François Molins - Allocution pour l'installation de Christophe Soulard dans ses fonctions de premier président

18/07/2022

Allocution prononcée par François Molins procureur général près la Cour de cassation, le 18 juillet 2022, lors de l'audience solennelle d'installation de Christophe Soulard dans ses fonctions de premier président de la Cour de cassation.

J’ai l’honneur de soumettre à la Cour un décret du 23 juin 2022 portant nomination de Monsieur Christophe Soulard, président de chambre à la Cour de cassation, en qualité de premier président de la Cour de cassation.

Je requiers qu’il plaise à la Cour de bien vouloir procéder à l’installation de Monsieur Christophe Soulard.

Mesdames, Messieurs, chers collègues,

L’installation d’un nouveau premier président de la Cour de cassation est un moment particulièrement fort dans la vie de notre juridiction et plus largement, de l’institution judiciaire. L’honneur que nous font les très nombreuses personnalités de leur présence à cette audience solennelle en est le témoignage.

Madame la Première ministre, à peine investie dans vos nouvelles et hautes fonctions, vous avez accepté d’honorer cette cérémonie de votre présence. Nous sommes très sensibles à l’intérêt que vous manifestez ainsi à l’autorité judiciaire et vous prions de croire à notre gratitude.

Monsieur le Garde des Sceaux, nous vous remercions vivement de votre présence.

Je souhaiterais également remercier tout particulièrement pour leur présence à cette audience,  

Madame la présidente de l’Assemblée nationale, Monsieur le président de la Commission des lois du Sénat,

Monsieur le président du Conseil constitutionnel,

Monsieur le vice-président du Conseil d’Etat,

Madame la Défenseure des droits,

Madame la procureure générale près la Cour des comptes,

Monsieur le président de la Cour européenne des droits de l’homme,

Mesdames et messieurs les hautes personnalités françaises et étrangères,

A vous tous, je tiens à exprimer ma gratitude pour votre présence à la Cour de cassation aujourd’hui.

***

Monsieur le premier président, cher Christophe Soulard, dans quelques instants, vous occuperez le siège que votre prédécesseur, Chantal Arens, a occupé pendant près de trois années.

Permettez-moi de rappeler tout d’abord à quelle personnalité de grande qualité vous succédez. Chantal Arens a marqué de son empreinte cette juridiction, et cette empreinte continuera à laisser des traces pendant longtemps.

Durant presque trois années, nous avons officié ensemble à la tête de la Cour de cassation, et j’ai pu personnellement constater à quel point sa droiture, sa fidélité à ses principes, son courage et sa sérénité ont été précieux à la Justice et à la défense de l’office du juge. Sa clairvoyance sur les problématiques posées, sa très grande force intérieure et sa détermination ont permis de faire évoluer la Cour de cassation vers la modernité, tout en sachant susciter l’adhésion des magistrats et des fonctionnaires, et en faisant vivre un dialogue social d’une très grande qualité.

Mme Arens est unanimement reconnue pour ses qualités d’écoute, pour son dynamisme et sa ténacité. Elle a toujours été guidée par la volonté d’œuvrer dans le sens d’une amélioration du fonctionnement de notre juridiction suprême, d’une modernisation de son organisation, d’un renforcement de son attractivité et d’une extension de son rayonnement.

Au-delà de ses compétences juridiques reconnues, elle s’est longtemps investie dans la gestion des juridictions et dans les ressources humaines, s’intéressant toujours à ses équipes, prenant en compte leurs avis et surtout, cherchant à faire émerger un consensus et à susciter l’adhésion aux projets, ce qu’elle a continué à faire au sein de la Cour de cassation.

La première présidence qui se clôt a en effet été marquée par une gouvernance à la fois collective et participative, avec la mise en place de plusieurs groupes de travail pour favoriser la réflexion en commun, le partage des idées et le décloisonnement des initiatives.

Mme Arens a ainsi œuvré pendant trois ans pour poursuivre la modernisation de la Cour et de ses méthodes de travail afin d’ériger encore davantage la Cour de cassation en véritable cour suprême.

Nombreux sont les résultats des actions et des réflexions qu’elle a menées :

  • Elle a donné à la Cour les moyens de réfléchir à son avenir à plus long terme grâce aux travaux de la Commission Cour de cassation 2030, qui resteront pour les années à venir un guide précieux.
  • Mme Arens a instauré plusieurs groupes de travail qui ont nourri une réflexion riche et intense au service de l’amélioration du droit et de la modernisation du fonctionnement de la Cour : le groupe de travail sur les méthodes de travail, celui sur les assemblées plénières, celui consacré aux perspectives pour 2022, à la médiation ou encore aux données décisionnelles ou de jurisprudence ;
  • Elle a donné à la Cour de cassation les moyens d’assumer son rôle dans des conditions modernisées, en favorisant notamment la mise en œuvre de l’open data, la création d’un nouveau site internet de la Cour, la mise en sécurité des serveurs informatiques, et la refonte complète de l’application Nomos.

 

Si certains de ces chantiers nécessitent encore que la réflexion se poursuive pour aboutir à d’importantes réformes pour la Cour, Mme Arens peut être fière du travail accompli tout au long de ces trois années. 

Elle a également été très à l’écoute du parquet général, attentive et sensible à ses besoins et il est important de le souligner, car au sein de cette institution, cela n’a pas toujours été aussi simple. Dès son installation, elle avait souligné le prix qu’elle attachait à l’évolution de la place du parquet général au sein de la Cour de cassation et à son rôle spécifique dans les chambres.

Enfin, dans l’exercice de ses responsabilités de première présidente de la Cour, de présidente du CSM, ou de présidente du conseil d’administration de l’ENM, Mme Arens a toujours démontré son attachement profond à l’indépendance de la magistrature et au respect des règles de déontologie.

Elle n’a jamais hésité à défendre, haut et fort, notre institution, chaque fois que l’indépendance de l’autorité judiciaire, garantie par la Constitution, et découlant du principe de séparation des pouvoirs, était mise à mal, et chaque fois que des décisions prises par des magistrats ont été attaquées, rappelant que l’indépendance juridictionnelle des juges est une condition de la démocratie et que le juge doit pouvoir exercer ses fonctions dans la sérénité, à l’abri de toute pression politique, sociale ou médiatique.

La question de l’office du juge et de ses méthodes de travail n’a jamais cessé d’être sa priorité, comme la question des transformations de la société et des attentes des citoyens qui amènent à repenser cet office, dans l’intérêt des magistrats et des justiciables.

Je tiens à lui exprimer la reconnaissance des magistrats et des fonctionnaires de cette Cour pour son engagement sans faille et son travail inlassable : elle a pleinement rempli son office de première présidente en donnant autant de sens à son parcours et à son œuvre.

***

Monsieur le premier président, vous devenez donc aujourd’hui le 36ème premier président de la Cour de cassation, vous inscrivant dans une lignée de magistrats exceptionnels qui ont été autant d’exemples en termes de compétence juridique, de déontologie et de qualités humaines, et qu’à n’en pas douter, vous perpétuerez.

*

Votre carrière, Monsieur le premier président, a commencé au tribunal de grande instance de Metz, où vous êtes nommé, à la sortie de l’Ecole nationale de la magistrature, en 1985, en tant que juge chargé du service civil du tribunal d’instance, où vous resterez cinq années.

Votre goût pour le droit communautaire vous conduit à la Cour de justice de l’Union européenne où vous exercez les fonctions de référendaire au cabinet du président, et où vous excellez dans les observations que vous formulez sur chaque projet d’arrêt rédigé par les juges rapporteurs.

Vos compétences juridiques et votre appétence pour l’enseignement vous seront précieuses dans vos fonctions de directeur du Centre européen de la magistrature et des professions juridiques, qui a pour vocation de former au droit européen les magistrats, fonctionnaires et avocats des Etats membres de l’Union européenne.

Riche de cette expérience internationale et pédagogique, vous devenez ensuite, en 1998, et pendant dix ans, conseiller référendaire à la chambre criminelle de la Cour de cassation.

Vous retrouvez vos attaches lorraines en 2008 lorsque vous êtes nommé premier vice-président au tribunal de grande instance de Metz, où vous présidez la première chambre civile et êtes en charge de la coordination du service civil.

Vous revenez à la Cour de cassation en 2012 comme conseiller à la chambre criminelle, puis doyen de section, et président de chambre en 2017. Vos compétences exceptionnelles sont unanimement reconnues.

Parallèlement à vos fonctions juridictionnelles, vous avez réussi à poursuivre vos activités d’enseignement sans discontinuer, en exerçant notamment pendant 12 ans en qualité de professeur associé à l’Université Robert Schuman de Strasbourg, puis à l’Université de Lorraine.

Votre attrait pour la transmission du savoir s’est aussi allié à des qualités de chercheur, et s’est traduit par la rédaction de nombreux articles et ouvrages sur des questions juridiques ou des réflexions intéressant la Justice.

Comme chacun peut le constater, votre carrière est marquée par l’équilibre : entre le civil et le pénal, entre les juridictions françaises et internationales, entre la magistrature et l’enseignement.

*

Sous votre présidence, Monsieur le premier président, la chambre criminelle a connu tant d’évolutions qu’on peut dire qu’elle a accompli une révolution, selon les mots bien choisis de son premier avocat général.

La Cour de cassation s’est engagée ces dernières années dans un mouvement de réformes important, dont la chambre criminelle a été à la fois pionnière, motrice et encore plus ambitieuse. Ces réformes incluent notamment la conversion, dans la rédaction, au style direct, imposant elle-même une nouvelle construction des arrêts ; la motivation enrichie ; la rénovation de la présentation des rapports et des mémoires ; la refonte de l’orientation des dossiers ; la création des circuits différenciés ; le développement de la non-admission ; la mise en place des séances d’instruction ; les audiences thématiques ; ou encore le chantier de la dématérialisation. Par ailleurs, la chambre criminelle, grâce à votre présidence, s’est considérablement ouverte : il suffit d’évoquer le lancement de la lettre de la chambre criminelle, la systématisation des notes explicatives, la multiplication des conférences et rencontres, et l’institutionnalisation, très récente, des rencontres annuelles avec l’Université.

C’est fort de ces réussites, qui mêlent l’innovation constructive et le respect de la tradition, et de votre capacité à créer des relations de travail excellentes grâce à la « bienveillante exigence » qui vous caractérise que vous devenez premier président. Quand on est chanteur lyrique et ceinture noire de judo, on connaît les valeurs de la tradition, de la discipline et de la mesure.

La Cour de cassation va ainsi bénéficier de vos qualités professionnelles, intellectuelles et humaines hors du commun.

*

Discussion et ouverture sont pour vous les fondements de la légitimité du juge, comme le caractère collectif de la réflexion.

Dans un article écrit récemment, vous prônez l’enrichissement par le dialogue, et ce à tous les niveaux : lors des procédures et des audiences (entre les magistrats et les parties, et entre les parties), au cours des délibérés, entre les juridictions nationales d’une part et avec les juridictions internationales d’autre part, et enfin entre les juridictions et la société tout entière.

Je ne doute pas un instant que vous saurez faire vivre le dialogue et le travail collectif au cœur des trois institutions que vous allez présider.

L’un des enjeux majeurs est de mieux asseoir l’autorité des décisions judiciaires. Vous avez rappelé devant le Conseil supérieur de la magistrature que la légitimité et l’autorité de l’institution judiciaire reposent avant tout sur la qualité des décisions que rendent les cours et tribunaux, et que la Cour de cassation, l’ENM et le CSM doivent avoir une action conjuguée au service des justiciables. 

L’une des missions essentielles du CSM est de veiller à l’indépendance des magistrats. Nous aurons ensemble à rappeler régulièrement et avec force aux pouvoirs publics qu’une justice de qualité a nécessairement un coût, au demeurant peu important au regard du budget global de l’État.

La formation des professionnels de la justice est un domaine que vous maîtrisez particulièrement, et vos expériences professionnelles antérieures vous seront précieuses au conseil d’administration de l’Ecole nationale de la magistrature.

Vous avez déclaré : « La Cour de cassation est soumise à un double impératif : celui d’assurer l’uniformité de l’interprétation et celui de tenir compte de la jurisprudence des tribunaux judiciaires et des cours d'appel. Ce second impératif ne doit pas être considéré comme un frein mais comme un facteur stimulant puisqu’il contraint la Cour à mieux évaluer les conséquences de ses décisions, à mieux s’expliquer, à écouter et, le cas échéant, à ajuster sa jurisprudence. Les explications qu’elle donne s’adressent, au-delà des juridictions, à l’ensemble de la population, qui est en droit de connaître les raisons pour lesquelles une interprétation a été retenue ou un principe posé. Il y va de la légitimité de l’institution dans son ensemble. »

Ces propos signent l’ambition, qui est la vôtre, de développer le travail collectif au sein de la Cour de cassation et entre les juridictions, et de favoriser les échanges avec l’extérieur. Le rôle du premier président de la Cour de cassation sera essentiel dans les années à venir dans la poursuite de la modernisation de la Cour, et notamment avec les perspectives suivantes :

  • Tout d’abord, une coopération étroite entre la Cour de cassation et les juridictions du fond permettra à celles-ci de pouvoir rendre des décisions en cohérence avec une interprétation harmonisée et acceptée des règles de droit. Dans les contentieux émergents, la Cour doit se prononcer rapidement, et dans les contentieux complexes, elle doit pouvoir s’appuyer sur des magistrats spécialisés. L’Observatoire des litiges judiciaires, récemment instauré, sera, dans ce domaine, très utile.
  • L’open data, ensuite, sera également un outil exceptionnel, permettant à la Cour de cassation d’enrichir sa réflexion par la lecture des décisions rendues par les juridictions du fond.
  • La réforme du statut de l’avocat général pour mettre le droit en accord avec la réalité du fonctionnement de la Cour. Cette réforme est aujourd’hui portée par la Cour de cassation car elle est nécessaire à son bon fonctionnement.
  • Si l’activité de la Cour de cassation est d’abord celle de chacune de ses chambres, nombre de décisions importantes devront néanmoins être rendues en assemblée plénière. La justice est confrontée à beaucoup de questions fondamentales, qu’elles soient d’ordre éthique, économique ou social, et il importe que la Cour de cassation y réponde solennellement et collectivement, avec davantage de décisions importantes qui pourront être rendues en assemblée plénière.
  • Enfin, le développement de la communication de la Cour, du CSM et de l’ENM est indispensable pour faire œuvre de pédagogie auprès de nos concitoyens sur le travail des magistrats et pour défendre les principes de notre institution judiciaire. C’est un enjeu majeur pour l’institution judiciaire.

 

*

Les enjeux pour la Cour sont aujourd’hui très nombreux, tout comme le sont les enjeux pour notre Justice.

L’institution judiciaire doit être matériellement en mesure, indépendamment du dévouement et de l’engagement individuel exceptionnel des magistrats et des fonctionnaires, d’accomplir de manière satisfaisante la mission, essentielle pour la société, qui lui est confiée. Le premier président doit faire comprendre que cet espace de résolution des conflits, d’apaisement social qu’est une juridiction n’a guère d’équivalent et doit être préservé à tout prix.

Dans nos rôles respectifs, de premier président et de procureur général, il nous appartient, ensemble, de développer et de consolider ce lien, cette passerelle entre la Cour et son parquet général. Je sais que nous nous y emploierons dans le respect de l’office de chacun en développant toute la concertation et la coordination nécessaires, comme vous le faisiez déjà dans l’intérêt de la chambre criminelle en veillant à faciliter les relations entre conseillers et avocats généraux et à mieux intégrer ceux-ci au fonctionnement collectif.

A la tête de cette Cour, nous devons partager une vision et porter une ambition au service d’une Cour de cassation, véritable cour suprême, et au service d’une Justice de qualité, gardienne des libertés.

Cette ambition passe par le respect absolu de l’indépendance du juge. La décision de justice constitue le cœur de l’indépendance juridictionnelle et, sauf exceptions définies par la loi et mises en œuvre par le Conseil supérieur de la magistrature, elle ne peut être contestée que par les voies de recours.

Cette ambition passe aussi par la protection dont doit bénéficier, dans une démocratie, l’acte de poursuite, contre toute attaque ou pression d’où qu’elles puissent venir. La protection dont est assorti l’acte de poursuite et de juger a pour seule finalité de garantir l’impartialité de la décision de justice.

Cette ambition passe enfin par la mise en œuvre des préconisations du comité des états généraux qui a dressé un constat sévère, mais juste de l’état de la Justice dans notre pays. Il a appelé de ses vœux un renforcement substantiel des moyens et une réforme systémique qui s’attache enfin à trouver enfin les réponses de fond nécessaires pour améliorer la qualité de la Justice et satisfaire les exigences légitimes de nos concitoyens.

Monsieur le premier président, je sais que nos relations seront riches et aisées, et je sais que vous continuerez à persévérer dans l’entreprise qui marque toute votre carrière : la recherche de l’excellence au service de la Justice, dans cette Cour de cassation que vous connaissez si bien et que vous dirigez désormais.

Je me réjouis, avec l’ensemble des magistrats et des fonctionnaires de la Cour et du parquet général de vous voir accéder à la première présidence, et je serai très honoré et très heureux de vous accompagner sur ce chemin.

Madame la doyenne des Présidents de chambre, je requiers qu’il plaise à la Cour :

  • faire donner lecture du décret de nomination,
  • déclarer installé, dans ses fonctions de Premier président, Monsieur Christophe Soulard,
  • me donner acte de mes réquisitions,
  • et dire que du tout, il sera dressé procès-verbal pour être conservé au rang des minutes de la Cour.
  • Discours
  • Institution judiciaire
  • Procureur général

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