas vocation à exposer dans son intégralité la teneur des arrêts rendus. Il tend à présenter de façon synthétique leurs apports juridiques principaux.
Les faits et la procédure
En 2016, une agence de presse américaine, spécialiste de l’information financière en temps réel, a reçu un communiqué de presse qui se présentait comme émanant d’une société française cotée en bourse. Ce communiqué annonçait que la société devait procéder à une révision de ses comptes consolidés.
Quelques minutes plus tard, l’agence de presse a publié une dépêche faisant état du contenu de ce communiqué. Il s’en est suivi presque instantanément une chute du cours de l’action de la société.
Moins de dix minutes plus tard, l’agence de presse a supprimé la dépêche et en a diffusé une nouvelle, qui démentait l’information.
Le lendemain, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a ouvert une enquête.
Repère : L’AMF
L’AMF est une autorité publique indépendante. Elle est chargée du bon fonctionnement des marchés financiers. Elle veille à la bonne information des investisseurs.
Elle peut sanctionner certains comportements assimilables à des abus de marché (ex. : la diffusion d’informations fausses ou trompeuses, susceptibles d’induire en erreur les marchés financiers).
En 2019, l’AMF a considéré que l’agence de presse avait diffusé des informations fausses ou trompeuses susceptibles de fixer le cours de la société à un niveau anormal ou artificiel. L’AMF a prononcé une sanction de 5 millions d’euros contre cette agence.
En 2021, la cour d’appel a rejeté la demande d’annulation de la décision de l’AMF, mais a réduit la sanction à 3 millions d’euros.
L’agence de presse a formé un pourvoi en cassation.
Les questions posées à la Cour de cassation
La liberté de la presse peut-elle être restreinte au nom de la protection des marchés financiers ?
En l’occurrence, une agence de presse peut-elle être sanctionnée pour avoir diffusé une information erronée alors même que celle-ci n’en a tiré aucun avantage et qu’elle n’a pas eu l’intention d’induire le marché en erreur ?
La Cour de cassation peut-elle contrôler la sanction prononcée par l’AMF contre un journaliste pour abus de marché ?
La réponse de la Cour de cassation
Repère : Le règlement européen de 2014 sur les abus de marché
L’article 21 du règlement européen porte sur la conciliation entre la lutte contre les abus de marché et la liberté de la presse.
Il prévoit que l’existence d’un abus de marché lié à la diffusion ou la divulgation d’informations financières à des fins journalistiques doit être appréciée en tenant compte des règles régissant la liberté de la presse et la profession de journaliste.
Mais ces règles ne sont pas prises en compte :
- si les journalistes ou leurs proches tirent un avantage de cette diffusion d’information, ou
- si la diffusion de cette information vise à induire le marché en erreur.
En se fondant sur l’article 21 du règlement européen sur les abus de marché, la Cour de cassation distingue trois situations :
- Situation n°1 : Un journaliste diffuse une information fausse ou trompeuse sur une société, sans en tirer un avantage ni avoir l’intention d’induire le marché en erreur, tout en respectant les règles de sa profession.
> Conséquence : Le journaliste ne peut pas être sanctionné.
- Situation n°2 : Un journaliste diffuse une information fausse ou trompeuse sur une société, sans en tirer un avantage ni avoir l’intention d’induire le marché en erreur, mais ne respecte pas les règles de sa profession.
> Conséquence : Le journaliste peut être sanctionné si les règles relatives à la liberté de la presse et à la liberté d’expression le permettent et que la sanction est nécessaire et proportionnée aux buts légitimes poursuivis.
- Situation n°3 : Un journaliste diffuse une information fausse ou trompeuse pour induire le marché en erreur ou en tirer un bénéfice.
> Conséquence : Le journaliste peut être sanctionné pour manipulation de marché sans qu’il y ait lieu d’appliquer les règles relatives à la liberté de la presse et à la liberté d’expression ainsi que les règles relatives à sa profession pour apprécier la caractérisation de ce manquement.
L’affaire concernée correspond à la situation n° 2. Ainsi, la Cour de cassation confirme la décision de la cour d’appel : l’agence de presse peut être sanctionnée, même si elle n’a tiré aucun avantage de cette diffusion ni agi dans l’intention d’induire le marché en erreur.
En effet, l’agence de presse n’a pas agi dans le respect des règles de sa profession dès lors qu’elle aurait dû, avant de diffuser son communiqué, s’interroger sur l’authenticité des informations reçues et procéder à des vérifications, en présence d’un contenu inhabituel sur la forme et peu probable sur le fond, compte tenu de la bonne santé financière de la société française.
La Cour de cassation juge que la sanction prononcée est proportionnée. Elle retient à cet effet que le manquement de l’agence de presse a entraîné des pertes financières importantes pour les investisseurs, que cette agence n’a pas souhaité, au cours de la procédure de sanction, communiquer son chiffre d’affaires total pour la mise en œuvre de la sanction et qu’elle n’a jamais soutenu que cette sanction était de nature à compromettre son existence ou la poursuite de ses activités journalistiques.
Dès lors, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la société de presse.
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