Fonds Cambacérès, en dépôt à la Cour de cassation

04/07/2022

Le 6 avril 2017, la Cour de cassation a reçu du ministère de l’environnement, de l’énergie et de la mer le dépôt du « Fonds Cambacérès », soit un ensemble de 582 volumes couvrant les années 1589 à 1818. Les thématiques représentées reflètent les centres d’intérêts professionnels et intellectuels du Prince-Archichancelier de l’Empire : Jean Jacques Régis de Cambacérès (1753-1824).

Les domaines juridiques couverts sont nombreux : à côté des recueils d’actes royaux et législatifs, dominent les ouvrages de police générale, d’administration des finances, et surtout les traités sur la matière domaniale. En effet, l’ensemble du domaine public naturel et artificiel, sa réglementation et son contrôle, est documenté : eaux, forêts, terres, mers, routes, égouts, hôpitaux, prisons, lazarets.

Le fonds encyclopédique n’est pas moins remarquable. Miroir du temps et des préoccupations savantes au siècle des Lumières, il couvre de nombreux champs du savoir, avec notamment sa collection en 118 volumes de l’Encyclopédie méthodique de Charles-Joseph Panckoucke. Les ouvrages d’art, d’histoire et d’archéologie les plus modernes côtoient des éditions récentes, en langue française et étrangère, des classiques comme Tacite et Virgile autant que des grands auteurs du XVIIIe siècle.

Jean Jacques Régis de Cambacérès (1753-1824)

Illustration de Jean Jacques Régis de Cambacérès

Originaire de Montpellier, Cambacérès est pendant la Révolution membre de la Convention : il révèle ses qualités de jurisconsulte au sein du comité de législation. Lors du procès de Louis XVI, il s’exprime avec ambiguïté, votant pour la mort du roi, mais à certaines conditions.

Membre du Conseil des Cinq-Cents en 1795, il est nommé ministre de la Justice en 1799.

Connu et apprécié de Napoléon, Cambacérès entame après le 18 Brumaire une brillante carrière. Il est tout au long du Consulat et de l’Empire l’un des premiers personnages de l’État.

Deuxième consul aux côtés de Bonaparte, Cambacérès contribue de façon notable à l’élaboration du Code civil, dont il avait lui-même rédigé un projet en 1795. Lorsque l’Empire succède au Consulat, il est nommé archichancelier. Couvert d’honneurs par Napoléon qui le fait Prince et duc de Parme, il devient le conseiller privilégié de l’empereur.

Après les Cent-Jours il est expulsé de France comme régicide, mais parvient à être réintégré dans ses droits par Louis XVIII. Il meurt en 1824 sans avoir été appelé par le roi à exercer à nouveau des responsabilités.

Souvent critiqué pour son opportunisme politique, Cambacérès n’en a pas moins été l’un des jurisconsultes les plus influents de son temps et a grandement contribué à l’élaboration d’un nouveau droit français.

Une note autographe de Cambacérès

Ouvrage sur les Loix forestières de France

Loix forestières de France, Commentaire historique et raisonné Sur l’Ordonnance de 1669, les Réglements antérieurs, & ceux qui l’ont fuivie ; auquel on a joint une Bibliotheque des Auteurs qui ont écrit fur les matieres d’Eaux & Forêts, & une Notice des Coutumes relatives à ces mêmes matieres.... Par M. Pecquet, Grand-Maître des Eaux & Forêts de France, au Département de Normandie. Tome premier. À paris chez Prault père, Quai de Gêvres, au Paradis ... M.DCC.L.III. [1753].

Des statuts de la ville de Parme (1494)

Réimpression des statues de la ville de Parmes de 1590, par l’imprimeur Erasmo Viotti, fils et successeur de Set Viotti

Conquis de haute lutte ou acquis au terme d’âpres négociations, le droit de commune est, durant la période médiévale, reconnu par une charte qui définit le rapport de la commune avec l’autorité dont elle dépend, qui dès lors lui reconnaît des privilèges. Dans la plupart des cas s’ajoutent à la charte des dispositions relatives à l’organisation intérieure de la commune, à la condition de ses habitants, et souvent aussi des coutumes. Un droit urbain spécifique apparaît ainsi à l’extrême fin du XIe siècle, qui s’affermit aux siècles suivants, et garantit l’exercice des activités commerciales ou artisanales de nombreuses cités européennes. Celles-ci bénéficient rapidement d’une juridiction propre à la tête de laquelle siègent des magistrats choisis par les habitants eux-mêmes. Les villes italiennes sont parmi les premières à se doter de véritables statuts. Ce phénomène apparaît dans un contexte de très fort développement social et économique, mais aussi au moment des grands conflits entre la Papauté et l’Empire. L’écriture du droit local emprunte, dans un premier temps, des formes juridiques diversifiées : brevia, capitula, ordinamentum, constitutum, constitutiones … On ne parle pas encore de statuts  ; ce terme apparaît en Italie dans le premier tiers du XIIIe siècle. Ceux de la ville de Parme (1316) établissent que certains comportements sont interdits dans l’espace communal, sous peine d’amende. A titre d’exemple, les femmes n’ont pas le droit d’allaiter leur enfant en public.

Les statuts de la ville de Parme sont imprimés pour la première fois en 1494 sur les presses d’Angelo Ugoleti ; une réimpression de cette édition incunable est réalisée, en 1590, par l’imprimeur Erasmo Viotti, fils et successeur de Set Viotti.

La gravure sur cuivre

Les premiers livres imprimés (au XVe et au XVIe siècles) possèdent des illustrations réalisées grâce à la technique du bois gravé (xylographie). Au cours du XVIIe siècle, puis au XVIIIe siècle, une nouvelle technique s’impose dans les ouvrages illustrés : celle de la gravure sur cuivre (dite aussi gravure en taille-douce). Cette technique offre aux graveurs une plus grande finesse dans le trait dont bénéficie aussitôt les domaines diversifiés des arts et des lettres, mais aussi les représentations du savoir scientifique (médecine, anatomie, sciences naturelles) et technique (mécanique, physique, mathématiques), ou encore la cartographie.

De l’archéologie à la numismatique

Gravure réalisée par Jacques de Bye

Cet ouvrage compte parmi les tous premiers ouvrages de numismatique. Son auteur, Antonius Augustinus (1517-1586), archevêque de Tarragone, fait figure de véritable humaniste : à la fois jurisconsulte et philosophe, archéologue et bibliophile. L’ouvrage contient 60 planches de médailles réalisées par Jacques de Bye (1581-1640), dessinateur et graveur originaire d’Anvers. La deuxième partie de l’ouvrage, qui contient l’ensemble des médailles gravées, s’ouvre sur une page de titre ornée intitulée Nomismata Imperatorum Romanorum aurea argentea aerea A. C Julio Caesare usque AD Valentinianum AVG, également datée de 1617. Cette gravure sur cuivre est signée « MAsinius », nom latinisé du graveur français Michel Lasne (1590-1667). Ce natif de Caen compte parmi les meilleurs graveurs français de son temps. Grand travailleur, il a laissé une œuvre considérable. Il fut protégé par Anne d’Autriche et travailla à Anvers de 1617 à 1620 avec Théodore Galle et Jacques de Bye. On attribue à Rubens le dessin des titres gravés par Michel Lasne pour Jacques de Bye ; la supposition semble pouvoir être admise, bien que le nom du grand peintre n’apparaisse pas sur ces pièces. Celle-ci représente la puissance de Rome depuis ses origines (la Louve et les jumeaux Romulus et Rémus) jusqu’à l’apogée de ses conquêtes, tant terrestres que maritimes, sous l’Empire (la Guerrière couronnée par la Victoire). Entre la Louve et la Victoire, gisent des captifs enchaînés. La tête de sanglier (à droite) et le bélier (à gauche) symbolisent la force, la combativité, l’invincibilité ; les boucliers, haches et flèches sont autant de marques de la puissance de l’armée romaine et du pouvoir de ses chefs. Sous le titre gravé, se trouve un ex dono manuscrit de Jacques de Bye à Jacques Boonen (1573-1665), alors évêque de Gand et futur archevêque de Malines (1620).

Les travaux et recherches des moines de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés sont indissociables de leur appartenance à la congrégation de Saint-Maur. Pour les mauristes, le respect de la règle bénédictine comporte une forte dimension historique, dans la mesure où la recherche de la pureté de la règle initiale s’appuie sur la connaissance de la vie des saints, l’étude des auteurs monastiques, sur l’histoire de leur ordre, autrement dit : sur la collecte de documents et la critique textuelle. 

Dom Jean Mabillon (1632-1707) est, sans conteste, le plus célèbres des mauristes. Après un séjour comme trésorier à l’abbaye de Saint-Denis, il est envoyé en 1664 à la bibliothèque de Saint-Germain-des-Prés où il seconde activement Dom Luc d’Achery. Il assiste alors ce dernier dans la collecte de documents en vue de la rédaction des Actes de l’Ordre de Saint-Benoît (Acta Ordinis Sancti Benedicti). Sa contribution se révèle à ce point déterminante que le premier volume édité de ce projet lui est finalement attribué. 

En 1681, Dom Jean Mabillon publie le traité De re diplomatica qu’il rédige à la demande de ses supérieurs, en réponse à la mise en question de l’authenticité de certaines chartes conservées à l’abbaye de Saint-Denis. A cette fin, il propose des outils permettant d’authentifier et de dater chartes et documents anciens. La diplomatique est née.

En 1685-1686, assisté de Dom Jean Germain (1645-1694), il entreprend un voyage en Italie, dont la relation est publiée, en deux tomes, sous le titre Museum italicum entre 1687 et 1689, et rééditée en 1724. Les notes permettent de suivre l’itinéraire de Jean Mabillon et Michel Germain jusqu’à Rome et Naples ; les deux érudits s’arrêtent à Milan, Venise, Ravenne et au Mont-Cassin, dont la célèbre abbaye a été fondée au VIe siècle par Benoît de Nursie ; ils visitent nombre de bibliothèques et rapportent près de 400 volumes pour la Bibliothèque royale.

 

Le précurseur du néoclassicisme européen

Johann Joachim Winckelmann (1717-1768) est l’une des personnalités les plus fascinantes de ce XVIIIe siècle que Goethe appelait le « siècle de Winckelmann ». Grâce à ses écrits, l’histoire de l’art et l’histoire de l’archéologie allemande ont connu une très large diffusion européenne. Fondateur de l’archéologie en tant que discipline moderne, il est aussi le précurseur du néoclassicisme. L’art grec fascine Winckelmann, en particulier la sculpture de l’époque classique, qui représente à ses yeux un modèle à imiter autant qu’un moment historique indépassable. Sa réflexion esthétique est entièrement tournée vers l’idée (l’idéal) du « Beau ». Winckelmann a laissé plusieurs ouvrages précieux pour l’étude du dessin. Il a principalement développé ses théories esthétiques dans son Histoire de l’art chez les Anciens, dont l’édition allemande date de 1764. Cette œuvre est traduite en français en 1766, puis rééditée en 1789. En Italie, la première traduction du texte est imprimée à Milan en 1779, avant d’être publiée à Rome en 1782 et 1786. L’édition milanaise est dédiée au cardinal Alessandro Albani (1692-1779), connu pour son attachement à l’art, pour son mécénat et son soutien à l’essor de l’art néoclassique.

Ce recueil de planches s’ouvre sur une page de titre gravé, coiffée de l’emblème et de la devise de l’ordre de la Jarretière : « Honi soit qui mal y pense ». Il contient : 10 cartes gravées à double page finement coloriées ; 2 cartes gravées à double page sur les régions côtières du nord de la France ; une liste des villes et routes d’Angleterre, suivie d’une carte des routes d’Angleterre par John Ogilby ; des planches gravées des ports d’Angleterre.

Les trois auteurs sont des cartographes renommés. 

Louis-Charles Desnos (1725-1805) est un géographe et libraire français, à qui l’on doit également la fabrication d’instruments de cartographie et de globes. Il occupe auprès du roi du Danemark, Christian VII, le poste de Royal Globemaker. Sa grande production de cartes lui vaut de nombreuses critiques de la part de ses concurrents. Peu regardant sur l’exactitude des cartes et moins encore sur les droits d’auteur, il connaît de nombreux démêlés avec la justice de son temps.

Traducteur et cartographe écossais, John Obilgy (1600-1676) est célèbre pour son Britannia Atlas de 1675, l’un des premiers atlas routiers anglais qui fixe les standards du genre. Lorsque sa propriété londonienne est détruite pendant le grand incendie de Londres en 1666, il reconstruit sa maison à Whitefriars et y installe une presse à imprimer avec laquelle il produit de nombreux livres de qualité et notamment des atlas géographiques.

Né dans une famille d’éditeur, Carington Bowles (1724-1793) poursuit l’œuvre familiale. A la suite de ses ancêtres, il imprime un grand nombre de textes et de cartes d’Angleterre, et du reste du monde.

Le vendredi 15 septembre 2017, l’exposition du fonds Cambacérès en dépôt à la Cour de cassation a été présentée aux chefs de cour et de juridiction du Palais de justice de Paris.

Culture

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