La robe des magistrats : héritage et symbolique

25/07/2022

A l’occasion de la nomination du nouveau premier président de la Cour de cassation, la bibliothèque est heureuse de vous présenter une exposition consacrée à la robe des magistrats, élément éminemment symbolique du rituel judiciaire.

Image à la fois de la pérennité de la Justice dans un Etat de droit et signe de la position singulière de la Cour de cassation au sein de l’ordre judiciaire et dans le champ institutionnel, le port de la robe par les magistrats de la haute juridiction, lors des audiences solennelles, ne doit pas être perçu comme un folklore désuet. Au contraire, il inscrit dans la stabilité de son cérémonial et la symbolique de son message la fidélité de la magistrature à des valeurs fondamentales d’exigence et de rigueur, d’autorité et d’intégrité, d’indépendance et de responsabilité.

 

La robe portée en audience, qu’elle soit rouge ou noire, ajoute à la solennité des formes la dignité de la fonction. Elle instaure l’effacement de l’individualité du juge au nom de la collégialité de la pratique et de la décision judiciaires. Elle rappelle à celle ou celui qui la revêt la charge et les devoirs qui chaque nouveau jour lui incombent.

Un lointain héritage

 

Si depuis la Révolution les magistrats ne portent plus la perruque, la robe, elle, demeure l’accessoire inséparable de l’exercice de leurs fonctions. Sa symbolique est l’héritage d’une histoire ancienne de plusieurs siècles.

 

Le rouge royal des origines

 

Aux XIe et XIIe siècles s’établit pour les hommes l’usage, provenant d’Italie, de porter de longues robes comme les femmes. C’est à cet usage que les historiens font remonter l’origine du costume judiciaire. L’érudit Jules Quicherat, dans son Histoire du costume, relève la très forte influence du costume italien dans la tradition française. En Italie, les étoffes de couleur écarlate, les fourrures de menu-vair ou d’hermine sont portées exclusivement par la noblesse. Le pourpre l’emporte dans tous les costumes des magistrats et des nobles de cette époque, en particulier à Florence, mais également dans d’autres grandes cités italiennes. Le doge de Venise porte une robe écarlate, un bonnet de la même couleur et un ornement de bandes d’hermine. L’habillement des sénateurs vénitiens et des docteurs ès-lois des premières universités se rapprochent bien plus encore de celui qui deviendra, en France, le costume des premiers présidents, présidents et conseillers des cours de Parlement : robe rouge avec chaperon de même couleur, manteau à fourrure grise ou blanche, bonnet ou toque également de couleur écarlate.  

Michel Pastoureau, dans son Histoire d’une couleur, souligne la spécificité du rouge dans l’histoire des mentalités et des symboles : « Pendant de longs millénaires, le rouge a été en Occident la seule couleur digne de ce nom, la seule véritable couleur. Tant sur le plan chronologique que sur le plan hiérarchique, il a devancé toutes les autres. […] Cette primauté du rouge se retrouve dans la vie quotidienne. De même, dans les représentations et les rituels, il est fréquemment associé au pouvoir et au sacré, s’accompagne d’une symbolique très riche et semble parfois doté de pouvoir surnaturel ».

Vers le milieu du XIVe siècle, une transformation nouvelle s’opère dans l’habillement. La robe tombe en disgrâce ; la noblesse et la bourgeoise adoptent la jaquette, un habit court jugé plus adapté aux activités de la vie quotidienne. Toutefois, le roi en tête, les magistrats et hommes de loi ensuite résistent à l’attrait de ce nouveau costume. C’est à cette époque, sous le règne de Philippe de Valois, que la robe longue et ample devient le costume spécial de la magistrature qui la perpétue au sein de la société moderne, et ce, jusqu’à la Révolution.

 

Dans l’ancienne France, l’habit des magistrats doit être le même que celui des rois. C’est du moins l’idée qui domine. On matérialise ainsi le principe suivant lequel la Justice est l’attribut essentiel des souverains, et lorsque le Roi délègue aux magistrats le soin de la rendre, ceux-ci doivent avoir les mêmes vêtements que lui.

 

Ainsi, le manteau constitue, durant plus de cinq siècles, l’insigne des hautes magistratures. Il est porté par les chanceliers des princes, par ceux des églises et par les présidents des cours de justice. Tandis que la robe écarlate à grand chaperon fourré devient le costume uniforme des conseillers, procureurs et avocats du roi au parlement de Paris, les présidents ajoutent à leur robe un manteau de la même couleur. Celui du premier président se distingue par trois galons ou rubans d’or et trois bandelettes de fourrure blanche, cousus en échelons sur chaque épaule. Comme signe distinctif, les présidents ont de plus un chapeau rond de velours noir – que l’on désigne sous le terme de mortier.

Avant 1789, la forme et les ornements du mortier varient selon les cours : il est tantôt très plat, tantôt très volumineux, et dans certains cas, on ne peut le mettre sur la tête. Aux parlements de Paris, de Douai et de Pau, le mortier est orné d’un galon pour les présidents et de deux galons lorsqu’il s’agit du premier président. Dans d’autres parlements, le mortier des premiers présidents est en tout point semblable à celui des présidents. Les magistrats qui n’ont pas qualité à porter le mortier peuvent se couvrir la tête d’un bonnet de drap noir avec une houppette qui rappelle celui des ecclésiastiques, mais qui en réalité provient du chaperon en usage chez les hauts fonctionnaires du Moyen Age. Pour alléger le poids du chaperon, qui est une coiffure incommode, on en détache l’appendice dont il est pourvu, pour s’en tenir au seul bonnet. Au XVIe siècle, les magistrats des parlements ne portent plus leur chaperon sur la tête mais sur l’épaule gauche. Cet élément, dont le vestige est l’actuelle épitoge, devient « la marque de la magistrature ». En même temps, ce sont les bonnets qui succèdent aux chaperons. Ces bonnets qui servent à l’audience sont également portés en dehors des prétoires, car, tels les religieux ou les militaires, les magistrats n’abandonnent jamais leur costume. 

La parenthèse révolutionnaire

 

La réorganisation du système judiciaire, qui se met en place durant la période révolutionnaire et se poursuit sous le Consulat et l’Empire, porte également sur des aspects symboliques dont le costume est un élément essentiel. Aux trois catégories de juridictions (Cour de cassation, cours d’appel et tribunaux de première instance) correspondent désormais des séries de costumes bien distincts.

 

L’Assemblée constituante, soucieuse d’abolir tous les usages de l’Ancien Régime, impose d’emblée un extérieur sévère et modeste aux magistrats. Ainsi la loi des 2-11 septembre 1790 dispose que tous les juges en fonctions porteront l’habit sobre et noir – qui est aussi celui du Tiers Etat (autrement dit : du Peuple), et auront la tête couverte d’un chapeau rond relevé devant et surmonté d’un panache de plumes noires. Les Commissaires du Roi se verront attribuer le même costume, avec, pour seule différence, le chapeau relevé en avant par un bouton et une ganse d’or.

Quand, par la loi des 27 novembre – 1er décembre 1790, le Tribunal de cassation est institué, une autre loi des 11-18 février 1791 détermine le costume de ses membres et celui des magistrats de district. Les juges de cassation doivent porter dans leurs fonctions l’habit noir, le manteau de drap ou de soie noire, les parements du manteau de même couleur et un ruban en sautoir aux trois couleurs nationales, au bout duquel est attachée une médaille dorée avec ces mots : « La Loi ». Pour les Commissaires du Roi, l’inscription est légèrement différente, puisqu’à « La Loi » est associé « Le Roi ».

A partir de l’An IV, on assiste dans le costume à un retour en force de l’antique conjugué aux extravagances de la couleur. La toge réapparaît en son drapé romain ; les trois couleurs habillent les élus des différents corps constitués tels que le Conseil des Cinq-Cents, le Conseil des Anciens et le Tribunal de cassation. La toque réapparaît elle-aussi. Peu adapté à la solennité, à la rigueur et à l’autorité propres aux fonctions du magistrat, ce costume chamarré, issue de l’utopie révolutionnaire, ne sera semble-t-il jamais porté à la Cour…

 Le retour de l’ancienne robe

Les autorités du Consulat, puis de l’Empire, tout en réorganisant à nouveau la magistrature, estiment alors que, « pour la placer au rang élevé qu’elle doit tenir dans l’Etat », il convient de renouer avec le passé la chaîne des traditions et de relever les signes extérieurs de son autorité. En même temps que sont reconstitués les anciens corps judiciaires, que le Barreau renaît et que le Tribunal de cassation devient la Cour de cassation, la tenue d’autrefois est rendue aux magistrats.

Un arrêté du 24 germinal an VIII (14 avril 1800) s’est d’abord borné à prescrire que les magistrats et greffiers de tous les tribunaux seront vêtus de noir. Les rubans tricolores du Directoire, les panaches extravagants de 1790, sont définitivement bannis du costume. C’est le fameux arrêté du 2 nivôse an XI (23 décembre 1802) qui restitue à la magistrature la robe ancienne. Ce texte définit aujourd’hui encore, à quelques exceptions près, la charte vestimentaire de la magistrature.

Pour la Cour de cassation, l’arrêté du 24 germinal an VIII (14 avril 1800), en son article 2, attribue à ses membres, comme signes distinctifs, une bande de soie pourpre qui vient garnir le manteau de soie noire tout autour, des ganses d’or avec gland pareil serrant la forme du chapeau. Un second arrêté, en date du 20 vendémiaire an XI (12 octobre 1802), règle, en même temps que le costume du Grand-Juge (le ministre de la Justice), celui du Tribunal de cassation :

 

1° Aux jours d’audience ordinaire : simarre de soie noire, ceinture rouge à gland d’or ; toge de laine noire à grandes manches ; toque de soie noire unie ; cravate tombante de batiste blanche. Pour les présidents, un galon d’or à la toque.

 

2° Aux audiences des sections réunies et jours de cérémonie : toge de laine rouge de même forme que la noire ; toque de velours noir bordée d’un galon d’or et de deux pour les présidents.

Le Commissaire du Gouvernement, puis le Procureur général et ses substituts doivent porter à la toge noire une bordure rouge devant et aux manches, une bordure blanche à la toge rouge. Le greffier en chef revêt le même costume que les juges, mais sans or à la toque et à la ceinture. De légères modifications seront apportées quelques années plus tard : la toque de soie noire des audiences ordinaires est remplacée par la toque en velours noir ; les avocats généraux, dont le titre est créé par un décret spécial du 19 mars 1810, renoncent aux marques particulières qui différencient leurs costumes de ceux de leurs collègues du siège.

Premiers présidents

Procureurs généraux

La symbolique du costume

La pompe du costume, affecté tant de siècles aux grands corps de la magistrature, n’a pas manqué de susciter la verve des satiristes et la morgue des philosophes. Premier président du parlement de Paris au temps de Mazarin, Guillaume de Lamoignon, n’a-t-il pas dit lui-même : « Ce n’est pas la pourpre ni l’hermine qui fait le magistrat. » Doit-on pour autant souhaiter la disparition de cette marque de distinction pluriséculaire ? Rien n’est moins évident, tant la symbolique du costume paraît indissociable de la place et du rôle du magistrat dans la société. 

Pérennité vestimentaire et continuité des valeurs

Depuis la réintroduction, autour de 1800, du costume des magistrats d’Ancien Régime dans le nouveau rituel judiciaire, la magistrature a conservé la robe noire du juge et la robe rouge des audiences solennelles. Cette pérennité vestimentaire est la marque première de la continuité d’un office, et ce, en dépit des vicissitudes politiques, sociales et culturelles ; elle est l’héritage d’une longue histoire construite autour de valeurs communes. Les générations de magistrats passent, la robe reste la même, et avec elle, l’idéal du droit et de la justice, la recherche permanente et délicate de l’équilibre entre autorité et humanité. En cela, la robe est comme le passage de témoin entre les magistrats les plus expérimentés et ceux qui leur succèdent.   

Des magistrats en majesté : le temps solennel de l’audience

La dimension symbolique inhérente au port du costume n’échappe à personne. Cependant la « majesté » du costume ne renvoie plus aujourd’hui au souverain lui-même, mais à la Justice dans les expressions exceptionnelles où elle siège en grande solennité.

Le rouge et le noir ou l’uniformité du corps

 

Le rouge et le noir des costumes, qui perdurent dans les usages à la Cour de cassation, rappellent le double héritage qui est lié à ses couleurs : d’une part, le rouge, symbole de l’autorité royale ; d’autre part, le noir, sobre et égalitaire.

 

La robe présente un bienfait primordial : « C’est, au sens propre du mot, un uniforme. Elle témoigne d’une formation identique, d’une certaine affinité intellectuelle, entre ceux qui la portent ; aux compagnies judiciaires siégeant en corps et publiquement, elle leur imprime aussi un caractère de belle et stricte égalité : en dépit de son origine royale, la robe n’est-elle pas aussi plus démocratique que ne le pensent ses éventuels détracteurs ? »

L’uniformité de la robe offre l’avantage d’effacer entre ceux qui en sont revêtus toutes les différences de condition matérielle, de situation sociale et, faudrait-il ajouter aujourd’hui, de sexe. En exprimant par l’unité vestimentaire la cohésion de la magistrature, la robe imprime « le caractère de belle et stricte égalité » entre les magistrats du siège et du parquet, entre les femmes et les hommes, entre les générations. Lorsqu’à partir de 1968 est constituée, pour la Cour de cassation, la fonction de conseillers référendaires, plus jeunes que les conseillers « maîtres », la question du costume va de nouveau être posée. Malgré la différence d’âge et d’expérience, le rouge de la robe s’impose aux jeunes magistrats car la cour suprême forme une unité qu’il faut maintenir et perpétuer. Depuis lors, les « référendaires » du siège comme du parquet général sont dotés de la robe des conseillers de cour d’appel.

Une évolution nécessaire

 

Bien qu’attachée à son costume, la Cour de cassation envisage toutefois la possibilité de le faire évoluer. L’une des préconisations émises par la commission « Cour de cassation 2030 » va justement dans ce sens. Il s’agirait ainsi de conserver le code et la symbolique de la robe, mais d’en alléger le port, de choisir des matériaux plus adaptés aux enjeux écologiques et économiques actuels, de gagner en sobriété dans un objectif de modernité et d’intelligibilité qui paraît aujourd’hui plus que jamais nécessaire.

 

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