Allocution du doyen des premiers avocats généraux, Dominique Gaillardot, lors de l'audience de présentation du procureur général

08/09/2023

Madame la Première ministre,

Mesdames et Messieurs les hautes personnalités,

Mesdames, Messieurs,

Chers collègues,

                                                                                              

Je m’associe aux souhaits de bienvenue prononcés par M. Le premier Président

Derrière la formulation quelque peu protocolaire de ces traditionnels mots d’accueil, soyez persuadés qu’il importe, aux yeux de tous ici que vous soyez directement associés, ne serait-ce que le court instant de cette audience, au fonctionnement de l’institution judiciaire, afin d’en mieux saisir les enjeux, les perspectives d’avenir dans lesquelles s’inscrit son exercice, les difficultés qu’elle doit surmonter.

C’est l’occasion renouvelée de rappeler la place et le rôle de l’institution judiciaire, contribuant directement, aux côtés d’autres, à la régulation de la vie sociale, rôle qu’elle ne peut assurer dans l’intérêt de tous que si les conditions de son exercice sont garanties.

L’installation d’un nouveau procureur général est toujours, dans la vie de la Cour de cassation, un événement important, tant elle s’inscrit dans la continuité de la vie de la Cour, mais peut être aussi prometteuse d’évolution.

M. Le procureur général, cher Rémy

48ème procureur général de la Cour de cassation depuis 1804, vous succédez au procureur général  François Molins.

Celui-ci a eu une carrière entièrement consacrée aux fonctions du ministère public. Il aime à souligner que son passage à la tête du parquet de Bobigny a été un moment fort de sa carrière, une expérience fondatrice à l’occasion de laquelle il a pu au fil des années insuffler à de jeunes magistrats le goût de l’action publique et la rigueur nécessaire à cette action.                                        

 

Inutile de présenter François Molins ;  chaque français est à même de se souvenir, dans les tragiques heures qu’a connu notre pays, des interventions télévisées de celui-ci, alors procureur de la République de Paris.

On se souvient d’  interventions  précises, détaillées, n’oubliant jamais les victimes et leurs familles, et informant le public tant des faits que, dans la mesure du possible,  de l’avancée des enquêtes.

Interventions rassurantes tant il soulignait par là-même que les institutions, à commencer par la justice, parquet comme siège,  et les forces de l’ordre, mettaient tout en oeuvre pour identifier, rechercher, arrêter puis juger les auteurs de ces lâches attentats.

 

D’aucun se demandait, lorsque François Molins est arrivé au parquet général de la Cour de cassation comment il appréhenderait ses nouvelles fonctions, si différentes, comment il prendrait de la distance avec l’action publique et la lutte contre le terrorisme.

C’était mal connaître sa volonté de surmonter les difficultés juridiques les plus complexes pour toujours faire prévaloir l’intérêt général sur les intérêts particuliers, l’interprétation utile de la règle de droit au regard des enjeux, et des évolutions de la société.

Ainsi n’a-t’il pas hésité à intervenir personnellement, en Assemblée plénière sur des questions d’intérêt public majeur telle la question de la transcription sur les registres de l’Etat civil d’enfant né à l’étranger de gestation pour autrui.

Plus encore, usant des prérogatives que la loi lui reconnaît, il a demandé que la question de la reconnaissance de la compétence des juridictions françaises pour juger des actes de tortures, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre commis à l’étranger lorsque auteurs et victimes ne sont pas français, soit renvoyée devant l’Assemblée plénière de la Cour.

 

Ainsi, l’Assemblée plénière, dans ses arrêts de principe du 12 mai 2023, a jugé que la condition de double incrimination, exigée pour la poursuite de tels crimes « n'implique pas que la qualification pénale des faits soit identique dans les deux législations, mais requiert seulement qu'ils soient incriminés par l'une et l'autre ».

L’usage d’une telle prérogative, exceptionnel, est au coeur de la mission du procureur général, permettant, aux côtés des prérogatives du Premier Président, que des questions de droit nouvelles, d’une difficulté ou sensibilité particulière, reflétant les préoccupations de la société, puissent être traitées avec toutes les garanties, l’autorité, mais aussi la publicité propres aux décisions les plus importantes de cette Cour.                               

Pendant les quatre années passées à la tête de ce parquet général, François Molins a également plaidé pour une clarification institutionnelle de l'office de l'avocat général à la Cour de cassation, espérant que les propositions de modifications législatives formulées, avec le soutien de la première présidence et de l’ordre des avocats au Conseil, pourraient à courte échéance être reprises par les pouvoirs publics. Il vous appartient désormais, Monsieur le procureur général, de reprendre ce chantier.

François Molins a constamment fait prévaloir l’idée que les garanties attachées aux fonctions de magistrat « ont leur justification dans la protection des droits et des intérêts de ceux qui ont recours à la justice et non dans le confort des magistrats ».

Ainsi a-t-il toujours été le défenseur d’une magistrature intègre, indépendante, libre de toutes influences, mais exigeante, pour elle-même comme pour les autres, ne souffrant pas la médiocrité, ouverte sur les autres et la cité, toutes conditions essentielles pour s’assurer de la confiance des citoyens dans la justice de notre pays, et à travers elle, dans les institutions de la République.

Je ne doute pas, Monsieur le procureur général que ce sont ces mêmes valeurs qui guideront votre action et que vous pourrez les transmettre, à travers vos fonctions au Conseil d’administration de l’ENM, aux plus jeunes de nos collègues.

Inutile, Monsieur le procureur général, de présenter votre parcours : vous avez assuré toutes les fonctions qu’offre une carrière de magistrat, au siège, au parquet ou en détachement.

Vos années passées comme procureur de la République à Saint Malo, à Metz, où vous avez croisé Monsieur le Premier président Christophe Soulard, puis à la tête du difficile mais prestigieux parquet de Paris, avant de devenir procureur général de la cour d’appel de Paris, ou encore comme directeur des affaires criminelles et des grâces, vous seront précieuses dans l’exercice de vos fonctions à la tête de la formation du parquet du CSM.

Vos années passées en qualité de président du Tribunal judiciaire de Bobigny comme de premier président de la cour d’appel de Colmar témoignent de votre connaissance et de votre sensibilité toute particulière à la fonction de magistrat du siège. Elles seront gage d’un dialogue éclairé, confiant avec le Premier Président, les présidents de chambre comme avec l’ensemble des magistrats du siège de cette Cour. A ce titre, votre carrière à elle seule témoigne de l’unité du corps judiciaire.

Vos années passées, comme directeur de l’administration générale et de l’équipement du ministère de la justice, comme celles passées au cabinet du ministre délégué aux relations avec l'Assemblée nationale, ou encore, et plus particulièrement peut-être, comme délégué interministériel à la sécurité routière attestent de votre connaissance du fonctionnement de l’Etat. Ce sera un atout précieux dans vos relations avec les autres institutions pour faire valoir vos analyses ou soutenir les propositions de réforme et d’évolutions législatives défendues par cette Cour.

Comme tous vos prédécesseurs, vous vous familiariserez avec la particularité de la fonction de procureur général près la Cour de cassation.

Vous ne serez plus en charge de l’action publique, ni de la politique pénale. Votre seule mission, comme celle de vos avocats généraux, sera désormais de veiller à l’interprétation de la loi et à l’unicité de la jurisprudence.

Votre responsabilité à l’égard des magistrats du parquet général de cette Cour sera de veiller à ce que ce parquet soit constamment à même de remplir la mission qui est la sienne dans les meilleures conditions, au service de cette Cour comme du justiciable.

Vous êtes désormais à la tête de ce parquet général, composé de magistrats expérimentés, aux expériences professionnelles les plus diverses, pour nombre d’entre eux anciens conseillers référendaires, anciens présidents de chambre ou avocats généraux ou même universitaires reconnus, dont je tiens tout particulièrement à souligner l’apport essentiel.

Cette diversité est la richesse de ce parquet général ; elle mérite d’être poursuivie et développée. Elle contribue à sa reconnaissance.

Dans l’exercice de leurs missions, les avocats généraux ne sont liés par aucune des thèses en présence, d’où leur grande liberté, consubstantielle à leur indépendance, dans la recherche de la solution la plus pertinente. Ils doivent rechercher l’interprétation la plus utile de la loi pour proposer une solution du litige qui s’inscrive dans son temps, prenant en compte si nécessaire les évolutions de la société.                                                       

Tel est l’intérêt majeur de l’intervention de l’avocat général. Il peut ainsi proposer des évolutions quand une jurisprudence ne lui paraît plus en adéquation avec l’environnement juridique national ou supra-national. Mais il est également à même d’appeler l’attention de la chambre sur les limites, voire les dangers de telle ou telle solution ou évolution.

C’est cette collégialité d’avocates et d’avocats généraux formant le parquet général de cette Cour qu’ils vous appartient désormais d’animer.

 Je peux vous assurer de leur compétence, de leur entière détermination à éclairer, à travers leurs avis, la Cour et le justiciable,

Vous arrivez dans une institution qui, sous les présidences successives de Chantal Arens et de Christophe Soulard, évolue, se transforme : l’usage de la motivation enrichie, les réflexions sur l’audience plus interactive, les séances d’instruction et la désignation en amont de l’avocat général dans les dossiers les plus complexes ou d’intérêt public majeur sont d’un grand intérêt au bénéfice de tous, je peux personnellement en témoigner.

Il vous appartient désormais d’accompagner ce mouvement.

Je ne saurais vous souhaiter la bienvenue puisque vous comptez déjà au nombre des premiers avocats généraux de cette Cour.

En revanche, l’ensemble des magistrats et fonctionnaires de ce parquet se joint à moi pour vous souhaiter, Monsieur le procureur général, une parfaite réussite à la tête de ce parquet général, dans l’intérêt de la Cour, de son parquet général, et de l’ensemble des membres de la communauté judiciaire.

 

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