Attentats de Nice, de Marseille et assaut de Saint-Denis

15/02/2022

Par quatre décisions, la Cour de cassation se prononce sur des questions posées dans les affaires des attentats de Nice (2016), de Marseille (2017), et de l’assaut de Saint-Denis (2015).

1. Les spécificités des attentats terroristes conduisent la Cour de cassation à adopter une conception plus large de la notion de partie civile.

Peuvent se constituer partie civile devant le juge d’instruction:

Dans l’affaire de l’attentat de Nice,

  • la personne qui a poursuivi le camion engagé sur la promenade des Anglais afin d’en neutraliser le conducteur et qui a subi un traumatisme psychique grave ;
  • la personne qui, ayant entendu des cris et coups de feu, s’est blessée en sautant sur la plage, alors qu’elle se trouvait sur la promenade des Anglais, au-delà du point d’arrêt du camion.

Dans l’affaire de l’attentat de Marseille,

  • la personne ayant tenté de maîtriser le terroriste qui poignardait une femme sur le parvis de la gare Saint-Charles, et ayant subi un traumatisme psychique important.

2. La Cour de cassation se prononce, de façon définitive, sur l’affaire de l’assaut de Saint-Denis:

S’agissant du « logeur » des terroristes des attentats du 13 novembre 2015, condamné pour recel de malfaiteurs terroristes en récidive,

  • sa condamnation pénale est définitive ;
  • sa condamnation à indemniser les victimes, leurs proches et les policiers qui sont intervenus lors des attentats est confirmée.

S’agissant de l’homme, dont la sœur a été tuée lors de l’assaut, et qui a été condamné pour non-dénonciation d’association de malfaiteurs terroriste,

  • sa condamnation est annulée en raison d’une immunité familiale.

S’agissant des locataires, propriétaires et syndicat des copropriétaires des immeubles ayant subi des dommages matériels lors de l’assaut, ainsi que de la commune de Saint-Denis,

  • ils sont irrecevables à se constituer partie civile.

Avertissement : le communiqué n’a pas vocation à exposer dans son intégralité la teneur des arrêts rendus. Il tend à présenter de façon synthétique leurs apports juridiques principaux.

ATTENTATS DE NICE ET DE MARSEILLE

Les faits et la procédure

En 2016, à Nice, un camion a fait irruption sur la promenade des Anglais, tuant et blessant de nombreuses personnes, puis s’est immobilisé pour une raison mécanique, après avoir parcouru deux kilomètres.

La chambre de l’instruction n’a pas reconnu la qualité de partie civile à :

  • la personne qui a poursuivi le camion afin d’en neutraliser le conducteur ;
  • la personne qui se trouvait sur la promenade des Anglais, au-delà du point d’arrêt du camion, mais qui, entendant des cris et coups de feu, a sauté sur la plage et s’est blessée.

En 2017, à Marseille, un homme a poignardé mortellement deux femmes et a attaqué une patrouille militaire.

La chambre de l’instruction n’a pas reconnu la qualité de partie civile à la personne qui a tenté de maîtriser le terroriste.

Dans ces deux affaires, les juges ont considéré que, si le préjudice subi par ces personnes était indéniable (traumatisme psychique et blessures physiques), elles n’avaient pas été exposées directement et immédiatement au risque de mort ou de blessure recherché par les terroristes. N’étant pas des « victimes directes », elles ne pouvaient se constituer partie civile devant le juge pénal.

 

Les décisions de la Cour de cassation

Repères : La constitution de partie civile : des conditions légales précises

Devant la juridiction pénale, la loi prévoit que seule une personne ayant « personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction » peut se constituer partie civile.

Au stade de l’instruction, l’appréciation de ces conditions est moins stricte : il suffit que les circonstances fassent apparaître comme possibles l’existence d’un préjudice et sa relation directe avec l’infraction.

Si la constitution de partie civile est contestée, la juridiction d’instruction apprécie le caractère possiblement direct ou indirect du lien de causalité entre le préjudice allégué par la personne et l’infraction.

En cas de pourvoi, la Cour de cassation contrôle l’appréciation par les juges du caractère direct ou indirect de ce lien de causalité.

Les attentats terroristes ont pour finalité de répandre la terreur, notamment en cherchant à causer la mort du plus grand nombre possible de personnes, celles-ci pouvant être visées de manière indistincte. Du fait de la spécificité de ce type de crime, il est complexe d’identifier les situations qui, devant le juge pénal, ouvrent le droit à se constituer partie civile à raison d’un préjudice causé directement par des assassinats ou tentatives d’assassinat.

La Cour de cassation décide d’adopter une conception élargie de la notion de victime pouvant se constituer partie civile devant le juge d’instruction. Cette conception élargie inclut :

  • les individus qui se sont exposés à des atteintes graves à la personne et ont subi un dommage en cherchant à interrompre un attentat. En effet, leur intervention est indissociable de l’acte terroriste ;
  • les individus qui, se croyant légitimement exposés, se blessent en fuyant un lieu proche d’un attentat. En effet, leur fuite est indissociable de l’acte terroriste.        

Les décisions de la chambre de l’instruction sont donc cassées.

La Cour de cassation déclare les constitutions de partie civile recevables, sans renvoyer ces affaires devant une nouvelle chambre de l’instruction.

ASSAUT DE SAINT-DENIS

Les faits et la procédure

En 2015, à Saint-Denis, la police a pris d’assaut le logement dans lequel se trouvaient deux des auteurs des attentats du 13 novembre, et une femme, lesquels ont refusé de se rendre, déclenché des ceintures explosives et trouvé la mort.

Leur « logeur » a été condamné pour recel de malfaiteurs terroristes en récidive.

La femme décédée lors de l’assaut avait un frère. Celui-ci a été condamné pour non-dénonciation de crime terroriste, l’argument d’immunité familiale n’ayant pas été retenu en sa faveur.

La qualité de partie civile a été reconnue aux victimes des attentats du 13 novembre 2015, à leurs proches, aux policiers qui sont intervenus, aux locataires, propriétaires et syndicat des copropriétaires des immeubles qui ont subi des dommages matériels lors de l’assaut, ainsi qu’à la commune de Saint-Denis, qui invoquait un préjudice d’image.

 

Les décisions de la Cour de cassation

 

Volet pénal

  • Le « logeur » est définitivement condamné

Dans le volet pénal de l’affaire, le « logeur » a retiré son pourvoi en cassation. Sa condamnation pour recel de malfaiteurs terroristes en récidive est donc devenue définitive.

  • Le frère de la femme morte pendant l’assaut bénéficie de l’immunité familiale

Repères :

Le délit de non-dénonciation de crime

Une personne commet un délit lorsqu’elle a connaissance d’un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, mais n’en informe pas les autorités. Il en va de même lorsqu’une personne a connaissance d’un crime dont les auteurs sont susceptibles de commettre un nouveau crime qui pourrait être empêché.

Pas de délit en cas d’immunité familiale…

Dans certains cas, la loi prévoit qu’une personne n’est pas obligée de dénoncer le crime ou la complicité de crime d’un membre de sa famille. C’est ce qu’on appelle l’immunité familiale. Elle concerne, notamment, les parents en ligne directe « de l’auteur ou du complice du crime », son conjoint, ses sœurs et ses frères.

Cette immunité fait obstacle à toute condamnation pénale.

…sauf exceptions prévues par la loi

Jusqu’à la loi du 3 juin 2016, seuls les crimes commis sur les mineurs de 15 ans étaient exclus du bénéfice de l’immunité familiale. La loi du 3 juin 2016 a ajouté des exceptions, notamment, pour les actes terroristes.

Conformément aux principes régissant le droit pénal, cette loi plus sévère ne peut s’appliquer qu’à des faits commis après son entrée en vigueur.

La Cour de cassation rappelle que, selon la loi, il n’est pas possible de condamner une personne pour ne pas avoir dénoncé un crime auquel a participé sa sœur ou son frère.

La loi qui prévoit l’immunité familiale vise les sœurs et les frères de l’auteur d’un crime, mais aussi, de façon alternative, les sœurs et les frères du complice. Ainsi, l’immunité familiale s’applique nécessairement à une situation où plusieurs personnes ont participé à un même crime.

De plus, le texte ne réclame pas d’une personne qui se prévaut de l’immunité familiale un lien de parenté avec chacun des différents auteurs d’un même crime.

La loi du 3 juin 2016, qui exclut le terrorisme du bénéfice de l’immunité familiale, n’est pas applicable à l’affaire de Saint-Denis, dont les faits se ont déroulés en 2015.

Le frère de la femme qui a trouvé la mort pendant l’assaut bénéficie donc de l’immunité familiale. Dès lors, sa condamnation pour non-dénonciation d’association de malfaiteurs terroriste est annulée.

 

Volet civil

  • Le « logeur » doit indemniser les victimes des attentats du 13 novembre 2015, leurs proches et les policiers

Selon la cour d’appel, en procurant une cache aux terroristes, leur « logeur » a retardé leur arrestation, tandis que les parties civiles vivaient dans l'attente angoissée de leur neutralisation, tout en faisant face à la continuité d'une menace imminente.

La Cour de cassation confirme donc la condamnation du « logeur » à indemniser les victimes, leurs proches, et les policiers qui sont intervenus lors des attentats.

  • Les locataires, les propriétaires, le syndicat des copropriétaires et la commune ne peuvent se constituer partie civile

Ni les dégâts matériels subis lors de l’assaut par les locataires, les propriétaires et le syndicat des copropriétaires de l’immeuble, ni le préjudice d’image invoqué par la commune de Saint-Denis ne résultent directement du recel de malfaiteurs.

Ils ne peuvent donc pas se constituer partie civile.

La décision de la cour d’appel est cassée sur ce point et la Cour de cassation déclare leur constitution de partie civile irrecevable.

Par cette décision qui, pour une part, rejette les pourvois, pour une autre part, casse sans renvoi la décision de la cour d’appel, la Cour de cassation met fin à la procédure.       

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