Presse : Le premier président prend la parole dans L'Obs

26/07/2023

"'Alimenter une opposition entre la police et la justice est nocif', met en garde le premier président de la Cour de cassation" - Entretien exclusif accordé à L'Obs par le premier président Christophe Soulard, faisant suite aux propos tenus par un haut responsable de l'Etat, à l'égard de l'autorité judiciaire. Propos recueillis par Mathieu Delahousse pour le magazine L'Obs.

"Comme premier président de la Cour de Cassation, il me semble important de venir rappeler à chacun des notions essentielles sur notre justice : les juges exercent leurs missions en toute indépendance, ce qui veut dire qu’ils doivent être à l’abri de toute instruction mais aussi de toute pression. Il me faut dire que ces deux conditions n’ont pas été posées pour le confort des juges, mais comme une garantie pour chacun des justiciables que les juges se prononceront sur le seul fondement des textes en vigueur appliqués aux circonstances de l’affaire particulière."

L’idée qu’une institution pourrait s’affirmer en en mettant une autre en cause est dévastatrice pour l’ensemble des institutions de la République.

Christophe Soulard

"Toute interférence dans le travail des juges nuit à la qualité du processus juridictionnel. Par ailleurs, il serait dangereux pour l’Etat de droit et trompeur pour les justiciables de laisser penser que les juges peuvent appliquer, à certains d’entre eux, d’autres textes que ceux votés par le Parlement. Enfin, l’idée qu’une institution pourrait s’affirmer en en mettant une autre en cause est dévastatrice pour l’ensemble des institutions de la République."

"Il me faut expliquer les processus et les notions qui fondent l’action judiciaire. Le premier principe est l’égalité des citoyens devant la loi, l’égalité de tous devant la justice. La loi prévoit des critères selon lesquels la détention provisoire peut être ordonnée. Ces critères sont inscrits dans le Code de Procédure pénale et s’imposent à tous. Ils ne peuvent s’appliquer qu’à l’encontre d’une personne qui a été mise en examen par un juge, ce qui suppose qu’il existe des indices graves ou concordants à son encontre. La personne mise en examen continue d’être présumée innocente."

"Quand un juge d’instruction estime nécessaire la détention provisoire, il ne décide pas lui-même de la mesure. Depuis la loi « présomption d’innocence » de 2000, il doit saisir un autre magistrat, le juge des libertés et de la détention, qui décide ou non d’ordonner une telle mesure. Cette loi a été adoptée pour apporter une garantie supplémentaire, la détention provisoire devant demeurer l’exception. Ainsi, ce sont deux juges, indépendants des pressions extérieures et indépendants l’un de l’autre, qui examinent l’affaire et la nécessité d’une décision de détention provisoire. Enfin, il existe des voies de recours, devant la chambre de l’instruction, éventuellement devant la chambre criminelle de la Cour de Cassation."

[Seuls les magistrats] sont non seulement en droit mais encore en capacité, parce qu’ils ont procédé à un examen approfondi du dossier, de prendre une décision dont ils mesurent la gravité.

Christophe Soulard

"Le code de procédure pénale ne prévoit pas qu’on puisse réserver un sort particulier à un justiciable pour les raisons que vous évoquez. Le travail du juge, tous les jours, partout en France, est d’appliquer des textes généraux à des situations particulières. De manière générale, il est de l’office des juges de garantir la liberté individuelle. Eux seuls sont non seulement en droit mais encore en capacité, parce qu’ils ont procédé à un examen approfondi du dossier, de prendre une décision dont ils mesurent la gravité."

La séparation des pouvoirs implique de ne pas les opposer l’un à l’autre. Alimenter une opposition entre la police et la justice est stérile et même nocif.

Christophe Soulard

"Le pouvoir exécutif ne doit pas interférer dans les procédures judiciaires. Je ne suis pas le premier à rappeler ce principe. Le Conseil supérieur de la Magistrature, notamment, a rappelé l’importance de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance des juges. Pour ma part, j’entends ajouter que la séparation des pouvoirs implique de ne pas les opposer l’un à l’autre. Alimenter une opposition entre la police et la justice est stérile et même nocif. Chacun d’entre nous sait à quel point l’action de la police peut être difficile à mener mais, en aucun cas, elle n’est mise à mal par l’action de la justice qui va, selon les situations, décider ou non d’une détention provisoire, annuler ou non un acte, condamner ou non des personnes qui lui auront été présentées. La séparation des pouvoirs a pour but de protéger le citoyen des abus et de l’arbitraire. C’est parce que l’on croit à la démocratie et à l’Etat de droit que l’on devient magistrat ou policier. Je crois que c’est cet idéal qui anime les uns et les autres."

"Les attaques contre la justice de la part de responsables politiques sont devenues ces dernières années trop fréquentes. Dans bon nombre de cas, elles proviennent d’une méconnaissance de la justice. Face à celles-ci, il nous appartient d’expliquer nos missions et notre fonctionnement. Je m’y emploie depuis que j’ai pris mes fonctions ici, il y a un an. Dans d’autres cas, les critiques sont sciemment émises pour instrumentaliser des débats publics sur des questions complexes. Il est néfaste, encore une fois, pour notre société de les laisser perdurer. C’est pourquoi je crois nécessaire de rappeler le rôle et la place de chacun dans notre ordre institutionnel."

Nous devons travailler collectivement et inlassablement à renforcer la confiance de tous dans la justice.

Christophe Soulard

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