Christophe Soulard - 16e colloque de la Commission des sanctions de l'AMF

31/10/2023

Le 16e colloque de la Commission des sanctions s'est tenu le 12 octobre 2023 : à cette occasion, le premier président Christophe Soulard a prononcé un discours, aux côtés de Jean Gaeremynck, président de la Commission des sanctions, et de Marie-Anne Barbat-Layani, présidente de l'AMF. Les vidéos des discours et des tables rondes seront disponibles d'ici quelques jours. 

C’est pour moi un grand plaisir que de participer à ce 16e colloque d’une commission dont j’ai eu l’honneur de faire partie, il y a de cela quelques années. Cette expérience me permet d’affirmer qu’il s’agit d’une institution qui a toutes les qualités d’une juridiction : séparation stricte entre ceux qui enquêtent ou instruisent et ceux qui jugent, respect du contradictoire, délibérations collégiales et motivation des décisions. A cela s’ajoute une qualité supplémentaire, qui est le panachage de ses membres, lesquels se répartissent entre professionnels, d’une part, magistrats judiciaires et administratifs, d’autre part.

Nous ne bénéficions pas d’une telle diversité à la Cour de cassation, même si ses membres ont pu avoir des expériences variées avant d’y arriver et même si un certain nombre de professeurs d’université l’ont rejointe comme conseiller ou avocat général.

Contrairement à la commission des sanctions, la Cour de cassation ne bénéficiait pas non plus, jusqu’à une période récente, de l’assistance de juristes hautement qualifiés. Ceci est en train de changer puisque nous avons commencé à recruter des juristes-assistants qui travailleront au sein même des chambres. Je dois dire que lorsqu’il s’est agi de définir la doctrine d’emploi de ces juristes-assistants j’avais en tête le travail remarquable qu’effectuent les juristes de l’AMF.

Mais, pour le reste, nos missions sont très proches. Nous devons interpréter et appliquer les règles de droit et ces règles sont de plus en plus complexes. Cette complexité provient notamment d’un enchevêtrement entre règles nationales, y compris constitutionnelles, et règles européennes.  Nous devons aussi motiver nos interprétations et communiquer.

Ces questions seront abordées au cours du présent colloque. Elles sont également au cœur des travaux et réflexions de la Cour de cassation. Mais sont-elles liées l’une à l’autre ? Existe-t-il un lien entre la complexité croissante du droit et le besoin croissant d’une motivation plus approfondie des décisions et d’une communication juridictionnelle plus abondante ?

Je voudrais tenter de répondre à cette question à partir de l’expérience de la Cour de cassation.

Au fur et à mesure que le juge, qu’il soit judiciaire ou administratif, a développé son contrôle des lois au regard des exigences conventionnelles (droit de l’UE et Convention européenne des droits de l'homme), la loi a perdu de sa sacralité puisqu’elle peut être écartée comme non conforme à des normes supérieures. Cette perte de sacralité a été encore accentuée avec l’introduction d’un contrôle de constitutionnalité a posteriori via la QPC. Il est à observer que c’est le développement du contrôle de conventionnalité qui a rendu acceptable, aux yeux du constituant, le contrôle de constitutionnalité a posteriori. Le Conseil constitutionnel est le seul à pouvoir déclarer une loi inconstitutionnelle mais les juridictions administratives et judiciaires jouent également un rôle à cet égard puisqu’elles sont chargées de filtrer les QPC. Elles sont donc amenées à interpréter des normes constitutionnelles, de même qu’elles interprètent le droit de l’Union et la Convention européenne des droits de l'homme.

Il résulte des jurisprudences tant du Conseil constitutionnel que de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour de justice que ces contrôles sont cumulatifs. Autrement dit ce n’est pas parce qu’une loi est jugée conforme à la Constitution qu’elle ne doit pas être écartée si elle contraire à une norme conventionnelle et, dans le sens inverse, le fait, pour une juridiction suprême, d’écarter une loi comme étant contraire à la Convention européenne des droits de l'homme ou au droit de l’Union ne la dispense pas de devoir transmettre une QPC s’il y a doute sur la constitutionnalité de la loi.

Par la mise en œuvre de tous ces contrôles une juridiction comme la Cour de cassation apparaît de plus en plus comme le contrôleur de la loi. Mais elle apparaît aussi de plus en plus comme ayant un rôle normatif. En effet le contrôle ne se fait pas au regard d’une norme précise qu’il suffirait d’appliquer mécaniquement. Il suppose d’énoncer ou préciser des principes qui, certes, trouvent leur fondement dans la jurisprudence des cours européennes mais dont la définition laisse toujours une certaine marge d’appréciation aux juridictions nationales.

Ce rôle normatif est l’objet de critiques de la part d’un certain nombre d’élus mais aussi de la part d’universitaires, de juges ou anciens juges. Il est généralement reproché aux juridictions suprêmes et aux juridictions européennes d’empêcher le législateur de légiférer et le gouvernement de gouverner. Ces juridictions se livreraient à une surenchère dans l’énoncé des droits fondamentaux, surenchère qui conduirait à entraver la démocratie au nom du droit.

C’est oublier que le contrôle de la loi par le juge a été voulu par le constituant, qui a institué la QPC et a permis des transferts de compétences au profit de l’UE, et par le législateur, qui a ratifié les conventions internationales.

Mais cette réponse ne suffit pas. Dès lors qu’une cour suprême assume son office de créatrice de normes, elle doit renforcer la légitimité de ses décisions à travers leur motivation. C’est ce que nous appelons, à la Cour de cassation, la motivation enrichie.

Dans la figure traditionnelle du syllogisme judiciaire, tel qu’il est pratiqué à la Cour de cassation, la motivation consiste à vérifier que la décision attaquée (la mineure du syllogisme) est conforme au principe, c'est-à-dire en général au texte tel qu’interprété par la Cour de cassation, qui constitue en constitue la majeure. La conclusion est une cassation ou un rejet du pourvoi selon que la cour s’est ou non trompée.

Ce type de motivation est suffisant lorsque le principe ou l’interprétation du texte n’est pas en lui-même discuté et que la seule question qui se pose est celle de savoir si la cour d’appel l’a bien appliqué. Mais, dans le cas contraire, il est insuffisant car c’est l’interprétation du texte elle-même qu’il faut justifier. C’est précisément cela que nous appelons « motivation enrichie » : la justification du principe posé.

C’est ici qu’on retrouve la question de la légitimité. La légitimité de la Cour de cassation vient notamment de ce qu’elle statue après une procédure contradictoire au cours de laquelle tous les arguments ont pu être échangés et après un délibéré approfondi entre une dizaine, parfois une vingtaine de magistrats expérimentés, qui dialoguent pendant plusieurs heures sur la base de travaux préparatoires de qualité. 

La Cour de cassation peut encore renforcer sa légitimité en montrant que ses interprétations s’appuient sur la volonté du législateur, telle que la font apparaître les travaux préparatoires de la loi, ou sur un argument de cohérence entre divers textes ou encore sur la jurisprudence des cours européennes, voire celle d’autres cours suprêmes. La force d’une interprétation donnée par la Cour de cassation est encore plus grande si cette interprétation fait l’objet d’un consensus entre plusieurs juridictions suprêmes nationales ou étrangères. C’est pourquoi vous commencez à trouver, dans certains arrêts de la Cour de cassation, des références à des arrêts rendus par le Conseil d’Etat ou par des cours suprêmes étrangères.

Ce n’est pas à dire qu’il ne puisse pas y avoir de divergences entre la Cour de cassation et les juridictions européennes. La Cour de cassation n’hésite pas à les exprimer lorsqu’elle pose des questions préjudicielles. Elle l’a fait par exemple en mettant en cause la jurisprudence de la CJUE sur les travailleurs détachés ou, pour prendre un exemple qui vous parle plus directement, sur l’utilisation des données de connexion dans les enquêtes relatives aux abus de marché. Cette mise en cause conduit parfois la Cour de justice à infléchir sa jurisprudence. Ce fut le cas pour les travailleurs détachés. Parfois pas. Ce fut le cas pour les données de connexion. Mais dans tous les cas la Cour de cassation respecte la décision de la Cour de justice. Il en va de la pérennité du système pris dans son ensemble.

Motiver mieux c’est essentiel. Mais tout le monde ne lit pas spontanément les décisions de la Cour de cassation. C’est pourquoi la communication est importante. Elle doit revêtir plusieurs formes car elle s’adresse à plusieurs publics. Il y a les professionnels du droit mais il y a aussi les citoyens non juristes auxquels il est important de montrer que les juridictions dans leur ensemble et la Cour de cassation en particulier constituent un élément important de la vie démocratique. C’est une façon de montrer que le droit encadre nos relations sociales, qu’il s’agisse des relations intrafamiliales, des relations sur le lieu de travail, des rapports entre un bailleur et son locataire ou des relations commerciales et qu’il est important qu’il en soit ainsi.

Le champ des relations couvert par l’AMF est plus restreint mais il n’en est pas moins important. Dans une époque où certains pensent que tout irait mieux sur le plan économique si l’on allégeait les contrôles il faut rappeler la formule si pertinente d’Alfred Sauvy : Pour qu’une voiture puisse rouler vite il ne suffit pas qu’elle ait un moteur ; il faut aussi qu’elle ait des freins.

C’est notamment à cela que sert la communication.

S’adressant à plusieurs publics, la communication doit revêtir plusieurs formes. Celle des traditionnels communiqués de presse, d’abord, qui doivent combiner un langage clair et la rigueur de l’information. La réussite passe généralement par la collaboration entre un juriste et un professionnel de la communication. Je suppose que les expériences se rejoignent sur ce point entre la commission des sanctions, dont le site internet est particulièrement bien fait, et la Cour de cassation. Aux communiqués de presse qui font part des décisions rendues nous avons ajouté des communiqués en amont, qui annoncent les questions sur lesquelles la Cour aura à se prononcer et mettent en valeur les enjeux soulevés. Nous constatons que l’existence d’un communiqué en amont augmente considérablement le nombre des lecteurs du communiqué en aval. Nous assurons ainsi le teasing de nos décisions.

Mais nous avons aussi d’autres supports. Chaque chambre publie une lettre électronique dans laquelle elle rend compte de ses arrêts les plus récents. Cette lettre se lit à plusieurs niveaux. D’abord une liste de titres. Le lecteur intéressé clique sur le titre et accède ainsi à un bref commentaire, rédigé en langage courant, de l’arrêt. S’il veut en savoir plus le lecteur clique sur le commentaire et accède alors à l’arrêt lui-même puis, le cas échéant, aux travaux préparatoires notamment le rapport et l’avis de l’avocat général.

Depuis quelques mois nous publions également une lettre de la Cour elle-même, qui rend compte des arrêts d’assemblée plénière et des activités institutionnelles de la Cour et nous nous apprêtons à publier, en anglais et en français, une lettre internationale, qui permettra de mieux faire connaître la Cour à l’étranger.

Par ailleurs la chambre sociale et bientôt la chambre criminelle éditent des podcasts dans lesquels des membres de la Cour expliquent sa jurisprudence. C’est toujours l’idée qu’il faut diversifier les supports pour tenir compte de la variété des modes de vie actuels.

Mais il ne suffit pas de faire part de nos arrêts. Il faut aussi montrer comment nous rendons nos décisions, toujours dans le but de mieux asseoir notre légitimité. C’est l’objet de la motivation enrichie dont j’ai parlé. C’est aussi ce qui nous a conduits à procéder à une captation audiovisuelle de nos audiences, que nous diffusons sur internet en insérant dans les images des éléments d’explication destinés à faire comprendre ce qu’est le rôle du conseiller rapporteur, des avocats, de l’avocat général.

C’est dans le même esprit que nous avons tourné de courtes vidéos, accessibles sur le site de la Cour, qui mettent en lumière les différents métiers de la Cour.

Enfin les innombrables colloques que la Cour organise en partenariat avec l’université et qui sont diffusés sur internet participent eux aussi à l’image d’une Cour qui réfléchit en permanence sur les évolutions du droit, avec notamment l’aide des universitaires.

Je voudrais, pour terminer, mentionner le cas un peu particulier des rencontres que plusieurs chambres et la Cour elle-même organisent régulièrement et qui permettent à des magistrats de la Cour, des universitaires et des avocats aux Conseils de faire un retour sur des arrêts récents. C’est un retour très précieux pour les conseillers puisqu’il leur permet de mieux cerner les évolutions possibles de la jurisprudence. Pour assurer une totale liberté de parole ces rencontres se déroulent à huis clos. Mais cela n’empêche pas que la Cour communique sinon sur ce qui s’est dit au moins sur l’existence et l’objet même de ces rencontres. C’est une communication qui est importante en ce qu’elle montre que la Cour de cassation est prête à discuter du bien-fondé de sa jurisprudence.

Christophe Soulard

Les discours de Christophe Soulard

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autorité des marchés financiers

Par Christophe Soulard

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