L’art de la reliure (XVIe - XVIIIe siècles)

29/06/2022

La bibliothèque de la Cour de cassation possède un fonds patrimonial important, comprenant environ 12 000 volumes antérieurs au XIXe siècle, issus pour la plupart des confiscations révolutionnaires. Cette collection se singularise par son contenu tout d’abord, qu’il s’agisse de la diversité des ouvrages juridiques comme des collections encyclopédiques remontant, pour les imprimés les plus anciens, à la période médiévale et moderne ; elle se distingue également par la qualité et l’abondance de ses reliures de parchemin, de veau, de truie, de maroquin et de chagrin qui diffèrent par leur texture et leurs teintes.

Aux estampages décoratifs ou symboliques des incunables ou post-incunables ont succédé les fers armoriés et les devises des bibliothèques d’institutions et de grands collectionneurs privés de cet Ancien régime qui est aussi celui du livre.

Cette nouvelle exposition de la bibliothèque de la Cour de cassation a pour but de présenter une sélection d’une vingtaine de reliures caractéristiques de la technique de la couvrure et de l’ornementation propre aux XVIe , XVIIe et XVIIIe siècles. A travers ces quelques exemples d’estampage à froid et d’estampage à la feuille d’or, au regard de ces décors à la fanfare, à la Du Seuil ou à la dentelle, c’est autant l’excellence des artisans relieurs français et étrangers qui est ici mis en avant que l’évolution du goût des collectionneurs et des bibliophiles de l’ancien royaume de France.

Reliures estampées à froid

Estamper signifie imprimer en relief au moyen d’une matrice gravée en creux. Jusqu’aux années 1535, le décor des livres, couverts de veau clair ou de basane, est ainsi réalisé avec un poinçon de métal chauffé, souvent rond ou carré, qui donne un motif en relief sur un fond écrasé et noirci.

Comme l’indique Louis-Marie Michon, dans son ouvrage La Reliure française (Paris, 1961), l’estampage à froid est « une méthode qui s’apparente étroitement à l’art des sceaux [...] C’est vraisemblablement aux tailleurs de sceaux que l’on s’adressa pour graver les « fers » à l’aide desquels on imprima des ornements par pression sur le cuir mince, comme, avec la matrice, on le faisait sur la cire chaude. »

De l’époque romane, les XVe et XVIe siècles ont gardé l’usage constant des petits fers que l’on retrouve également dans les reliures dorées. Toutefois, le perfectionnement de l’outillage et de la technique de l’estampage conduit au remplacement progressif des petits fers par des plaques de grand format imprimées à la presse ou par des roulettes. 

Le choix des motifs (fleurs, animaux, symboles, etc.) trahit l’influence du livre illustré. On les copie d’un atelier à l’autre. Ce type de décor est appelé « monastique » car il est, à l’origine, réalisé dans les ateliers des monastères. On s’en inspire ensuite dans les officines commerciales des imprimeurs, libraires et artisans relieurs.

Les couvrures estampées à froid ne doivent pas être considérées, rétrospectivement, comme des reliures de « bibliophiles » : elles sont, presque toujours, destinées à protéger des instruments de travail. Selon les régions, la matière utilisée est le veau ou la basane (mouton, agneau). Parfois, on rencontre des peaux qui rappellent celles du daim ou du porc. L’usage de la peau de truie pour l’estampage est, quant à lui, caractéristique des pays de culture germanique. 

Veau brun sur ais non biseautés estampé à froid, plats à doubles cadres de quadruples filets, dans le rectangle central plaque à deux bandes de rinceaux avec singes et animaux fantastiques, entourée de la devise « Inter natos mulierum non surrexit major Johanne Batista » et de la signature Giot.

Estampages à la feuille d’or et décors de semé

Avec l’augmentation croissante du nombre d’imprimés au cours du XVIe siècle, un nouveau type d’estampage apparaît : l’estampage à la feuille d’or. Cette technique, qui s’impose rapidement, restreint par son coût la présence d’un décor naguère généreusement appliqué à froid. Sur la plupart des volumes usuels l’ornementation tend désormais à se raréfier ; elle se réduit le plus souvent à quelques filets ou fleurons dorés. L’écart s’accentue encore entre ce type de reliure et celles adoptées pour les bibliothèques princières ou les collections de riches amateurs. Les « bibliophiles », à l’instar de Jean Grolier, favorisent l’essor et le perfectionnement d’un artisanat d’excellence : les reliures reçoivent ainsi un traitement de plus en plus savant où les tracés rectilignes des roulettes cèdent volontiers la place à de gracieuses courbes et volutes construites de petits fers ou incrustées en mosaïque.

A la fin du XVIe siècle, le décor de semé apparaît ; ce style connaît son apogée sous le règne d’Henri IV. Cette ornementation consiste dans la répétition d’un même motif ou de deux motifs alternés sur tout ou partie de la surface des plats, voire du dos. On rencontre alors, dans les bibliothèques nobiliaires, toute une variété de semés : semés de fleurs de lys, semés de larmes, d’étoiles ou de flammes. L’or et le cuir magnifient le travail des grands imprimeurs de la Renaissance.

Veau orné de tête d’homme et de femme à l’antique au centre de filets.

Les reliures de Jean Grolier

Figure emblématique de l’amateur de reliures, Jean Grolier de Servières (1479-1565) est considéré comme l’initiateur en France de la reliure à grand décor, sa bibliothèque offrant, au regard des exemplaires qui nous sont parvenus (environ 500 volumes sur les 3 000 rassemblés de son vivant), un panorama unique des créations parisiennes de la Renaissance. Celles-ci s’étendent, en effet, des premiers décors dorés du début du siècle aux esquisses de reliures « à la fanfare » des années 1560, réalisées par les plus importants ateliers contemporains.

Trésorier de France et de Milan, Jean Grolier a possédé, en fait, trois bibliothèques successives : une bibliothèque italienne, principalement constituée de reliures milanaises à plaquettes et réunie alors qu’il était trésorier des guerres dans le Milanais, perdue en septembre 1513, lors des premiers revers militaires français ; une première bibliothèque parisienne, formée au cours des années 1520 et jusque vers 1533, date à laquelle il est emprisonné au Châtelet pour malversations financières ; une seconde bibliothèque parisienne, enfin, la mieux connue, avec environ 400 volumes conservés parmi lesquels près de 250 à décor d’entrelacs géométriques, reconstituée à partir de 1538 et alimentée jusqu’au tout début des années 1560.

Décor d’arabesques et dentelles sur une reliure en veau blond exécutée pour le riche collectionneur Jean Grolier (1479-1565).

Reliures de parchemin

Peu coûteux et solide, le parchemin a longtemps servi de matériau de base pour nombre de reliures courantes. L’artisan relieur des XVIe et le XVIIe siècles français a alors le choix entre plusieurs techniques : il peut se servir du parchemin comme s’il s’agissait d’une autre peau, l’appliquant sur des plats de carton pour obtenir une reliure souple, dite aussi « à la hollandaise » ; il peut également, mais c’est plus rare, l’appliquer sur des ais de bois pour obtenir une reliure rigide. Il lui est également possible de prévoir des rabats de peau pour protéger les tranches de l’ouvrage ou, à l’aide d’attaches, le maintenir convenablement fermé.

La réutilisation de morceaux de parchemin rend cette technique particulièrement bon marché. Les relieurs n’hésitent alors pas à réutiliser des supports anciens ou des textes considérés comme désuets. Il en est ainsi des manuscrits médiévaux liturgiques et des documents juridiques devenus caducs qui sont dépecés sans scrupule, les feuillets servant, selon les formats, à la confection des claies ou à couvrir les plats et les dos. Afin de rompre avec la monotonie inhérente à ce type de reliure, les parcheminiers vont mettre au point des méthodes de teinture (rouge, vert, jaune) et de mouchetage inédites qui offrent une alternative moins onéreuse à la technique de l’estampage et de la dorure. 

Reliures armoriées

C’est dans la première moitié du XIIe siècle, rappelle Benoît Lecoq (L’art de la reliure XVIe-XVIIIe siècle, Paris : CNAM, 1987) reprenant les travaux de Michel Pastoureau (L’hermine et le sinople : études d’héraldique médiévale, Paris : Le Léopard d’or, 1982), que les armoiries apparaissent dans la civilisation occidentale. D’abord peintes sur des boucliers de guerre comme signes de reconnaissance, leur emploi se répand au cours des siècles suivants : les écus armoriés prennent alors place sur les pages, les tranches ou les fermoirs des manuscrits médiévaux, ainsi que sur la pierre des monuments, la vaisselle des familles de la noblesse ou les plaques de cheminée. Ils ornent bientôt les plats des volumes et, à partir de la seconde moitié du XVe siècle, on prend l’habitude de les estamper à chaud sur les reliures. Cet usage se généralise chez les bibliophiles ; il connaît sa vogue la plus grande aux XVIIe et XVIIIe siècle.

Reliures à la "DU SEUIL"

Ce type de reliure tire son nom d’Augustin Duseuil ou Du Seuil (1673-1746), qui fut le relieur de Charles de France (1686-1714) et de la Duchesse de Berry (1695-1719), avant d’être nommé relieur du roi et, à partir de 1740, relieur de l’Ordre du Saint-Esprit. La réputation d’Augustin Du Seuil dépasse aussitôt les frontières du Royaume ; sa clientèle s’élargit et touche rapidement tous les grands bibliophiles de son temps.

De ses reliures, on admire alors la perfection des corps d’ouvrage, la délicatesse de la couvrure, la qualité des maroquins, l’élégance et le fini des dorures. Un style s’impose qui est largement imité. C’est pourquoi il est aujourd’hui très difficile d’authentifier les ouvrages reliés par Augustin Du Seuil lui-même ; pour les historiens du livre, les reliures qu’on lui attribue, au XIXe siècle, dans les catalogues sont une invention romantique ; Marius Michel (La reliure française..., Paris, 1880) l’impute directement « à la poétique imagination de Charles Nodier », le célèbre écrivain et bibliophile français, bibliothécaire à l’Arsenal. Néanmoins, pour la postérité, le nom Du Seuil reste rattaché à un style de reliure qui, pour le XVIIIe siècle français, se caractérise par les éléments suivants :

  • Reliure en maroquin (chèvre), en général rouge ou brin ;
  • Encadrement extérieur de deux ou trois filets sur les plats, très proche des bords ;
  • Encadrement intérieur similaire, sur les plats, avec un fleuron aux quatre coins ;
  • Le dos, comme souvent à l’époque, est à nerfs apparents avec des décors de fleurons.

Reliures à la dentelle

Les reliures à la dentelle, très en vogue au XVIIIe siècle chez les riches collectionneurs et amateurs de bel ouvrage, se caractérisent par la juxtaposition de petits fers ornementaux sur le bord des plats, qui donnent cette apparence de bande de dentelle.

Maroquin olive avec décor à la dentelle et monogramme "J.P.B.", probablement Joséphine de la Pagerie de Beauharnais

Culture

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