Agnès Mouillard - Allocution pour l'installation de Christophe Soulard dans ses fonctions de premier président

18/07/2022

Allocution prononcée par Agnès Mouillard, doyenne des présidents de chambre, présidente de la chambre commerciale, financière et économique, le 18 juillet 2022, lors de l'audience solennelle d'installation de Christophe Soulard dans ses fonctions de premier président de la Cour de cassation.

L’audience solennelle d’installation de M. Christophe Soulard est ouverte.

Monsieur le procureur général,

Madame la Première Ministre,

Madame la présidente de l’Assemblée nationale,

Monsieur le vice-président du Sénat,

Monsieur le premier président,

Madame la secrétaire d’Etat,

Monsieur le Garde des Sceaux, ministre de la justice

Monsieur le président du Conseil constitutionnel,

Monsieur le Vice-président du Conseil d’Etat,

Monsieur le Président de la Cour européenne des droits de l’Homme,

Mesdames et Messieurs les chefs de cours suprêmes et hautes personnalités internationales,

Madame la défenseure des droits,

Madame la Procureure générale près la Cour des comptes,

Monsieur le préfet de Région,

Mesdames et Messieurs les membres du Conseil supérieur de la magistrature,

Mesdames et Messieurs les hautes personnalités représentant les autorités civiles, militaires et religieuses,

Mesdames et Messieurs les représentants des professions judiciaires,

Mesdames et Messieurs,

Chers collègues,

La Cour vous remercie de votre présence à cette audience solennelle d’installation de son premier président, qui marque l’un des temps forts de la vie de la Cour de cassation, annonciateur de renouveau et de projets à réaliser.

Monsieur le procureur général, vous avez la parole ».

(…)

LA COUR, faisant droit aux réquisitions de M. le procureur général, déclare qu’il va être procédé à l’installation de Monsieur Christophe Soulard dans ses fonctions de premier président de la Cour de cassation.

Je prie M. l’huissier de se rendre en chambre du conseil afin d’introduire M. Christophe Soulard en Grand’Chambre ».

Deuxième femme après Simone Rozès à avoir présidé la Cour de cassation, Chantal Arens, par son remarquable talent, son incroyable énergie, sa détermination et sa force de persuasion, aura marqué durablement notre institution. 

Gouvernance participative. Tels sont les mots qui, me semble-t-il, expriment le mieux son action.

Lors de la cérémonie, intime, organisée à l’occasion de son départ, Madame Arens commençait son propos par ce proverbe venu de terres lointaines : « si tu veux marcher vite, marche seul ; si tu veux marcher loin, marchons ensemble ».

Tout au long des années qu’elle a passées à la présidence de juridictions et de cours, son management s’est distingué par une gouvernance à la fois collective et participative, avec la mise en place de groupes de travail pour favoriser la réflexion en commun, le partage des idées, le décloisonnement et la valorisation des initiatives.

La cour d’appel de Paris, et avant elle le tribunal de Paris, pour ne citer que ces deux juridictions, ont grandement bénéficié de ses méthodes, qui ont conduit à d’importantes et durables réformes. 

Sa volonté d’œuvrer en commun, pour élargir le champ des perspectives, aura également profité à la Cour de cassation. On ne compte plus les groupes de travail et comités de suivi mis en place dès le lendemain de son investiture, qui ont donné lieu à autant de rapports tout à la fois riches et inventifs, lesquels ont tous abouti à des mesures concrètes dont l’intérêt et l’apport pour la Cour de cassation, et plus globalement pour l’institution judiciaire, sont reconnus de tous.

Nombre des préconisations qui ont été ainsi formulées sont aujourd’hui mises en œuvre, d’autres le seront demain, et nous ne doutons pas que celles qui n’ont pas encore eu l’occasion de prendre forme s’exprimeront dans les réformes à venir, à plus ou moins court terme.

La première présidente Arens est parvenue à modifier en profondeur nos méthodes de travail, dans les chambres mais aussi entre les chambres, et à renforcer les liens avec les cours d’appel, en privilégiant et instituant des échanges réguliers et de qualité, appréciés de tous.

Au-delà de ces aspects managériaux, par sa vision globale de la justice et de son fonctionnement, fruit d’une solide connaissance des juridictions du fond, servie par son autorité naturelle et sa détermination, elle a favorisé la réflexion collective, sans renier la rigueur et l’autorité, sur des questions juridiques nouvelles et, ce faisant, a renforcé considérablement la lisibilité, la visibilité, l’attractivité et la compétitivité de la Cour de cassation, notamment à l’international.

Engagement, responsabilité et courage. Tels sont les mots qui décrivent, à mon sens, le plus justement sa personne.

Engagement - On retiendra son attachement profond à l’indépendance de la magistrature : principe qu’elle a défendu et porté tout au long de sa carrière, avec ferveur. 

Responsabilité - Mme Arens n’a jamais hésité à défendre notre institution, et, à travers elle, l’autorité judiciaire toute entière, chaque fois que celle-ci était attaquée ou menacée. Elle a porté haut l’indépendance juridictionnelle des juges, condition essentielle de la démocratie et de l’Etat de droit. Veiller à ce que les juges puissent exercer leurs fonctions dans la sérénité, à l’abri de toute pression et dans des conditions dignes : telle était sa conception de son rôle et de ses missions.

Courage - Le courage, elle n’en a pas manqué. Quels que soient les obstacles qui ont pu s’élever en travers de son chemin, elle les a surmontés avec détermination, dignité et philosophie. Nous pouvons tous en témoigner ici.

Au nom de toute la Cour de cassation, je tiens à la remercier très sincèrement et très chaleureusement pour l’ensemble de ses actions.

******           

Monsieur le premier président,

Après avoir relu quelques éléments biographiques et bibliographiques retraçant votre carrière professionnelle, qu’on devine exceptionnelle, une notion s’est imposée à moi, celle d’échange.

Pourquoi l’échange ? Parce que ce terme évoque l’ouverture et l’écoute et que, susceptible de multiples acceptions, il est une constante que l’on retrouve à toutes les étapes de votre parcours.

L’échange, dans le langage courant, c’est le fait d'échanger quelque chose, quelqu'un, contre quelque chose, quelqu'un d'autre, de s'adresser réciproquement des choses, des idées, des renseignements, des documents, au pluriel, c’est le commerce entre pays (les échanges internationaux), en droit, c’est la convention par laquelle deux propriétaires se cèdent respectivement un bien, en physique, c’est le transfert réciproque d'ions entre la solution et le complexe absorbant, en sport, pour les sports de balle, c’est le jeu pour s'échauffer avant une partie, et en boxe, c’est une série de coups entre les deux adversaires.

Votre parcours et votre personne, c’est un peu tout cela à la fois.

Eliminons d’abord les deux dernières acceptions, celles liées au sport, les plus faciles assurément, puisque vous êtes un grand sportif. On peut donc affirmer, sans risque de se tromper, que les échanges, ainsi qu’ils viennent d’être décrits, vous connaissez nécessairement, ce qui, contrairement à ce que l’on pourrait croire hâtivement, n’est pas inutile quand on mène une carrière exemplaire comme la vôtre.

Ensuite, plus sérieusement, vous êtes un grand spécialiste du droit des douanes et du contentieux douanier, pour leur avoir consacré, notamment, un guide pratique, une étude dans les Mélanges publiés en l’honneur de Jacques Boré, divers articles également, bien sûr, et pour avoir régulièrement annoté notre code des douanes pendant des années.

La douane étant l’administration chargée du contrôle des frontières d'un pays, et en particulier de la régulation des personnes et marchandises qui y entrent et qui en sortent, on peut dire que l’échange est au cœur de son activité.

Et si l’on parle de frontières, on pense aussitôt, s’agissant de notre beau pays, à l’Europe, ce qui nous conduit tout naturellement à votre intérêt, ancien et marqué, pour le droit communautaire et le droit de l’Union.

Vous me pardonnerez, je l’espère, Monsieur le premier président, si j’indique à l’assistance que vous avez l’âge du Traité de Rome. Vous êtes donc un enfant de l’Europe moderne, et très tôt, vous vous passionnez pour ce droit nouveau, en devenir, tout entier tourné vers le libre échange, cœur de la construction européenne.  

Votre attrait pour le droit communautaire - comme on le dénommait alors - s’exprime, d’abord, par un tropisme vers la Région Grand Est : à votre sortie de l’Ecole nationale de la magistrature, en 1985, vous devenez juge chargé du service civil du tribunal d’instance de Metz.

Puis, dès 1989, vous rejoignez la Cour de justice de l’Union européenne, en qualité de référendaire au cabinet du président, chargé des fonctions de lecteur d’arrêts.

Ces dernières responsabilités vous valent d’être nommé, en 1992 - soit à l’heure de la signature du Traité de Maastricht - Directeur du Centre européen de la Magistrature et des professions juridiques, situé à Luxembourg et dont la vocation est de former au droit européen les magistrats, fonctionnaires et avocats des Etats membres de l’Union comme des pays candidats à une adhésion à l’Union.

C’est après presque 10 années passées en détachement au sein des plus grandes juridictions et institutions européennes que vous renouez avec des fonctions juridictionnelles en entrant à la Cour de cassation en qualité de conseiller référendaire, au sein de la chambre criminelle, section économique et financière, qui aura ainsi pu profiter de votre savoir, alors encore relativement rare, en droit communautaire.

D’ailleurs, ces années seront aussi marquées par une activité d’enseignement permanente, toute entière consacrée au droit communautaire, au droit douanier, ou aux relations entre droit pénal et droit communautaire.

A la fin de votre référendariat, vous retournez au tribunal de grande instance de Metz, en qualité de premier vice-président, où vous présidez une chambre civile et coordonnez le service civil.

C’est en 2012 que vous revenez à la Cour de cassation, en qualité de conseiller cette fois, de nouveau à la chambre criminelle, pour ne plus quitter cette belle institution. De conseiller, vous devenez doyen de section en 2015, puis président en 2017 de cette prestigieuse chambre, que vous allez faire évoluer, en profondeur avec l’adhésion sans réserve de ses membres, en accompagnant, voire en anticipant, pour la matière pénale, les réformes souhaitées par nos premiers présidents successifs.

Sous votre présidence, la chambre criminelle a rendu un certain nombre d’arrêts d’une grande portée quant à la protection des libertés publiques ou de l’environnement.

Enfin, aujourd’hui, c’est la Cour de cassation elle-même que vous allez présider.

Si l’on voulait résumer encore plus votre carrière, on pourrait dire ceci : juge civil 9 ans, institutions européennes 9 ans, Cour de cassation 20 ans.

Les professionnels que nous sommes en retiendront que vous êtes un juriste éclectique, maîtrisant des matières complexes et évolutives, mais aussi particulièrement complet, et ils relèveront à cet égard votre capacité à passer, avec aisance et durablement, des fonctions civiles aux fonctions pénales, garantie que vous connaissez, profondément, ce qui fait la richesse de notre beau métier.

L’échange aura donc marqué tout votre parcours.

Mais au-delà de la description factuelle de votre activité, qu’est-ce qui vous anime ? Quelle est donc votre philosophie de juge, vous qui êtes titulaire d’une licence en philosophie, fait suffisamment rare pour que je le mentionne ?

A cette question essentielle, la lecture de vos écrits apporte quelques réponses.

Dans un article publié en 2016, à la suite des arrêts d’assemblée plénière que la Cour de cassation a rendus, à votre rapport, le 3 juillet 2015, à propos de gestation pour autrui, vous écrivez :

« Au-delà de la solution adoptée, ces arrêts fournissent une illustration intéressante de l’interaction qui peut exister entre le législateur, peu enclin à se saisir de certains sujets, la Cour de cassation, qui ne choisit pas les problèmes qu’elle doit trancher et qui ne peut, à l’occasion d’une affaire particulière, que traiter une partie d’un vaste problème, et la Cour européenne des droits de l’homme, qui identifie des violations de la Convention sans imposer une voie pour y mettre fin ». Vous ajoutez que ces arrêts « révèlent également la place importante qu’occupent la doctrine et les décisions de cours suprêmes étrangères dans la réflexion menée par la Cour de cassation sur un sujet particulièrement sensible ».

Là aussi, donc, il est question d’échange, appréhendé cette fois-ci sous l’angle de l’interaction.

La question de l’influence du droit, de la doctrine et de la jurisprudence - que celle-ci soit nationale, européenne ou internationale - sur des situations particulières, revient régulièrement dans votre réflexion personnelle.

Dans un article récent intitulé « Le juge et les valeurs fondamentales : pour une éthique de la discussion », vous posez comme postulat que c’est l’échange d’idées qui permet au juge de définir et de mettre en œuvre un certain nombre de valeurs fondamentales, que cet échange prenne la forme des débats à l’audience, du délibéré, avec la collégialité, indispensable, ou qu’il prenne la forme d’un dialogue élargi avec d’autres juridictions ou même avec l’ensemble de la société. 

D’ailleurs, comme membre des commissions de réflexion « Cour de cassation 2022 » et « Cour de cassation 2030 », vous avez soutenu activement le projet d’une interactivité plus développée tout au long du processus de décision à la Cour.

Echange encore, donc, au sens cette fois d’influence, de dialogue, de discussion.

Ces derniers propos résument, je pense, votre conception du rôle du juge contemporain, situé à la croisée des chemins, au cœurs d’échanges permanents où interagissent, se mêlent et s’alimentent toutes les sources du droit.

Sans anticiper sur votre projet pour la Cour de cassation, que vous allez nous exposer dans un instant, je puis donc augurer que la réflexion collective y tiendra une bonne place, pour faire dialoguer notre Cour avec nos plus hautes juridictions, comme avec les cours suprêmes d’autres pays et les deux cours européennes, pas seulement sur un mode institutionnel, mais aussi par des échanges thématiques permettant de nous enrichir mutuellement.

Le dialogue élargi sera donc votre feuille de route.

Un tel programme, plein de promesses, évoque pour moi cette maxime que l’on doit un industriel visionnaire, ce qui ne surprendra pas, venant d’une présidente de la chambre commerciale : « Se réunir est un début, rester ensemble est un progrès, travailler ensemble est la réussite ».

La Cour est extrêmement honorée de vous accueillir aujourd’hui, Monsieur le premier président, curieuse et impatiente des nouvelles perspectives que vous lui offrez et, nous n’en doutons pas, des actions constructives que vous engagerez en son nom et pour son bien.

Monsieur le procureur général, vous avez la parole.

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