François Molins - Prestation de serment des auditeurs de justice promotion 2023

17/02/2023

Le vendredi 17 février 2023, le procureur général près la Cour de cassation a prononcé un discours à l'attention de la nouvelle promotion des auditeurs de justice qui prêtaient serment à la cour d’appel de Bordeaux.

Monsieur le premier président,

Madame la directrice de l’Ecole nationale de la magistrature,

Mesdames et messieurs les cadres et les chargés de formation,

Chers auditeurs de justice,

Chers collègues,

C’est pour moi un honneur et un réel plaisir d’être présent aujourd’hui à la cérémonie d’accueil de votre promotion, en ma qualité de procureur général près la Cour de cassation et de vice-président du conseil d’administration de l’Ecole nationale de la magistrature.

C’est également un moment très émouvant pour moi : je prends la parole devant une nouvelle promotion d’auditeurs de justice pour la dernière fois, puisque je serai à la retraite à la fin du mois de juin.

Mesdames et Messieurs les auditeurs de justice de la promotion 2023, vous allez prononcer solennellement le serment d’auditeur de justice, prélude à celui de magistrat. Je tiens à vous féliciter pour votre réussite au concours difficile qui vous ouvre les portes de cette grande école de la République qu’est l’Ecole nationale de la magistrature, à laquelle tous les magistrats restent très attachés au regard de tout ce qu’ils y ont appris.

La mission de l’Ecole est de vous accompagner dans l’acquisition d’une culture judiciaire qui sera commune à tous les juges et procureurs que vous deviendrez, et de vous former au métier de magistrat dans ses différentes fonctions par l’apprentissage de compétences fondamentales permettant une prise de décision conforme à la loi et adaptée à son contexte, respectueuse de l’individu et des règles éthiques et déontologiques, et s’inscrivant dans un environnement institutionnel, national et international.

Au terme de 31 mois de formation, vous aurez ainsi acquis un savoir, un savoir-être et un savoir-faire, selon la trilogie chère à l’Ecole, qui feront de vous, non plus seulement d’excellents juristes, mais des magistrats dignes et loyaux, à l’écoute de la société, capables d’incarner l’autorité judiciaire et d’appliquer la loi avec discernement et sens de l’équité.

Vous rejoignez un corps, la magistrature, un corps qui ne vit pas dans l’entre soi, un corps qui a une âme, un corps ouvert sur les autres, un corps au cœur de la cité.

Vous rejoignez un corps dont la Constitution garantit l’indépendance mais qui, comme tout corps d’agents publics et conformément à l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, doit rendre compte de ses actions.

Etre magistrat, c’est beaucoup plus qu’exercer une profession, c’est remplir une mission au service de nos concitoyens. C’est être le garant des libertés individuelles, mais aussi le protecteur des plus fragiles et des plus vulnérables. C’est être en permanence au cœur de la vie des gens et au centre des débats de société, en prise avec tous les enjeux et difficultés d’un monde à la complexité sans cesse croissante et foisonnante. C’est, en permanence, choisir et décider, ce qui nécessite des qualités d’humanité, d’humilité et de courage.

Le magistrat doit veiller à ce que la justice à laquelle il œuvre au quotidien ne devienne jamais un confort. Il lui faut pour cela toujours cultiver le doute, aussi bien en ce qui concerne ses propres certitudes, qu’en ce qui concerne les affaires qu’il juge.

Tout au long de votre parcours professionnel, vous devrez vous inscrire dans une démarche empreinte d’ouverture sur le monde et de curiosité. Pour rendre une justice adaptée et acceptée, vous devrez demeurer à l’écoute de la société, de ses évolutions et de ses interrogations. L’office du juge n’est pas immuable, il doit s’adapter à son environnement en mutation permanente. Vous devrez enfin toujours avoir le souci de la clarté et de la lisibilité de vos décisions. La justice souffre trop souvent de ne pas savoir suffisamment expliquer et mettre en valeur le sens et la richesse de ses actions et de ses décisions.

Je pense et j’ai toujours pensé que ce métier nous dépasse et nous incite en permanence au dépassement de nous-même.

En devenant magistrats, vous deviendrez détenteurs sur vos concitoyens d’importants pouvoirs qui touchent à leur liberté, leur honneur, leur sécurité ou leurs intérêts familiaux, sociaux et matériels. C’est pourquoi la contrepartie, dans toute démocratie, en est la responsabilité, faite d’une grande humilité, d’une compétence irréprochable, d’une exigence de formation de haut niveau, ainsi que d’une éthique et d’une déontologie sans failles. C’est à ces conditions que nous pourrons restaurer et renforcer la confiance de nos concitoyens dans la Justice de notre pays.

Lorsqu’il était directeur des études à l’Ecole nationale de la magistrature, Pierre Truche interpellait ainsi les jeunes auditeurs : « Vous allez exercer un métier dangereux, dangereux pour les autres, n’oubliez jamais ça ! ». Il estimait que les pouvoirs donnés par le Parlement et exercés par les magistrats étaient une garantie pour la démocratie, mais qu’ils imposaient aux magistrats d’être encore plus conscients de leurs devoirs.

Je voudrais aujourd’hui évoquer devant vous plusieurs sujets qui m’apparaissent au cœur des enjeux auxquels vous serez confrontés dans les prochains mois et les prochaines années : l’indépendance des magistrats et leur déontologie, l’unité de notre corps, la crise actuelle de l’institution judiciaire, et les relations entre les magistrats et les avocats.

 

  1. L’indépendance des magistrats, leur statut et leur déontologie

Comme le souligne le Conseil supérieur de la magistrature dans son Recueil des obligations déontologiques, l’indépendance de l’autorité judiciaire est un principe fondamental de valeur constitutionnelle, découlant du principe de la séparation des pouvoirs. Elle constitue l’une des garanties de l’Etat de droit. Elle est, pour le justiciable, la condition d’un procès équitable, et, pour la société, la condition de sa confiance dans la justice. Elle est, pour le magistrat, la condition de sa légitimité.

Tout est dit, ou presque.

Ce sont les textes fondateurs de notre démocratie qui imposent cette lecture et confient au président de la République la lourde charge d’être le garant de cette indépendance, en qualité de gardien de la Constitution, et avec l’assistance du Conseil supérieur de la magistrature, qui a aujourd’hui un rôle majeur.

L’indépendance de l’institution judiciaire est assurée par le statut des magistrats. Elle dépend en effet étroitement des conditions de leur recrutement, de leur nomination et du déroulement de leur carrière.

Si les magistrats bénéficient d’un statut spécifique, protégé par la loi organique et le contrôle du Conseil constitutionnel, au service de leur fonction et non de leur personne, c’est pour qu’ils puissent exercer leur office en application de la loi, suivant les règles procédurales en vigueur, en fonction des seuls éléments débattus devant eux, libres de toute influence ou pression extérieure, sans avoir à craindre une sanction ou espérer un avantage personnel.

L’indépendance des magistrats n’est donc pas un privilège octroyé dans leur intérêt propre mais elle leur est garantie dans l’intérêt des justiciables. Il ne s’agit pas de protéger les juges et les procureurs mais d’assurer le crédit de la justice. Y déroger serait affaiblir l’autorité de l’Etat et compromettre l’une de ses fonctions essentielles. L’indépendance est nécessaire pour assurer la confiance du public dans l’impartialité de l’administration de la justice, car elle est la condition essentielle du respect et de l’acceptation des décisions judiciaires par les justiciables.

Il est indispensable aujourd’hui d’aller plus loin en matière d’indépendance, s’agissant notamment des magistrats du parquet.

Le magistrat du ministère public a un rôle dual qui se retrouve dans son statut hybride. Soumis à la subordination hiérarchique, il met en œuvre la politique pénale déterminée par le gouvernement conformément à l’article 20 de la Constitution. C’est la garantie indispensable de l’application homogène de la loi et d’une politique pénale cohérente sur l’ensemble du territoire national. Cette chaîne hiérarchique placée sous l’autorité du Garde des sceaux garantit le respect de l’intérêt général.

Parallèlement, le parquet est indépendant du pouvoir politique et traite, en toute impartialité et indépendance les affaires individuelles puisque, depuis la loi du 25 juillet 2013, il ne peut plus recevoir d’instructions du Garde des sceaux dans ce domaine. Parce qu’il est magistrat et gardien de la liberté individuelle, le magistrat du parquet dirige la police judiciaire, contrôle la légalité des moyens mis en œuvre par les enquêteurs et la proportionnalité des actes d’investigations, et veille à ce que les investigations tendent à la manifestation de la vérité et qu’elles soient accomplies, à charge et à décharge, dans le respect des droits de la victime, du plaignant et des personnes suspectées.

Le procureur a acquis, dans notre procédure pénale, des prérogatives de plus en plus importantes à travers notamment l’accroissement de ses pouvoirs d’enquête, et son avenir exige un renforcement de son indépendance afin que l’on puisse avoir la certitude qu’ils sont exercés en toute neutralité et sans aucun risque de pression ou d’influence.

Il est donc nécessaire de mettre les modalités de gestion de la carrière du magistrat du parquet en accord avec ses prérogatives et ses responsabilités. Pour faire disparaître le venin de la suspicion, il est nécessaire de faire évoluer le statut du parquet dans le sens d’un alignement des deux régimes statutaires du siège et du parquet tant sur le plan des nominations que sur celui du régime disciplinaire. C’est tout le sens des préconisations du Conseil supérieur de la magistrature. Cette réforme est la condition d’une justice indépendante et impartiale, et d’une réelle séparation des pouvoirs, essentielles au fonctionnement de la démocratie et aux attentes de nos concitoyens.

 

Le respect des règles déontologiques par le magistrat est également une condition de son indépendance, et le protège de toute critique relative à celle-ci.

La notion de déontologie, centrée sur le devoir professionnel, n’est pas seulement un outil de prévention des fautes disciplinaires, car le « bon comportement » du magistrat doit avant tout être guidé par la recherche d’une justice de qualité, dans toutes ses dimensions. Plus qu’une déontologie normative ou moralisatrice, il s’agit d’une déontologie qualitative qui imprègne la culture professionnelle des magistrats.

Dans l’exercice professionnel d’un magistrat, qu’il soit au siège ou au parquet, l’indépendance a toujours une double dimension : une dimension institutionnelle et statutaire, et une dimension personnelle. On aura beau imaginer toutes les garanties du monde possibles, notamment sur le plan statutaire, celles-ci doivent se doubler d’un exercice personnel visant à mettre en œuvre cette indépendance au quotidien.

L’indépendance requiert en effet des magistrats un état d’esprit, un savoir-être et un savoir-faire qui doivent être enseignés, cultivés, approfondis tout au long de la carrière.

L’office du magistrat impose aux juges et aux procureurs de la République des responsabilités et une vigilance accrue dans l’exercice de leurs fonctions, qui passent par un respect scrupuleux de leurs obligations déontologiques.

Il sera ainsi de votre devoir d’être lucide dans votre exercice professionnel, de savoir identifier vos éventuelles dépendances pour les dépasser, et de savoir identifier vos faiblesses pour les surmonter. Vous ne devrez jamais sacrifier, pour une promotion ou sous l’effet de pressions, ce qui fonde et justifie votre action, à savoir les exigences déontologiques de votre profession de magistrat. 

Ces dernières années, l’institution judiciaire a beaucoup œuvré pour renforcer les règles déontologiques. Le CSM a rédigé un nouveau Recueil des règles déontologiques qui énonce des principes de conduite professionnelle articulés autour des grandes valeurs devant structurer le comportement de tout magistrat, recueil que je vous encourage à lire régulièrement.

Enseigner l'éthique et la déontologie aux futurs magistrats que vous êtes est l’une des missions essentielles de l’Ecole nationale de la magistrature. Il ne se conçoit que dans le cadre d'une réflexion approfondie sur l'office du magistrat. Il ne s'agit pas de vous transmettre un ensemble de règles ou de proposer des réponses standardisées mais de vous amener à repérer dans votre quotidien les situations où vous devrez vous interroger sur la conduite à tenir pour trouver vous-mêmes les réponses adaptées. Il s'agit également de vous sensibiliser aux enjeux de l'audience, à ce qui se joue dans les relations avec les justiciables et les avocats, à la nécessité de concevoir l'acte juridictionnel comme s'inscrivant dans un contexte précis et s'élaborant dans le cadre collectif de la communauté de travail judiciaire.

C'est en acquérant ce savoir-être que vous construirez votre légitimité et gagnerez la confiance de vos concitoyens. Cette exigence d’exemplarité s’impose à vous dès l’entrée à l’Ecole nationale de la magistrature.

Car, au-delà de la légitimité résultant de la légalité, la légitimité d’un magistrat réside également dans son aptitude à susciter l’adhésion aux pouvoirs dont il est investi et aux décisions qu’il prend en application de ses pouvoirs.

Cette forme de légitimité s’apparente à celle que Pierre ROSANVALLON qualifie de légitimité d’impartialité et de proximité, et que doivent revêtir notamment les magistrats, en tant que garants de l’égalité de traitement des justiciables et de la prise en compte des spécificités individuelles. 

La question de la légitimité du juge implique en effet une réponse plus élaborée que la seule référence abstraite et formelle à la loi. Elle réside aussi dans l'acte de juger lui-même, les qualités propres du juge, son mode d'intervention ou encore son éthique professionnelle. Elle réside également dans la motivation des décisions de justice. Il s'agit ainsi de construire une légitimité du processus de prise de décision.

La légitimité du juge est toujours précaire et suppose une « ratification permanente et silencieuse ». C'est pourquoi Pierre ROSANVALLON l'appelle aussi « une légitimité d’exercice ». Ce qui renforce cette légitimité c'est en effet « la réputation, la compétence, la lisibilité, la mise à l'épreuve, la collégialité ».

 

  1. L’unité du corps de la magistrature

En devenant magistrat, vous intègrerez un corps judiciaire unique composé de magistrats du siège et de magistrats du parquet.

Certains critiquent ce principe d’unité du corps judiciaire gravé aujourd’hui dans le marbre de l’article 64 de notre Constitution et soutiennent qu’il faudrait l’abandonner au profit de la séparation du siège et du parquet.

Le procureur ne sera jamais un juge et restera toujours une autorité de poursuite. Toutefois, parce qu’il décide de l’orientation de la procédure et donc émet déjà un jugement sur celle-ci, le magistrat du parquet est un magistrat et doit le rester pour mieux protéger la liberté individuelle, en toute impartialité. Cette impartialité n’est pas celle du juge qui, lui seul, porte une appréciation sur le bien-fondé d’une accusation en matière pénale. Le ministère public est, d’une certaine manière, nécessairement partial en ce qu’il croit à la culpabilité de celui qu’il poursuit. L’impartialité du ministère public renvoie en réalité à une exigence différente : celle d’enquêter à charge et à décharge et de veiller à la proportionnalité des moyens employés au cours des enquêtes.

Tout est lié. C’est parce qu’il est magistrat et appartient à l’autorité judiciaire que, comme l’a souligné à plusieurs reprises le Conseil constitutionnel, le ministère public exerce librement son action devant les juridictions, en recherchant la protection des intérêts de la société. Et c’est encore parce qu’il appartient à l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, qu’il a un pouvoir de direction et de contrôle direct et effectif de la police judiciaire, principe à valeur constitutionnelle comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel. Sans indépendance, il n’y a en effet pas d’impartialité, et sans impartialité, il n’y a pas de justice. Il ne saurait donc y avoir de justice de qualité sans parquet indépendant et impartial dans la conduite des affaires individuelles.

Enfin, l’unité du corps que vous rejoignez renforce l’institution judiciaire et favorise également la qualité de la justice à travers la gestion de ses ressources humaines. Les missions des magistrats du siège et du parquet, tout aussi différentes soient-elles, sont en effet très complémentaires et cette complémentarité transcende les différences fonctionnelles. Unité du corps ne signifie pas connivence et influences réciproques, mais bien au contraire enrichissement des réflexions, compréhension fine des logiques et positionnements respectifs, et sentiment de travailler ensemble, chacun à sa place, à l’œuvre de justice. C’est enfin l’appartenance au même corps judiciaire et le fait que vous prêtez le même serment qui garantissent une éthique et une déontologie communes des magistrats du siège et du parquet.

 

  1. La crise actuelle de l’institution judiciaire

Notre Justice est en crise, depuis longtemps, trop longtemps. La crise est profonde et se traduit à la fois par une crise du service public de la Justice et plus largement par une crise de nos institutions. Ces dernières années ne peuvent qu’inspirer de vives inquiétudes qu’une augmentation des moyens budgétaires, aussi substantielle soit-elle, ne suffira pas à elle seule à lever.

Cette crise du service public de la Justice a trouvé son paroxysme dans la tribune des 3000 et dans l’émotion suscitée par la mort brutale, en octobre dernier, de notre collègue du tribunal judiciaire de Nanterre, Marie Truchet, à l’audience, en robe, dans l’exercice de ses fonctions.

Cette crise du service public de la Justice se traduit par des délais de jugement qui s’allongent, une dégradation de la qualité des décisions, faute de temps pour les motiver et leur exécution trop tardive et trop aléatoire sur fond de surpopulation pénitentiaire qui peut aboutir à des conditions de détention indignes et s’opposer à l’engagement d’actions de réinsertion. Comme l’ont montré les Etats généraux de la Justice, cette crise est ancienne. Les stocks des juridictions ont augmenté de 37 % entre 2005 et 2019. En matière pénale, les clignotants sont au rouge. Au 31 décembre 2019, 1 400 000 affaires pénales attendaient d’être jugées et 2 millions de plaintes sont en attente de traitement dans les commissariats de police.

Cette situation a engendré, malgré les renforts de personnels contractuels, un profond découragement et surtout de la souffrance. Aujourd’hui, le système ne tient que grâce à l’engagement et à l’abnégation des magistrats et des fonctionnaires de greffe. On ne dira jamais assez leur dévouement et, quand on connait la réalité de leurs conditions de travail, ils suscitent l’admiration.

Le constat est donc partagé et il semble que la mesure de l’état de délabrement dans lequel se trouve la Justice a enfin été prise. Aussi, l’annonce d’une augmentation sans précédent du budget du ministère de la Justice d’ici 2027 et les engagements de recrutements supplémentaires substantiels doivent être salués. Il faudra que ces nouveaux moyens humains et financiers soient répartis de telle sorte qu’ils permettront d’améliorer réellement les conditions de travail dans les juridictions tout en assurant une meilleure qualité de la Justice rendue, avec une réduction des délais de traitement et le retour à la collégialité, sans oublier l’objectif de lutte contre la récidive qui doit nécessairement sous-tendre la philosophie de la politique pénitentiaire.

C’est un pas important qui devra être poursuivi à la lumière des travaux menés sur l’évaluation de la charge de travail des magistrats et être accompagné des réformes de fond nécessaires aux problèmes structurels que rencontre notre institution. Sur ce point, de nombreuses propositions figurent dans le rapport des Etats généraux pour relever les défis de la qualité pour notre Justice en la rendant plus humaine, plus accessible, et plus proche du citoyen.

 

  1. Les relations entre avocats et magistrats

Les relations entre avocats et magistrats n’ont pas toujours été idylliques, c’est un euphémisme de le dire, mais on peut constater depuis plusieurs années une réelle dégradation. Il est vrai qu’en 30 ans, la procédure civile et la procédure pénale, cadre du procès, ont été considérablement modifiées, l’architecture judiciaire aussi. Les fonctions judiciaires, les missions ont évolué, la profession d’avocat s’est profondément modifiée, le barreau a doublé voire triplé ses effectifs.

Les relations entre magistrats et avocats se sont ainsi compliquées et dégradées, donnant lieu à des incidents, faisant naître un véritable antagonisme et radicalisant les positions, sous les effets conjugués d’un manque de confiance, d’un défaut de considération et certainement aussi de l’absence de préoccupations et de visions communes.

Sans doute la charge actuelle écrasante de travail pour les magistrats et l’obligation de résultat imposée par les clients aux avocats ont fortement contribué à la détérioration de nos relations.

De même, l’évolution des lieux de justice, nettement plus sécurisés qu’auparavant, a vraisemblablement nui aussi à nos relations.

Je crois que c’est profondément dommage et qu’il est nécessaire de lutter contre ce phénomène. En effet, au-delà de ce qui nous sépare, avocats et magistrats, nous devons nous attacher à ce qui nous unit.

La gestion de l’audience notamment, qui est souvent le lieu de toutes les tensions, est tout un art, et sa réussite repose avant tout sur l’exercice des compétences de chacun.

La loi confie au président la police de l’audience. L’exercice effectif et courtois par le président d’audience de ses pouvoirs de police de l’audience me paraît donc constituer la meilleure prévention des incidents d’audience, et la meilleure garantie que le réquisitoire du parquet et la plaidoirie de l’avocat seront utiles et constructifs.

A l’audience, l’avocat dispose d’une liberté entière de parole même si cette liberté n’est pas absolue. Il doit donc dire tout ce qui est en faveur de son client et pas seulement ce qui agrée au juge. Les avocats sont des empêcheurs de tourner en rond, c’est dire qu’ils sont indispensables dans l’œuvre de justice.

Au-delà de la différence de nos missions et de leur expression à l’audience dans la plaidoirie ou les réquisitions, un certain nombre de valeurs nous sont communes. Ces valeurs sont contenues dans nos serments, il nous faut les rappeler sans cesse et les faire vivre et transparaître dans nos pratiques professionnelles. Il s’agit du socle de notre déontologie, que nous soyons avocats ou magistrat du siège ou du parquet.

Ces valeurs sont celles de l’indépendance, de la probité, du respect du secret professionnel, du respect du contradictoire, de la loyauté dans les rapports, du respect du justiciable, et j’ajouterai du respect dû, ensemble par le magistrat et l’avocat, à l’institution judiciaire qui n’appartient ni au juge, ni à l’avocat, mais constitue un bien commun (en effet, on ne peut servir la justice si on ne la respecte pas).

A côté de l’éthique du juge, du procureur ou de l’avocat, il y a place pour une éthique de la relation judiciaire, qui en est le prolongement, qui a pour objet le comportement de chacun, et qui doit refléter l’ensemble des vertus qui les animent en conformité avec cette éthique.

Il existe aujourd’hui une réelle volonté de renouer un dialogue fécond entre nos professions, dialogue qui n’aurait jamais dû s’altérer, tant les justiciables attendent que les magistrats et les avocats ne soient pas des adversaires mais bien des partenaires dans cette quête permanente d’une Justice humaine et de qualité. Le bâtonnier Damien aimait à rappeler que « le magistrat est courtois avec les avocats parce qu’il n’ignore pas qu’ils sont là pour l’aider dans sa fonction de juger et qu’ils représentent les parties au service desquels ils sont placés ».

Un rapprochement accru entre les deux professions s’impose, dans la compréhension mutuelle, les formations communes, les échanges d’expériences. Magistrats et avocats doivent mieux se connaître pour se respecter davantage. Les stages dans les juridictions dans le cadre des PPI ou les stages d’auditeurs de justice en cabinet d’avocat répondent à cet objectif en début de formation, de même que les formations communes proposées par l’ENM ou les écoles d’avocats.

Les conditions d’un dialogue apaisé doivent donc être recréées en suscitant des lieux de rencontre et d’échange qui permettront de mieux se comprendre et de tenter de rechercher des solutions en commun. Le Conseil consultatif conjoint de déontologie de la relation magistrats-avocats a ainsi proposé de nombreuses recommandations en matière d’usages et de bonnes pratiques. Il a aussi rappelé la vieille tradition de la foi du palais, secret partagé et fondé sur la confiance dans la confidence. Cette foi du palais doit mieux irriguer et cimenter l’ensemble des relations magistrats/avocats ; elle doit être restaurée, préservée et donc respectée, et inscrite dans l’avenir.

 

Mesdames et Messieurs les auditeurs de justice, nous avons eu à cœur, avec Chantal Arens, le 29 septembre 2020, dans une tribune publiée dans le Monde, de défendre l’Ecole nationale de la magistrature et de rappeler la qualité de ses enseignements. Cela ne signifie pas que les choses ne peuvent pas et ne doivent pas changer. Il peut être enrichissant d’élargir et de diversifier le cercle des enseignants en faisant appel à des magistrats ou à des personnes extérieures afin d’assurer à la fois la diversification et l’ouverture sur la société. Il serait de même nécessaire que l’ENM forme mieux et davantage à l’encadrement et à l’administration des juridictions. Il conviendrait enfin d’avoir un meilleur accompagnement des magistrats sortant d’école par la mise en place d’un tutorat pendant les premiers mois de fonction.

L’Ecole nationale de la magistrature doit donc continuer à se réformer, inlassablement, dans une démarche d’excellence, comme elle le fait depuis qu’elle a été créée, et elle doit continuer à s’ouvrir. Mais ces réformes, pour être légitimes, doivent se faire dans le respect de ses fondamentaux en n’oubliant jamais que juger ou poursuivre c’est un métier, et que les fondamentaux de celui-ci ne peuvent être véritablement enseignés dans les directions d’étude que par des magistrats ayant acquis préalablement ces techniques professionnelles sur le terrain. 

Vous, qui êtes l’avenir de l’institution judiciaire, et qui avez choisi ce métier magnifique par passion, vous savez aussi que ce mot n’efface pas pour autant les difficultés liées à la fonction ainsi que celles liées à la pénurie de moyens, au défaut de gestion et au manque d’évaluation des besoins.

Tout au long de votre carrière, vous serez des praticiens de l’idéal. En effet, ce métier, exigeant et difficile, parce qu’il s’exerce au service de la loi et des justiciables, ne peut s’accommoder de la médiocrité et incite au dépassement permanent de soi-même.

Au moment où, cet après-midi, vous prononcerez votre serment d’auditeur de justice comme je l’avais prêté ici même en février 1977, j’aurai une pensée émue pour vous.

Je vous souhaite, de tout cœur, de rester toujours fidèles à votre idéal et ne pas oublier que la première des vertus, celle qui sous-tend toutes les autres, c’est le courage. Je vous souhaite de garder toujours votre enthousiasme pour continuer à servir avec passion cette Justice qui constitue l’engagement de notre vie.

François Molins

Procureur général près la Cour de cassation

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Par François Molins

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