Allocution du premier président Christophe Soulard lors de l'audience de présentation du procureur général

08/09/2023

Madame la première ministre,

La Cour de cassation vous remercie de votre présence à l’audience solennelle de présentation de son nouveau procureur général, présence qui témoigne de l’intérêt que vous portez à la Justice,

Madame la vice-présidente de l’Assemblée Nationale,

Monsieur le président de la commission des lois du Senat,

Monsieur le président de la commission des lois de l’Assemblée Nationale,

Madame la secrétaire d’Etat,

Monsieur le vice-président du Conseil d’Etat,

Madame la Défenseure des droits,

Monsieur le premier président de la Cour des comptes,

Monsieur le procureur général près la Cour des comptes,

Monsieur le grand chancelier de la Légion d’honneur,

Monsieur le préfet de région représenté,

Monsieur le préfet de police représenté,

Madame la maire de Paris,

Mesdames et messieurs les chefs de cours suprêmes et hautes personnalités internationales,

Mesdames et messieurs les membres du Conseil Supérieur de la Magistrature,

Mesdames, monsieur les anciens membres du gouvernement,

Monsieur le président et monsieur le président désigné de l’Ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation,

Chers collègues,

Mesdames, messieurs,

La Cour vous remercie de votre présence à cette audience solennelle de présentation de son procureur général, qui marque l’un des temps forts de la vie de la Cour de cassation.

Monsieur le procureur général,

Vous êtes déjà parmi nous, en Grand’chambre, et non pas introduit devant la Cour, car vous en êtes déjà membre, pour avoir été nommé par décret du 2 juillet 2023 et installé par ordonnance du 3 juillet 2023.

Vous êtes le 48ème procureur général de la Cour de cassation, depuis 1804.

Avant de vous souhaiter la bienvenue parmi nous, permettez que mes paroles soient d’abord pour votre prédécesseur, François Molins, auquel je voudrais rendre solennellement hommage en rappelant, très brièvement, ce qu’il a apporté et représenté pour la Justice.

François Molins a été installé comme procureur général près la Cour de cassation, dans cette même salle, il y a un peu moins de cinq ans, après une longue carrière de magistrat de terrain de 42 ans.

Pendant ces 42 ans, il a occupé de hautes fonctions en administration centrale comme directeur adjoint à la DACG et comme directeur de cabinet du Garde des sceaux, mais aussi dirigé des parquets parmi les plus importants de France comme celui de Bobigny et bien sûr, celui de Paris.

Il a, comme tous ceux qui sont ici le savent, incarné la lutte contre le terrorisme sur le territoire national. Ce qui l’a fait connaitre du grand public, ce sont des événements tragiques qui ont suscité l’effroi et bousculé la justice, et, au-delà, la société tout entière. Il a su alors montrer que le combat sans merci contre le terrorisme pouvait se mener dans le respect de l’Etat de droit.

François Molins a aussi, durant ces années, mené d’autres combats tout aussi essentiels pour notre Justice et notre société, notamment celui de la lutte contre les violences faites aux femmes et celui de la lutte contre la criminalité organisée.

A la Cour de cassation, en tant que procureur général, François Molins a continué de mener les actions dans les domaines qui lui avaient toujours tenu à cœur, notamment celui de la criminalité organisée, où il a insisté, d’une part sur sa dimension internationale et la nécessité d’instituer une coopération multilatérale, d’autre part, sur la nécessité d’allouer des moyens humains et financiers à la hauteur de l’enjeu et au service d’une politique.

François Molins s’est aussi beaucoup investi sur ce sujet d’avenir qu’est le droit de l’environnement, en présidant le groupe de travail sur « le traitement pénal du contentieux de l’environnement », qui a fait le constat, dans son rapport du 7 décembre 2022, d’un manque d’efficacité et d’un sous-dimensionnement du traitement de ce contentieux émergent.

François Molins a également porté une réforme qui lui tenait à cœur, celle du parquet général au sein de la Cour de cassation. Il faisait valoir, à juste titre, que les fonctions d’avocat général sont radicalement différentes de celles qu’exerce un parquetier au sein d’un tribunal ou d’une cour d’appel, puisque, selon les textes mêmes, il rend des avis en toute liberté et indépendance, dans l’intérêt de la loi et du bien commun, en éclairant la Cour sur la portée des décisions à intervenir. Aussi préconisait-il un changement de nom et de statut afin que l’un et l’autre correspondent mieux à la pratique.

Sa position de procureur général, renforcée par sa légitimité personnelle, a aussi permis à François Molins d’œuvrer pour protéger la Justice, sa place dans la société, pour veiller à son indépendance et contribuer à la définition d’une justice moderne et ouverte sur le monde.

C’est dans cet esprit qu’il a été un fervent défenseur de la réforme du statut du parquet en vue d’une indépendance renforcée par rapport à l’exécutif, ce qui, pour lui, n’excluait nullement que le ministère public mette en œuvre la politique pénale déterminée par le Gouvernement.

C’est dans le même esprit qu’il a, inlassablement, fait état du manque de moyens de la justice et c’est donc naturellement qu’il a été à l’initiative, aux côtés de Madame la première présidente Chantal Arens, de la demande d’Etats généraux de la justice, qui avaient pour ambition de répondre à la perte de confiance des Français en l’institution judiciaire et aux critiques émises à son égard. Etats généraux auxquels il a d’ailleurs aussi participé.

Pour toutes ces actions, la Cour de cassation et plus généralement, l’institution judiciaire, sont reconnaissantes à François Molins.

 

Monsieur le procureur général,

Cher Rémy Heitz,

Lorsqu’on évoque notre profession, on ne devrait jamais parler « du » métier de magistrat mais « des » métiers de la magistrature, tant les fonctions que nous pouvons être appelés à exercer sont multiples et variées.

D’ailleurs, l’une des qualités essentielles du magistrat reste la faculté de s’adapter à des tâches et des fonctions très différentes qui peuvent lui être confiées, source indéniable d’enrichissement pour les magistrats et pour la magistrature.

Votre carrière, monsieur le procureur général, illustre cette pluralité et cette capacité.

Natif de Nancy, vous avez débuté vos fonctions en tant que substitut au parquet de Pontoise en 1989. Vous avez ensuite exercé dans de nombreux parquets, tels que celui de Paris mais aussi ceux de Saint-Malo et de Metz, deux parquets dont vous prenez la tête à presque dix ans d’intervalle : en 1999 et en 2008. Qu’il me soit permis de dire que c’est lorsque vous étiez procureur de Metz que j’ai eu le plaisir de faire votre connaissance, étant moi-même alors premier vice-président dans ce même tribunal.

Vous avez aussi une riche expérience en administration centrale. En 1994 vous avez été chef de cabinet de Pascal Clément, qui était alors ministre des relations avec l’Assemblée nationale et qui deviendra plus tard Garde des Sceaux, puis, en 2002, conseiller technique chargé de la justice du premier ministre Jean-Pierre Raffarin. Le grand public se souvient de vous comme le « Monsieur sécurité routière » du président Jacques Chirac de 2003 à 2006, lorsque vous avez été nommé délégué interministériel à la sécurité routière. Après la mise en place des radars automatiques, vous avez eu la satisfaction de voir le nombre de morts sur la route baisser nettement durant votre mandat. C’est une satisfaction que chacun ne pouvait que partager avec vous.

Vous avez, ensuite, occupé les très importantes fonctions de directeur des affaires criminelles et des grâces d’août 2017 à novembre 2018 avant de retourner au parquet pour y exercer les difficiles et emblématiques fonctions de procureur de la République de Paris de 2018 à 2021, période pendant laquelle vous avez géré, aux côté de Stéphane Noël, la crise du COVID et ses confinements successifs.  C’est tout naturellement que vous êtes ensuite devenu procureur général près la Cour d’appel de Paris.

Entretemps, et c’est là la singularité de votre parcours, vous aviez occupé d’éminentes fonctions au siège. D’abord comme président de la deuxième plus grande juridiction de France, le tribunal de grande instance de Bobigny, entre 2011 et 2015, puis comme premier président de la cour d’appel de Colmar.

Votre éclatante réussite dans tous les postes que vous avez occupés, vous la devez à un travail sans relâche, à des qualités intellectuelles remarquables et au calme que vous conservez en toutes circonstances.

Votre parcours si diversifié vous a donné une connaissance parfaite de l’institution judiciaire. Cette connaissance fonde votre légitimité. Elle vous sera précieuse tant dans vos fonctions à la Cour de cassation que dans celles de président de la formation parquet du Conseil supérieur de la magistrature et de vice-président du conseil d’administration de l’Ecole nationale de la magistrature.

Les fonctions de procureur général près la Cour de cassation présentent de fortes particularités à l’image de celles qui marquent la Cour suprême de l’institution judiciaire.

Vous êtes à la tête d’un parquet général dont l’office est singulier. Ni hiérarchisé ni en charge de l’action public, ce parquet d’une soixante de magistrats, assisté d’un secrétariat autonome dirigé par une directrice de greffe, exerce un rôle fondamental consacré notamment par une loi du 18 novembre 2016.

Ainsi que l’article L.432-1 du code de l’organisation judiciaire en dispose dorénavant, « le procureur général porte la parole aux audiences des chambres mixtes et de l'assemblée plénière ainsi que dans les assemblées générales de la cour. Il peut la porter aux audiences des chambres et devant les formations prévues à l'article L. 441-2. Il rend des avis dans l'intérêt de la loi et du bien commun. Il éclaire la cour sur la portée de la décision à intervenir ».

Au-delà de cette mission, qui vous est propre, je sais pouvoir compter sur votre soutien pour m’aider à mener à bien un certain nombre de réformes de la Cour qui me paraissent nécessaires.

Il s’agit notamment de réfléchir aux méthodes de travail de la Cour et, plus particulièrement, aux moyens d’enrichir la contribution des avocats généraux à l’élaboration de la jurisprudence.

La Cour doit mieux donner à voir ce qu’elle fait, c'est-à-dire à la fois les décisions qu’elle rend et la manière dont elle travaille.

A cet égard l’objectif d’enrichir encore la motivation de nos arrêts les plus importants reste un objectif essentiel. Il doit nous conduire à toujours mieux justifier les principes et interprétations que nous énonçons et au regard desquels nous apprécions les décisions qui nous sont déférées. L’enjeu n’est rien moins que la légitimité de la Cour. Il est donc majeur.

Les avocats généraux, comme les avocats aux Conseils, ont un rôle important à jouer ici en apportant au débat les éléments de réflexion qui peuvent d’ailleurs ne pas être purement juridiques.

Une meilleure connaissance du rôle et du fonctionnement de la Cour, facteurs d’une meilleure reconnaissance de la part de nos concitoyens passe aussi par une meilleure communication. Nous ne cessons de l’améliorer.

 

C’est ainsi que nous avons commencé, en mai 2023, à publier une lettre de la Cour, qui s’ajoute aux lettres des chambres. La Lettre de la Cour manifeste son unité, essentielle à mes yeux, dont l’assemblée plénière, émanation de l’ensemble des chambres, présidée par le premier président, constitue l’un des symboles les plus puissants. J’envisage par ailleurs la publication d’une lettre internationale permettant de faire mieux connaître notre activité au-delà des frontières.

Nous avons également saisi la possibilité que nous a offerte le législateur en filmant et diffusant depuis mars 2023 nos audiences d’assemblée plénière. Le succès est au rendez-vous, avec une moyenne de 15 000 connexions par audience, signe de l’intérêt de beaucoup à l’égard des questions soumises au juge judiciaire.

J’ai pour projet, dans les mois qui viennent, d’étendre cette diffusion à certaines audiences des chambres.

Il faut aussi que la Cour renforce ses liens avec les cours d’appel et les tribunaux avec notamment un double objectif : faciliter la prise en compte, par les juges du fond, de la jurisprudence de la Cour de cassation mais aussi, en sens inverse, mieux connaître la jurisprudence des cours d’appel afin de l’intégrer dans la réflexion de la Cour de cassation et de déceler les difficultés de mise en œuvre de sa jurisprudence.

C’est notamment là l’un des enjeux de l’observatoire de litiges judiciaires à la mise en place duquel la première présidence travaille activement depuis plusieurs mois avec l’appui du ministère de la justice et qui est placé sous l’égide du SDER.

En tant que procureur général près la Cour de cassation, vous aurez aussi à exercer les fonctions de ministère public devant la Cour de justice de la République, seule cour habilitée à juger les membres du gouvernement pour des crimes ou délits commis dans l’exercice de leur fonction.

 

Mais quittons maintenant la sphère juridictionnelle pour entrer dans celles du CSM et de l’ENM. On ne peut que constater que la tâche sera lourde et les enjeux importants, à l’heure où le Parlement débat du projet de loi d’orientation et de programmation de la Justice 2023-2027 et du projet de loi organique réformant le statut de la magistrature.

Ensemble, il nous faudra relever les défis du recrutement de 1500 magistrats en cinq ans. Nous devrons veiller à ce que ce recrutement massif, dont on ne peut que se féliciter et qui constitue une chance pour l’institution judiciaire, ne se fasse pas au détriment de la qualité des candidats retenus et de leur formation.  

Il nous faudra également réagir lorsque l’institution judiciaire subira des attaques injustifiées ou des pressions inadmissibles. Dans une période où, en Europe même, les menaces sur l’Etat de droit s’amoncellent, ce n’est pas seulement l’institution judiciaire que nous défendrons alors mais l’ensemble des institutions de la République, leur sort étant indissociable. Aussi cette défense doit-elle être menée dans un dialogue constant avec nos partenaires institutionnels.

 

Monsieur le doyen des premiers avocats généraux, vous avez la parole.

 

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