Exposition du fonds patrimonial du tribunal de grande instance de Paris, en dépôt à la Cour de cassation

30/06/2022

Au mois de juillet 2017, la Cour de cassation a reçu du tribunal de grande instance de Paris le dépôt d’une partie de ses collections patrimoniales. Un dépôt complémentaire sera effectué au printemps 2018 lorsque le tribunal quittera l’île de la Cité pour le nouveau site des Batignolles. La Cour de cassation pourra alors pleinement œuvrer à la conservation et à la valorisation de ce fonds d’environ 800 volumes qui couvre une large période historique allant du XVe au XIXe siècle.

Rassemblant une grande diversité de sources juridiques, cette collection est remarquable à bien des égards. Tout d’abord, elle comprend plusieurs éditions anciennes dont la rareté a été révélée à mesure que progressait le travail d’inventaire, à commencer par la découverte d’une édition incunable des Coutumes de Bretagne de 1491.

Par ailleurs, certains ouvrages sont annotés ; d’autres possèdent des marques de provenance qui rattachent la constitution de ce fonds aux prélèvements effectués, après 1789, dans les dépôts littéraires révolutionnaires.

La présence de nombreux coutumiers, ainsi que la multitude des recueils d’actes des rois de France et arrêts des parlements constituent des compléments documentaires exceptionnels mis au regard des collections conservées par la bibliothèque de la Cour de cassation dans ces deux domaines. Ce dépôt ouvre donc la voie à de nouvelles recherches et à la mise en place d’un programme de numérisation élargi.

 

Une édition incunable des coutumes de Bretagne (1491)

L’ouvrage est incomplet du cahier A. Il contient plusieurs mentions de provenance : un ex-libris manuscrit à l’encre « Je suis et apartiens a honeste filz nomé Julien », ainsi qu’une signature manuscrite « Ju.[lien] Olivon » suivi d’une ruche ; une seconde signature « Berthelot », suivie d’une ruche ; les mentions manuscrites suivantes : « Coustumes de Bretagne de l’An 1462 Achetées en 1617 Du Cairé [Le Querré (?)] a Rennes », « Gabiau » au contreplat supérieur et « J. Gabriau 1617 a Rennes » ; estampille de la bibliothèque du Tribunat (début XIXe siècle) ; estampille de la bibliothèque du Tribunal civil de Paris.

On ne connaît que deux autres exemplaires de cette édition ; ils sont conservés dans les bibliothèques municipales de Rennes et de Nantes.

Dans leur Bibliographie des coutumes de France, éditions antérieures à la Révolution (Genève : Librairie Droz, 1975), André Gouron et Odile Terrin datent de 1480 la plus ancienne édition imprimée des coutumes de Bretagne. Il s’agit des Coutumes et establissemens de Bretaigne … imprimées à Paris par Guillaume Le Fèvre. La bibliothèque de la Cour de cassation possède, quant à elle, une édition incunable des Coutumes de Bretagne par Nicolas Dalier, Guillaume Racine et Thomas du Tertre, datée du 3 VII 1485.

Dépôt Fonds du tribunal de grande instance de Paris : RB 55 [4145]

Qu’est-ce qu’un incunable ?

Par convention, les historiens du livre s’entendent pour donner l’appellation « incunable » (du latin incunabula : berceau, enfance, origine) au livre imprimé en Europe entre 1454* et 1500. Le terme « post-incunable » est parfois employé pour désigner des ouvrages qui, bien qu’ayant été imprimés après 1501, contiennent toutes les caractéristiques matérielles propres aux « incunables ».

* On date de 1454-1455 le premier incunable répertorié en Europe. Il s’agit de la Bible à quarante-deux lignes (dite « B42 ») imprimée à Mayence par Johannes Gutenberg, Peter Shöffer et Johann Fust. La bibliothèque de la Cour de cassation conserve dans ses collections 20 incunables.

La plus vieille édition des Coutumes d’Orléans (1517)

Il s’agit de la plus ancienne version latine imprimée du commentaire des Coutumes d’Orléans par Jean Pyrrhus d’Angleberme (1470 ?-1521). Le texte est relié avec une version française des Coutumes d’Orléans, mais sans page de titre. Reliure estampée XVIe siècle. 

Dépôt Fonds du tribunal de grande instance de Paris : RB 51 [4142]

Une édition des Coutumes de Naples (1535)

Il s’agit ici d’un commentaire des coutumes de Naples par Matteo d’Affitto, connu aussi sous le nom latinisé de Matthaeus de Afflictis (1447-1523), juriste et membre du Conseil du roi de Naples de 1495 à 1501. L’ouvrage a été imprimé à Lyon par Denis de Harsy pour Galliot du Pré, libraire juré en l’université de Paris. On n’en connaît pas d’exemplaire conservé en France.

Dépôt Fonds du tribunal de grande instance de Paris : D 32 [1032]

De la coutume et du droit coutumier

On entend par « coutume » un usage juridique oral, consacré par le temps et accepté par la population d’un territoire déterminé. On oppose ainsi le droit coutumier (issu des coutumes locales) au droit écrit (issu du droit romain). Dans les deux tiers nord de la France, le droit coutumier a dominé l’époque médiévale et a largement perduré sous l’Ancien Régime. A l’origine purement orales et transmises par la tradition, les coutumes de France ont été progressivement rédigées, en application de l’ordonnance de Montils-les-Tours (1454), et diffusées grâce à la récente invention de l’imprimerie. Depuis 1789, le droit coutumier n’a qu’une place assez restreinte dans le système juridique français.

Le Songe du Verger (1516)

Le Songe du Verger ou Vergier (en latin Somnium Viridarii) est un ouvrage fondamental de droit public. Il est attribué à Evrart de Trémaugon, conseiller du roi, puis évêque de Dol-de-Bretagne, qui l’aurait rédigé en latin et en français entre 1376 et 1378 pour le roi Charles V. Son titre énigmatique pourrait s’expliquer par les conditions dans lesquelles l’œuvre aurait été inspirée à son auteur : Evrard, endormi dans un verger, aurait vu dans un rêve le roi et le pape respectivement accompagnés d’un chevalier et d’un clerc, choisis comme avocats pour débattre amicalement de points litigieux. Le chevalier aurait fini par l’emporter sur le clerc ; le roi sur le pape.

Nourri de divers emprunts à des écrits politiques antérieurs, cet ouvrage est un véritable traité de science politique. Il porte sur la fiscalité royale, les relations entre souveraineté et droit, et tend à définir précisément la nature du pouvoir législatif. Il constitue un manifeste politique qui consacre la supériorité de l’autorité temporelle sur l’autorité spirituelle. L’importance de ce texte explique sa rapide impression à l’orée du XVIe siècle. C’est Galliot du Pré qui réalise la première édition du Somnium Viridarii en 1516 ; Melchior Goldast la reproduit un siècle plus tard, en 1614, dans la Monarchia Sancti Romani Imperi. Il faut ensuite attendre l’année 1731 pour que Jean-Louis Brunet édite le texte français du Songe du Vergier dans le deuxième volume de son recueil intitulé Traitez des droits et libertez de l’Eglise gallicane. Cette édition est restée la seule édition disponible pour la recherche jusqu’aux années 1980 .

Dépôt Fonds du tribunal de grande instance de Paris RB 13 [8076]

Aureus Andreae Alciati Jureconsulti praesumptionum tractatus, Joannis Nicolai Arelatani I. U. D. studio pervigili amplissimis auctus additionibus, argumentis ac indice elementario de more exornatus, studiosorum ergo nunc primum in Lucem exit. Apud Vincentium Portonarii Lugduni M. D. XXXVIII [1538]

Une édition rarissime des œuvres d’Alciat (1538)

Cette édition de l’Aureus praesumptionum tractatus d’Alciat est rarissime. Baudrier, dans sa Bibliographie lyonnaise. Recherches sur les imprimeurs, libraires, relieurs et fondeurs de lettres de Lyon au XVIe siècle (Paris, 1964) n’en connaît qu’une seule localisation : au Musée Calvet d’Avignon (n° 932). Elle est issue des presses de Vincent Ier de Portonariis (1504-1547), imprimeur et libraire lyonnais, originaire de Trino dans le marquisat de Montferrat. Vers 1506, Portonariis se met à éditer pour son propre compte et, jusqu’en 1547, date de sa mort, les ouvrages portant sa marque se succèdent sans interruption. Il entretient, pendant près de huit ans, une association commerciale avec l’imprimeur Jacques Junte ; on les voit alors se partager les éditions de volumineux ouvrages de droit. Ce texte d’Alciat en est la parfaite illustration : édité par Portonarii en 1538, il est réédité par Junte en 1542. André Alciat (1492-1550), on le sait, est l’auteur d’importants traités de jurisprudence. Écrivain italien de langue latine, il est avec Ulrich Zasius et Guillaume Budé, l’un des premiers représentants du courant dit de l’humanisme juridique.

Ex dono ms au titre « D[omi]ni Ruffé ». Ex libris ms au titre « Congregationis Missionis domus Sti Lazari Parisiensis ».

Dépôt Fonds du tribunal de grande instance de Paris : RB 80 [8118]

L’art de la reliure et de l’estampage

En Europe, l’invention de l’imprimerie bouleverse rapidement l’art de la reliure. Ainsi dès la fin du XVe siècle, les cartons (feuilles de papier collées les unes contre les autres) remplacent les ais de bois comme support des couvertures ; les peaux (de truie ou de veau) sont estampées à froid. Pour cela, on grave dans le métal des ornementations de grande surface (des plaques) qui sont sont poussées (imprimées) à l’aide d’une presse à bras. On utilise également des roulettes ornées. Ce sont des disques de métal gravé en creux ou en relief qui laissent une empreinte régulière à la surface de la reliure.

Relié avec : Confutationes legis machumeticae, quam vocant Alcoran. [Basileae] : [Joannes Oporinus, 1543.] Suivi de :

Historiae de Saracenorum sive Turcarum origine moribus nequitia religisne, rebus gestis ... [Basileae] : [Joannes Oporinus, 1543.] Suivi de :

Ioannis Cantacuzeni ... Contra Mahometicam fidem Christiana [et] orthodoxa assertio, graece conscripta ante annos fere ducentos, nunc uero latinitate donata, Rodolpho Gualthero ... interprete ; adiecta est eadem graece scripta, in eius linguae pietatis studiosorum gratiam. Basileae, ex officina Ioannis Oporini, mars 1543. Suivi de :

Christianae religionis acerrimi propugnatis, D. Ioannis Cantacuzeni .… Eiusdem contra Mahometem Orationes IIII . Nunc primum in lucem editiae. Basileae, ex officina Ioannis Oporini, 1543.

Reliure estampée XVIe siècle.

Johannes Herbst, dit Johannes Oporinus, est né à Bâle en 1507. Après avoir été formé au grec et au latin à l’Université de Strasbourg, il retourne dans sa ville de naissance où il travaille comme correcteur pour le célèbre imprimeur Froben. Il s’intéresse ensuite à la médecine et devient l’assistant de Paracelse. En 1533, il obtient une chaire de grec à l’Université de Bâle. Entre 1535 et 1537, il s’associe à Robert Winter, Thomas Platter et Wolfgang Lasius pour créer une imprimerie qui acquiert très vite une grande renommée. Cependant les dettes s’accumulent et l’imprimerie fait faillite. En 1542, Oporinus fonde alors sa propre imprimerie dont la marque représente Arion sur un dauphin. On lui doit dès 1543 l’impression de la première version latine du Coran et la publication du De Fabrica d’André Vésale, ouvrage d’anatomie dont la réception est retentissante. Les Centuries de Magdebourg qu’il édite à partir de 1559 proposent une vision luthérienne de l’Histoire de l’Église. Nombreuses sont les publications d’Oporinus qui s’inscrivent dans les luttes confessionnelles de l’époque et font polémique, à l’instar du libelle de Sébastien Castellion, De haereticis, écrit contre la condamnation au bûcher de Michel Servet. Criblé de dettes, Oporinus doit se résoudre à vendre son imprimerie en 1567 ; celle-ci continue pourtant ses activités sous le nom d’« Officina Oporiniana ». Mort l’année suivante, en 1568, à Bâle, Oporinus est inhumé près d’Erasme et Simon Grynaeus.

Dépôt Fonds du tribunal de grande instance de Paris : RB 55 [4145]

Imprimeurs hollandais du XVIIe siècle, les Elzevier se sont rendus célèbres par la beauté des éditions sorties de leurs presses. Devenus associés en 1626, Abraham et Bonaventure Elzevier sont les deux plus célèbres typographes de la famille. Outre les nombreuses éditions latines imprimées par leur soin, on leur doit également des ouvrages imprimés avec des caractères orientaux comme une version trilingue de l’Apocalypse, en latin, grec et hébreu (1627) ; le Talmud de Babylone en latin et hébreu (1630) ; ou encore, une Vie de saint Pierre en persan (1639). L’édition bilingue du Talmud de Babylone présente, en plus des caractères latin et hébreu, des caractères grecs et arabes. Elle contient également une planche hors texte et hors format représentant un plan du Temple de Jérusalem. L’estampille au titre indique que l’exemplaire provient de la bibliothèque du couvent des Jacobins de la rue Saint-Honoré.

Dépôt Fonds du tribunal de grande instance de Paris : RB 37 [4133]

Garamond, Elzevier, Didot : imprimeurs de caractère et caractères d’imprimerie

En imprimerie, un caractère typographique est une petite pièce de métal, généralement en plomb, destinée à recevoir l’encre grasse avant d’être imprimée sur un support. Au cours du temps, plusieurs imprimeurs ont laissé leur nom à un caractère d’imprimerie. Claude Garamond est sans doute le plus célèbre d’entre eux. Ses caractères romains ont rencontré un vif succès dans toute l’Europe humaniste. Au XVIIe siècle, les Elzevier sont à l’origine de caractères d’une grande lisibilité, reconnaissables à leur empattement triangulaire. Peu avant la Révolution française, on doit à Firmin Didot la création d’une police d’une très grande élégance.

De la bibliothèque du Collège de Sorbonne (1654)

De la bibliothèque de Mrs les Maistres des requestes (1630)

De la bibliothèque de Louis-Pierre Saunier (1660)

Lits de justice du roi 1770-1774

Nommé chancelier en 1768, le magistrat René-Nicolas de Maupeou doit rapidement faire face à la grande affaire du temps : la fronde parlementaire et, en particulier, l’affaire La Chalotais qui agite alors le parlement de Bretagne. Maupeou discerne aussitôt quels dangers la fronde des parlements fait courir à l’autorité royale et au régime. Bénéficiant de la confiance du roi Louis XV, le chancelier s’attaque au parlement en rébellion. Le 27 novembre 1770, il envoie au parlement de Paris un édit en trois articles dont le préambule rappelle les lois fondamentales de la monarchie française : « L’esprit du système, aussi incertain dans ses principes qu’il est hardi dans ses entreprises [...] n’a pas respecté les délibérations de plusieurs de nos cours. Nous les avons vues enfanter successivement de nouvelles idées et hasarder des principes que, dans tout autre temps et dans tout autre corps, elles auraient proscrits comme capables de troubler l’ordre public [...] Nous ne tenons notre couronne que de Dieu. Le droit de faire les lois nous appartient […] »

Le 7 décembre 1770, le roi fait enregistrer solennellement en lit de justice un édit de discipline. En représaille, les parlementaires suspendent leurs travaux et présentent une nouvelle fois des remontrances, imités par leurs collègues de province.

Ce recueil couvre les quatre années de troubles parlementaires, qui aboutissent en août 1774 à la « chute » du ministère Maupeou et à l’avènement du comte de Maurepas qui rétablit sans attendre le pouvoir des anciens parlements, avec le soutien de la haute noblesse et de la reine. Le 12 novembre 1774, au cours d’un lit de justice, le jeune Louis XVI réintègre les magistrats exilés dans leurs anciennes fonctions tout en leur adressant cette vaine admonestation : « Je veux ensevelir dans l’oubli tout ce qui s’est passé, et je verrais avec le plus grand mécontentement des divisions intestines troubler le bon ordre et la tranquillité de notre Parlement ». C’est là, pour l’historien Jean Tulard, cinq ans avant la prise de la Bastille, le véritable point de départ de la Révolution.

Dépôt Fonds du tribunal de grande instance de Paris : BR 396 [4165]

Qu’est-ce qu’un lit de justice ?

Le lit de justice est une séance solennelle du parlement tenue en présence du roi. Sous l’Ancien Régime, cette procédure sert à enregistrer des actes importants. Elle concerne aussi bien les décisions qui ne sont pas conformes aux lois du royaume que l’application des traités internationaux. Elle sert également au monarque à imposer sa volonté à des magistrats réticents, et donc à enregistrer des édits contraignants, parfois hostiles au parlement lui-même. Depuis Louis XIII, le lit de justice se déroule dans la Grand-Chambre du parlement de Paris. Le roi, après avoir fait ses dévotions à la Sainte-Chapelle, entre dans le parlement et prend place sur le trône surmonté d’un dais situé dans un coin de la salle et la dominant.

Le vendredi 15 septembre 2017, l’exposition du fonds patrimonial du tribunal de grande instance de Paris en dépôt à la Cour de cassation a été présentée aux chefs de cour et de juridiction du Palais de justice de Paris.

Culture

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